Initiation au maniement des Couteaux Papillon Cantonnais

Pourquoi, au XXIème siècle, s’intéresser au maniement des couteaux papillons Cantonnais ?

Pour les pratiquants de l’école SANYIQUAN, les raisons sont multiples :

Parmi les principales, on peut noter :
- le fait que ces armes originaires du sud de la Chine font partie de l’arsenal de 2 des 3 écoles « Externes » étudiés dans l’école : Hung Gar et Wing Chun. Ce « détail » mérite peut-être une attention particulière…
- leur faible longueur qui permet de les utiliser dans des espaces plutôt restreints.
- leur poids unitaire, de l’ordre de 700 gr qui permet de travailler, en particulier, deltoïdes et pectoraux… en parallèle avec le doigté et le déroulement articulaire correct pour se garder des tendinites…
- le fait qu’il s‘utilisent par paire, ce qui permet de travailler finement la latéralité et la coordination motrice, notamment en dissociation gauche droite !
- ils constituent une initiation idéale au maniement d’armes plus longues telles que les sabres à lame en feuille de saule, les crochets à tête de tigre, etc.
- En travaillant plus spécifiquement notre coté le plus faible, le travail des couteaux papillons permet de mieux nous équilibrer aussi bien au plan physique que psychique.

 

De nombreux modèles sont commercialisés

En fonction de ses goûts, capacités physiques et moyens financiers, chacun et chacune pourra trouver son bonheur : lame avec ou, sans gouttière, affûtée ou non, quillon et arceau de garde en inox ou laiton, lame plus ou moins ventrue ou plus ou moins effilée…
Il en existe aussi en polypropylène. Il affichent alors 280 gr sur la balance, mais il va de soi que rien ne remplace le fait de travailler avec des armes proches des modèles originels.

Pour qui souhaite développer l’aspect visuel de la pratique, plus l’arme sera légère, plus il sera possible de réaliser des mouvements rapides associés à des manipulations irréalisables avec des armes plus lourdes,,, Nous ne sommes plus dans le cadre d’une recherche liée à la tradition, mais dans celui de l’escrime artistique de spectacle,. Parfois , les lames sont acier, parfois en aluminium et dotées de découpes au laser afin d’alléger encore plus la lame Les deux recherches sont respectables. Il suffit de bien préciser dans quel domaine est-ce que l’on se situe !

 

Traduisons au mieux le terme « couteaux papillons »

Dans le domaine courant des arts martiaux chinois, tout le monde – ou presque – parle des « couteaux papillons » alors que les idéogrammes chinois indiquent Hu Dié (papillon) Shuang (paire) Dao (sabre).
Il est donc question de « paire de sabres papillon ». Le couteau étant un « Xiao Dao »ou « petit sabre » (小刀 )…

 

Terminologie de l’escrime française…

Dans le monde des arts martiaux, la traduction de termes techniques n’est pas toujours très précise… C’est pourquoi – quitte à perturber un petit peu au début – nous utiliserons la terminologie de l’escrime française. Tout d’abord pour évoquer les différents éléments constitutifs de l’arme.

Un sabre est composé de 2 parties : la lame et la garde.
La lame est composée de deux parties, la première, visible et la seconde, également appelée soie, qui s’intègre dans la fusée.
La garde est composée (ici) d’un quillon courbe, d’une fusée, d’une calotte et d’un arceau de garde

Paire de couteaux (sabres…) papillon de l’auteur

 

Une question de « doigté » !

Les déroulés épaule – coude – poignet – main – doigts et son contraire doigts – poignet – coude – épaule sont, de manière générale, essentiels dans la pratique des arts martiaux et en particulier pour ce qui concerne le maniement des « couteaux papillons »…

A ces déroulés s’ajoute une notion qui, du fait du poids et de l’équilibre de ces armes, ne peut pas être négligée sous peine d’inefficacité immédiate et de tendinites à moyen terme : c’est la notion de « doigté ». Dans le vocabulaire de l’escrime française, le doigté est la qualité qui permet de doser correctement les contractions et les relâchements des doigts sur la fusée afin de manier l’arme avec agilité et vitesse.

Il s’agit donc de mobiliser les doigts de la bonne façon (souplesse et tonicité) mais également dans le bon ordre… Certaines erreurs pourront être pardonnées avec une arme légère (exemple bâton) mais ne le seront plus avec une arme de 700 grammes ou plus !

