AIKIDO – KI NO MICHI
En hommage au Maître NORO Masamichi, fondateur du Ki No Michi®
Disciple direct et Interne du fondateur de l’Aïkido, Morihei Ueshiba O Waka Sensei
Photo by Centre international du kinomichi ®
Disparition du Maître Masamichi Noro fondateur du Kinomichi®
Le Maître Noro vient de nous quitter le 15 février 2013. Pour lui rendre hommage je vous vous propose un article que j’avait rédigé et publié dans le N°3 Juin Juillet 1997 de la revue bimestrielle Tao-Yin dont j’était le fondateur et le rédacteur en chef.
Il s’agit donc d’un document qui devient une archive exceptionnelle pour celles et ceux qui, un moment ou un autre, ont suivi l’enseignement exceptionnel de Noro Sensei.
Les Arts Classiques du Tao et moi-même présentons nos condoléances sincères à sa Famille, à ses amis, à ses disciples, à tous les enseignants qu’il a formé et influencés et à toutes celles et ceux qui le connaissaient et, finalement, à L’Aïkido tout entier puisqu’il vient de retourner auprès de son Vénéré Maître.
Georges Charles.
Maître Masamichi Noro 1935 2013
La tombe de Maître Masamichi Noro au Cimetière de Montmartre
Carte de l’Association Culturelle Française d’Aïkido
Institut D’AIKI-DO M. NORO
Aiki-Kai de Paris
4, rue Constance Paris 18eme
Doc. GC
Il y a presque cinquante ans !
Une vidéo du Maître Masamichi Noro des années soixante dix montrant la pratique du Jo- bâton – Elle ne nécessite aucun commentaire !
Le Kinomichi® du Maître Masamichi Noro par Georges Charles article publié dans Tao Yin N° 3 de juillet 1997
Article publié dans le N°3 de la revue bimestrielle Tao-yin (juillet 1997 )
fondée par Georges Charles et dont il était le rédacteur en chef.
Le Kinomichi® du Maître Noro
Un boulevard passager dans un quartier populaire entre Gare de l’Est et Château d’Eau. Une porte cochère et un interphone. Je m’apprête à l’utiliser lorsque surgissent deux jeunes garçons. L’un d’eux m’interpelle très poliment « Inutile de sonner, Monsieur, c’est ouvert ». Ils se précipitent en riant dans une cour intérieure égayée par de multiples plantes vertes et gravissent le perron d’une maison bourgeoise enchâssée entre des immeubles. Le plus jeune me tient la porte tandis que l’autre court embrasser son père. Je reconnais le Maître Noro. Il leur dit deux ou trois mots puis s’avance, souriant, la main tendue. « Monsieur Charles, je vous attendais. Comment va notre ami, monsieur Balta ? »
La dernière fois que j’ai entendu cette phrase devenue rituelle, c’était il y a tout juste quinze ans lors de l’inauguration de son troisième Dojo. Depuis nous ne nous étions pas revus.
Il y a maintenant plus de trente ans (en 1997 n.d.a.) que Dominique Balta m’avait présenté à lui à son premier Dojo de la rue Constance. Le Maître Noro est un homme de mémoire. D’ailleurs il n’a que très peu changé. Il est vêtu à l’occidentale, très classique. Seul un foulard pastel artistiquement froissé, qui remplace la cravate, renforce l’impression d’aisance presque décontractée.
Il m’invite à passer dans son bureau et me propose un thé. Ce qui m’a toujours impressionné chez le Maître Noro, c’est sa faculté à faire disparaître, comme par enchantement, les temps morts ou intermédiaires. Il ne s’assied pas, il est assis. Il ne se lève pas, il est debout. Il ne se déplace pas, il est là. Présent.
Pour l’instant ses mains reposent bien à plat immobiles, ce qui est rare. Il m’observe. Un regard. Un court instant d’impassibilité et de sérénité. Avant même que ce moment fugace puisse devenir contraignant, ses mains s’élèvent, s’écartent et s’ouvrent dans un geste à la fois accueillant et résigné dont il a seul le secret. Il sourit de plus belle et conclut, désarmant « Difficile d’écrire un mouvement de vie. Non ? ». Cette phrase, faussement anodine s’adresse-t-elle à moi – il s’agit alors d’écrire – ou à lui – décrire – ? En fait sa question qui n’en est pas une puisqu’elle ne comporte aucune réponse possible, s’adresse à l’un et à l’autre. C’est une affirmation rendue péremptoire par la négation finale. Une spirale.
