Le Yijing des praticiens du Tao

Le Yijing des praticiens du Tao

 » Oh, combien il est difficile de demeurer taoïste dans un bas monde qui ne respecte plus même Confucius ! « avait coutume de soupirer le Maître Wang Tse Ming dans de multiples occasions où sa patience était prise en défaut et se heurtait au quotidien contemporain du monde phénoménal qui nous entoure encore et toujours.

Wang Tse Ming

Wang Tse Ming (Wang Zemin ou Tai Ming Wong) 1909 2002

 

Le fait qu’il se prétendait descendant direct de l’illustre Wang Yang Ming (1472 – 1529), alias Wang Shouren, fondateur de l’Ecole de l’Esprit (Xinxue), dont on dit qu’il révolutionna la pensée philosophique de la Chine des Ming et du Japon jusqu’à l’Ere Meiji, le fait qu’il soit considéré comme un initié taoïste du Ling Pao Ming , le fait qu’il ait passé plus de soixante années de sa vie à étudier, à pratiquer, à enseigner divers Arts Taoïstes comme la calligraphie magique (Fu Lu), la géomancie chinoise (Feng Shui) et les Arts Chevaleresques (Wushu) avec les Maîtres les plus réputés de Chine, dont le fameux Wang Xiang Zhai (Wang Hsiang Chai) ne lui permettaient pas, pour autant, de conserver, dans ces circonstances, la fameuse impassibilité qui, soit disant, est l’apanage de la sagesse orientale.

Wang Yang Ming

Wang Yang Ming (1472 1529) ancêtre de Wang Tse Ming
Il dénonça les « boutiquiers de Confucius »

Cette phrase s’accompagnait d’un demi-sourire narquois et désolé et d’une indéfinissable lueur dans le regard. Cette lueur métallique, presque assassine, en disait beaucoup plus qu’un long discours. Après, généralement, il se refermait comme une huître se bornant à poursuivre son chemin ou son activité, par principe, sans sembler attacher aucune importance à ce qui pouvait se passer autour de lui. L’un des rares sujet qui motivait sa formule, faisait apparaître cette lueur mais l’engageait, par contre, à devenir intarissable était, justement, le fameux Yijing.

Une fois le mot lancé chacun en prenait pour son grade et ceci dans des proportions homériques où copistes, traducteurs, commentateurs, interprètes, devins, bidouilleurs de baguettes et de piécettes se retrouvaient sur la sellette. Sa théorie était on ne peut plus simple…

Que ce soit en Chine ou en Occident on s’est, de tous temps, évertué, et plus particulièrement en ce qui concerne le Yijing, à rendre compliqué et inutile ce qui, à l’origine, était simple et efficace. Il convenait donc de tout reprendre, de tout repenser, de tout expliquer depuis le départ. Dans cette hypothèse, il souhaitait mettre en œuvre les principes essentiels exposés par Wang Yang Ming :

 » Apprendre, s’enquèrir, réfléchir, débattre, agir constituent autant d’aspect de l’étude. Etudier sans qu’il y ait action cela ne se peut.

De tous temps en tous lieux, rien n’a jamais pu se nommer étude qui n’ait impliqué de l’action.

Etudier c’est agir, agir c’est étudier.

L’étude n’a de valeur que si elle est étayée par l’action et réalisée par l’esprit. Si ce que je cherche dans mon esprit se révèle faux dans l’action, quand bien même cela serait affirmé par Confucius, je ne me permettrai pas de le prendre pour vrai.

Ne parlons pas même des autres qui n’arrivent pas même à la hauteur de la sandale de Confucius.
Si ce que je cherche dans mon esprit se révèle vrai dans l’action, quand bien même cela sortirait de la bouche d’un homme du commun, je ne me permettrai pas de le prendre pour faux.

Alors, à quoi bon mal citer Confucius !

En cas de doute il convient simplement d’agir « .

YI JING : Traité de la simplicité originelle…et Livre du changement

Si l’on passe sur le fait, désormais habituel dès que l’on traite de la langue chinoise, que la transcription occidentale des caractères originels permet, au choix, de nommer l’ouvrage en question Yijing, Yi King, Yi Tching, I Tching, I Ching, I Ging, I Jing, Tchi Tching.

