Le Tao de l’extase
ou la littérature érotique chinoise

Trois siècles d’interdits et de contraintes !

La servante coquine !

Tout un chacun connaît les fameuses  » estampes japonaises  » ou le non moins réputé  » Kama Soutra  » qui, jusqu’à une époque encore fort récente, étaient vendus sous le manteau et représentaient l’image que l’on se faisait de la sexualité orientale.

Cette image, quelque peu grivoise, fleurait d’ailleurs souvent la salle de garde revue et corrigée par Dubout et évoquait d’avantage l’enchevêtrement jouissif que la sagesse d’Extrême-Orient.

Dans un cas comme dans l’autre on oublie trop souvent que les plus grands maîtres japonais comme Harunobu, Kunisada, Utamaro, Tachikawa, Masanobu, Koryusai, Kiyonaga, Shunsho, Hokusai, Utagawa, Kuniyoshi, Buncho, Sukenobu… et quinze autres encore, ont produit ces fameuses estampes et que le  » Kama Soutra « , classique hindou de l’art d’aimer, était considéré comme l’un des dix  » ouvrages classiques de sagesse  » indispensable à l’éducation des lettrés indiens.

On oublie également que la première édition de  » l’érotique du Japon « , un recueil d’estampes, de Théo Lésoualc’h, publié en 1968 par Jean Jacques Pauvert fut retiré de la vente et abondamment  » gouaché  » et  » caviardé  » pour cause de censure.
Ce qui n’empêchait nullement les mêmes censeurs d’apprécier, en privé et en bonne compagnie, les ballets bleus et roses ou certains établissements, spécialisés bien que clandestins, où un célèbre archevêque, parangon de vertu, décéda de belle mort dans les bras d’une fille qui n’en possédait que peu.

Ces ouvrages, quelque peu sulfureux étaient alors achetés chez les bouquinistes, à prix d’or et soigneusement rangés en haut des bibliothèques bourgeoises, dans le fameux « cinquième rayon », hors de portée, pensait-on, des mains innocentes.
On parlait encore d’  » enfer « .

Depuis les choses ont, presque heureusement, bien changé et les CD érotiques représentent en réalité plus des trois quart des ventes des support-images destinés aux ordinateurs.
La plupart d’entre-eux, les  » sex-mangas « , proviennent, encore, du Japon.
Lolitas, bondage, jeux interactifs cochons, tentacules et autres monstres pervers ont donc remplacé Utamaro dans le hit parade de la libido à bon marché.
Entre deux rapports d’audit ou une étude approfondie du taux d’escompte il suffit de cliquer au bon endroit pour tomber dans le stupre le plus délirant.
Une fois, encore, l’image du sexe oriental ne s’en tire pas à son avantage et on comprend qu’une société aussi restrictive que celle subie par l’immense majorité des japonais aboutisse naturellement à ces excès virtuels, démesurés et puérils, plongeant leurs racines dans les recoins les plus sombres de l’esprit humain.
Manga signifie littéralement et initialement  » images bâclées  » et on comprend pourquoi.
A coté  » l’écrit de prostituée « , la pornographie, même excessive, devient presque poétique.
De son coté la Chine a souvent tendance à se faire oublier et c’est tant mieux.
Il existe à cela une raison précise et historique.

La Chine que nous connaissons la mieux en Occident est une Chine contemporaine fort prude.
Depuis 1644 et jusqu’en 1912 elle fut soumise à la domination Qing (Tsing) de l’ethnie Mandchoue puis des puissances occidentales particulièrement répressives en ce qui concerne une vision importée et souvent religieuse de la morale.
De 1912 à 1949 elle subit la férule de multiples seigneurs de la guerre, souvent des intégristes de tous poils, de conquérants brutaux et étrangers dont le moindre mal était le viol de masse et la prostitution forcée.
Les Japonais ne furent pas les derniers à se comporter en brutes sauvages, prenant probablement modèle sur nos voisins Allemands de l’époque.

Depuis 1949 le régime politique au pouvoir n’incite pas, et c’est le moins qu’on puisse dire, à la libération sexuelle des masses populaires laborieuses.
En résumé plus de trois siècles d’interdits, de restrictions, de contraintes, de pressions.
Particulièrement exercées sur ce que les Chinois de Jadis considéraient comme un art majeur : celui de la  » Chambre à coucher « .

