LA SAGA DU WU SHU
Le Choy Lee Fut
Le Choy Lee Fut ou Tsaï Li Fo est, dans la Diaspora Chinoise et particulièrement à Hong-Kong, un style très pratiqué. A vrai dire, ses effectifs dépassent souvent ceux du Wing Tsun et du Hung Gar réunis. Il y a plusieurs raisons à ce succès. Tout d’abord, bien que prenant ses racines dans la tradition de l’Ancien Shaolin, le Choy Lee, sous sa forme actuelle est de création assez récente. Se constituant de trois écoles réputées, Choy Gar, Lee Gar, Fut Gar, il représente en un tout une approche très complète du Wushu classique dans un ensemble harmonieux, démonstratif et réputé efficace en combat. Il possède, de plus, un très important arrière plan théorique directement relié à la philosophie traditionnelle de la Chine ancienne. II s’appuie, enfin, sur une solide tradition familiale ayant des ramifications dans de nombreux clans, ce qui permet, encore de nos jours, d’assurer sa pérennité et son extension en Chine et au-delà des frontières.
Le Choy Lee Fut, dans sa forme actuelle, fut créé vers le milieu du XIXème siècle, par Chan Heung, natif du village de King Mui du Comté de Sun Wui, dans la Province du Kwantung (Guang Dong). Le clan des Chan était alors l’un des plus importants de la région et jouait, en quelque sorte, le rôle de protecteur dans plus de 30 villages avoisinant King Mui. Son influence s’étendait jusqu’à Canton. Cette ville possède toujours un important Temple des Ancêtres de cette famille, temple s’étendant sur plus de 10.000 m2 et actuellement transformé en centre d’exposition des Arts populaires de la province.
Vers les années 1830, le jeune Chan Heung fut, naturellement, envoyé par sa famille étudier les arts martiaux, sous la direction du patriarche du Clan, un certain Chan Yuen Wu, qui était réputé dans tout le Kwantung pour sa science du Fut Ying Chuan (Fut Gar), ou Boxe des Adorateurs du Bouddha (Fut ou Fo : Bouddha). Il était, en effet, de tradition familiale dans la Famille Chan de destiner le fils aîné au commerce, tandis que le second fils envisageait une carrière militaire. A cette époque, il était hors de question de pouvoir devenir officier, sans une bonne connaissance des arts martiaux traditionnels. Chan Heung demeura donc, près de dix années, au service de Chan Yuen Wu qui jugeant n’avoir plus rien à lui apprendre sur son art, le recommanda auprès de Lee Yau Shan. Lee était alors le patriarche du fameux Lee Gar, école créée par Lee Che Kai, l’un des cinq survivants de Shaolin. Dès son arrivée, Lee demanda à Chan de lui démontrer ses capacités. Chan parvint à le saisir par derrière et profitant de sa jeunesse et de sa force physique l’enserra fermement. Lee, bien que maintenu, effectua alors un coup de pied qui, passant par-dessus son épaule, frappa Chan en plein front. Projeté à plusieurs mètres, il dut admettre que le vieil homme avait encore des capacités insoupçonnées ! Lee était un médecin très réputé et soigna son nouveau disciple qui dut, néanmoins, garder le lit une quinzaine de jours. Chan Heung étudia le Lee Gar sous sa direction exclusive, pendant encore cinq ans, et maîtrisa également cette école. Soucieux de se parfaire encore, il demanda à son Maître de le conseiller dans le choix d’une nouvelle étude. Lee consentit de lui écrire une introduction pour le Patriarche de l Ecole du Choy Gar. Ce dernier s’était retiré dans un temple situé à Lao Fou Shan (collines de L Ancien Bouddha), au sud-ouest du Canton. Chan Heung se rendu donc au monastère, qu’il découvrit en assez mauvais état. A la porte de celui-ci, un vieux moine était en train de broyer des écorces pour des préparations médicinales, dans un énorme mortier de pierre. Chan l aborda et le pria de le conduire auprès du patriarche du Temple. Le vieux moine lui demanda la raison de sa visite et Chan lui dévoila qu’il espérait travailler sous la direction du Maître de l Ecole Choy.