Yijing Yi King

Les 64 hexagrammes et leurs dispositions particulières

En faisant grâce des tirets et apostrophes, le premier caractère, YI (2356 caractère du Dictionnaire Ricci), désignait dans sa graphie originelle le soleil dardant ses rayons au travers d’une ondée nuageuse.

Quelle image… ! Le soleil dans la Ciel (Tian), un nuage (Yun), une ondée bienfaitrice et chatoyante (Yu), parvenant sur Terre (Ti). Pour tous ceux qui, comme le décrit Laozi (Lao Tseu) dans son quinzième chapitre du Daodejing (Tao Te King ),  » De tous temps excellent dans la pratique de la Voie  » (Shan Wei Dao) tout est dit. Entre Ciel (Tai Yang) et la Terre (Tai Yin) se manifeste le Jeu (Shi) des Nuées (Shao Yang) et des Ondées (Shao Yin). Il s’agit bel et bien du  » Jeu des Nuages et de la Pluie  » (Yun Yu Shi) de l’alchimie taoïste qui permet au  » Souffle Spirituel  » (Shen Qi) de descendre et au  » Souffle Essentiel  » (Jing Qi) de s’élever, ceci provoquant les  » Mutations  » (Yi). Jingshen (Essentiel/Spirituel) désigne ainsi la parfaite et sublime connaissance, le Grand Œuvre.

roue du Yi King

Distribution de l’énergie Yin/Yang dans l’année suivant le Yi King des Xia

Cette manifestation symbolique se retrouve, par ailleurs, dans les deux premiers Trigrammes du Roi Wen : Li (Le Feu Céleste) et Kan (l’Eau de l’Abime) utilisés en Alchimie Interne (Nei Dan). Li, en effet, correspond au Cœur qui engendre le Shen (Esprit) tandis que Kan correspond aux Reins qui engendrent le Jing (Essence).

Esprit et Essence sont respectivement la manifestation du Yin authentique et du Yang véritable qui sont à la base dynamique du travail alchimique puisqu’issus du Ciel Antérieur – avant la création du Ciel ou ordre nouménal – (Xan Tian) mais agissant dans le Ciel Postèrieur – après la création du Ciel ou ordre phénoménal – (Hou Tian).

Ciel Antérieur – Ciel Postérieur
Simplement « avant Ciel » « après ciel »
Avant naissance (avant d’avoir vu le jour – le ciel)
Après naissance (après avoir vu le jour – le ciel)

Cette image est fort pratique, en effet, mais il semble fort peu improbable que ce charmant reptile, néanmoins quelque peu frileux de nature, ait pu être observé couramment dans la Chine du nord à l’époque Shang d’où est censé provenir le Yijing. Cette vision sympathique, primaire et reptilienne du YI semble donc très tardive et un peu trop tirée par les cheveux pour être totalement honnête.

Quoi qu’il en soit, caméléon ou pas, YI représente à la fois l’origine, la simplicité et la capacité de transformation ou de changement d’apparence. Au second siècle de notre ère Zhen Xuan (127 200) écrivait déjà  » Yi n’est qu’un seul caractère mais qui possède trois significations essentielles : Yi comme Bu Yi  » Intangible comme l’origine  » ; Yi comme Jian Yi  » Simple et facile  » ; Yi comme Bian Yi  » changement et mutation «  .

Yi King et Tao

Un Yi King à enquerre dans une disposition inhabituelle Il est traduit par facile, aisé, commode, simple, facile d’abord, puis par mutation, changer, modifier, transformer, échanger avec… JING (979 caractère du Dictionnaire Ricci) représente originellement une quenouille portant deux cocons de ver à soie se séparant peu à peu sous l’action du mouvement accolés à une équerre qui représente la terre, donc la stabilité, de laquelle émane un force, presqu’un son, s’élevant vers le ciel. Il s’agissait donc anciennement d’un métier à tisser et d’un savoir faire, d’une compétence (Kung) se manifestant dans une trame solide. Peu à peu cela prit le sens d’enseignement essentiel puis d’ouvrage magistral destiné à transmettre la Tradition Ce que l’on traduit désormais par classique ou canon. Pour le canon c’est un terme que l’on n’utilise plus guère ! C’est le livre fondamental qu’on étudie en classe, la base absolue du savoir et du pouvoir mandarinal.