Mais, tout d’abord, avec quelle intensité serrer et relâcher les doigts ?
Tout simplement comme si vous teniez un petit oiseau dans vos mains. Si vous serez trop fort, vous l’étouffez, pas assez fort, il s’envole !

Il n’y a pas qu’en Daoyin qu’il convient de serrer ses poings ainsi ! Dès le XIXème siècle, certains maîtres d’armes français tel Justin Lafaugère (1782-1856) l’utilisaient déjà. Les amateurs de films de cape et d’épée retrouveront cette expression dans « Scaramouche » de 1952 avec Stewwart Granger et dans le film « Le bossu » de 1959 avec Jean Marais !

Avant de vouloir exécuter le Wu Dié Dao de l’école Hung Gar (洪家蝴蝶刀) ou le Ba Jam Dao de l’école Wing Chun (八剪刀) il est impératif de consacrer autant de temps que nécessaire au travail du doigté, sous peine – rappelons le – d’inefficacité immédiate et de tendinites à moyen terme.

Ce travail consiste « simplement » à mobiliser – dans l’ordre adéquat en fonction des situations :
Petit doigt – annulaire – majeur – index – pouce
ou bien
Pouce – index – majeur, annulaire -petit doigt
sans oublier
Les déroulés épaule – coude – poignet – main – doigts ainsi que doigts – poignet – coude – épaule
…
D’abord en statique puis en déplacement.
On rajoutera aux épaules : les hanches, les genoux, les chevilles, les pieds et les orteils…

 

Définir une méthode d’entraînement personnalisée au maniement des couteaux papillon cantonnais

Tout pratiquant assidu de l’école Sanyiquan dispose des éléments nécessaires pour élaborer une méthode personnelle d’entraînement aux couteaux papillon qui n’a rien à envier à d’autres méthodes existantes en se basant sur le maniement du bâton et sur la forme du Wu Xing Quan !

Il suffit tout simplement de distinguer :
– 8 mouvements de taille
– 5 mouvements de pique

Il s’agit de mouvements, de directions à usages multiples et non de techniques au sens de « recettes » destinées à traiter une situation et une seule. Soit les 13 postures chères à l’école orthodoxe du Taijiquan de l’école Yang…

Le principe du minimum d’effort pour un maximum d’efficacité nous incite à ne plus distinguer les offenses (attaques) des défenses.
En effet, la phase d’armé (Yin) de chaque mouvement constitue la défense, l’esquive, tandis que la phase de riposte constitue la phase Yang du même mouvement… Ce principe reste vrai que l’on pare et riposte de la mème main ou que l’on pare d’une main et riposte de l’autre…. A l’image des mouvements « Shao Yin » et « Shao Yang » de la forme de Xingyi.

8 mouvements de taille :

  • 1) Vertical avec frappe en descendant en direction de la tête (crâne)
  • 2) Vertical avec frappe remontante en direction du bas ventre.
  • 3) Horizontal avec frappe au niveau « figure » (tempe, mâchoire) avers (vers l’intérieur – tendance Bois)
  • 4) Horizontal avec frappe au niveau « figure » (tempe, mâchoire) revers (vers l’extérieur – tendance Métal).
  • 5) Diagonale avec frappe remontante de l’extérieur (de soi) vers l’intérieur.
  • 
6) Diagonale avec frappe remontante de l’intérieur (de soi) vers l’extérieur.
  • 7) Diagonale avec frappe descendante de l’extérieur (de soi) vers l’intérieur.
  • 8) Diagonale avec frappe descendante de l’intérieur (de soi) vers l’extérieur.

Les diagonales avec frappe en montant sont les « enlevés ». Les diagonales avec frappe en descendant sont les « brisés ».
Elles peuvent s’exécuter par flexion extension du bras ou être provoquées par un « moulinet » circulaire. Le moulinet peut être soit vertical (intérieur ou extérieur) soit horizontal (armé au dessus de la tète). La flexion et le moulinet constituent la phase de parade d’une attaque… Sachant que la phase de parade n’exclue pas l’anticipation ! Les coups peuvent être portées à partir du tranchant, du contre tranchant ou du plat de la lame en fonction de la situation et de la suite prévue du combat…

Une première feinte :

De manière très « canonique » :
- l’armé du mouvement se déroule dans l’ordre doigts – poignet – coude – épaule – la taille proprement dite se déroule dans l’ordre inverse.