Ce qui était naturel et louable devint alors interdit et désavouable.
Comme souvent, dans ce cas, seul le pire se mit à circuler sous le manteau ou à s’organiser dans l’impunité des classes dirigeantes.
Le sexe devint vulgaire.

Les étrangers en conclurent donc que la Chine était soit fort prude soit fort dépravée en fonction de leurs relations plus ou moins privilégiées avec les Chinois qu’ils côtoyaient.
D’un coté la  » Fille aux cheveux blancs « , opéra nunuche pour cadres méritants du parti, de l’autre Lucien Bodard et ses turpitudes salaces et impériales.
Entre deux point de salut.
Cet état d’esprit est significatif jusque dans l’acupuncture.
Les Mandchous, en effet, ne souhaitaient pas se montrer nus devant un médecin chinois et toléraient encore moins qu’une femme de leur ethnie puisse se déshabiller devant un carabin de race inférieure fut-il Chinois ou blanc..
On assista donc à la consultation sur statue d’ivoire ou la partie malade était simplement désignée sans le moindre contact avec le patient hormis la prise des pouls qui s’effectuait au travers d’un rideau de soie.
Seul l’avant bras étant dénudé.

Auparavant aucun médecin digne de ce nom n’aurait pu effectué un diagnostic sans une observation et une palpation complète qui était fort bien acceptée des malades chinois quel que soit leur âge ou leur sexe.
De nos jours il est encore difficile de revenir sur ce fait et bon nombre d’acupuncteurs se contentent encore de prendre le pouls sans se rendre compte que les Mandchous ne sont plus au pouvoir et que l’acupuncture peut se libérer de cette contrainte désormais sans fondement. Il n’est plus utile, comme cela s’est vu, de piquer au travers des vêtements !

Mais une très longue histoire depuis l’antiquité

Par contre, si on prend comme référence la Chine impériale d’avant la conquête mandchoue et à plus forte raison la Chine antique on se rend rapidement compte que la sexualité faisait partie intégrante de la société, de la littérature, de l’art pictographique, de la médecine et même, dans une certaine mesure, de la philosophie classique puisqu’elle entrait, pour une bonne part, dans les pratiques taoïstes liées à l’art de la longue vie et à la recherche de l’immortalité.
En tant qu’occidentaux nous aimerions différencier ces différents aspects et les classer rigoureusement dans l’une ou l’autres de ces catégories.

Il existerait donc, suivant ce principe, une sexualité purement littéraire considérée comme de l’érotisme, une sexualité liée à la peinture ou à la sculpture sinon à l’illustration des ouvrages précédents souvent, et à tout, considérée comme de la pornographie, une sexualité médicale considérée comme de la prophylaxie et une sexualité alchimique liée à des pratiques ésotériques ou magico-mystiques.

Or, pour les lettrés chinois du temps jadis ces différents aspects n’étaient considérés que comme des manifestations différenciées du même principe.
La sexualité, débarrassée des interdits tardifs, était beaucoup plus simplement perçue comme l’une des activités humaines essentielles permettant le plein épanouissement de l’individu dans la société.
Si les Bouddhistes pouvaient émettre quelques restrictions à cette conception très naturiste de la vie, Taoïstes et Confucianistes étaient par contre, et pour une fois, en accord avec ce principe.
Les Confucianistes considéraient, en effet, que l’harmonie familiale, donc du couple, était à la base de l’harmonie de l’empire.
De plus la procréation d’une descendance permettant d’entretenir, au travers des multiples générations, le culte des ancêtres, fondement du rituel (Li), la sexualité ne pouvait que trouver une place importante dans la hiérarchie des valeurs privées sinon publiques. Le bon équilibre physique, énergétique, psychique et magique de l’empereur lui-même était lié à l’accomplissement de sa sexualité.

Certains des plus grands empereurs entretenaient à cet effet plus de huit cent concubines et une immense partie des palais leur était réservée. Cela n’allait pas sans poser quelques problèmes dans le rituel du choix d’une de ces fameuses concubines ce qui entretenait, par ailleurs, de multiples intrigues de cour amplement favorisées par les eunuques.
L’empereur se devait, également, de remplir ses devoirs avec la prestance liée à sa fonction et disposait donc de multiples conseillers, de multiples ouvrages, de multiples pratiques et de multiples potions pour conserver son rang de  » Fils du Ciel  » ou de  » Dragon Jaune « .