J’avais presque oublié le style Noro, malgré son fameux accent japonais, le même depuis trente ans, et sa syntaxe particulière, japonaise également, il maîtrise redoutablement le français.
Cet article, abondamment pillé, est bien signé Georges Charles !
Et bénéficie donc d’un dépôt légal puisque paru dans la presse.
Le sourire du tigre
L’enseignement du Maître Noro est un modèle du genre. Au tout début cela surprend, puis on s’y habitue. Cela devient une sorte d’espéranto qui enveloppe la pratique, la complémentarise et l’éclaire. Le verbe accompagne, précède ou suit le mouvement, naturellement. Il joue sur les mots, les jeux de mots, sur le son, sur le rythme. Il les déstructure et les reconstruit à son gré. Le verbe engendre les mouvements. Les mouvements engendrent le verbe.
Grâce à ce moyen en cours il engendre des images psychiques et corporelles d’une étrange intensité. Il est tantôt, et tout à la fois, producteur, metteur en scène, acteur, spectateur, émetteur et récepteur. Il possède le talent rare d’affirmer avec un humour très subtil, presque avec légèreté, des choses essentiellement sérieuses.
Rien ne lui échappe et encore moins personne. Lorsqu’il semble s’adresser à un groupe, sa remarque est bien souvent spécifiquement destinée à un individu en particulier. Au contraire, lorsqu’il conseille quelqu’un, c’est généralement une remarque valable pour tout le groupe. Ses mouvements, comme sa parole, sont d’une extrême précision. Il est donc sans pareil pour démontrer l’erreur, l’amplifier, la démesurer ou, pire, pour trouver le mot précis, chirurgical, qui fera nécessairement mouche. Toujours avec le plus grand souci des convenances et de la courtoisie japonaises, donc avec le sourire du Tigre.
« Quand je suis arrivé en France avec Aïkido, j’étais fort, très fort. Animé par Esprit conquérant. Très malheureux. Maintenant avec ma femme, six enfants et le Kinomichi ® je suis très heureux. Avant je considérais les pratiquants comme des élèves ou comme des disciples, maintenant ils sont devenus pour moi des compagnons qui empruntent la même Voie et construisent avec moi le Kinomichi ®.
Nous regardons dans la même direction. Ma notion de Maître n’est donc plus la même. Autrefois le Maître faisait des expériences avec ses élèves, et surtout sur ses élèves. Aujourd’hui je préfère partager, donner et recevoir. Quand vous ne donnez pas beaucoup vous ne recevez rien. Kinomichi ® est à la fois culture qu’il faut entretenir et développer et nourriture qu’il faut partager.
Beaucoup de gens croient qu’il y a un problème entre Aikido et Kinomichi ®. Aucun problème. Quand je suis retourné au Japon il y a deux ans, Waka Sensei Kishomaru Ueshiba, le fils de O sensei, le fondateur de l’Aïkido s’est assis près de moi et à dit « Noro Sensei votre Voie est juste ! » Aussi le Centre Mondial de l’Aïkido m’a reconnu comme fondateur du Kinomichi ®. Kinomichi ® n’est pas Aïkido mais O sensei Morihei Ueshiba est toujours présent dans mon cœur. Comment pourrait-il en être autrement ? » .
Suivent quelques questions sur le Maître Ueshiba, sur les débuts de l’Aïkido en France, sur les problèmes rencontrés par le Maître Noro, sur le Kinomichi ®, sa pratique, son enseignement, sur l’avenir… Discrètement Madame Noro vient rappeler à son mari qu’il est presque dix sept heures. L’entretien a duré deux heures.
Je quitte le Maître Noro en le remerciant. Le temps de remettre mes chaussures et de regagner la réception, il est déjà présent mais vêtu traditionnellement de sa tenue japonaise caractéristique au grand Hakama blanc.
Il passe. Un très léger bruissement soyeux.
Le Dojo est clair, juste une calligraphie et un bouquet de fleurs. Les stagiaires, dont certains portent le Hakama, pratiquent déjà. D’autres attendent dans une position agenouillée, dans une immobilité paisible et attentive. Debout avec mes chaussures et mon porte document je me sens tout à coup beaucoup trop occidental. Un court salut et je m’éclipse. Dehors le boulevard est embouteillé, plus bruyant que jamais.
