Quelques questions et quelques réponses

par Georges Charles

 

Fred G. un ami pratiquant, qui est l’un de mes élèves parisiens habitant désormais en Province, m’a fait parvenir un mail me priant de répondre à quelques questions qu’il se pose.

 » Salut Georges, Je m’excuse de te déranger mais je souhaite te poser plusieurs questions sur des choses pour lesquelles je ne comprend pas beaucoup ou à moitié ou pas du tout.
Fred.

  • 1°) Qu’est-ce que l’énergie ?
  • 2°) Qu’est-ce qu’un être réalisé ?
  • 3°) Qu’est-ce que la pratique ?
  • 4°) Existe-t-il un lien entre l’âme et le Tao ?

Peut-être que certaines questions te paraîtront bêtes. La pratique en cours me manque.
A+Fred. « 

J’ai demandé à cet ami si il voyait un inconvénient à ce que ses questions et mes réponses soient publiées sur ce site. Il me semble, en effet, qu’il s’agit de questions essentielles dépassant les horaires de la pratique, la tenue ou les grades.

Il a accepté et voici mes réponses.

Je ne possède pas la science infuse mais mes réponses apporteront peut-être quelques éclaircissement à celles et ceux qui se les posent également ! Il ne s’agit, évidemment, que d’opinions qui me sont personnelles et qui sont simplement étayées par près d’un demi siècle de pratique et trente années d’enseignement.

 

1°) Qu’est-ce que l’énergie ?

Energie vient du grec energia, de « en » à l’intérieur, dans, interne et de « ergon » qui signifie oeuvre lui même provenant de de « ergo » :  » je fais « . A l’origine énergie signifiait simplement « oeuvre intérieure » ou « action interne ». Par la suite elle désigna la puissance, l’activité, l’efficacité ou la vertu (dans un remède).

Par extension c’est « le principe à partir duquel on peut modifier, modeler, façonner la force musculaire » (Eugénio Barbo, Nicolas Savarèse : l’Energie qui Danse -dictionnaire d’anthropologie théatrale N°3233).

La vision grecque est très proche de la vision chinoise classique concernant nos pratiques et particulièrement le « Travail Interne  » (Neigong ou Nei Kung) qui permet d’utiliser plus rationnellement la force physique et de la transformer en énergie utile au mouvement, donc à la vie.

Pourquoi limiter la notion d’énergie à la seule physique occidentale moderne puisque le terme grec dépasse largement cette notion ? L’énergie est ce qui va nous permettre, étymologiquement, de réaliser une oeuvre interne et de rendre celle-ci efficace.

 

2°) Qu’est-ce qu’un être réalisé ?

Il s’agit de la traduction la plus fidèle du terme chinois Zheng Ren (Cheng Jen) que l’on retrouve dans de nombreux textes classiques comme le Daodejing (Tao Te King), le Yijing (Yi King ou I Ching) et qui désigne un individu – femme ou homme – sans distinction d’âge, de sexe ou d’origine – qui, grâce au travail interne, à  » l’oeuvre intérieure », à réalisé le but qu’il s’était fixé et qu’il voulait atteindre.
Il ne s’agit pas d’une réalisation matérielle car, alors, il s’agirait d’un « travail externe » mais d’une transformation qui provient de l’intérieur et qui aboutit à une élévation.

Guo Yunshen expliquait à ce sujet : « Nos parents nous ont élevés mais il convient que nous nous élevions encore grâce à ce travail interne ».

 

3°) Qu’est ce que la pratique ?

Il est utile, une fois encore, de revenir à l’étymologie. En grec « prâktike » signifie simplement « qui ne s’en tient pas qu’à la théorie » et, par conséquence « qui est relatif à l’action » ; « qui a pour but les choses réelles » . C’est la mise en application des règles d’un art.

Concernant la cosmogonie chinoise, ou la pensée chinoise, il existe une approche pratique et vécue alors que beaucoup d’occidentaux se bornent à en étudier la théorie sans chercher à la mettre en application. Il s’agit simplement, comme cela s’est toujours fait de la mettre en action.

La pratique c’est l’action.

 

4°) Existe-t-il un lien entre l’âme et le Tao ?

Lorsqu’ils ne sont pas chrétiens les Chinois ne connaissent pas la notion d’âme et ce terme n’existe pas dans les caractères classiques de la langue chinoise bien que d’autres termes aient été traduits par âme, notamment, par les pères Jésuites. Il s’agit d’une notion occidentale et très subjective intraduisible en chinois. Pour les Taoïstes chinois il existe simplement quelque chose « au delà » de l’esprit (Shen) et qui implique une mutation, une transformation (Hua) de l’esprit humain.

Dans cette hypothèse l’ « esprit transformé en autre chose » se fond avec le Tao. Quelle rapport existe-t-il entre la pratique et l’âme ? Puisque la pratique tend à aboutir à une « oeuvre intérieure » et que celle-ci peut provoquer une transformation de l’esprit en « autre chose encore », cet esprit transformé se fond avec le Tao et participe à son mouvement. La pratique interne est donc l’un des moyens privilégiés de réaliser cette Harmonie en soi et cette Unité avec le Tao.

Il est important de préciser que le 8 décembre 1939 une bulle papale déclara que ces pratiques ne sont pas incompatibles avec la foi chrétienne. Ce faisant, officiellement, le Vatican revenait sur la Bulle Ex Illia Die de 1742 qui mit fin à la la « querelle des rites » et qui interdisait ces pratiques aux chrétiens. Cette pratique a-t-elle un rapport avec l’immortalité de l’âme ? Encore une fois le terme âme n’est pas très approprié car il s’agit désormais, pour beaucoup de gens, d’un concept occidental et lié à la religion. Il oppose généralement le principe spirituel au principe corporel.

Ame provient du latin « anima » qui signifie simplement le souffle qui anime la vie. Or dans le concept classique de la Chine il n’y a pas d’opposition entre ces deux principes corporel et spirituel.  ;L’être humain ne représente, pour sa part, qu’un microcosme faisant partie intégrante de la nature.

« L’homme imite la terre, la terre imite le ciel, le ciel imite le Tao, le Tao n’a d’autre modèle que le Tao »
(Daodejing Laozi 25 – Lao Tseu Tao Te King).

Pour les grecs anciens, et particulièrement le stoïcisme, anima est le principe vital qui meut et anime tout l’univers.En cela, une fois encore, la philosophie grecque et la pensée chinoise se rejoignent et considèrent un principe qui anime choses et êtres sans distinction. Mais ce principe peut se manifester dans l’être humain pour y être transcendé par « autre chose » que l’esprit. Il s’agit alors d’une réalisation qui permet à ce principe de se fondre dans l’Unité du Tao.

Si nous considérons, à divers titres scientifiques ou religieux, que l’univers a été créé, donc possède des limites de temps et d’espace, le Tao demeure incréé mais se manifeste par la force de ce principe. N’ayant ni espace ni limite il évoque encore autre chose que l’immortalité qui dépasse la simple notion de vie et de mort et qui est simplement la transformation.