Etant censé donner l’exemple jusqu’en bas de la pyramide immense que constituait depuis toujours le peuple chinois, ce système se reproduisait, à moindre échelle dans toutes les hiérarchies sociales.
Un  » homme d’une seule épouse  » était alors considéré comme un indigent ou un marginal.
De leur coté, en réaction à ce système, les femmes chinoises furent probablement les premières à constituer des sociétés, presque des syndicats, dans lesquelles elles revendiquaient le droit d’user de leur corps en dehors d’un harem.
Ces sociétés de femmes, souvent très puissantes, bien que fonctionnant sous le mode des sociétés secrètes, possédaient un statut presque officiel.

Par conséquence logique l’homosexualité féminine des  » soeurs-amies  » ainsi que la contraception médicale étaient considérées comme un simple fait social.
Ce phénomène des sociétés féminines chinoises, proche du mythe des amazones, puisque bon nombre des adeptes pratiquaient à haut niveau les Arts Martiaux, trouva une matérialisation caractéristique jusque dans la création d’une forme d’écriture secrète le  » Nu Shu  » (littéralement écrit de femme).
Cette écriture secrète ne fut découverte qu’en 1950 dans le Hunan et ne commença à être décryptée qu’en 1982.
Parallèlement, la brèche ayant été largement ouverte par ces sociétés l’homosexualité masculine ne suscitait que très peu d’opprobre jusque dans les milieux religieux où elle avait justement tendance à se développer et à alimenter de multiples commentaires plus ou moins compatissants.
La société chinoise traditionnelle demeurait donc très libérale en ce qui est de la sexualité sous ses aspects les plus divers à l’exception d’un interdit majeur considéré comme un  » crime inhumain  » sanctionné par la peine de mort : l’inceste.
Le  » Livre de l’histoire dynastique des Han antérieurs  » (Han Shu ) de Ban Shu, compilé au premier siècle de notre ère relate que les princes Doan, Kien, Kiu, entre 156 et 140 Av. J.C. se livrèrent à l’inceste ainsi qu’a de nombreux actes de sadisme.
L’empereur lui-même les dégrada et les fit exécuter publiquement puis promulgua un décret condamnant à la peine de mort ceux qui se livraient à l’inceste.

Par la suite aucun empereur ne revint sur ce décret.
Ce même ouvrage relate que ce fut le fils du prince Kiu, Ai Yang, qui fut le premier à faire peindre sur les murs de son palais des scènes érotiques.

Cela lui permit, par la suite, de passer à la postérité comme l’inventeur du genre.
Le terme  » Ai Yang Hua  » (Dessins de Ai Yang) désigna donc pour les lettrés, et pendant près de deux millénaires, les peintures et estampes érotiques.
Par homophonie Ai Yang Hua signifiait également les  » Fleurs (Hua) pour éduquer (Yang) l’amour (Ai) « .
Encore de nos jours on désigne du terme fleuri (Hua) les lieux de plaisir…
Un  » bateau fleuri « , une  » maison fleurie « , une  » chambre fleurie  » signifient tout simplement un lupanar flottant, un lupanar terrestre et une chambre de passe.
Le  » cœur de fleur  » (Xin Hua) est l’une des multiples appellations populaires du vagin et une  » fille fleur jaune  » (Wang Hua Nu) est une vierge délurée.
Dans le même esprit des  » fleurs dans un nuage de fumée  » (Yan Hua Zhai) ne sont autre chose qu’un lieu de perdition apprécié des marins où se cumulent jeu, boisson et sexe.
Chun Hua (fleurs de printemps) ne sont autres que des films érotiques.
Enfin, une référence, très littéraire, à l’homosexualité masculine trouve une expression très imagés dans le fait de  » couper la manche fleurie « .

En effet, un jeune prince, cité dans le  » Livre des Odes  » ou  » Canon des Poèmes  » (Shi Jing), un des grands classiques, préféra trancher la manche de sa veste de brocard sur laquelle son compagnon s’était assoupi que de le réveiller.
Plus populairement une  » veste fleurie  » (Hua Shang) désignera donc un homosexuel quelque peu fortuné.
On ne s’étonnera donc pas que dans les Arts Martiaux il existe une injure particulièrement redoutable qualifiant de  » Mains fleuries  » (Hua Shou) les pratiques, et les pratiquants, un peu trop maniérés.  » Mains fleuries et pieds qui tricotent – littéralement fardés –  » (Hua Shou Sao Tui) demeurent, dans ce domaine, une ultime insulte. Avec un certain sens de l’humour les vieux Cantonnais désignent, entre-eux, les styles de  » Kung Fu  » du Nord, très démonstratifs, comme des  » disputes de coiffeurs pour dames – ou ciseaux fleuris – « .