Ce n’est donc pas un hasard si le YIJING, depuis la dynastie des Han (206 Av.J.C.) est classé en tête des Cinq Classiques (Wujing) et ceci avant le Livre des Odes (Shi Jing), le Livre des Documents (Shu Jing), le Livre des Rites (Li Ji), le Livre des Annales des Printemps et des Automnes Chun Qiu). C’est dire l’importance de cet ouvrage. Dans sa préface du  » Livre des Changements de la Dynastie des Tscheou « , publié aux Annales du Musée Guimet, le révèrent Père P.L.F. Philastre ne s’est donc pas trompé en affirmant  » Le Yi king est considéré par les Chinois comme le plus important et le plus ancien monument de leur littérature ; toutes les écoles sont d’accord sur ce point « . Il est à noter que Philastre utilise à dessein l’antique appellation de l’ouvrage en question à savoir le ZHOU YI (Mutation des Zhou) ce qui, traditionnellement, fait remonter la première rédaction de ce traité à la dynastie Zhou ou Chou), au onzième siècle avant notre ère.

A cette époque on précisait, par ailleurs, que l’origine des premiers textes remontait déjà à la dynastie des Shang (1765 1122 av.J.C.) où l’on procédait à des actes de divination par scapulomancie. Cela consistait à jeter des omoplates de bovins ou de félins dans le feu et à interpréter les fissures obtenues en fonction des figures (Xiang) répertoriées par les praticiens précédents de la dynastie Xia (Hsia) (2207 1766 av. JC). Ceux-ci, suivant la tradition, avaient obtenu ces fameuses figures à partir de carapaces de tortues (Gui ou Kuei) ( caractère 2834 du dictionnaire Ricci – radical 213 -).
Ces carapaces étaient jetées dans le feu et rapidement sorties à l’aide de baguettes d’achillée (Shi) (caractère 4387 du Dictionnaire Ricci) – littéralement  » bâtons utilisés par les sorciers  » – Suivant la manière dont la carapace retombait sur le sol, le nombre et la forme des fissures provoquées par le feu, l’oracle (Gui Shi – Divination, littéralement tortue et baguettes -) pouvait être rendu. Si la carapace retombait face bombée (ronde) vers le haut il s’agissait d’un  » signe céleste  » ( considéré par la suite comme Yang). Si la carapace retombait face plate (carrée) vers le bas il s’agissait d’un  » signe terrestre  » (considéré par la suite comme Yin). De même les fissures en nombre impair (Yang) figuraient le Ciel, les fissures en nombre pair (Yin) figuraient la Terre.

Ce mode de divination remontant à la plus haute antiquité préfigure déjà l’utilisation toujours actuelle des baguettes d’achillée (Shi) et des sapèques (pièces chinoises percées d’un trou carré) (Yasheng – littéralement soumission/triomphe ou Qian). De même que pour les antiques carapaces, les sapèques possèdent symboliquement une face céleste (Yang) et une face terrestre (Yin)… et les baguettes désignent toujours le pair et l’impair… donc le Yin et le Yang.

De tout ceci il est déjà possible de tirer quelques conclusions. La première est que la polémique stérile entre ceux qui utilisent les baguettes et ceux qui préfèrent les pièces n’a pas de raison d’être en dehors des querelles de clochers habituelles aux  » cent écoles  » et destinées à amuser le larron en prétendant noyer le poisson. Les uns comme les autres respectent, ou suivent, la tradition des devins. La seconde est que la tradition authentique n’a que peu faire des écrits tardifs et des commentaires sur les commentaires qui accompagnent d’autres commentaires qui, eux-mêmes, proviennent de traductions récentes.

Comme le soulignait malicieusement Wang Tse Ming,  » Lorsqu’ un concept parfait issu de la grande tradition taoïste est commenté par un confucianiste (Les Dix Ailes de Kongzi), traduit par un Jésuite (Philastre), disséqué par un analyste (Wilhelm), expliqué par un Kabbaliste (Perrot), critiqué par un universitaire sceptique (Etiemble) et utilisé par un adepte du New-age californien il ne faut pas s’attendre à connaître la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ! « . Ceci est d’autant plus vrai lorsque le savoir transmis directement de maître à disciple, depuis toujours, donc ici et maintenant, est en apparente contradiction avec ce que l’on fait dire à un quelconque texte servant, peu ou prou, de référence ultime ailleurs et avant hier. C’est la toute petite différence entre ceux qui lisent dans Laozi (Daodejing XV)  » De tous temps ceux qui pratiquent la Voie…  » et ceux qui traduisent  » Ceux de jadis étaient des maîtres habiles… « .