Le Kinomichi ®, un « anti-art martial ».
Masamichi Noro naît le 21 janvier 1935 à Aomori dans le nord du Japon, dans une famille aisée. Son père est entrepreneur et sa mère est issue du Noble Clan Nozawa, dont il conservera les armoiries (Mon) qui deviendront, plus tard, l’emblème du Kinomichi ®. Enfant il contracte une maladie qui affaiblit sa constitution. Fort intelligent, curieux de tout et doué d’un tempérament volontaire, il surpasse ce handicap grâce à la natation et la pratique assidue du Judo où il se fait remarquer par d’excellentes dispositions et un esprit combatif assez exceptionnel.
Ses parents décident de l’envoyer étudier à Tokyo. Il a alors quatorze ans ; au lycée Edo Gawa il continue la pratique du Judo. Ensuite il entreprend des études universitaires, sans réellement trouver sa voie. Economie, médecine, philosophie, architecture, musique, sciences politiques…tout le séduit puis le déçoit. Cet étudiant doué devient, en quelque sorte, le désespoir de ses enseignants qui ne parviennent pas à le motiver.
Maître et disciple
En avril 1955, toujours à la recherche d’un idéal qui, lui échappe, il rencontre le Maître Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido. Il est immédiatement séduit tant par sa personnalité extraordinaire que par sa technique martiale qui lui semble infaillible. Masamichi Noro, le turbulent, trouve dans l’Aïkido le moyen d’exercer ses talents et de dépenser son énergie sans compter.
Le Maître Ueshiba décèle assez rapidement cette capacité et décide de l’accepter comme Uchi Deshi (élève interne pensionnaire). A cette époque cela consistait, en dehors des cours, à se charger de diverses tâches habituelles à la vie traditionnelle d’un Dojo, de l’habitation du Maître et bien souvent d’une exploitation agricole. Il convenait donc de veiller au bon ordre des choses, ce qui au Japon signifiait quelque chose. Et notamment de se charger de l’intendance, de faire chauffer l’eau du bain traditionnel O Furo, considéré comme une purification rituelle, d’entretenir les Bonsaï et le jardin et surtout d’être disponible à tout instant.
Pour ses contemporains le Maître Ueshiba était déjà un homme étrange, vivant, ou peu s’en faut comme un samouraï du temps jadis. Il avait étudié divers arts du Budo et avait reçu les plus hauts titres dans ces pratiques. Expert dans l’art du sabre, de la lance, de l’épieu de combat, de la baïonnette, du bâton long, de la canne, de l’éventail de fer. Maître réputé dans diverses écoles de Jujutsu et d’Aïki Jutsu, il avait été l’élève direct du fameux Takeda Sogaku, personnage haut en couleur et assez terrifiant sur lequel couraient diverses légendes.
De plus, Maître Ueshiba très mystique était l’adepte d’une religion proche du Shintoïsme et du Taoïsme l’Omoto Kyo fondée par le Maître Degushi. Il l’avait accompagné en Mandchourie pour tenter de restituer son trône à l’Empereur de Chine. Expédition qui s’était catastrophiquement terminée menottes aux mains et pieds mais qui avait probablement permis au Maître Ueshiba de rencontrer d’autres Maîtres chinois réputés dans les arts internes. Il eut, en effet, été assez impensable qu’un passionné de Budo tel que Ueshiba n’ait pas, à cette occasion, cherché à rencontrer ses homologues et à en tirer des leçons profitables.
Masamichi Noro étudiera plus de six années l’Aïkido auprès de Maître Ueshiba, tant à son Dojo de Tokyo que dans sa propriété personnelle de Iwama. Il sera marqué autant par son enseignement technique que pas sa pratique mystique d’union, d’unité et d’harmonie avec le nature et l’univers.
Quelques explications sur l’implantation de l’Aïkido en France
Au tout début des années 1960 Masamichi Noro, alors cinquième Dan était alors presque considéré comme le fils spirituel de O Sensei Morihei Ueshiba. Son principal défaut était probablement sa turbulence et une énergie considérable qu’il tentait d’épuiser dans de nombreux excès. C’était un battant toujours prêt à démontrer le supériorité de l’Aïkido sur toute autre méthode. Cela ne passait pas sans heurt avec certains condisciples qu’il jugeait tièdes.