Erotisme ou poésie ?

Un papy bien entouré !

Littérature érotique ou littérature poétique ?
La tradition littéraire chinoise classique ou populaire d’avant les multiples interdits liés aux diverses périodes répressives caractérisant la période contemporaine, de 1644 à nos jours, ne pouvait se concevoir sans qu’il fut question de sexualité, donc d’érotisme. Il eut même été inconvenant de décrire la vie, les moeurs, les habitudes, fut-ce dans les relations historiques, sans traiter de ce sujet jugé essentiel à tout équilibre humain. Ce que l’on qualifie donc aujourd’hui de littérature érotique est donc simplement de la littérature.

Que certains auteurs aient souhaité laisser une plus ou moins grande place à la sexualité n’est donc que phénoménal et cela ne justifie pas qu’ils soient classés dans une catégorie à part.
Le  » Canon des Poèmes  » (Shi Jing), l’un des plus grands classiques de la Chine antique donne amplement l’exemple en relatant de multiples odes poétiques dont l’érotisme n’est pas exclu.
Cependant le goût de la métaphore amoureuse ne permet pas toujours à un non initié, et encore moins à un occidental, d’apprécier à leur juste valeur ces poèmes antiques. Cela les rend donc très difficilement traduisibles car il conviendrait alors d’utiliser un langage autrement plus cru que celui de l’original.
Prenons quelques exemples simples dans le huitième chant du septième livre une jeune femme est censée presser son mari d’aller à la chasse et lui déclare

 » Le jour pointe, levez-vous seigneur et voyez si la nuit touche à son terme couvrant l’herbe de rosée. Courez bravement et décochez votre flèche. Si elle atteint le canard je vous l’assaisonnerai convenablement et nous boirons ensemble. Voici deux luth, kin et Che, tout respire la paix et la concorde. Quand je connaîtrai ceux dont vous cherchez l’amitié, si vous le souhaitez, je leur donnerai les pierres de prix suspendues à ma ceinture… « 

Tout cela semble bien innocent mais la jeune épousée se livre, en réalité, à une description et à quelques propositions dont on imagine la traduction à ne pas laisser entre toutes les mains.
L’un des premiers traducteurs occidentaux de cette œuvre magistrale, le révèrent père Couvreur de la Compagnie de Jésus, ne s’y trompait pas et ajoutait au français quelques fins commentaires en latin.
Lorsque dans le même ouvrage une jeune concubine tout à la joie de retrouver son amant déclare ingénument

 » Mon seigneur est content, de la main gauche il tient sa flûte et de la droite il me fait signe pour que je l’invite dans ma petite maison.. Oh quelle joie ! « 

On se doute rapidement que cela dissimule autre chose qu’une simple scène de retrouvailles platoniques.
Il s’agit donc d’une grande tradition poétique et littéraire qui n’avait aucune raison de ne pas se transmettre au cours des siècles.

De cette tradition proviennent les romans intimistes et les romans épiques les plus connus et les plus réputés qui, naturellement, étaient émaillés de scènes érotiques et de multiples conseils sur l’  » Art de la chambre à coucher « .
Parmi ces romans, qui furent très populaires, on peut citer  » L’histoire d’une femme très belle «  (Mei Jen Fou) de Seu Ma Xiang Jou (117 Av JC) récit poétique d’une courtisane pendant la dynastie Han ;  » La cavalière noire «  (« Er Nu Ying Xiong xuan Juan « , histoire d’une héroïne très libérée et férue d’Arts Martiaux qui recherche son égal tant dans les arts du combat que dans l’art de l’amour (XIIeme siècle) ;  » L’histoire non officielle du Jardin de Bambous «  relatant l’usage des anciens manuels de la chambre à coucher ;  » Ombres de fleurs sur l’écran de voile  » (Ko Lien Hoa Ying )
Mais les plus connus, par ailleurs traduits en français, demeurent le  » Jing Ping Mei  » ou  » Fleurs de pruniers dans un vase d’or «  traduit également par  » Lotus d’Or «  ; le  » Jeou Pou Doan  » ou  » Tapis de prière de la chair «  ; le  » Hong Lou Meng  » ou  » Rêve du Pavillon Rouge «  sans oublier le fabuleux roman épique et picaresque  » Shui Hu Zhuan  »  » Au bord de l’eau « , traduit par Jacques Dars et publié à la Pléiade, qui contient, comme il se doit, de nombreuses scènes érotiques et de multiples conseils sur l’art de la chambre à coucher.
Tous ces romans, dans leurs éditions originales ou tardives étaient, bien entendu, émaillés de planches illustrant le propos et que l’on pourrait qualifier de grivoises.

