LA SAGA DU WU SHU

La boxe de la grue blanche

La Boxe de la Grue Blanche est un style très populaire dans le Sud de la Chine (Fukien) et à Taiwan. Selon de nombreux historiens il serait directement à l’origine de nombreux Kata du Naha Te (Sanchin, Seishan. Sanseru…) en ce qui concerne sa branche du Sud et de quelques Kata du Shuri Te (Gankaku… la Grue sur un Rocher) en ce qui concerne sa branche du Nord.
Le style de base fut créé en 1644 par une nonne bouddhiste du nom de Fang Chi Nian. Les Mandchous (Xing) venaient de prendre, le pouvoir et craignant un soulèvement, l’Empereur ordonna le démantèlement du Temple Shaolin situé dans la province du Honan. Le monastère était en effet devenu le refuge de nombreux loyalistes Ming entrés en sédition contre le pouvoir.

De nombreux moines émigrèrent donc dans toute la Chine. Certains descendirent dans la Province du Fukien (Futien) située dans le Sud. Ce fut le cas du Maitre Fang Huei Shi qui trouva refuge avec sa fille Fang Chi Nian dans le Monastère Bouddhiste de Fu Tsao. Expert de la Boxe des «Dix-Huit Arhats», il transmit cette technique à sa fille.

UN ART ISSU DE LA RENCONTRE D’UNE JEUNE FILLE ET D’UN ÉCHASSIER PEU COMMODE

Un jour que la jeune fille lavait du linge, une Grue Blanche vint se poser sur celui-ci. mademoiselle Fang essaya de la chasser avec le bâton qui lui servait à battre le linge… Ce fut peine perdue car la grue esquivait toutes les attaques tantôt sautant d’une patte sur l’autre, tantôt s’envolant pour se reposer immédiatement sur les draps. A un moment la grue parvint même saisir le bâton et à l’arracher des mains de la jeune fille. Celle-ci excédée essaya de chasser l’oiseau en utilisant sa technique martiale. Elle ne put que s’essouffler sans le moindre résultat. De guerre lasse elle abandonna. La grue s’envola aussitôt. Le linge était souillé, elle le relava mais le lendemain la même scène se reproduisit… son père vint à la rescousse mais son aide fut inutile. Ils ne réusirent à récolter que quelques coups de bec, de pattes et d’ailes. Ils en déduisirent que cette grue était un fameux combattant, peut-être même la réincarnation d’un grand maître de l’Art du Combat. Peu à peu la jeune fille s’accoutuma à sa présence et une sorte de complicité s’établit entre elle et l’échassier. Un jour qu’elle se reposait près de la rivière une vipère vint vers elle. Elle entendit le cri guttural de l’oiseau qui fondait sur le serpent. Endormie elle aurait peut-être été mordue mais la grue veillait. Elle assista donc au combat qui ne dura que quelques instants. Malgré sa souplesse, sa rapidité et ses contorsions la vipère fut tuée d’un coup de bec sur le crâne. Elle remercia la grue et en récompense lui offrit une étoffe sur laquelle l’oiseau aimait danser. Durant les mois qui suivirent elle étudia les mouvements de l’échassier, ses esquives et ses attaques. Peu à peu elle finit par faire jeu égal. La grue s’en alla et elle ne a revit jamais sauf en songe. Notant soigneusement ses rêves, elle s’en inspira pour créer son propre style le Shaolin Lo Han Bai He Men (Boxe de la Grue des Arhats de Shaolin).

LA MÉTHODE INITIALE SE RÉPAND DANS TOUTE LA CHINE

La technique créée par Fang Chi Nian était étonnante et de nombreux Maitres vinrent lui demander conseil tant sa réputation était grande. Des villageois vinrent la trouver… leur hameau était sous la coupe d’un brigand notoire. Li Han Jung, surnomme Li le tueur de boeufs. Il passait en effet pour être capable de tuer un boeuf d’un seul coup de poing. Fang Chi Nian, accompagnée par sa servante Chen Li Shu, se rendit à son repaire et le défia. Tandis que Chen mettait à mal une douzaine de brigands Fang dut subir les attaques de la brute. Elle se contenta de l’esquiver quelques minutes et l’étendit raide mort d’un coup de poing entre les yeux. Les villageois supplièrent Fang Chi Nian de leur transmettre son art. Elle refusa mais laissa sa servante au village pour ce faire. Celle-ci eut 28 élèves surnommés plus tard les «28 héros du Fukien». Désireux de rendre service ils s’éparpillèrent à travers la Chine créant 28 écoles de la Grue. Peu à peu ces 28 écoles se réduisirent à 6 branches principales :

  • – La Grue qui se repose (Bai He Tzae Chue Diao)
  • – La Grue qui chante (Bai He Tzae Diao)
  • – La Grue qui cherche sa nourriture (Bai He Tzae Tche)
  • – La Grue qui prend son envol (Bai He Yao Fee)
  • – La Grue qui saisit (ou la Grue saisie…)
  • – La Grue qui saute


