LA SAGA DU WU SHU

Les ténèbres de l’an 1000

Un atémi particulier donné avec l’index : la ressemblance n’est pas fortuite !

Après une période de déclin, le monastère de Shaolin retrouve son éclat sous les Ming (1360). Mais d’autres écoles voient le jour, notamment celle du Mont Wu Dang.

Aux alentours de l’air 1000, le monastère de la Petite Forêt connaît une nouvelle période de déclin. Il est vrai que la Chine elle-même est en triste état… A la suite des nombreuses guerres qui ont ravagé l’empire, plus d’un million de soldats désarmés hantent le pays où sévit une situation économique désastreuse. En 1069 plusieurs catastrophes d’une ampleur inégalée s’abattent sur la Chine : épidémies, tremblement de terre, sécheresse… des révoltes éclatent dans les campagnes où les villageois arment des milices. Chaque famille doit fournir au moins un homme valide. Les Arts Martiaux connaissent un essor populaire sans précédent… mais il n’est plus question d’étudier des années entières la technique ou la théorie ! Le combat à main nue fait place à l’utilisation d’armes meurtrières. La ruse et la férocité remplacent la bravoure. Le pays tout entier vit dans un état insurrectionnel et le plus fort impose sa loi. Devant cette situation, l’Empereur se voit obligé de procéder à d’importantes réformes. Après une courte période d’accalmie, les «barbares» Jin jusqu’ici massés sur la frontière déferlent sur la Chine. Ils assiègent la capitale Kaifeng et capturent l’Empereur en 1126. Son fils cadet Kao Tsong fonde l’Empire des Song du Sud. Il fait immédiatement appel à un expert dans l’Art dit Combat : le fameux Yueh Fei et le nomme Général en Chef des Armées Impériales.

LA MORT DE YUEH FEI

Yueh Fei est une figure légendaire, virtuose de la lance et du combat à main nue. On lui attribue la paternité du Hsing I Chuan (Poing de l’Unité du Corps et de l’Esprit). Yueh Fei, à la tête de l’armée, inflige plusieurs défaites retentissantes aux Jin. Peu à peu, il repousse ceux-ci jusqu’à l’ancienne capitale. Au fur et à mesure des succès, sa popularité grandit et chose rare, il est acclamé jusque par les paysans qui lèvent des milices et renforcent de plein gré son armée. Jaloux de ce succès, le ministre de Kao Tsong intrigue auprès de l’empereur. Ce dernier rappelle Yueh Fei, le fait emprisonner. Peu de temps après le héros est empoisonné. Faible et soucieux de préserver sa tranquillité, Kao Tsong signe un traité avec les Jin, leur livrant officiellement tout le nord du pays. En 1276, les Jin sont à leur tour battus par les Mongols qui instaurent l’Empire des Yuan. Les Song du Sud tombent à leur tour et tout le pays est, pour la première fois de son histoire, placé sous une autorité non chinoise.

Les Mongols instaurent une dictature sociale, économique et militaire qui devient assez vite le ferment d’une résistance populaire. De nombreux militaires destitués se réfugient dans les monastères où, sous le couvert de la religion, ils mènent une subversion active. En 1280, l’un d’eux se présente à Shaolin. Il se nomme Yen, fils de Mandarin Militaire, il est particulièrement versé dans les Arts du Combat à main nue et armée. C’est également un fervent admirateur de Yueh Fei, et il pratique le Yao Shan Shou, style de boxe créé par le fameux général. Sous son influence, le monastère retrouve la ferveur dans la pratique du Wu Shu et devient le berceau d’une société secrète qui a pour but de replacer un Chinois sur le trône impérial. Shaolin se transforme peu à peu en fief de la rébellion contre le pouvoir mongol et accueille les chefs de plusieurs de ces sociétés secrètes qui se feront connaître, plus tard, sous le nom de Triades : le Lotus Blanc, le Nuage Blanc, les Trois Bâtons d’Encens, les Piques Rouges… Un rituel d’initiation comprenant des épreuves martiales est mis en place. Une autre société secrète : les Turbans Rouges, entre en lutte ouverte contre le pouvoir. La révolte est matée à grand peine dans un bain de sang. Profitant de la situation, un paysan du nom de Tchou Yuan Tchang (Zhu Yuan Zhang) occupe Nankin (1356), prend Canton (1368) et se nomme Empereur à Pékin, instaurant la dynastie Ming (1368-1644).