Le moine sourit et demanda simplement à Chan de déplacer le mortier qui était devant la porte. Celui-ci pesait plus de 200 kilos et Chan eut beaucoup de mal à le déplacer d’une cinquantaine de centimètres… Le moine jugeant que la plaisanterie avait assez duré, se présenta : «Je suis celui que vous recherchez», et d’un coup de pied, déplaça le mortier à plus de trois mètres !… Choy Fuk n’enseignait plus le Wushu et se consacrait, seul, à entretenir le petit monastère. Il proposa donc à Chan Heung de l aider dans cette tâche. Pendant près de quatre années, Chan dut se charger des diverses réparations tout en étudiant les textes classiques, et ceci sans jamais obtenir une leçon d’art martial. Le temple ayant repris une forme plus acceptable, Choy Fuk accepta, enfin, de lui livrer ses secrets. Chan Heung étudia le Choy Gar, pendant huit années… Un jour, il comprit que son étude prenait fin. Choy Fuk lui demanda de démontrer ses capacités sur le fameux mortier. II se mit en garde et lança un formidable coup de pied… Le mortier vola en éclats !… Choy Fuk le salua avec gravité, et lui dit que la porte était maintenant libre. Chan pouvait fonder sa propre école. Au bout de 27 ans d’études, il décida, enfin, de revenir à King Mui. Une extraordinaire réputation le précédait et il fut désigné par tous comme le nouveau Chef du Clan Chan. La famille était prospère et il put fonder un lieu d’entraînement qui fut connu dans la région sous le nom de «Maison des Trois Familles» (San Gar Tang). II enseignait alors les trois méthodes et se rendit vite compte que de nombreux élèves trouvaient son cours trop complexe. Il choisit alors de créer son propre style en ne conservant que l’essentiel. Soucieux de rendre hommage à ses Trois Maîtres, il nomma simplement celui-ci «Choy Lee Fut». Il eut, bientôt, de très nombreux élèves parmi les 26 familles du Clan. La situation économique n’étant pas fameuse, plusieurs d’entre elles décidèrent de s’expatrier aux Etats-Unis… Cinq d’entre elles, les Tak, Din, Fong, Chor, Yau s’établirent sur la côte Ouest, à San-Francisco, où le Choy Lee Fut s’implanta dès les années 1880.
Vers les années troublées de 1900 à 1930, période de la Révolte des Boxeurs et des Seigneurs de la Guerre, le Clan Chan préserva la cohésion entre les diverses familles du Comté et une quarantaine d’entre elles envoyèrent le fils cadet pratiquer sous la direction de Chan Heung, afin de protéger leurs biens contre les brigands. La méthode se révéla efficace et de nombreux bandits furent durement châtiés. Le Choy Lee Fut acquit une réputation d’efficacité, dans toute la province. De plus, la plupart des familles du Clan Chan vivaient du commerce côtier, commerce s’étendant jusqu’à Canton et Hong-Kong… A partir des années 30, le style Choy Lee se répandit donc dans tout le Kwantung, par leur intermédiaire. Canton et Hong-Kong étant des plaques tournantes, l’expansion se prolongea, tout naturellement, vers le Fukien, les Iles Ryu Kyu (Okinawa), le Viêtnam…
Chan Heung avait eu deux fils : Chan On Pak et Chan Koon Pak. Selon la tradition, le premier se consacra au commerce tandis que le second fut chargé de s’occuper de la succession de l’Ecole. Il s’établit, tout d’abord, à Kong Moon, puis à Canton, où le Choy Lee connaissait déjà un grand succès. Sa position de Chef d’Ecole, son activité incessante, son sens des affaires et de la diplomatie permirent au Choy Lee de devenir, assez vite, la principale méthode de l’immense métropole. Lors de la Révolution Chinoise, les deux fils de Chan Koon Pak, Chan Man Bun et Chan Yin Chi prirent la direction de l’Ecole, jusqu’à sa mort en 1965. Il était considéré comme le Troisième Patriarche.
Ses deux fils, Chan Wan Hon et Chan Sun Chu, ainsi que sa fille Chan Fit Kong, perpétuent toujours la tradition familiale… ainsi que de nombreux membres du clan: Chan Yin Wun, Chan Wan Shau, Chan Wing Wai, Chan Siu Fong, Chan Lam… La relève est donc assurée. Une autre figure extraordinaire est le Maître Ho Ngau, élève de Ngan Yu Ting, le premier disciple de Chan Koon Pak… Ho Ngau, disparu depuis peu, était considéré, à Hong-Kong, comme l’égal de Yip Man, sinon son rival le plus sérieux parmi les derniers grands Maîtres… Il faut encore citer, les Maîtres Wu So, Wu Wan Che, Siu Hon Sang, Hsien Win Bun, Lee Yin Ling, Don Hon Cheung, Tong Shek, Loo Kee, Tsang Chiu Yu, Lee Koon Hung, Tsan Chu Yu, etc.
Seconde partie
Georges Charles nous livre la seconde partie de son étude sur le Choy Lee Fut, avec l’arbre généalogique des grands maîtres de cette école. Divisé en deux méthodes, externe et interne, ce style très complet peut être pratiqué â tout âge. Cela explique sans doute sa très grande popularité auprès des Chinois.