Le qualificatif de roman érotique ou, à plus forte raison, de roman pornographique ne s’impose donc que d’un point de vue occidental quelque peu puritain.

Les traités médicaux et alchimiques

Un « Charme » (Fulu) à) brûler puis à dissoudre et à faire boire à l’amant fatigué !
Le Viagra chinois c’est avant tout de l’art abstrait.

Lorsque la sexualité est naturellement considérée, ce qui était le cas en Chine, comme un moyen d’épanouissement personnel elle entre tout aussi naturellement dans le cadre des  » pratiques de santé  » qualifiées d’  » Art d’entretien de la vie  » (Yangsheng) susceptibles de prolonger l’existence.
De tous temps, sauf aux périodes répressives, les médecins chinois, chargés de la santé de leurs patients, se sont donc attachés à formuler de judicieux conseils sur ce fameux  » Art de la chambre à coucher « .
Ils furent également relayés par ceux qui pensaient, avaient-ils réellement tort, que cette même sexualité permettait de prolonger l’existence et était l’une des portes vers l’immortalité.
Les Taoïstes, en particulier, mirent au point de multiples méthodes destinées à conserver, entretenir, favoriser, accroître le  » principe vital  » lors de relations sexuelles liées à l’alchimie interne (Nei Dan).
Dans cette optique l’homme et la femme possédaient leurs propres méthodes ainsi qu’un important éventail technique dont on a malheureusement conservé la vision restrictive et limitée de rétention du sperme et de l’éjaculation.
Dans ces  » Jeux des Nuages et de la Pluie «  (Yun Yu Shi ) l’adepte tentait, par le moyen sexuel, de reproduire avec un, ou une, partenaire les phénomènes macrocosmiques de la création et de la mutation.
Une particularité essentielle de ces pratiques est qu’elle ne concernaient pas, comme on tente encore de le faire croire, uniquement les hommes qui auraient, alors, considéré leur(s) partenaires féminines comme de simples moyens d’aboutir à leurs fins.

Les textes concernant la sexualité féminine dans cette recherche de l’accomplissement, s’ils sont nombreux, n’ont malheureusement pas suscité, jusqu’à une époque très récente, le même intérêt pour les sinologues que ceux concernant la sexualité masculine.

Une fois encore lorsqu’il s’agissait de pratiques concernant l’homme on les qualifiait de pratiques taoïstes de longue vie tandis que celles destinées aux femmes se retrouvaient le plus souvent classées dans les curiosités plus ou moins pornographiques.

Il est, par exemple, significatif que les fouilles du tombeau de Mawangdui, réalisées en 1973, et qui ont livré un très important matériel archéologique, attestent que la Marquise de Dai, inhumée en 194 avant notre ère, avait souhaité être accompagnée de ses ouvrages favoris.
Parmi ceux-ci on retrouve plusieurs versions du Yi Jing (Livre des mutations), un traité de médecine des méridiens (Maishu), un traité de gymnastique (Yinshu), un traité de pharmaceutique (Wanwu), un traité sur la morpho-physionmie des chevaux (Maxingwu), un traité sur les nuages (Yunwu) et un important traité sur l’art de la chambre à coucher (Fang Neiwu) qualifié par les archéologues chinois d’  » Art vénérien  » (Xingjaode).

Or, si presque tous les autres ouvrages ont été traduits et mis à la disposition des chercheurs chinois et occidentaux, ce dernier ouvrage demeure bien sagement dans les cartons du musée local.