En outre Masamichi Noro supportait mal le carcan de la société japonaise. Le Maître Ueshiba décida de l’envoyer en Europe et particulièrement en France afin qu’il puisse exercer ses dons. Il le nomma délégué pour l’Europe et l’Afrique du Centre Mondial de l’Aïkido (Aïki Kai). Chargé de cette nouvelle fonctions il débarqua à Marseille le 3 septembre 1961. On avait probablement oublié de le prévenir que la situation de l’Aïkido n’était pas tout à fait celle à laquelle il s’attendait.
En fait d’unité il existait ce que l’on pourrait appeler, par euphémisme, « plusieurs tendances ». Son prédécesseur Tadashi Abe, si il était un formidable combattant et un technicien hors pair n’était pas un fin stratège et s’était créé de solides inimitiés. Son principe « d’efficacité avant tout » avait probablement découragé certains enseignants recherchant plus l’harmonie que plaies et bosses.
Un autre Maître avait eu une grande influence lors de son passage en France. C’était le fameux Minoru Mochizuki (que certains nommaient par ailleurs Motiduki – n.d.a) qui avait étudié sous la férule du Maître Ueshiba avant guerre et pratiquait un Aïkido très martial, presque carré. Grand expert en Karatédo, en Iaï Do et dans de multiples disciplines comme le bâton, la baïonnette, le poignard (Tanto Jutsu) il avait formé au Japon et en France plusieurs experts de premier ordre dont le fameux Jim Alcheik* qui exerça une très forte influence, particulièrement dans le milieu policier où ses cours étaient hautement appréciés.
Enfin, un autre Maître, André Noquet, ancien lutteur et judoka prestigieux, avait également étudié l’Aïkido sous la direction du Maître Ueshiba, et de ce fait était persuadé, certainement à juste titre, de pouvoir représenter l’Aïkido en France **.
La venue du nouveau jeune délégué officiel, fut-il cinquième Dan, n’était donc pas réellement devenu. Ce qui n’empêcha pas Masamichi Noro de multiplier les stages et les démonstrations en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie et jusqu’en Afrique. Il parvint à créer plus de 200 Dojos dans douze pays. En 1963, il accueille Mutsuro Nakazono, puis en 1964 Nobuyoshi Tamura venus de l’Aïkikai pour aider au développement de l’Aïkido. Suivront encore Arimoto Murashige, expert en Aïkido et en Iai Do et un tout jeune Maître Katsuaki Sawai qu’il considère comme un frère et qui s’installe en Allemagne tandis que le redoutable Maître Hiroshi Tada prend en charge l’Italie (Sensei Tada avant de pratiquer l’Aïkido fut le responsable technique de l’équipe de Karatedo de l’Université de Waseda d’où provenait également le Maître Yoshinao Nanbu n.d.a. ).
Comme toujours Masamichi Noro se dépense sans compter et, le 4 mai 1966, à quatre heures du matin, après un stage à San Rémo il est victime d’un terrible accident de voiture. Il échappe miraculeusement à la mort mais physiquement broyé, un bras paralysé, il est contraint de démissionner de ses nombreuses fonctions.
* Jim Alcheik, élève direct de Minoru Mochizuki, était l’européen le plus gradé à l’époque, il entrainait des éléments de la Préfecture de Police de Paris. Lors d’une démonstration devant le Préfet il montra comment désarmer un individu qui le menaçait avec un révolver. Ce qui fut fait en un tournemain. Le Préfet applaudit mais dit à Jim Alcheik « Parfait mon ami, mais maintenant si le révolver avait été chargé, auriez vous fait la même chose ? » Sans se démonter Alcheik visa le plafond et y déchargea le révolver qu’il avait en main couvrant le Préfet de plâtre. Ce dernier ne put qu’aplaudir à nouveau et se le tint pour dit. Jim Alcheik était un peu casse-cou ! Il eut comme élève Claude Falourd puis Alain Floquet, entre-autres, qui développèrent une forme d’Aïkido très efficace. Alcheik fut recruté par les Services Secrets gouvernementaux et chargé d’une mission en Algérie ce qui lui coûta malheureusement la vie lors de l’explosion d’une ronéo qui avait été piégée et qui fit sauter la Villa El Biar le 29 janvier 1962 – note additive de G. Charles.