Mais imaginons le contraire.
Au lieu de générer le mouvement de taille – disons au sommet du crâne – à partir de l’épaule, générons le à partir des doigts… de manière convaincante !
 Le partenaire va donc lever sa propre arme pour se garantir du coup.
Mais, à cet instant, il nous suffira de mobiliser très légèrement l’épaule pour changer la direction de l’attaque, par exemple en direction de la tempe… C’est une forme de « sabre qui rebondit » !

Les manipulations :

Les manipulations élémentaires sont, en fait, constituées des liaisons harmonieuses entre des « enlevés » ou des « brisés » successifs. Comme les mouvements de base, les manipulations doivent être exécutées aussi bien par le bras droit que le bras gauche, ce qui demande un travail plus soutenu de notre coté le plus faible… Mais elles doivent aussi pouvoir être exécutées en dissociation gauche-droite et réciproquement…

La musculation spécifique :

Le travail des couteaux papillons sollicite en particulier les pectoraux et les deltoïdes. Plutôt que de se saisir d’haltères, il reste possible de développer sa musculature en travaillant lentement les exercices de taille – de face et sur les cotés – confortablement assis sur une chaise ! En effet, le fait d’être assis oblige les muscles visés à travailler sans compensation du reste du corps…

Les coups de pointe de base :

Adaptés à la structure de la lame, les coups de pointe, coups d’estoc ou estocades, sont au nombre de 5 :

  1. Le coup droit, attaque simple et directe par rapport à la position que l’on a adopté.
  2. Le coup descendant.
  3. Le coup remontant.
  4. Le coup en arc de cercle depuis notre coté droit vers le centre, ongles vers la terre.
  5. Le coup en arc de cercle depuis notre coté gauche vers le centre, ongles vers le ciel.

Les quatrième et cinquièmes coups de pointe peuvent se réaliser efficacement par « coulé »… En escrime française, ce mot désigne l’action de glisser sa lame le long de l’arme adverse en allongeant le bras pour préparer et loger l’attaque.
Le « coulé » s’associe au « sentiment du fer » qui est la perception des intentions et des réactions du partenaire (ou de l’adversaire !) à travers le contact des armes.

Le principe des « lames collantes » était déjà connu en Europe dès le XVIème siècle tandis que s’opérait la transition entre l’escrime de taille moyenâgeuse et l’escrime de pointe développée à la cour de Louis XIV… L’étude de l’histoire des arts martiaux européens permet de découvrir, certes des différences, mais également de nombreux points communs avec les arts martiaux chinois !

Comme pour le travail des coups de taille – et du fait du poids de l’arme – les coups de pointe nécessitent un travail musculaire spécifique des pectoraux et deltoïdes ainsi qu’un déroulé articulaire et un doigté spécifiques.

Les parades à deux armes :

Lorsque le coup à parer s’avère particulièrement violent, il peut être nécessaire de parer des deux couteaux simultanément.
Il existe 2 manières de faire :

  1.  Lames parallèles, pointes dirigées dans la même directions : en haut à droite, en haut à gauche, en bas à droire et én bas à gauche.
  2.  Lames placées en croix, lames sensiblement dirigées à 90° l’une de l’autre : Croix heute ou basse, croix lattérale droite ou gauche.

En fonction des situations, la parade sert de phase d’armé à des techniques de taille ou d’estoc.
Il convient toutefois de garder un équilibre souplesse-fermeté de saisie sous peine de se retrouver bloqué et incapable de riposter sans perte de temps !

Coups et manipulations spécifiques :

Les couteaux papillon, compte tenu de leur structure spécifique, permettent de réaliser parades, attaques et manipulations qui leur sont spécifiques :

  1. Coups de quillon.
  2. Coups d’arceau de garde.
  3. A la manière du Saï japonais, manipulations autour du quillon pour orienter tantôt la lame vers l’adversaire, tantôt le long de son avant bras pour le protéger. La longueur des lames ne doit alors excéder celle des avant-bras. Les quillons doivent alors être suffisamment longs, suffisament éloignés de la lame pour permettre le passage confortable du pouce – et de section circulaire ou ovoïde… Ce qui n’est pas le cas de tous les modèles !
  4. L’utilisation du quillon pour bloquer l’arme averse ou même briser une lame adverse.

Sans oublier les coups de calotte que les couteaux papillons partagent avec épées et sabres qui, eux, possèdent des pommeaux (les pommeaux ont une fonction de contre- poids que ne possède pas la calotte).