On sait donc que cette marquise pratiquait la diététique, la gymnastique taoïste, étudiait le Yijing et s’intéressait aux chevaux et aux nuages, était très portée sur l’art poétique, appréciait les objets de valeur.
On ne sait rien par contre, ou presque, de son intérêt pour la sexualité qui demeure, somme toute, un secret d’état.
Heureusement il demeure encore plusieurs traités, datant pour la plupart de l’époque des Han antérieurs (206 Av Jc 8 apr. JC) qui n’ont cessés d’être publiés jusqu’à la dynastie Xing (1644).
Une bibliographie des Han antérieurs fait état d’une liste de huit ouvrages comprenant en tout 191 rouleaux manuscrits traitant de  » La chambre à coucher  » et considérés comme des classiques.
Malheureusement la plupart d’entre eux ont été perdus ou brûlés.

A la suite de cette liste un commentaire précisait

 » L’Art de la chambre à coucher constitue la somme des émotions humaines, il renferme la Voie Suprême. Aussi les sages de l’antiquité ont-ils réglés les plaisirs extérieurs afin de réfréner les passions intérieures. Celui qui sait régler son plaisir charnel se sentira en paix et atteindra un grand âge. Les anciens ont donc étudié et commenté le plaisir sexuel afin de régler par là toutes les affaires humaines et de se conformer à la nature des choses et des êtres « .

La plupart des  » manuels de sexe  » qui nous sont parvenus datent donc de la dynastie Sui (581-618) et continuent à être considérés comme des classiques… « 

« Classique des Méthodes secrètes de la Fille de Candeur «  (Sou Nu Pi Tao Jing),
 » Recettes de la Fille de candeur «  (Sou Nu Fang ),
 » Prescriptions secrètes pour la chambre à coucher «  (Yu Fang Pi Jiua),
 » Principes pour nourrir la vie «  (Yang Sheng Yao Ki)…

De cette période datent les définitions poétiques des fameuses postures.

Le Maître Tong Xuan en définit une trentaine :
 » Union étroite « ,  » Dévidage de la soie « ,  » le Dragon qui s’enroule « ,  » le poisson aux quatre yeux « ,  » le couple d’hirondelles « ,  » l’Union du martin pécheur « ,  » les canards mandarins « ,  » les papillons voltigeants « ,  » les canards renversés « ,  » le pin aux branches basses « ,  » les bambous près de l’autel « ,  » la danse des deux phénix « ,  » le phénix et son poussin « ,  » le vol des mouettes « ,  » la gambade des chevaux sauvages « ,  » le coursier au galop « ,  » le cheval qui piaffe « ,  » le tigre blanc qui bondit »,  » la cigale collée à l’arbre « ,  » chat et souris dans le même trou « .

Définitions qui firent les délices de Dubout et de San Antonio.
Mais qui n’en demeurent pas moins un modèle du genre puisque permettant de définir un répertoire fort complet de ce qu’il est possible de faire, ou de ne pas faire, dans ce domaine particulier.
Par la suite un chapitre de sexologie (Fang Zhong Che Fa) (Traité de la Chambre à coucher) complétera l’immense majorité des encyclopédies médicales. Depuis la fin de l’époque Tang (618-907) et jusqu’à la fin de l’époque Ming (1368-1644) ces divers traités obéiront à une structure commune et comporteront :

1/des remarques préliminaires sur la signification cosmique de l’acte sexuel. Au niveau du microcosme humain celui-ci représente l’union du Ciel (Yang) et de la Terre (Yin) au travers de la montée des nuages (Yun) et de la descente de la pluie (Yu). Cette union cosmique ou sexuelle représente donc l’unité dans l’harmonie des contraires.

2/ des considérations sur le mécanisme et l’importance des sécrétions liées à l’acte sexuel. Qu’il s’agisse de l’homme ou de la femme elles sont issues de l’énergie du souffle (Qi ou Ki) qui se transforme en essence (Jing ou Tching) laquelle produit l’esprit (Shen). Elles constituent donc l’essence vitale profonde du corps mais influent profondément sur le psychisme. De la bonne ou de la mauvaise utilisation de cette essence vitale dépend non seulement le bien-être personnel et du couple mais également la santé, la vitalité et la capacité de prolonger le vie. Cela ne veut pas dire, suivant cette tradition fortement teintée de taoïsme, qu’il ne peut y avoir de longévité sans chasteté complète. Au contraire, celui ou celle qui sait utiliser à bon escient cette essence vitale non seulement n’en souffre pas mais en tire avantage. Il est souvent rappelé que l’Empereur Jaune eut deux mille cent femmes et devint immortel alors que de nombreux gens du commun n’ont qu’une seule femme et se détruisent la vie. Il est donc conseillé d’éviter l’acte sexuel dans diverses occasions…lorsqu’on est fatigué, lorsqu’on a trop mangé ou trop bu, lorsqu’on est en colère ou abattu, lorsqu’on a des soucis, lorsqu’il y a de l’orage, de la tempête, du brouillard intense, des perturbations climatiques liées aux périodes lunaires ou aux taches solaires, à certaines périodes de l’année lorsqu’il fait trop chaud, trop froid, trop sec ou trop humide…ect.