Prenons l’exemple de l’écriture chinoise que la tradition fait remonter à Wangdi, le troisième des Cinq Empereurs (Wudi Chi), soit aux environs de 2697 av. J.C. Cela était simplement admis par tous jusqu’à ce que des historiens occidentaux ne cessent et ne recessent de remettre en cause ce principe ceci au nom d’un autre principe.
L’Occident était riche et on ne prête qu’aux riches… Les  » savants  » occidentaux* finirent donc par faire admettre aux Chinois que l’écriture chinoise ne commençait qu’avec le bronze, donc sous la dynastie Zhou (Chou) (XI eme siècle Av. J.C.) jusqu’au jour où ils découvrirent avec stupéfaction une écriture beaucoup plus ancienne sur des os dits de dragon ( Chia Ku Wen ou culture des inscriptions sur os) datée de la fin de la dynastie Shang (entre le XVIIeme et le XV eme siècle av. J.C.). * Suivant les critères utilisés par ces mêmes « savants » donc scientifiques en archéologie primitive les Chinois ne savent toujours pas écrire et n’ont donc jamais encore inventé l’écriture.

Une écriture qu’on ne sait pas lire n’est pas une écriture mais des « symboles magico-mystiques » ! Un préhistorien chinois remarquait que le monde est coupé en deux parties, une qui est certaine que l’écriture et née à Sumer et l’autre qui pense qu’elle est née ailleurs ! Et Yves Coppens, lui même, affirmait que la préhistoire chinoise était fort mal connue puisque les études la concernant avient été publiées en chinois et qu’on ne pouvait pas la connaître ni la reconnaître. Elle eut été écrite en volapük intégré, comme disait De Gaulle, la face du monde en aurait été changée ! Des ateliers de taille de silex ont été retrouvés en Chine dans des sédiments datés de deux millions d’années et comportant des stations d’équarrissage, donc un travail parfaitement conscient effectué en communauté. Mais on s’en fout comme de l’An Quarante !

Puis, ces mêmes  » savants  » découvrirent une écriture (sic) plus ancienne encore gravée cette fois-ci sur des carapaces de tortue dont ils finirent par admettre qu’elles pouvaient dater de la dynastie Xia (Hsia 2207 -1766 av. J.C.).

Ecriture archaïque de
la dynastie Hsia (Xia)

Actuellement, des investigations au carbone 14 et par thermoluminescence permettent d’estimer, scientifiquement, que certaines de ces fameuses carapaces remontent, en fait, au troisième millénaire avant notre ère. Les Chinois admettent donc désormais, grâce à la science occidentale, que leur écriture remonte probablement à l’époque présumée de Wangdi. Il aura donc fallu attendre cinq millénaires et le Professeur Dugenou pour apprendre, enfin, ce que tout le monde savait depuis trois millénaires grâce à la tradition simplement transmise de bouche de maître à oreille de disciple. Qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’un papier imprimé, d’un rouleau de soie, d’une plaque de bambou, d’une inscription sur bronze, d’une omoplate de bœuf ou d’une carapace de tortue le Yijing demeure le Yijing ceci depuis la nuit des temps.

S’agit-il plutôt du «  Traité de l’intangible comme l’Origine « , du  » Traité du Simple et facile  » ou du  » Traité du Changement et des Mutations  » ?
Zhen Xuan suggère qu’il est tout cela à la fois et il a probablement raison.

Pour une autre  » lecture  » du Yijing…

Wang Tse Ming ou Wang Zemin

Wang Tse Ming ou Wang Zemin (1909 2002)
« Le Yijing est un sage capable de répondre aux questions les plus idiotes »

Pour Wang Tse Ming, en tant que praticien du Tao (Shan Wei Dao Zhe ou Daoshi), la figure (Xiang), donc le symbole, ne peut se concevoir, par le biais de l’esprit et de l’acte, qu’en volume et en mouvement. Lorsqu’il s’agit des figures (Xiang) du Yijing… monogrammes (1 trait), bigrammes (2 traits), trigrammes ou Bagua (3 traits), hexagrammes (6 traits), des caractères antiques les désignant et surtout des commentaires nous avons généralement tendance à n’observer que l’éléphant mort (Xiang) qui n’est, somme toute, qu’un dépouille vide et inerte.