Les positions de garde :

Les positions de garde sont aussi multiples que diverses et variés.
Toutefois les gardes idéales permettent au pratiquant d’être également prêt à attaquer ou à se défendre. DE sa correction dépend l’efficacité des mouvements qui vont suivre.
Au départ, nous en retiendrons 4 :

  1. – Sabre droit protégeant la ligne haute, sabre gauche protégeant la ligne base.
  2. – Sabre droit protégeant la ligne basse, sabre gauche protégeant la ligne haute.
  3. – Et ce, pied droit placé devant
  4. – Ou derrière le pied gauche,

Soit 4 gardes très classiques et sécurisées, les pointes restant dirigées en permanence vers l’adversaire.

Adaptation des principes du WuXing quan de l’École Spontanée :

Travailler la forme des Cinq Éléments en utilisant les couteaux papillons comme extension du corps permet de retrouver quasiment l’ensemble des techniques base (et même bien plus!) dès lors que l’on prend soin d’exploiter les tendances Terre, Humain et Célestes des positions de main ! Dans tous les cas, quelle que soit le mouvement réalisé, seul le déroulement articulaire correct permet d’utiliser l’inertie de l’arme et non de la subir !

 

Mais quel modèle choisir dans la profusion des possibles ?

Le design des couteaux papillon tel que nous le connaissons date, probablement du début du XIXème siècle. Les modèles plus anciens – dont l’histoire reste floue) avaient des lames plus longues et plus effilées.

Une étude très complète et illustrée de belles photos d’armes anciennes, est disponible en langue anglaise sur le site : https://chinesemartialstudies.com/2017/02/13/an-updated-and-revised-social-history-of- the-hudiedao-butterfly-swords/
Aujourd’hui, chaque école qui utilise les couteaux papillons possède un modèle spécifique en fonction de l’utilisation qui en est faite. Le modèle change parfois au sein d’une même école en fonction du professeur !

Certains exigent que, lorsque les couteaux sont plaqués l’un contre l’autre, on ait vraiment l’impression qu’il n’existe qu’une seule arme. Mais il faut savoir que cette configuration provoque une sensation tactile particulière qui peut être gênante.
Certains modèles ont un quillon de section rectangulaire qui les rendent difficiles à utiliser lors des manipulations de type « Saï ».. et même susceptibles de provoquer des blessures…

Viennent ensuite les critères liés à l’équilibre général de l’arme, à la présence ou non de gouttière sur la lame, à l’ergonomie de la fusée, au choix des matériaux (par exemple acier inox ou laiton pour la garde)… la présence d’un étui… sans oublier le critère financier ! Bien, il semble que le design des couteaux papillon aient toujours été personnalisé… Ne soyons pas plus Chinois que les Chinois et choisissons le modèle qui nous convient le mieux, qui est le meilleur compromis pour nous qualité, prix, équilibre et esthétique !

Il suffit de taper « couteau papillon Wing Chun » dans votre moteur de recherche favori pour avoir une myriade de propositions d’une multitude de fournisseurs ! Pour la petite histoire, il existe aussi des modèles en bois, et il reste toujours possible de faire réaliser des armes sur mesure par un forgeron compétant……

Si nécessaire, revoir l’article sur le choix des armes blanches :

Pratique individuelle du Wushu. Quelle réplique d’arme blanche chinoise choisir ?

Peut-être que cette escrime chinoise à deux armes de longueur identique donnera envie à certain(e)s de s’ouvrir à la très difficile – et redoutablement efficace – escrime européenne des XVIème et XVIIème siècles avec dague et rapière, deux armes de longueurs différentes.

Contrairement aux armes doubles, avec une lame de rapière longue de 90 cm et une lame de dague longue de 38 com en moyenne, il convient de s’adapter à chaque instant à une mesure(*) qui change en permanence… Si une rapière d’escrime artistique pèse aux alentours de 600 gr et la dague associée (également appelée « main gauche ») aux alentours de 200 gr – le poids d’une copie de rapière authentique pèse aux alentours de 1,2 kg et la dague associée aux alentours de 900 gr. Attention aux tendinites en cas de non respect des exigences du doigté et du déroulé articulaire ! Certaines manipulations courantes dans les films de « cape et d’épée » sont donc tout bonnement impossibles avec des armes authentiques…

Bonne pratique !
Jean Pierre Bousquet – Enseignant San Yiquan.


(*) Distance maximale à laquelle on peut toucher son adversaire « en se fendant », c’est- à-dire en position GUNG BO, buste basculé vers l’avant.

Image d’illustration en tête de l’article : image Midjourney, CC BY-NC 4.0