** Sans critiquer le Maître Ueshiba, qui visiblement avait autre chose en tête et qui oubliait ces détails, il est certain qu’il distribua à l’époque plusieurs titres de « représentant officiel » de l’Aïkido (pour la France,l’Europe, la France l’Europe et l’Afrique…). Chacun était évidemment persuadé être le seul bénéficiaire de cette redoutable fonction et tombait de haut lorsqu’il apprenait avoir des prédécesseurs ou, pire, des successeurs…Ce qui n’était pas fait pour faciliter les relations entre les divers courants donc chacun était persuadé non seulement posséder la vérité mais également l’exclusivité de la pratique, de l’enseignement et même de la transmission. Ce qui se conclut, inévitablement, par la création de plusieurs groupes puis de plusieurs fédérations « concurrentes ». La plupart des pratiquants n’étant d’ailleurs pas au fait de cet êtat de chose et, finalement, suivaient leur enseignant sans trop savoir de quoi il s’agissait. Note additive de G. Charles.
La genèse du Kinomichi ®
A peine rétabli, il décide de se fixer à Paris et en février 1967, il crée son Dojo de la rue Constance où il continue à enseigner l’Aïkido mais en raison des graves séquelles de son accident, en l’adaptant selon un style très personnel. Pour ceux qui, le connaissent il existe désormais une rupture entre ses formidables capacités martiales, qu’il parvient à maintenir à grand peine, et son souhait de rechercher autre chose.
Bien que très méfiant il est contraint de se laisser manipuler et découvre des méthodes corporelles et thérapeutiques occidentales. Marie Thérèse Foix et Gisèle de Noiret, qui pratiquent l’Aïkido sous sa direction, l’initient peu à peu à une autre approche du corps et de l’énergie ; tout en restant très attaché à ses sources japonaises, il prend alors conscience que l’Occident possède des moyens utiles à la découverte du corps et du mouvement. Cela l’amène tout naturellement à s’intéresser aux traditions occidentales et au symbolisme.
Il n’en continue pas moins à enseigner l’Aïkido et à le promouvoir par des démonstrations exceptionnelles, toujours considérées comme un événement. Mais il retrouve également son besoin de recherche et d’éclectisme qui lui causèrent quelques problèmes lorsqu’il était universitaire. Au fil de rencontres très diverses, comme par exemple Taisen Deshimaru, Itsuo Tsuda, Karlfried Graf Von Durckeim qui deviendra son ami, il se forge une nouvelle approche de la pratique corporelle et se découvre d’autres motivations philosophiques et esthétiques. Il motive également de très nombreux pratiquants.
En 1972 il ouvre son nouveau Dojo, rue des Petits Hôtels, qui connaît immédiatement un grand succès. Cela lui attire quelques inimitiés et, par conséquence, quelques démêlés avec les autorités dites compétentes. On lui reproche un Aïkido, donc un enseignement, très personnel et on s’étonne que le contenu philosophique de ses cours ne corresponde plus tout à fait à la version autorisée par la Fédération, donc reconnue par le Ministère de tutelle.
En 1975 suite à un protocole d’accord assez difficile établi entre la Fédération compétente, Masamichi Noro et 29 de ses instructeurs reçoivent, par équivalence, le fameux Brevet d’Etat.
Entre temps Masamichi Noro a eu l’occasion d’apprécier les effets et les résultats de la méthode créée par Françoise Mézière qui est une forme spécifique de rééquilibration corporelle par la kinésithérapie. Il rencontre Madame Françoise Ehrenfreid qui donnera pendant plusieurs années, et presque jusqu’à se disparition des cours au sein de l’Institut du Maître Noro ; la pratique et l’enseignement de l’Aïkido en sont profondément influencés, ce qui, bien évidemment, sera diversement apprécié tant par certains de ses élèves que par ses confrères !
En 1979, Masamichi Noro, pour couper court à toute polémique, préfère donner le nom de Kinomichi® à son enseignement.
« Si Kinomichi®, comme Aïkido est Amour, soyez sexy ! Be Sexy ! » Masamichi Noro
lors de la prise de photos pour l’article.
De l’Aïkido à « l’anti-art Martial »
Le 21 mars 1980, Masamichi Noro décide de présenter son art à la Sale Pleyel. La salle est comble, archicomble. Le Maître commence par faire ses adieux à l’Aïkido : la première partie de sa démonstration est un festival impressionnant de cet art à son plus haut niveau, qui ne laisse aucun doute sur ses capacités dans ce domaine. Il obtient un fabuleux succès.