Chacun touche tour à tour les oreilles, la queue, les pattes, les défenses et en conclut  » C’est bien un éléphant « … donc  » C’est bien le Yijing « . Le Yijing n’appartient donc pas à un « auteur », à un adaptateur, à un traducteur, à un commentateur, à un vendeur de papier ou de stages mais à celui, ou à celle, qui le met en pratique !

Voilà qui est fort instructif mais, comme le précisait Sunzi  » Voir le soleil en été à midi ou entendre le tonnerre pendant un orage ne prouve pas qu’on ait l’œil acéré et l’ouïe fine… « . Cela ne renseigne pas pour autant sur ce qu’est un éléphant vivant, donc en volume et en mouvement.

Dans cette vision statique, cadavérique, chacun sera dont tenté d’effectuer son propre commentaire sur ce qu’il estime être la vie de l’éléphant. Cela ne lui rendra pas pour autant la vie. Dans ce cas le Yijing demeure comme le qualifie Wang  » un honorable et magnifique ouvrage apportant de multiples réponses jadis censées à des questions présentement idiotes « .

Et Wang de brandir le Yijing en braillant à tue tête :  » J’ai des réponses, j’ai des réponses… qui veut poser une question idiote ? « .

Yi signifie à la fois l’intangibilité, la simplicité, la transformation… Mais les Anglo-Saxons ne s’ennuient pas avec ces nuances impalpables et préfèrent « Book of Change » Change c’est simplement le changement. Changement, transformation, adaptation le Yijing peut tenir entièrement dans ces mots clés. Cela est pourtant précisé dans le Grand Commentaire (Xici) dans la formule magistrale  » Un Yin Un Yang c’est le Tao  » (Yi Yin Yi Yang Zhi Wei Tao) ou (Pei Yin Pei Yang Shang Wei Dao).

Ce même Grand Commentaire explique encore  » La Vie qui engendre la Vie c’est la Mutation  » et poursuit  » Ainsi dans la Mutation, le Faîte Suprême (Taiji ou manifestation-image (Xiang) du Tao) engendre les Deux Modèles (Liang Yi) (Lao Yin ou Ancien Yin et Lao Yang ou Ancien Yang).

Les Deux Modèles engendrent les Quatre Figures (Shi Xiang) (Tai Yang ou Grand Yang le Ciel, Tai Yin ou Grand Yin la Terre, Shao Yang ou Petit Yang les Nuées, Shao Yin ou petit Yin les Ondées).

Les Quatre figures engendrent à leur tour les Huit Trigrammes (Bagua).
Ceux-ci déterminent le faste (Shun -littéralement le mouvement dextre ou direct, ce qui créée et engendre) et le néfaste (Ni – littéralement le mouvement sénestre ou inverse, ce qui domine et détruit).
La détermination du faste ou du néfaste engendre les Grandes Œuvres « . Dans ce principe d’intangibilité, de simplicité et de transformation on retrouve l’essentiel de l’oracle : affirmer ou accepter, nier ou refuser puis agir en fonction des circonstances. Mais l’ennui c’est que « affirmation ou « négation » dans la vision classique chinoise n’ont pas la même valeur que la vision occidentale manichéenne du « oui » ou du « non » . Cela est également précisé par Zhen Xuan (127-200) :

 » Ce qui est mis en correspondance par le biais de la mutation, les opposés, les contraires comme oui et non, sont tous entrés dans ce monde par la porte commune et sont tous sortis du même principe. Ils ne sont pas des illusions subjectives de l’esprit humain mais des états objectifs de la nature Terre-Ciel, répondant aux deux états alternants du Tao, Yin Yang, concentration expansion, flux et reflux. La réalité profonde, le Principe demeure toujours le même, essentiellement Mais l’alternance de son repos et de son mouvement crée le jeu des causes et des effets, un va et vient incessant. A ce jeu le sage laisse son libre cours. Il se garde bien d’intervenir, tout ce qu’il fait, lorsqu’il agit, c’est de laisser voir son exemple « 

Wang résume cela par

 » Lorsqu’on pose une question au Yijing il répond par une figure (Xiang) plus ou moins complexe symbolisant un état objectif manifesté entre le Ciel et la Terre, donc susceptible de transformation et de mutation, et correspondant à l’illusion subjective et humaine du oui, du non ou du peut-être « .

