LA SAGA DU WU SHU

Les cendres du Phénix

En 1736, le monastère du mont Song Shan est investi par les troupes mandchoues. Cinq moines parviennent à s’échapper et vont diffuser leur art dans toute la Chine. A partir de cette date, la boxe de Shaolin va se répandre inexorablement, jusqu’à la révolte des Boxers.

L’école du Wu Dang, qui garde une mauvaise dent contre Shaolin, décide, par principe, d’apporter son soutien au nouveau pouvoir… ce qui n’arrange pas les rapports déjà très tendus entre pratiquants des styles externes et pratiquants des styles internes ! Chouen Tche s’est montré conciliant avec les Chinois… Trouvant la civilisation à son goût, il se borne à tenir conseil, ne dédaignant pas les rites de la Cour et ses fastes, il s’entoure de Fils de Han, et ferme les yeux sur ce qui se passe dans le Sud. Il commet l’erreur de mésestimer la valeur militaire de Shaolin… Que peuvent donc bien faire quelques prêtres contre ses fiers cavaliers aux Huit Bannières ?
Un catalyseur exceptionnel met le feu aux poudres… Le jeune Kouo Sing Ye, soutenu par ce même Shaolin, lève une armée, investit Nankin, défait une flotte de plus de 800 jonques à Amoy, s’empare de Formose où déjà de nombreux légalistes Ming se sont réfugiés et lance de multiples expéditions dans la province de Canton et de Fukien. Koxinga, c’est le nom qu’on lui donne jusqu’en Occident, tient en échec le trône des Mandchous… II est vrai qu’il a également profité de la prise de Formose pour jeter à l’eau Hollandais et Portugais qui s’y étaient installés.

En 1662, l’Empereur Kang Hi succède à Chouen Tche. A treize ans, il se débarrasse des régents, les fait décapiter et prie les conseillers chinois de se faire pendre ailleurs. II entreprend immédiatement la reconquête du Sud et réussit à confiner Koxinga dans son île. Plusieurs monastères suspects sont rasés et des milliers de rebelles sont capturés et exécutés. Shaolin préfère traiter avec ce nouvel empereur qui ne se laisse pas manSuvrer. Pour faire acte de clémence, Kang Hi offre une magnifique sculpture de bois laqué pour orner le portail principal… Celle-ci est toujours en place de nos jours. Cela n’empêche pas les rebelles Ming de trouver un autre moyen d’action : les sociétés secrètes connues sous le nom des Triades… lesquelles se réunissent immédiatement sous la protection de Shaolin. Cette situation ambiguë s’éternise jusqu’en 1730. Le fils de Kang Hi n’est pas dupe et saisit une opportunité pour lancer une vaste opération de représailles contre le Monastère. Une première attaque est repoussée mais en 1736, le Monastère du Song Shan est investi et en partie détruit. Les moines sont exterminés, mais cinq d’entre eux parviennent malgré tout à s’échapper : Hung Te Ti, Liu Ta Hung, Choi Te Chung, Li Che Kai et Mo Shao Hsing. Le Vieux Monastère du Mont Song étant officiellement démantelé, ils se réfugièrent dans le Petit Monastère Shaolin du Mont Ju Lian, dans le Fukien. Reçus par les Moines Yung Chung et Tche Kong, l’École ayant été détruite, les cinq survivants décidèrent de créer, à partir de leurs connaissances propres, cinq écoles spécifiques portant simplement leur nom de famille : Hung Gar, Liu Gar, Choi Gar, Li Gar et Mo Gar. Ces cinq écoles resteront, jusqu’à aujourd’hui, les descendants authentiques de l’ancien style Shaolin et détiendront, chacune, une parcelle de la Vérité. Un élève de Tche Kong, Tche Shan, qui deviendra le supérieur du Monastère, essaiera de restaurer l’ancien style en invitant au Monastère quatre Maîtres réputés : Pai Mei, Feng Tao Te, Miao Hsien et Wu Mei…

A eux cinq, ils finirent par recréer une forme quelque peu bâtarde… et se proclamèrent bientôt «Les Cinq Maîtres de Shaolin», laissant planer une certaine ambiguïté. Tout n’allait certainement pas pour le mieux entre eux puisque Pai Mei et Feng Tao Te rejoindront peu de temps après l’École du Wu Dang. Pai Mei donnera naissance peu de temps après au Pai Mei Chuan (Pal Mei ou Pak Mei) ou «Boxe des Sourcils Blancs».