Peu à peu ces écoles furent influencées par la morphologie des pratiquants et comme très souvent les Arts Martiaux chinois (mante religieuse, tigre…) il fut possible de faire une différence entre «La Grue du Sud» et «La Grue du Nord». Les formes du Sud sont plus axées sur le travail des bras, celles du Nord sur le travail des jambes. Hop Gar Chuan, par exemple, est attaché aux formes du Sud tandis que La Ma Chuan est attaché aux formes du Nord. Cette dernière école parfois improprement nommée «Boxe du Lama» possède des affinités avec certaines techniques tibétaines. Les écoles de la «Grue qui saisit» et de la «Grue qui saute» ont pratiquement disparu.

Ii existe actuellement de nombreux Maîtres de la Boxe de la Grue Blanche à Taiwan… La proximité du Fukien permit en effet plus facilement leur exode lors de l’avènement de la République populaire de Chine. Les trois Maîtres les plus réputés sont Wang Chin Chih, Liu Ku et Tang Mu Yao, mais faut encore citer Yuan Fa Tung Ho Chao Sheng. Cheng Ming Ling, Wang Shu Chu… A Hong Kong le maître le plus connu est Fa Son Ki de la Pak Hok Athletic Federation. En République populaire les Arts Martiaux traditionnels ressortent à peine de l’ombre après une longue éclipse mais «La Grue Blanche» jouit d’une grande popularité dans la région de Foutcheou.

Edmond Goubet, passionné par les Arts Martiaux chinois, a eu la chance de rencontrer il y a quelques années un étudiant chinois qui l’initia à cette école… au Mans ! Désireux de se perfectionner il entreprit de se rendre en République de Chine et fut accepté comme élève par le fameux Tang Mu Yao, Maître de «La Grue qui prend son Envol». A son retour Edmond reste l’un des rares Occidentaux à avoir eu ce privilège… et à pouvoir enseigner dans le respect de la Tradition authentique de cette Ecole encore méconnue en France.

Tang Mu Yao représente le chef de file de la cinquième génération de ce style. Maître d’Arts Martiaux et médecin traditionnel chinois, il tient son savoir de son père lequel était le successeur d’un bonze disciple direct de Fang Chi Nian. L’Ecole s’est donc transmise de Maître à disciple à travers cinq générations sans subir d’altération.

CARACTERISTIQUES DE L’ECOLE

Le style de la Grue Blanche prenant son envol est une école du Sud qui se caractérise par des postures hautes et décontractées. Elle comporte cinq postures de base et trois formes complémentaires. En tant que méthode du Sud l’accent est porté sur les techniques de bras comprenant 18 mouvements principaux engendrant 108 formes. Les armes naturelles les plus utilisées sont la paume, le tranchant, la pique, le poing du phénix (poing avec l’index dépassant), la pince. Ces techniques issues de l’ancien Shaolin sont en rapport avec les cinq éléments de l’énergétique chinoise : Paume pour la Terre, tranchant pour le Métal, pique pour l’Eau, Poing pour le Feu et pince pour le Bois. L’Ecole ne comporte que trois coups de pied : le pied qui fauche utilisé en balayage, le pied qui écrase visant les genoux, les chevilles et les orteils et le pied en piston visant l’abdomen ou la poitrine. Les Tao (formes) sont au nombre de six. Le premier renferme l’essence des cinq autres et représente l’unité contenant la diversité. A l’origine seul ce Tao de la grue qui se repose existait, accompagné du travail à deux du Tui Shô (mains collantes) et du San Sho (joindre les mains). Le Tui Sho se base sur l’exécution à deux de 36 mouvements codifiés, le San Sho quant à lui se base sur la pratique de 108 mouvements.

LE TAO DE LA GRUE QUI SE REPOSE

Ce premier Tao permet d’exprimer l’Energie, il se base sur les principes suivants : Inspirer-Décontracter-Absorber-Recueillir-Canaliser-Expirer-Contrarier-Etendre-Diriger-Diffuser

Il contient donc une alternance de mouvements souples et de mouvements durs. La respiration. très caractéristique, et imitant le cri de l’oiseau est basée sur le «système de la contre-façon» : dans un premier temps l’air est absorbé dans le foyer superieur ou médian, dans un second temps l’air est propulsé dans le foyer inférieur accompagné d’une expiration puissante et sonore. L ‘attaque se situe entre la pression de l’air vers le bas et la poussée vers le haut de l’expiration. Tous les Tao s’effectuent accompagnés de ce mode respiratoire.

APPLICATIONS PRATIQUES

Les deux partenaires sont en garde

Sur une attaque de poing au niveau médian Edmond utilise un blocage circulaire descendant tandis que son autre main protège le plexus

La main qui vient de bloquer continue sa course circulaire et saisit le bras de l’attaquant tandis que l’autre main frappe à la gorge en attaque de sabre

Après avoir lâché le poignet Edmond continue son attaque en coup de sabre à la tempe

EVOLUTION ET PRATIQUE DE L’ECOLE

FUTIEN BAI HE TANG
Ecole de la Grue qui prend soi envol de la Province du Futien et de la Farnille Tang.