3/ des descriptions sur les manoeuvres préliminaires et les différentes positions du coït à proprement parler. La satisfaction personnelle et celle de la ou du partenaire est le but recherché. Ces descriptions s’accompagnent de nombreux conseils avisés généralement délivrés sous la forme d’exemples poétiques.

4/ des explications plus ou moins succinctes sur l’aspect thérapeutique de l’acte sexuel comportant ou non des pratiques d’alchimie interne, basées sur la rétention, destinées à  » faire revenir l’essence au cerveau « . Il est souvent précisé que suivant Ge Hung (Ko Hong) 281-361), un médecin taoïste, auteur du Baopouzi (Pao Pou Tseu)  » l’Art de la chambre à coucher s’il ne peut à lui seul amener à l’immortalité n’en demeure pas moins une excellente panacée contre la plupart des maladies et la déchéance physique « 

5/ diverses recettes de pharmacopée liées à la sexualité : recettes fortifiantes, recettes aphrodisiaques, recettes pour les jeunes mariées et les femmes enceintes, techniques prophylactiques, formules contraceptives et abortives, adjuvants sexuels…ect

6/ A partir de la fin de l’époque Song (960 1279) apparaissent, enfin, divers tabous sexuels généralement limités à l’inceste, à la pédophilie et à la zoophilie.
Le saphisme est traité sans rigorisme puisque le Yin peut être dépensé sans trop de risque.
De même pour la plupart de ces ouvrages, l’homosexualité masculine n’est pas décriée pour la simple raison que la perte de yang entre deux partenaires masculins demeure minime.
Quelques ouvrages, plus rares, traitent de perversions sexuelles comme le masochisme et le sadisme en se gardant bien, par ailleurs, d’apporter une considération morale et en se bornant à relater les dangers encourus lorsque les choses vont trop loin.

Une fois, encore, on peut constater la grande liberté de propos de ces encyclopédies médicales qui, il est vrai, étaient destinés aux classes favorisées. De leur coté, les paysans disposaient d’un almanach illustré, édité sous la responsabilité de l’empereur, qui ne manquait pas de promulguer divers conseils souvent très crus.

Symbolisme et sexualité

« La jeune fille joue de la flute de jade »
Allusion érotique de la fellation.
Le prunier en fleur représente l’amant.
Et le ruisseau qui coule la semence.
Ni vu ni connu, je t’embrouille !

Depuis l’antiquité, les artistes chinois se sont attachés à créer et à reproduire de très nombreux symboles picturaux.
Concernant la sexualité, aux époques où celle-ci fut victime de la censure, ce symbolisme fut utilisé pour évoquer l’interdit.
Ce qui ne pouvait être écrit ou dit continua à être transmis d’une manière très subtile échappant aux censeurs qui, la plupart du temps, étaient des occupants, donc considérés comme des barbares.
Ce symbolisme graphique se base, notamment, sur des homophones…le nom d’une fleur peut, par exemple, représenter un tout autre caractère chinois, lequel n’est pas sans signification.
Il s’agit, en quelque sorte, d’un code connu des seuls initiés capable de décrypter un message plus ou moins subtil et qui échappe au profane et plus encore à l’occidental.

En un mot comme en cent, un simple vase très sympathique et certainement décoratif peut tout à fait se transformer, pour celui qui connaît les symboles employés, en un message très cru…sinon pornographique dans le sens occidental du terme. Généralement ces motifs décoratifs comportent plusieurs éléments constitutifs permettant de construire une définition précise.

