Notre Dame de Paris : Rétablir et réparer

par Georges Charles

Dans un magistral ouvrage en deux tomes « Histoire du vandalisme – Les monuments détruits de l’art Français » Louis Réau (Librairie Hachette 1959) laisse la parole à ceux qui fustigent les restaurations infligées à nos monuments.

Dans le Chapitre IV intitulé « de la lutte contre les deux vandalismes – l’un qui consiste à détruire, l’autre qui consiste à restaurer », le premier d’entre-eux est Montalembert (1810 1870), bien qu’aristocrate affirme:

« Quant à la restauration, à qui son nom seul semblait imposer la mission de réparer et de conserver les monuments du passé, a été, tout au contraire, une période de destruction sans limite. Il n’y a pas un département en France où il ne se soit consommé, pendant les quinze années de la restauration, plus d’irrémédiables dévastations que pendant toute la période de la République et de l’Empire. Le vandalisme moderne se divise en deux espèces bien différentes dans leurs motifs mais dont les résultats sont également désastreux : on peut les désigner sous les noms de vandalisme destructeur et de vandalisme restaurateur ».

C’est précisément à cette époque qu’apparait Eugène Viollet-le-Duc (1814 1879), sous le règne de Louis Philippe, professeur suppléant de composition et d’ornement à la « Petite Ecole » de dessin qui deviendra par la suite l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. En 1830 il rencontre Prosper Mérimée(1830 1870) qui est alors Inspecteur Général des Monuments Historiques. Et il finit par convaincre ce dernier de lui confier la restauration de plusieurs monuments importants.

Viollet-le-Duc est un admirateur inconditionnel de Cuvier, paléontologiste qui se targue de pouvoir reconstituer un animal à partir d’une seule dent ou d’une vertèbre.

« Il souhaite donc, en appliquant la même méthode, rétablir avec une exactitude scientifique un édifice du passé réduit à l’état de ruine ou dénaturé par des adjonctions postiches » (Louis Réau T II p.363).

Ce qui est, somme toute, un bon principe. Mais dans son application Viollet-le-Duc finit par se laisser aller à un tout autre principe. Il avoue : « Restaurer un édifice c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé ». La messe est dite. Sous le prétexte de réparation ou de restauration il laisse alors libre cours à son talent, indéniable, de décorateur. Il recrée, de toutes pièces, un art médiéval, sinon gothique, qui lui est personnel et qui fait toujours plus ou moins autorité. Il réinvente le « Moyen-Age » tel « qu’il devrait être ».

Son premier biographe, Paul Gout, admet « Certaines de ses restaurations équivalent à des créations originales« . La liste des monuments auxquels il s’attaque est impressionnante puisque sa longue carrière englobe la Restauration et le Second Empire. Dans son domaine il exerce bientôt un pouvoir sans réserve avec des moyens presque illimités. La simple liste de ces monuments en serait fastidieuse. Dans les édifices religieux on peut simplement citer : la Basilique de Vézelay ; la Cathédrale Notre Dame d’Amiens ; la cathédrale Saint Etienne d’Auxerre ; la Basilique de Saint Denis ; la Sainte Chapelle (Paris) : la Sainte Chapelle de la Cathédrale de Strasbourg ; l’Abbaye du Mont Saint Michel (avec Emmanuel Frémiet qui fut l’un de ses élèves et qui continua les travaux) ; Basilique Saint Sernin de Toulouse, Collégiale d’Eu…et, évidemment, Notre Dame de Paris. Dans les édifices civils ou militaires : Hôtel de Ville de Narbonne : Cité de Carcassonne ; château de Pierrefonds ; chateau d’Eu (Seine Maritime) ; Remparts d’Avignon (création)…

Pour Carcassonne, qui à vrai dire était presque en ruines, Viollet-le-Duc s’est fait plaisir en reconstruisant les fameuses tours suivant ses critères personnels  de l’architecture militaire on y retrouve donc des tours rondes, carrées, ovales, pentagonales, octogonales ainsi que divers systèmes défensifs issus de son imagination féconde. Ce qui plait évidemment beaucoup aux touristes venus du monde entier. Ce qui est également le cas du château de Pierrefonds, l’un des plus visités d’Europe mais qui a été recréé de toutes pièces à partir d’une ruine suivant le fameux principe de Cuvier appliqué à l’architecture. A partir d’une simple pièce reconstituer tout l’ensemble.