La seconde partie est dédiée au tout, nouveau Kinomichi® qu’il présente comme un « anti-art martial ». La réaction du public principalement constitué d’enseignants et de pratiquants est beaucoup plus mitigée. C’est autre chose et nombreux sont ceux qui s’en étonnent. Des étirements, des extensions, des cercles, des spirales, des travaux avec partenaire sans la moindre projection, des rencontres et des séparations, des ralentis, des arrêts sur l’image, des accélérations progressives toujours parfaitement mesurées, le tout dans une ambiance irréelle et étrange, à la fois très libre et très concentrée. Beaucoup de femmes et quelques enfants. Un autre univers. Puis plus rien. La lumière s’éteint. C’est fini.
La plupart des spectateurs demeurent assis, attendant on ne sait quoi ou on ne sait qui. Un murmure puis des applaudissements ravis, ici et là, repris par politesse. Un peu de confusion à la sortie. Les avis sont partagés : « Je ne comprends pas, ce n’est plus de l’Aïkido, ce n’est plus le Maître Noro » ; « Mais il se prend pour qui, enfin ? » ; « Ah si Maître Ueshiba voyait ça ! » ; « Il serait peut-être surpris mais il aurait aimé » ; « L’Art Martial est devenu un sport, Noro a raison ! » ; « C’est pas une raison pour transformer l’Aïkido en danse ! » : « Ce n’est pas de la danse c’est une expression corporelle nouvelle ! » ; « Ouais, mais il devrait plus s’habiller en Japonais ! » ; Une petite dame d’un certain âge conclut « Moi je n’aurais jamais osé pratiquer un art martial, c’est trop violent, mais je crois que je vais essayer, maintenant ! ». Des costauds sourient et haussent les épaules, gênés « On va quand même regretter Noro, faudra trouver un autre Maître, je me vois assez mal avec cette dame sur un tatami ! »
Noro demeure invisible.
Après ce coup d’éclat les cours reprennent ; quelques anciens ont disparu mais des nouveaux s’inscrivent. Certains n’ont jamais entendu parler d’Aïkido, ils viennent pour le Kinomichi®.
En 1983, Noro décide de transférer ses cours de la rue des Petits Hôtels à la rue de Logelbach où il crée officiellement le Centre Masamichi Noro. C’est, en quelque sorte, la rupture du cordon ombilical avec l’Aïkido. Il dépose le terme Kinomichi® ainsi que le Mon (emblème) symbole de son école.
Le Kinomichi® actuel
(cet article originel date de juillet 1997 et a été souvent copié, sinon recopié ! – note de Georges Charles).
Depuis 1991 le Centre International Noro-Kinomichi® s’est installé au Dojo de la Fontaine, Boulevard de Strasbourg, dans le 10eme arrondissement. Le Kinomichi® s’est implanté dans plusieurs pays européens, est représenté dans de nombreuses villes de France et compte désormais plusieurs milliers de pratiquants bénéficiant de l’enseignement d’instructeurs formés au Centre International par le Maître Noro. Mais qu’est-ce que le Kinomichi® ? Voici comment son fondateur le définit :
« Michi est une autre lecture ancienne et classique en Japonais du caractère chinois Tao, La Voie. La transcription habituelle de ce caractère est Do. Mais Do que l’on retrouve dans Judo, Aïkido, Kendo implique une origine uniquement japonaise. Michi élargit cette notion d’origine à la philosophie du Tao et l’universalise. Ki est à la fois principe créateur, énergie cosmique et souffle vital.
Kinomichi® que l’on peut traduire par « Souffle du Tao » ou « Voie du Ki » représente la circulation de l’Energie entre le Ciel et la Terre. Le Ciel donne de l’Energie (Ki en japonais Qi ou Chi en chinois) à la Terre. La Terre reçoit cette énergie et, en échange, donne en retour de l’Energie au Ciel. L’Etre humain situé entre Terre et Ciel, se trouve au lieu idéal d’échange entre donner et recevoir.