En 1370, il proscrit les sociétés secrètes, mais en compensation offre un statut spécial aux monastères… Shaolin profite de la situation pour renforcer son pouvoir et délègue plusieurs conseillers à la Cour Impériale. Peu après la mort du premier Empereur Ming, à 75 ans, son fils cadet, Yong Le (1403-1425) invite le Patriarche Houen Chi Kuan à son couronnement, et lui fait un don somptueux qui lui permet d’agrandir le Monastère. Des relations privilégiées s’établissent entre le Trône Impérial et le Monastère. Un moine de Shaolin, Chang Wo (1376-1428) est nommé à la tête du Grand Conseil. Ce grand conseil consiste en fait dans une police secrète… Officiellement, Chang Wo est chargé des relations avec les provinces éloignées et les Etats environnants. Officieusement, il renseigne l’Empereur sur les faits et gestes des voisins. Ses divers voyages lui permettent des échanges fructueux. Passionné par les Arts du Combat, il n’hésite pas à démontrer ses talents… Il est probablement le premier à faire connaître le Wushu en dehors des frontières de la Chine, et à répandre la renommée de Shaolin tant au Vietnam qu’au Cambodge, en Birmanie ou en Thaïlande… Ses ambassades en Corée ou à Okinawa, où il laisse des conseillers militaires, influeront notablement .sur la pratique des Arts Martiaux dans ces pays. Hung Zi, le successeur de Yong Le, fait assassiner Chang Wo en 1428 et dissout la fameuse police secrète qu’il jugeait trop dangereuse. L’action de Chang Wo vis-à-vis des Arts du Poing Chinois aura été d’une première importance et aura permis d’influencer, jusqu’à nos jours, la pratique martiale dans tout l’Extrême-Orient… Il fut à la base des premières méthodes okinawéennes qui peu à peu deviendront le Karaté Do. II fut également à la base de plusieurs écoles anciennes de Taekwondo…

LA PERIODE D’OR

Malgré cette considérable extension vers l’extérieur… ou peut-être à cause d’elle, tout ne va plus pour le mieux à Shaolin. De très nombreuses écoles se sont disséminées dans toute la Chine (Fan Tzi Chuan : Boxe des Serres de l’Aigle… Tara Toi : les Jambes Volantes… Tang Lang Chuan : Boxe de la Mante Religieuse… Tsui Pa Hsien : Boxe de l’Homme Ivre…) ; mais surtout, sous l’influence des Taoïstes, une autre montagne que le Song Shan devient peu à peu le haut lieu des Arts du Poing. Située à une cinquantaine de kilomètres au sud de la ville de Jun Xian dans le nord du Hubei, le Mont Wu Dang fait parler de lui comme étant le lieu de pratique d’une nouvelle méthode : «la Voie Souple du Mont Wu Dang». Un personnage légendaire, Chan San Feng, est présumé être le créateur de cette nouvelle forme de Wu Shu. Connu sous le pseudonyme de «Maître des Trois Pics», il a intégré les principes de la philosophie du Tao à la pratique martiale. Selon lui «la Boxe ne doit pas servir à écourter la vie, mais au contraire à prolonger celle-ci…» La nouvelle méthode est à la fois un art de combat et une technique de santé. En réalité, il est fort probable que les Taoïstes désireux de reconquérir une influence perdue aient choisi l’Art Martial comme le meilleur moyen de s’opposer aux Bouddhistes… et notamment à ceux de Shaolin. Chang San Feng n’est qu’un faire-valoir et n’a peut-être même jamais eu d’existence réelle. Le choix du Mont Wu Dang, dans cette optique, n’est pas innocent… Celui-ci jouit en effet d’une réputation importante, car il est le siège de la Divinité Zhen Wu, le Guerrier Céleste. Peu à peu, au cours des âges, de nombreux bâtiments se sont érigés sur le Wu Dang Shan et constituent à la fois un lieu de repos et de visite des pèlerins. Jusqu’ici, les prêtres taoïstes étaient versés dans les Arts Divinatoires et dans les techniques de Longue Vie (Yang Shen).

L’ECOLE DE WU DANG

Leurs pratiques, notamment la Gymnastique Taoiste, sorte de Yoga Chinois, étaient réservées à une certaine élite intellectuelle et ne remportaient pas le succès escompté vis-à-vis du commun des mortels. De là à envisager la création pure et simple d’une nouvelle conception du Wu Shu, il n’y avait qu’un pas qui fut très vite franchi.

Pour mieux se démarquer des Bouddhistes… et de Shaolin, la nouvelle méthode prônait l’utilisation de la souplesse, du mouvement continu, voire de la lenteur. Au lieu de la force physique, elle préconisait la recherche de l’Energie Vitale (Chi), ainsi que l’étude systématique des points vitaux. Les résultats furent très vite positifs, et de nombreux pratiquants des «Styles Durs» se convertirent. Peu à peu, les pratiquants du Wu Dang se taillèrent une réputation de combattants exceptionnels. Cette école fut à l’origine directe du Tai Chi Chuan (Poing du Faite Ultime), du Hsing I Chuan (Poing de l’Unité du Corps et de l’Esprit) et du Pa Kua Chuan (Poing des Huit Trigrammes), dont on connaît la popularité actuelle : plusieurs millions de pratiquants dans le monde entier.