SHAOLIN BAI HE MEN
Forme de la Grue Blanche provenant de la Boxe des 18 Lo Han de Shaolin

FORME DE BASE, 2 Tao :
– Bai He Tzae Chue Diao (La Grue se repose)
– Bai He Tzae Diao (La Grue chante)

FORME INTERMEDIAIRE, 2 Tao :
– Bai He Yao Fee (La Grue prend son envol)
– Bai He Tzae Tche (La Grue mange)

FORME SUPERIEURE 2 Tao :
– Bai He Tzae Suai Ye (La Grue s’ébroue)
– Bai He Trae Fee (La Grue plane)

TUI SHO (mains collantes)
36 formes

SAN SHO (Les mains se rencontrent)
108 formes

TA CHUAN ( formes de combat)

ETUDE DES ARMES
Bâton (kwon) Hache (Ta Fu) Sabre (Tao)

A l’origine le style de la grue était considéré au même titre que le Wing Chun, comme une boxe sans pas. Il faut prendre le mot pas dans le sens de posture d’enracinement. Les positions sont hautes et décontractées, l’accent est porté sur la rapidité du déplacement. Les maîtres de cette école disent qu’il y a enracinement quand il y a énergie.
Futien, Bai Hé Tang représente l’école orthodoxe, elle réunit les 6 principes fondamentaux de la forme de la grue blanche. Les autres écoles qui furent créées par la suite se sont spécialisées dans un ou plusieurs de ces principes.

Les 6 taos renfermant ces 6 principes sont :

  • – La grue qui se repose
  • – la grue qui chante
  • – la grue qui prend son envol
  • – la grue qui mange
  • – la grue qui secoue le corps
  • – la grue qui plane

Nous allons prendre comme exemple dans un 1er temps le 1er Tao de cette école, en essayant d’en expliquer les fondements, et dans un second temps nous énoncerons quelques théories et principes de ce style.

Le nom de ce premier tao est Sou Hé Chuan : le poing de la grue qui se repose dans le noir. La grue qui se repose a l’habitude de se tenir sur une jambe, elle a le corps replié, le buste légèrement sur l’avant. On retrouve donc à travers le nom de ce tao l’idée de stabilité, de repos, de tranquillité. Quand l’élève s’exerce. il doit tout oublier, sa volonté et son esprit doivent être en repos, il ne doit s’intéresser qu’à effectuer paisiblement ses exercices. Toutes les parties du corps doivent être entretenues en souplesse et légèreté, les yeux restant ouverts surveillant tous les mouvements. II faut s’efforcer de se mouvoir avec légèreté.
Dans un second temps l’élève doit s’exercer avec les yeux fermés (dormir dans le noir). Puis dans un troisième temps la série devra être effectuée entièrement sur une jambe. Pris au second degré le terme Sou représente le caractère de ce qui est antérieur, ce qui se situe avant la forme, le prénatal. L’avant naissance. Il est basé sur le travail de l’énergie.

II représente le commencement et la fin, le simple et le complexe, c’est le tao des maîtres et des débutants. On dit qu’il faut de longues années de travail assidu pour commencer à pénétrer le sens de ce tao.

Sur le plan des techniques elles-mêmes l’exécution obéit à des rythmes longs et courts, rapides et lents. Ce tao se divise en deux parties.

  1. 1e série : San Shien (trois batailles)
  2. 2e série: Se Men (quatre portes)

San Shien, n’est pas sans similitude avec le kata Sanchin, forme simple mais extrêmement difficile à assimiler.
Les maïtres de la grue blanche disent: «Si tu veux trouver le secret de l’école de la grue, tu le découvrira dans trois batailles.»
San veut dire trois, il donne également l’idée de multiplicité.

  1. La 1ère bataille s’effectue sur la forme.
  2. La 2ème bataille se situe sur la respiration.
  3. La 3ème sur l’esprit

Ainsi quand vous travaillez la forme ne pensez pas à l’esprit, mais si vous travaillez sur l’esprit ne pensez pas à l’énergie, et enfin si vous travaillez l’énergie oubliez la force.
San Shien engendre aussi :

  • – San Chiao : posture aux trois angles, qui entraîne elle-même trois points de force et trois pivots.
  • – San Tsiao : respiration sur trois foyers. Cette respiration s’établit sur trois niveaux sur la circulation elle-même, sur différents points d’acupuncture et jusqu’au sommet de la tète.
  • – San Yi : trois rectitudes, rectitude du corps, rectitude du cou, et rectitude de la posture. Ce principe s’exerce également sur trois niveaux; vertical, horizontal et oblique (mutation du San Yi)