Le Kinomichi® a pour but, au travers du mouvement, d’harmoniser et d’unifier cette Energie en facilitant cette liaison Ciel/Terre. Cela s’effectue par le biais d’attitudes, de postures, de mouvements et d’actions trouvant leur réalisation avec un partenaire. Le contact avec un partenaire est essentiel et nous favorisons ce contact dans un principe d’ouverture. Grâce à l’appui que nous trouvons sur terre, nous pouvons mieux nous élever vers le ciel et mieux échanger avec l’homme tout en conservant un équilibre dynamique. Cette harmonie devient naturellement créatrice. Le centre est alors partout.
Le Kinomichi® résulte d’une histoire personnelle, ainsi que d’une recherche établissant un pont entre Orient et Occident. Au Japon, pays régi par la morale cet apport personnel aurait probablement accepté comme faisant partie de la tradition. En France, pays régi par la juridiction, cela a été plus difficile de le faire accepter.
Le Kinomichi® s’est donc nécessairement différencié de l’Aïkido. Mais ma pratique personnelle avec Sensei O Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido m’a profondément nourri. Comment pourrait-on oublier ce qui vous a nourri et celui qui vous a nourri ? O Sensei demeure présent, plus que jamais même et surtout si ma pratique et mon enseignement ont bénéficié d’autres apports et d’autres expériences issus de l’Occident et de ses Traditions. Lorsque vous êtes dans la Cathédrale Notre Dame de Paris, votre regard est attiré vers le haut, vers le ciel. Cette force d’élévation est universelle.
Le Ki est universel et ne différencie pas les êtres humains. J’ai l’habitude de dire que le Kinomichi® est une utopie car il tente d’éviter les antagonismes, les oppositions. Pourquoi opposer Orient et Occident ? Pourquoi opposer la tradition à une autre tradition ou un enseignement à un autre enseignement ? Cet antagonisme, cette opposition engendre des blocages physiques, énergétiques, psychiques et accroissent les déséquilibres. Pourquoi souhaiter demeurer déséquilibré ?
En favorisant l’échange entre Ciel et Terre, entre Orient et Occident, le Kinomichi® vise à restreindre cette opposition, cet antagonisme et à retrouver l’équilibre, donc l’harmonie dans la Paix Universelle ».
Quelques notes de Georges Charles
J’ai préférer reproduire et publier l’article que j’avais rédigé pour le N° 3 de Tao-Yin, le bimestriel, en juillet 1997 afin, d’une part que l’article originel soit visible et que, d’autre part, le texte soit parfaitement lisible.
Le Maître Noro, à l’époque, avait donné son accord pour cette publication alors qu’il n’accordait que rarement des interviews à la presse et il en avait été très satisfait. Il n’avait rien trouvé à y redire quant au fond ou à la forme. L’entretien avait duré près de deux heures pendant lesquelles il avait répondu à mes diverses questions et donc apporté diverses réponses, particulièrement sur les rapports qui existaient entre l’Aïkido et le Kinomichi®.
Depuis cet article a été abondamment utilisé sans que son origine ni que son auteur soient cités par les adeptes du copier-coller.
J’avais pu à cette occasion lui poser la question sur une influence chinoise possible lors de la création de l’Aïkido par le Maître Ueshiba à l’un de ses retours de Mandchourie, où suivant ses dires « il se rendait très souvent ».
Pour en savoir plus sur les rapports entre Morihei Ueshiba et la Mandchourie, donc la Chine cliquer ici
Et comme souvent Noro avait largement souri avec son fameux geste d’ouverture qui en disait long. Mais son explication particulière sur la différence entre Michi et Do et la référence directe à la Chine en disait plus long que tout un discours.
Encore fallait-il ouvrir les yeux, les oreilles et le coeur pour tenter de comprendre. C’est désormais un autre débat entre spécialistes de la spécialité.
Le Maître Wang Zemin (la fédération rend sourd !) et le Maître Masamichi Noro avaient en commun un sens de l’humour très particulier et il fallait souvent les prendre au troisième degré.
Je me souviens que lors du cours, particulièrement fréquenté par la gent féminine, lorsque j’étais venu prendre des photos qui illustrent l’article, il avait sorti avec son grand sourire » Si Kinomichi® comme Aïkido est Amour, soyez sexy ! Be Sexy ! »
Ce qui avait jeté un trouble mais détendu la pratique immédiatement et rendu la séance photo moins contraignante.
Une vidéo du Maître Masamichi Noro démontrant le Kinomichi®.
Elle ne nécessite également aucun commentaire !