Une vision très pragmatique qui embête les intellectuels de la chose !

  • Lao Yang est  » Oui « ,
  • Lao Yin est  » Non « .
  • Tai Yang est  » Oui-Oui « ,
  • Tai Yin est  » Non-Non « ,
  • Shao Yang est  » Oui tempéré par le Non « ,
  • Shao Yin est  » Non tempéré par le Oui « …
  • Kien ou Qian est  » Oui-Oui-Oui  » ;
  • Tchen ou Zhen est  » Oui-Non-Non  » ;
  • Kan est  » Non-Oui-Non  » ;
  • Kun est  » Non-Non-Non  » ;
  • Souen ou Xun est  » Non-Oui-Oui  » ;
  • Li est  » Oui-Non-Oui  » ;
  • Touei ou Dui est  » Non-Non-Oui « …

Mais en dehors du contexte manichéen que les Occidenteux veulent absolument plaquer sur le Yijing ! Il faudrait considérer « oui/non » comme le principe informatique « 1/0 ». Qui ne considère en aucune façon « bien/mal » ou « favorable/défavorable » Mais simplement un état, une situation qui ne demande qu’à évoluer.
et il en va ainsi des soixante quatre Hexagrammes, chacun composé de six traits signifiant séparément  » Oui  » ou  » Non « … acceptation, refus…

64 hexagrammes du Yijing

favorable, défavorable… ouvert, fermé… positif, négatif… évolution, involution… et ceci en fonction du contexte auquel se trouve confronté l’hexagramme.

L’approche purement intellectuelle du Yijing est donc facile lorsqu’il s’agit d’examiner et de comprendre les monogrammes (1 trait) puisqu’il s’agit simplement d’une valeur positive ou d’une valeur négative, laquelle peut d’ailleurs demeurer stable ou évoluer dans son contraire.

Elle est aisée lorsqu’il s’agit encore des bigrammes (2 traits) puisqu’il s’agit des  » Quatre Figures  » (Shi Xiang) correspondant aux orients (Sud, Nord, Est, Ouest) ou aux saisons (Eté, Hiver, Printemps, Automne) ou aux éléments fondamentaux de l’énergétique chinoise (Feu, Eau, Bois (ou Vent), Métal) ou aux périodes de la vie etc mais se complique quelque peu avec les Huit Trigrammes (Bagua) d’autant plus que ceux-ci peuvent être placés de deux façons différentes autour d’un axe central suivant qu’il s’agisse de la disposition dite de Fuxi (Fou Hi) ou du  » Ciel Antérieur  » (avant la création du Ciel ou ordre nouménal) ou de la disposition dite de Wen Wang (Roi Wen) ou du  » Ciel Postérieur  » (après la création du Ciel ou ordre phénoménal).

A partir des trigrammes l’analyse intellectuelle ne suffit plus pour définir une valeur spécifique à chacun d’entre-eux et il devient nécessaire d’utiliser une valeur purement symbolique, donc plus ou moins arbitraire puisque le symbole en cause peut être perçu différemment ceci en fonction du contexte culturel. Et pour la plupart des Chinois, lettrés ou non le Ciel antérieur (Xan Tian) c’est simplement « avant d’avoir vu le jour » et le Ciel Postérieur (Hou Tian) après avoir vu le jour. Donc simplement avant de naître et après la naissance. La respiration du « Ciel Antérieur » est, par exemple la respiration de l’embryon dans le ventre de sa mère et la respiration du « Cile Postérieur » la respiration après la naissance.

Cela implique aussi qu’il y a « quelque chose avant et autre chose après » ! Il s’agit donc, qu’on le veuille ou non, d’un système conventionnel auquel on accepte d’adhérer ou non. Ceci est encore plus vrai pour les hexagrammes qui nécessitent, en ce qui concerne les commentaires habituels, une adaptation puis une interprétation tout à fait subjective. A partir de là il existe plusieurs hypothèses.