Mais il est une oeuvre moins connue, encore, de Viollet-le-Duc qui est le lessivage de la presque totalité des peintures et des fresques des églises et cathédrales et de l’enlèvement de multiples tentures, dais, étendards qui ornaient l’intérieur de ces monuments. Viollet-le-Duc aimait la pierre et ne pouvait supporter ces ajouts décoratifs dont la plupart remontaient, tout de même, au 13eme siècle. Dans la France toute entière les caniveaux, quand ils existaient charrièrent donc pendant des années ces couleurs sacrilèges mais originelles au grand désespoir des fidèles et du clergé. Les scènes d’apocalypse furent donc pourchassées car jugées obscènes. Et les édifices religieux devinrent gris, tristes et dépouillés. Ce qui n’empêcha pas, par ailleurs, à Viollet-le-Duc d’imposer sa statuaire et ses fameuses « gargouilles » qu’il avait lui-même dessinées avec luxe de détails.

Notre Dame de Paris revue et corrigée par Viollet-le-Duc.

On ne peut nier l’influence de Victor Hugo, grâce à son roman, « Notre Dame de Paris »  sur Viollet-le-Duc. On demandait un jour à André Gide quel était le plus grand poète français et il répondit « Hugo, hélas ! ». Mais Violet-le-Duc qui était désormais l’un des favoris de Napoléon III se gardait bien d’évoquer cette influence car l’Empereur qui avait appris que Hugo le traitait de « Napoléon le petit » l’avait relégué en exil à Hauteville House à Guernesey. Hugo avait écrit un magnifique courrier sur le sac par les troupes anglaises et françaises du Palais d’Eté de Palikao. Il fustigeait les pillards avec sa verve sans pareille. Ce qui ne l’empêcha pas de racheter à Charles George Gordon, alias « Chinese Gordon », qui l’écrivit à sa soeur, bon nombre de pièces issues de ce pillage et qui, justement, décoraient avantageusement le Salon Bleu et le Salon Rouge de cette maison. Et qui y sont encore. De son côté Prosper Mérimée évitait d’évoquer Viollet-le-Duc à cause de cette relation privilégiée mais s’était appropriée cette formule « Menmêso apistein » ce qui signifie « Souviens-toi de te méfier ». Ce qui est significatif.

Pour Notre Dame, Haussmann avait déjà transformé le parvis en place d’arme destinée à la caserne de la Préfecture de Police.  En 1843 Viollet-le-Duc fut donc chargé, avec Lassus de réparer et de consolider la Cathédrale mise à mal par la Révolution. Toutes les statues qui garnissaient les portails et la façade avait été abattues ainsi, d’ailleurs, que la flèche en charpente qui chevauchait le carré du transept et qui avait subi le même sort que celle de la Chapelle Royale. Elles avaient simplement servi de bois de chauffe. Mais cette destruction avait notablement affaibli la fameuse charpente qui fut donc, en partie refaite. Une partie de la fameuse forêt date donc du XIXe siècle.

Il en profite également pour refaire la fameuse flèche qui est inaugurée en 1859. Beaucoup plus grande que la flèche initiale elle domine les statues des douze Apôtres, également XIXe siècle parmis lesquels il se fait représenter, en Saint Thomas, regardant la nouvelle oeuvre à la base de laquelle il fait déposer une plaque à la gloire du « Grand Architecte de l’Univers » ce qui indique son appartenance non pas au Compagnonnage mais à la Maçonnerie *.

* On assiste toujours à des tentatives sournoises de laïcisation, la preuve en est cette nouvelle dénomination des tours qui, désormais, d’après les pompiers et le Ministre de la Culture , donc de la plupart des journalistes « autorisés » , se nomment  « beffrois ». A l’origine un beffroi est un bâtiment contenant une cloche (servant à alerter les populations), certes, mais un bâtiment civil permettant à la population d’une ville « franche » de se réfugier en cas de besoin. Tout en évitant d’avoir à invoquer le « Droit d’Asile » dans un lieu de culte ou de dépendre d’une structure militaire. Les beffrois étaient donc érigés par les « francs-bourgeois » pour contrebalancer le pouvoir ecclésiastique (église ou cathédrale ), le pouvoir politique (mairie ) ou le pouvoir militaire (château fort). A Notre-Dame il s’agit toujours et encore bel et bien de tours.  Et heureusement elles sont encore bien debout.

