Georges Charles à Neufchâtel Hardelot invité par Opale Bunker History
A l’initiative de l’Association Opale Bunker History, et de son président Monsieur Jacky Lemaître, a lieu, depuis plusieurs années, la commémoration de ce que les historiens nomment « l’héroïque bataille » qui s’est déroulée à Neufchatel-Hardelot, dans le Pas de Calais, le 22 mai 1940. C’est l’occasion de reconstituer la bataille mais également de proposer au public la réplique d’un camp militaire, qui peut se visiter, ainsi que diverses activités, notamment des concerts de musique militaire et un bal de la Libération avec, évidemment de quoi se restaurer sur place. C’est le côté festif.
Mais le côté mémoriel n’est pas oublié avec, notamment, une procession de véhicules militaires et la remise de gerbes aux principaux endroits où s’est déroulée la bataille, où sont tombés des combattants et des discours au « carrefour des quatre coins » où les combats ont été particulièrement acharnés. Avec une minute de silence, la Sonnerie aux Morts et la Marseillaise puis un « Pot d’Honneur » à la Mairie de Neufchâtel. Il convient de rendre hommage à ces combattants qui ont donné leur vie en résistant à la progression de l’armée allemande et de ses chars panzer.
Georges Charles, qui porte le nom de son grand-père*, sera invité à écrire et prononcer un discours à cette occasion le 15 mai 2022.
* Résistant qui habitait Neufchâtel, officier, agent de renseignement P2 (engagé pour la durée de la guerre depuis mars 1941) pour le compte des Réseaux Pat O’Leary (Escape Line), Alliance (L’Arche des Animaux) sous le pseudonyme de « Marsouin », Réseau Franco-Polonais F2. Il travaillait également pour le SIS britannique (Secret Intelligence Service), capturé en pleine réunion à Lille le 5 décembre 1944, il sera fusillé au Fort de Bondues le 16 janvier 1944. Une plaque commémorative figure à Neufchâtel en face de son domicile, anciennement rue des Allées.
Le discours de Georges Charles le 15 mai 2022 à Neurchâtel-Hardelot en hommage à « L’héroïque Bataille » du 22 mai 1940 :
« Au petit matin du mercredi 22 mai 1940 deux trains s’arrêtent en gare de Neufchatel. Après un voyage d’une cinquantaine d’heures des hommes en descendent. Il s’agit de l’Etat Major et de la compagnie de commandement et servitudes du 48eme Régiment d’Infanterie de Guingamp commandé par le Lieutenant-Colonel Tanguy Le Gentil de Rosmorduc. Un authentique Baron de Bretagne. L’essentiel du régiment est demeuré bloqué à Blessy et à Witernesse dans le nord du Pas de Calais à proximité de Saint Omer, où il combattra le 23 mai avec de nombreuses pertes, près de quatre-vingt hommes. Du deuxième train descend la Première Batterie du 35eme Régiment d’Artillerie sous le commandement du capitaine Enjourbault ainsi que des éléments du 65E Régiment d‘Infanterie. Presque tous des Bretons. Certains ajoutent durs comme le granit. Mais malheureusement sous-équipés. Seulement quatre canons de 75. Une arme magnifique mais déjà bien dépassée. Son point fort est un tir tendu à cadence rapide effectué grâce au frein de recul hydraulique. Qui a été malheureusement été livré aux Autrichiens lors de la fameuse affaire Dreyfus. Et que les Allemands ont immédiatement adapté sur les canons de 77 et 88. Quatre canons de 25 qui ont quand même un peu de mal à percer les blindages des Panzers. Et deux mitrailleuses anti-aériennes de 25 qui se révèleront très efficaces. Donc une troupe disparate et incomplète. La fameuse compagnie de commandement et servitude du 48e Régiment d’Infanterie se compose principalement de secrétaires, de comptables, de mécaniciens, de cuisiniers, d’armuriers, de fourriers…qui n’ont pour la plupart jamais tenu une arme et encore moins subi l’épreuve du feu. Mais qui accompliront leur devoir d’une façon exemplaire en faisant face à l’ennemi. Trois régiments incomplets et mal équipés contre une armée ennemie en marche qui écrase tout sur son passage. Leur première mission est d’aider les nombreux réfugiés qui encombrent les routes et les rues à circuler pour dégager le terrain. Ce qui s’effectue non sans peine. Puis de prendre position en dressant quelques obstacles souvent dérisoires face à des chars mais qui vont les obliger à manœuvrer et à présenter le flanc, plus vulnérable. Le colonel de Rosmorduc, présent partout, galvanise ses hommes. De fausses informations circulent : « Ce sont les Anglais qui vont venir nous aider ». On entend le grondement des moteurs et le crissement des chenilles. Malheureusement ce sont les Allemands de la colonne de reconnaissance des troupes du Colonel Von Prittwitz de la 2eme division blindée qui s’approchent avec trente chars Panzer, un bataillon d’infanterie motorisé et un groupe d’artillerie. Une troupe conséquente et très bien équipée. A douze heures trente la colonne de chars arrive par la route de Frencq. Les Allemands ne s’attendent pas à rencontrer de résistance. Le chef du premier char debout dans sa tourelle est abattu d’une balle en pleine tête par un habitant posté à sa fenêtre, la colonne s’immobilise puis se disperse et tente de pénétrer en ville par la rue Corne. Un combat acharné commence. Les Allemands sont surpris d’autant plus que plusieurs chars sont touchés par