Soit on utilise le texte classique, le plus proche possible des anciennes éditions chinoises, soit on utilise une adaptation plus ou moins libre de textes chinois plus ou moins anciens, soit on utilise une adaptation très libre de ces mêmes adaptations. Il devient donc très difficile de déterminer si le texte de l’hexagramme considéré est un mot à mot issu directement du chinois ancien (Traduction de la version du Yijing de Mawangdui datant du second siècle avant notre ère). Si le texte provient de la traduction directe d’un ouvrage chinois plus récent, donc déjà adapté. Si le texte est une simple adaptation d’une quelconque traduction ou s’il s’agit purement et simplement d’une nouvelle relecture de la énième adaptation de la traduction la plus en vogue. Dans ce cas s’agit-il encore du Yijing ? Que lire et que comprendre ?

Entre «  Rencontrer le chef de la tribu des Fei, rien de désastreux ne surviendra, mais seulement pendant la prochaine décade. Aller de l’avant on sera récompensé « …

 » Rencontrer le maître équivalent ; bien qu’une décade, pas de culpabilité, en entreprenant il y a des louanges « …

 » Rencontrer par hasard un maître bien apparié, bien que pendant une semaine. Pas de faute. Aller amène à se surpasser « …

 » On obtient une aide ou une amitié importante. Ne pas sacrifier toutefois sa personnalité et son idéal « …

 » Ne jamais chercher à être plus haut que les autres « …

 » Il rencontre un compagnon qui lui ressemble comme un frère. Pas de blâme. Amélioration si vous progressez « …

 » Bien que n’étant pas égaux, ils se suivent s’entraidant mutuellement. Ils tentent une entreprise et peuvent achever leur œuvre. Ils méritent des louanges « …

Et encore s’agit-il ici des traductions du même passage issues des ouvrages réputés comme les plus sérieux. D’autre part, la plupart de ces  » auteurs  » s’accordent sur le fait que cet hexagramme, le cinquante cinquième en l’occurrence, Feng ou Fong, représente l’image (Xiang) de l’abondance, de la pléthore et qu’il se compose de deux trigrammes : à sa base le Feu (Li), soleil ou éclair, clarté, clairvoyance et à son sommet l’Eveilleur, le tonnerre (Zhen), l’impulsion, la croissance.

Eclair et tonnerre se manifestent. Clarté à la base, mouvement au sommet caractérisent cet hexagramme dont l’ancienne graphie désignait un vase rituel destiné au sacrifice placé sous deux épis symbolisant la récolte abondante.

Energétiquement, avant que s’opèrent d’éventuelles mutations, cet hexagramme se compose de trois bigrammes : à la base le Petit Yang (Est, printemps, renaissance, énergie du Bois) ; au centre le Grand Yang (Sud, été, abondance, énergie du Feu) ; au sommet le Grand Yin (Nord, hiver, décadence, énergie de l’eau). Il est visible que ce qui est extrême, l’abondance (Eclair et tonnerre) ne pourra se maintenir. Lorsque le développement atteint son apogée commence alors le déclin. Si on transcrit les bigrammes par de simples postures le bigramme inférieur représente quelqu’un à genoux, le bigramme médian quelqu’un debout, le bigramme supérieur quelqu’un allongé. Dans la conception taoïste il s’agit d’un rituel d’offrande… dans un premier temps l’officiant s’agenouille devant le vase rituel ; dans un second temps il se relève, s’avance vers l’autel et présente l’offrande au ciel, dans un troisième temps il se recule et se prosterne profondément face au sol.

Dans une certaine mesure l’énergie est mise en relation avec le foie et la vue puis avec le cœur et le toucher et enfin avec les reins et l’ouïe. Voir, prendre, écouter… ou savoir, comprendre, entendre. Il existe, enfin, des relations subtiles entre les divers traits de l’hexagramme… le premier et le quatrième, le second et le cinquième, le troisième et le sixième. Ce qui permet de considérer une autre image (Xiang) de l’hexagramme originel. Cette vision pragmatique du Yijing puisqu’elle passe par le corps, par l’action symbolique vécue physiquement est, en particulier, celle qui fut développée, à partir des pratiques taoïstes, par les maîtres du Bagua Zhang (Paume des Huit Trigrammes), l’un des trois grands  » Arts Martiaux  » (Wushu) internes (Nei Jia Quan). Le Maître Sun Lutang (Sun Fukuan), connu sous le surnom de  » Maître aux Trois Paumes  » (1861 -1932) donne à ce sujet quelques explications dans son fameux  » Bagua Quan Xue  » (Etude sur les Huit Trigrammes) :

 » L’art des Huit Trigrammes se matérialise dans les multiples mutations qui ne connaissent aucune limité.
Mais ces mutations ne peuvent pas être séparées des Huit Trigrammes, les Huit Trigrammes des Quatre manifestations, les Quatre manifestations des Deux Phénomènes, les Deux Phénomènes de la pulsion du Qi Unique et le Qi Unique du Vide originel lequel est dépourvu de signes matériels.