 

Notre--Dame de Paris sans sa flèche avant la restauration de Viollet-le-Duc en 1854

Notre–Dame de Paris sans sa flèche avant la restauration de Viollet-le-Duc en 1854

 

Notre(Dame de Paris sans la flèche de Viollet-le-Duc 1840

Notre Dame de Paris sans la flèche de Viollet-le-Duc 1840

 

Toujours suivant Réau :

« A Notre Dame les statues de la façade furent reconstituées vaille que vaille, par l’atelier de Geoffroy Dechaume, sous la direction et d’après les dessins de Viollet-le-Duc ».

Qui sont donc, encore, du XIXe siècle. La lumière intérieure ne lui plaisant pas il fait remplacer les vitraux du XIII et du XIVe siècle par du verre blanc. Les grandes rosaces qui avaient déjà été restaurées plusieurs fois au cours des âges furent, une nouvelle fois, reprises. Réau à ce sujet est on ne peut plus direct

 » Les rapetasseurs de vitraux ne se contentent pas de les assembler : ils prétendent trop souvent les « améliorer »…C’est pourquoi Mérimée, dans son rapport de 1837, recommande de donner la préférence, pour la remise en état des vitraux anciens, à de simples artisans qui n’osent pas corriger le modèle sous prétexte de faire mieux que l’original ».

Les tapisseries, surfétatoires au goût de Viollet-le-Duc, représentant l’histoire de la Vierge et dessinées par Philippe de Champagne ne sont heureusement par brûlées, comme ce fut souvent le cas ailleurs, mais vendues au Chapitre de Strasbourg. Bon nombre de gargouilles et de personnages, qu’on attribue désormais à tort, aux Compagnons Bâtisseurs de l’âge médiéval, sont issus de son imagination et taillés selon ses modèles. Il souhaite, enfin, couvrir par des flèches les deux tours de façade mais Napoléon III qui équipe son armée lui refuse les crédits.

 

Projet de restauration de Notre-Dame de Paris par Viollet-le-Duc

Projet de restauration de Notre-Dame de Paris par Viollet-le-Duc

 

En guise de conclusion provisoire

Il faut bien admettre que Notre-Dame de Paris fait partie du patrimoine de l’humanité. J’évite le terme universel qui est une sorte de cache-misère (rappelant d’ailleurs le fameux « Grand Architecte de l’Univers » ) qui est aux activités humaines ce que la feuille de vigne est à la statuaire antique. Mieux vaudrait évoquer un patrimoine mondial, ce qui serait déjà assez large.

Elle fait également partie de l’inconscient collectif de l’âge des foules. Lorsqu’on est devant ce lieu où qu’on y pénètre on est nécessairement sidéré par tant de grandeur et de majesté. C’est un fait. Il faudrait se dépouiller et simplement l’aborder en état d’ouverture d’esprit.

Mais inconsciemment on emporte avec soi un sérieux bagage constitué du fameux roman de Victor Hugo, hélas, (1831) ;  des grands films où Quasimodo fut successivement  interprété par Lone Chaney (1923) ; Charles Laughton (1939) ; Anthony Quinn (1956) ; le film Paris brûle-t-il de René Clément (1966) dont de nombreuses scènes mettent Notre-Dame en avant dont celle, fameuse, où des résistants font sonner Emmanuel le gros bourdon (qui avait néanmoins sonné plusieurs fois pendant l’occupation, notamment aux obsèques de Philippe Henriot) ; le dessin animé des Studios Disney (Le Bossu de Notre-Dame – 1996), la comédie musicale de Plamondon avec Garou (1998), des actualités télévisées de Gaumont où l’on voit le Général de Gaulle (1944) assister à la messe (On pourrait effectuer un parallèle entre Notre-Dame de Paris et ses diverses restaurations et le Discours du 18 Juin du Général de Gaulle dont on possède plusieurs versions dont une (la jaune bordée de tricolore) qui est affichée partout et qui fut, en fait, rédigée et simplifiée par Churchill aidé par Geoffroy Chaudron de Courcel, l’ordonnance du Général).