Tche Shan, aidé par son disciple Hsing Ying, instructeur en chef du nouveau Monastère Shaolin et de la non moins nouvelle école, formera ce que l’on nomme les «Dix Tigres du Shaolin du Sud»… qui en fait étaient onze : Hong Shi Kuan, Liang A Sung, Hu Hui Kien, Fang Shi Yu, Tong Kien Tsin, Fang Hsiao Yu, Hsie Ha Fu, San Te, Fang Mei Yu, Liu Chiueh Lin et Lu A Choi… En 1768, le temple du Fukien est attaqué par une armée mandchoue à laquelle se sont joints Feng Tao Te et de nombreux élèves de l’École Wu Dang. Fang Shi Yu, Tche Shan, Hsing Ying et surtout Tche Shan meurent dans l’incendie. Les autres moines se dispersent dans la province de Canton et y propagent le Wu Shu. De cette époque date la prolifération des écoles… Hong Shi Kuan se marie avec Fang Yon Chan, nièce de Fang Shi Yu, qui crée le style Wing Chu. Incorrigible, San Te fonde un nouveau Shaolin dans la Guangzhou sur le Mont Seu… Il y est bientôt rejoint par les Moines Hu Hui Kien et Tong Kien Tsin. Ils renouent immédiatement avec les sociétés secrètes et reprennent leurs activités anti-mandchoues. Ce qui devait arriver ne tarda pas : le dernier bastion est aussitôt attaqué et détruit par l’armée impériale, toujours avec le concours de l’Ecole du Mont Wu Dang qui n’a toujours pas pardonné les mesures de persécution ordonnées à l’encontre des praticiens du Tao par l’intermédiaire de Chi Chi Kuang… Donc de Shaolin.

Cette fois-ci, le Temple de la Petite Forêt, et ses divers avatars légitimes ou non, sont donc anéantis… Du moins, le croit-on en haut lieu !

II demeure malgré tout une multitude d’écoles se référant à Shaolin… sans compter les Cinq Styles qui se répandent avec succès puis qui se multiplient : Choi Gar et Li Gar fusionnent et s’allient avec une autre famille : Fut… Ce qui donne aussitôt le Choi Li Fut Chuan ou Poing des Trois Familles… L’Ecole Hung Gar, jusqu’ici très fermée, s’allie à son tour avec un descendant de Hong Shi Kuan, créateur du Style du Tigre et de la Grue. Wang Lang, l’un des disciples de Fang Mei Yu, crée l’Ecole de la Mante Religieuse… qui se sépare en deux tendances, style du Nord et Style du Sud… etc…
Le phénix renaît donc des cendres du Tigre et du Dragon… Shaolin ne put détruire l’Ecole Wu Dang, Wu Dang ne réussit pas à se débarrasser de Shaolin… le contentieux entre les deux Ecoles étant très lourd, on comprend qu’il subsiste une certaine animosité entre l’externe et l’interne, animosité encore entretenue de nos jours par certains, sans trop savoir pourquoi.

Les Mandchous quant à eux auront toujours un problème avec le Wushu… cela aboutira à la révolte des Turbans Rouges, à la révolte du Lotus Blanc, à la révolte des Yi Ho Tuan ou «Boxeurs» … et par contrecoup, à la création de la République de Chine en 1911.

Shaolin éclaté est plus fort que jamais puisque présent dans la majorité des écoles… ceci en Chine, en Corée, à Okinawa, au Japon, au Viet-Nâm, en Thaïlande… Son influence fut gigantesque… à tel point que de nos jours, certains se parent encore des plumes du Phénix en prétendant «posséder les secrets de l’Ecole du Monastère de la Petite Forêt»…Ces plumes sont dures à porter…Si l’on n’y prend pas garde, elles font très vite ressembler à un paon ou à un faisan… et les élèves se retrouvent comme des dindons !