Tous les changements viennent du vide et y retournent ainsi que le repos contient le mouvement potentiel.
La compréhension vécue de ceci au travers de la pratique permet, bien qu’utilisant le corps, de parvenir à l’oubli.

Celui qui parvient à atteindre cet état est capable de voir sans regarder , d’entendre sans écouter, de palper sans toucher, de faire des changements sans bouger, de triompher sans intervenir.
Ceci est l’art de penser sans avoir d’idées, d’agir sans se contraindre et c’est là que consiste l’obéissance de l’homme au Tao.

Cet Art du Poing (Quan Shu) est donc l’incarnation du principe créateur du Tao « .

Le maître Sun dans l’avant propos de son traité de Bagua explique le but de cette pratique :

«  En étudiant et en pratiquant le Bagua, nous avons pour but de consolider notre santé en suivant les règles exposées et sans violer les principes de la nature. Ce faisant on acquiert le savoir-faire de l’autodéfense et l’on en tire grand profit pour préserver son intégrité. Cela permet, peu à peu, d’aboutir à la compréhension de la meilleure méthode de transformation (Yi) de l’esprit (Shen) et, finalement de permettre à cette pratique d’exercer une influence sur le cours des événements eux-mêmes « .

Consolider la santé en respectant la nature et autrui, retrouver son autonomie, éveiller l’esprit, exercer une influence sur le cours des événements est déjà un autre programme que la simple divination. Il ne s’agit donc plus d’une simple spéculation pour intellectuel assis mais de la mise en œuvre pragmatique d’une alchimie de la pensée et du mouvement aboutissant à l’acte ultime de création. Il ne suffit pas de « gagner à être connu » mais d’agir. C’est le principe essentiel développé par Wang Yang Ming et transmis par Wang Tse Ming.

1/ Suivant Anne CHENG dans Histoire de la pensée chinoise (Editions du Seuil) :  » Wang Yangming est devenu le personnage clé de l’histoire du confucianisme des Ming.  »

Son influence a été énorme sur ses disciples comme sur ses détracteurs et rien ne peut être dit de l’histoire des idées au XVIe et au XVIIe siècle qui ne ramène à lui d’une manière ou d’une autre… Son insatiable curiosité se porte tour à tour sur la préparation des concours mandarinaux, les arts militaires et les techniques taoïstes de longévité… Son enseignement devait connaître une fortune considérable en Corée puis au Japon où il était encore vivant dans l’esprit des réformateurs de l’ère Meiji en 1868 « .

2/ Ling Pao Ming (Clarté du Joyau Ecarlate).

C’est avec les Ecoles du Mao Chan ( Admirable Montagne) et du Jing Dan (Cinabre d’Or) l’une des trois grandes traditions du Taoïsme des Praticiens de l’Alchimie Interne (Neidan).

3/ Wang Xiangzhai (Wang Hsiang Chai ou Yu Sen), décédé à Pékin à la fin des années soixante, fut le disciple en Taiji Quan (Tai Chi Chuan) de Zhang Qinlin (Chang Qin Lin) et en Xingyi Quan (Hsing I Chuan) de Guo Yunshen (Kuo Yun Shen) connu sous le pseudonyme de Fo Jun Sha (La paume dévastatrice du Bouddha).

A été à l’origine du renouveau des pratiques énergétiques en République Populaire de Chine. Fondateur du Dachengquan (Ta Tcheng Chuan), synthèse entre le Taiji Quan, le Bagua Zhang et le Xingyi Quan et diverses méthodes basées sur le contrôle du souffle ( » QiGong « ), il représente un courant de pratique situé entre la tradition ancienne et classique liée au courant taoïste et le pragmatisme caustique prôné par Deng Xaoping…  » Peu importe qu’un chat soit noir ou gris, l’important est qu’il attrape des souris « .

Encadré : Tableau de mutation des Deux Phénomènes, Quatre Manifestations, Huit Trigrammes.

le Yijing et Leibni

Un article de Xavier « Shawei » Garnier sur le Yijing et Leibnizn cliquer ici

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