Si une pivoine seule représente simplement la féminité, une pivoine jaune (Wang Hua Nu) (jeune fille vierge) butinée par un papillon (jeune homme libertin) est une invite très directe.
Si la pivoine est en bouton la jeune fille souhaite simplement être courtisée.
Si la pivoine est ouverte (cœur de fleur = xin hua = sexe féminin) c’est qu’elle souhaite que cela aboutisse rapidement !
Le message se lit  » attirer le papillon (Hu Die : jeune homme avenant et amoureux) avec le cœur de fleur « .
Ce qui est beaucoup plus direct qu’il n’y paraît
Anguille (Shan) : désigne le pénis masculin.
Une anguille jaune (Wang Shan) est un homosexuel.
« Brouillard de nuage « (Yun Wu) : petit corsage ou soutien-gorge avenant.
 » Cœur de fleur » (Xin Hua) (fleur ouverte, notamment pivoine rouge ou jaune) : sexe féminin
« Canards mandarins » (Yuan Yang) : l’une des trente positions classiques.
 » canards mandarins dans la rosée  » : couple d’amants non mariés.
 » manger des cerises sous l’arbre « (Ying Tao Shu): faire l’amour
« Fleurs de prunier dans un vase d’or » (Yin Ping Mei) : titre d’un roman considéré comme érotique: invitation à l’acte sexuel ou au marivaudage.
 » jouer avec du jade  » (Nong Yu) : faire l’amour ;
 » flute de jade  » (Xiao Yu) : fellation ;
 » manipuler du jade  » (Pin Yu) : cunnilingus ;
 » tige de jade  » (Jeou Yu) : pénis ;
 » bouton de jade  » (Pao Yu) : clitoris ;
 » perles de jade  » (Changzu Yu) : sécrétions ;
 » porte de jade  » (Men Yu) : vagin…
 » livres jaunes  » (Wang Shu) : littérature érotique.
« Films jaunes » (Wang Ying) : films érotiques…
« Lanterne rouge » (Hong Deng) : lupanar.
Lanterne rouge et papillon : club très masculin
« Licorne (Qin Lin) » l’une des trente positions classique
 » chasser le lièvre  » rechercher un partenaire masculin ;
« Lièvre femelle « (Yin Tu) : saphisme
« Lotus (He) et poisson (Yu)  » comme une jeune fille et un jeune homme
 » Lotus rouge (Hong He) : sexe féminin Martin pêcheur (Fei Cui) : l’une des trente positions classiques ;
« martin pêcheur tenant dans son bec un poisson » : relation homosexuelle.
« Nuages et pluie » (Yun Yu) : faire l’amour
 » Jeux des nuages et de la pluie  » (Yun Yu Shi) : accouplement.
« Parfum de miel  » (abeilles et fleurs) (Xiang Mi) : jouir
« Pies (Xi) avec bambou (zhu) et prunier » (Mei) : Homme (bambou) et femme (prunier) prenant du plaisir ensemble (deux pies).
Printemps (Chun)  » Images de printemps  » (Chun Hua) : images érotiques ;
 » Palais du printemps  » (Chun Gong) : accessoires et objets érotiques par extension film érotique.
« rose noire » (Qiang Wei) : poils pubiens ;
 » filles-roses  » ( Hong Niang) : prostituées

Pour en savoir plus

La Chambre Jaune sans mystère – renforcer sa virilité selon la tradition chinoise – Editions You Feng distribué par E 100 5, rue de Belleville 75019 PARIS. – quelques amusantes illustrations coquines –

Les secrets de l’extase par N. Douglas et P. Slinger Editions France Amérique – très nombreuses illustrations –

Bibliothèque de la Pléiade NRF Gallimard :
 » Au bord de l’eau «  ;
 » Rêve du Pavillon Rouge «  ;
 » Fleurs de Prunier dans un vase d’Or « .
 » Prière sur un tapis de chair « ...

La vie sexuelle dans la Chine ancienne par R. Van Gulik Tel Gallimard

SEXOLOGIE SUR LE WEB : Un lien sympathique avec Sexologie-Magasine et la page concernant la littérature érotique chinoise : lien inactif

Pompei Erotique

Ce que vous ne verrez pas au Musée Maillol !
L’érotique de Pompei (Ier et 2eme siècle après JC) Au moment ou le Musée Maillol propose une exposition exceptionnelle sur « Pompei -Un art de vivre » du 21 septembre 2011 au 12 février 2012 il nous a semblé amusant de sortir d’un carton quelques images provenant, elles aussi, de Pompei. Lors des fouilles de Pompei on découvrir plusieurs lupanars comportant des fresques érotiques ainsi que plusieurs de celles-ci dans la « maison du centenaire » ce qui impliquait, pour les romains, qu’une vie sexuelle bien réussie était en mesure de prolonger la vie. Donc de vieillir plus jeune…

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