Images qui ont nécessairement marqué les cœurs et les esprits et qui, désormais, se confondent quelque peu avec Notre-Dame qui, probablement, n’en demandait pas tant. Et c’est, maintenant, la flèche de Viollet-le-Duc qui en s’effondrant dans une gerbe de flammes marque le but final. Et, finalement on est prêts à n’importe quoi, ou presque comme si on pouvait faire remonter le film en arrière et que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et que l’on puisse à nouveau claironner Urbi et Orbi que Notre-Dame de Paris est incontestablement le plus pur symbole du gothique. Un gothique quand même fortement tempéré par les multiples restaurations successives dont les plus récentes remontent au XIXe et sont justement l’oeuvre de Viollet-le-Duc. On pourrait plutôt évoquer le « gothisme-romantique » mais est-ce bien propice au tourisme ?

Au sujet du gothique, toujours dans son fameux ouvrage, louis Réau évoque le fait que l’art dit « roman » est en réalité une altération de « normand ». Voici une explication qui mérite d’être connue.

« Les travaux de Charles de Gerville ont eu des répercussions sur d’autres disciplines que la sienne. Ainsi, c’est son utilisation, dans une lettre adressée à son ami Arcisse de Caumont en 1818, du terme de « roman », pour qualifier ce qu’on nomme maintenant les langues romanes, qui amena ce dernier à reprendre le terme de « roman » pour l’appliquer à l’architecture des XIe et XIIe siècles dans son Essai sur l’architecture du Moyen Âge, particulièrement en Normandie. Ce terme plus inclusif et plus européen pour désigner les arches rondes massives caractérisant les œuvres normandes en Angleterre, où le terme « architecture normande » fut employé la première fois en 1817 par l’archéologue Thomas Rickman, dans son essai intitulé An Attempt to Discriminate the Styles of English Architecture from the Conquest to the Reformation (Tentative de distinction des modèles architecturaux anglais de la conquête à la réforme) : les historiens de l’architecture anglaise ont retenu le terme « normand » pour leur propre version du « roman ». Source : Charles de Gerville, Wikipedia.

Finalement le génie de Viollet-le-Duc, car il en avait, aura été de rendre populaire ce qui ne l’était pas. C’était donc un visionnaire. Il aura surtout mis en volume, sinon en mouvement, ses illustrations. Il ne fut pas architecte, et on le lui reprocha, mais décorateur qui sut mettre en scène le patrimoine qui avait été détruit, notamment par la Révolution, ou délaissé faute d’intérêt. On dit qu’il bénéficia grandement de l’amitié de l’Impératrice Eugénie et de la considération de Napoléon III. Entre nous si la France est la première destination mondiale du tourisme c’est en grande partie à lui que nous le devons.
Mais Sacha Guitry qui avait la dent dure disait de lui, dans une de ses lettres rédigée pendant le tournage de « Si Versailles m’était conté » (1954) :
« Viollet-le-Duc est à l’architecture ce que Benjamin Rabier est à la zoologie ».
Notre-Dame de la Délivrance Blangy sur Bresle (76)

Notre-Dame de la Délivrance Blangy sur Bresle (76)

Une autre Notre-Dame, beaucoup plus modeste, mais qui a l’honnêteté d’annoncer la couleur, ce qui rappelle un fameux sketch de Jaques Dufilho  qui avait du, un jour,  passer par là :

« Monument historique dont l’architecture porte les traces du 12e au 17e siècle. Détruite pendant la guerre de cent ans, elle fut reconstruite en 1524 et achevée en 1655. Menaçant ruine, elle fut fermée au culte en mai 1926 et restaurée dans les années 1927 à 1934. Maintes fois mutilée au cours des siècles par les intempéries les accidents et les incendies, elle fut presque entièrement détruite entre 1940 et 1944 par les bombardements et bombes incendiaires. Elle a été reconstruite dans son style original, à partir des seuls murs, et élévations, subsistants et l’inauguration eut lieu le 20 juin 1954 ».

PS : il existe une édition augmentée de l’Histoire du vandalisme de Louis Réau, Michel Fleury et Guy-Michel Leproux (1994)  en Livre de poche (Robert Laffont) qui est encore disponible sur Internet. Pour illustrer l’article j’ai utilisé la version « Bibliothèque des Guides Bleus » de la Librairie Hachette (1959).