Traditionnellement l’étude du Choy Lee Fut se compose de deux parties principales : la méthode externe et la méthode interne. La méthode interne est bien évidemment réservée aux pratiquants de haut niveau et comporte une étude approfondie de la médecine chinoise classique, des points vitaux, de la philosophie… Elle possède plusieurs techniques spécifiques telles que le Sup Pat Lo Hon Yik Gun King (système de la Voie Interne des Dix Huit Bouddha), le Chui Pa Sin (ou Tsui Pa Hsien) (Forme des Huit Divinités Saoûles), le Fung Bai Lo (Vent remuant le saule). La méthode externe commence par la pratique des Postures et des Attaques de poing réunies en deux formes essentielles. Ng Lung Ma (Roue ou Enchainement des Cinq postures) et Ng Long Tsui (Roue ou enchainement de: Cinq Poings). L’enchainement des Cinq postures contient l’essentiel des positions et déplacements de l’École. Au tout début de la pratique ces postures sont travaillées très basses, puis au fur et a mesure sont naturellement remontée: dans un souci de mobilité et d’efficacité. Ces cinq Postures essentielles sont : See Ping Ma (Posture carrée, proche de Ma Bo ou de Kiba Dachi), Tiu Ma (Posture des orteils, proche de Neko Ashi Dachi). Chin Si Ma (posture stable, proche de Zen Kutsu Dachi), Lok Kwai Ma (posture accroupie) et Tu Tan Ma (posture latérale) auxquelles il faut ajouter Tic Tai Ma (posture d’une jambe), Ge Ng Ma (posture de côté) et Gway Ma (posture de blocage). Ng Long Tsui, la roue des Cinq Poings comprend : Kwa Tsui (poing de revers), So Tsui (poing glisse), Charp Tsui (poing direct), Cheong Ngan Tsui (poing vers les yeux) et Lui Yum Tsui (poing vers le ventre). Ces cinq poings s’enchainent sans discontinuer dans un ensemble circulaire très rapide. En combinant la roue des Cinq Postures et la roue des Cinq Poings, le pratiquant possède déjà une capacité de combat minimale.
Dans un second stade sont étudiées les diverses manoeuvres de mains et de pied ; ces manoeuvres sont classées dans un ordre spécifique. Pour les techniques de Mains : Cum (saisir), Na (agripper), Kwa (retourner), So (glisser), Charp (frapper directement), Pow (soulever), Jong (écraser), Bin (dévier, effacer) et Pik (percuter). Pour les techniques de Pied : Chang (coup de pied défonçant, Dang (coup de pied rebondissant), Tek (coup de pied direct), So (attaque glissante), Jit (blocage de jambe), Au (crochetage), Tan (arracher en soulevant) …. Par la suite le pratiquant perfectionne ses techniques grâce à trois mannequins : Hung Sing, Huang Sing, Bac Sing ; le mannequin de la Fleur de Cerisier, le mannequin des sacs de sable, le mannequin à balancier. L’École Choy Lee possède un très important éventail de Formes traditionnelles ou Tao. Les principales sont : Sin Sup Chi Kuen (Forme de la petite Croix), Dai Sup Chi Kuen (Forme de la Grande Croix), Sup Chi Ko Da Kuen (forme de la Grande croix qui frappe), Sin Mui Fa Kuen (petite forme de la Fleur de Prunier, Tung Yan Pa Kua Kuen (Forme des Huit Trigrammes de l’Homme de Bronze), Fut Cheong Kuen (Forme de la Paume du Bouddha), Te Gin Cheung Kuen (Forme de l’Arc d’acier) ainsi que de nombreuses formes animales liées à l’ancien Shaolin : Sir (Serpent), Long (Dragon), Hou (Singe), Fu (Tigre), Hok (Grue) se combinant dans des enchaînements très spectaculaires : Le Lion contre l’Elephant, le Serpent contre la Grue, le Léopard contre le Tigre, le Dragon contre le Tigre. Dans la forme traditionnelle la pratique des armes comporte un large éventail et hormis les armes classiques (bâton, lance, sabre, hallebarde, épée), on note la roue, les doubles marteaux, le bouclier de rotin, la fourche des Neuf dragons, le banc, la chaise aux huits segments, l’Éventail du Dragon d’Or, le Fléau à trois sections, les épées à crochet, la béquille de fer, le poing volant… Un mannequin de métal est utilisé pour cette pratique des armes.
En résumé, le Choy Lee Fut représente une tendance traditionnelle adaptée depuis plus d’un siècle aux exigences de notre époque. Ayant su évoluer sans pour autant renier le passé ou rejeter la tradition, ce style en pleine santé séduit particulièrement les jeunes et les femmes qui recherchent à la fois une méthode d’autodéfense, une méthode de réalisation personnelle et un travail énergétique élaboré et ayant fait ses preuves. Les traditionalistes purs et durs sont parfois irrités par un travail un peu virevoltant et «fleur» qu’il faut savoir dépasser afin de parvenir aux techniques avancées qui, elles, deviennent beaucoup plus sobres et dépouillées. II faut reconnaître que cette école très complexe et complète permet, et c’est rare, de pratiquer toute une vie en adaptant sa pratique aux moyens de l’instant… quand de nombreux pratiquants d’autres styles externes se tournent vers le Tai Chi ou des méthodes plus douces, le pratiquant de Choi Lee Fut commence alors sa vraie pratique.