les canons français. Mais ils ripostent tuant plusieurs défenseurs. L’adjudant, Goyat, chef de section, se précipite pour servir le canon de 25 dont les deux serveurs ont été tués. Il tombe à son tour sous le feu allemand au milieu de la chaussée. Un Panzer passe sur son corps comme pour se venger de l’affront. Le 7 juin 40 un sort semblable sera réservé au Capitaine Charles N’Tchaoré, des troupes coloniales, à Airaines et les Allemands interdiront que l’on ramasse son corps. Sur la route de Boulogne deux autres chars sont stoppés au canon et à la grenade. Un troisième prend un coup direct d’un canon de 25 mais le calibre est insuffisant pour le détruire. Le char repère le canon et ouvre le feu, tuant ses serveurs. Les combats font rage et le sol est jonché de cadavres et de blessés des deux camps. Un sous-officier Breton est également écrasé par les chars. Après un moment de surprise les Allemands se ressaisissent et, surtout, reçoivent des renforts. Les noyaux de résistance finissent par être détruits les uns après les autres. De nombreux hommes, sous-officiers et officiers finissent par succomber, souvent par faute de munitions. Le capitaine Enjourbault est tué. Mais également le lieutenant Volnat, le brigadier Ruffier, les maréchaux des logis Loquemuse et Nicole ainsi que leurs hommes. A dix-sept heures, après un combat qui aura duré près de six heures, les Allemands sont maîtres des lieux mais déplorent la perte de neuf chars et de plusieurs véhicules blindés. Ils ne donneront jamais le nombre de leurs morts mais celui-ci est conséquent. Rosmorduc refuse de se rendre et avec une vingtaine d’hommes il décide de franchir les lignes allemandes, de passer par la forêt d’Hardelot pour gagner Boulogne et pour reprendre le combat. Ils ne disposaient plus que de 65 cartouches et d’armes légères. On dénombre huit civils tués pendant les combats. Les Allemands enterrent leurs morts et les villageois les Bretons. Par la suite plusieurs citations seront décernées. Le Capitaine Enjourbault et le Sous-Lieutenant Volnat seront promus au titre de Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. L’adjudant Goyat recevra la médaille militaire également à titre posthume. Le Lieutenant-Colonel Gentil de Rosmorduc sera promu général de brigade. Les rescapés des combats ayant pu rejoindre Boulogne seront envoyés à Dunkerque pour couvrir l’évacuation du corps expéditionnaire britannique tâche qu’ils assumeront jusqu’au bout en subissant, encore, de lourdes pertes.
On a trop souvent, encore, l’image d’une débâcle où les soldats, leur encadrement et leurs Officiers se seraient rendus sans combattre. Image malheureusement renforcée par des films grand public du type « Où est donc passée la 7eme compagnie ? ». La Bataille de France de mai-juin quarante a compté autant de victimes que la Bataille de Verdun. Quand ils l’on pu les soldats se sont bien battus mais souvent avec du matériel obsolète, un manque patent de munitions, surtout des bonnes munitions, et des erreurs de commandement dont on préfère ne pas parler. La preuve avec le Colonel de Rosmorduc se rendant compte, à Neufchâtel que l’essentiel de son régiment était resté en route. Une partie de la Ligne Maginot avait été vidée de ses troupes et les clés des ouvrages perdus entre Compiègne et Bordeaux. Churchill, lui-même, avait pu reprendre cette formule « Des lions menés par des ânes »… « Lions led by donkeys »… Malheureusement les lions se sont fait tuer sur place et les ânes ont filé à Bordeaux pour pouvoir continuer à braire. Un proverbe chinois affirme « Lorsque l’âne se contente de braire il effraye même le tigre ». Pourtant que ce soient les Cadets de Saumur sur les ponts de la Loire, les troupes coloniales à Airaines, les Chasseurs Alpins à la frontière italienne qui ont partout tenu en échec les troupes de Mussolini, les chars à Montcornet ou Abbeville les combattants n’ont pas démérité. Loin de là. Mais les pilotes combattaient à un contre cinq. Le magasine allemand Der Spiegel en 1967 publie la liste officielle des 1471 appareils allemands abattus par la chasse française dont 535 Me 109, 195 Me 110, 412 bombardiers dont les fameux Stukas et 329 avions de reconnaissance et de transport. De notre côté, on ne sait pour quelle raison, on évoque mille appareils puis 355. Pourquoi ? Il fallait trouver un responsable et il est toujours plus facile d’incriminer le militaire que le politique. Et le soldat de base plutôt que le haut commandement.
Il convient donc de rendre hommage à ces hommes qui se sont bien battus et qui, souvent, on fait le sacrifice de leur vie. C’était le cas, ici à Neufchâtel-Hardelot. Le cimetière accueille les tombes de plusieurs aviateurs britanniques tués en effectuant leur mission au-dessus du Pas de Calais à cette même époque puis plus tard. Mon grand-père, Georges Charles, en recueillera plusieurs qui seront soignés, cachés, nourris à Neufchâtel et convoyés jusqu’à la ligne de démarcation d’où ils pourront rejoindre l’Espagne puis l’Angleterre pour reprendre le combat. Je suis toujours en relation avec le fils de l’un d’eux. Georges Charles continuera à fournir des informations aux Britanniques et à la Résistance Française mais il sera « balancé », comme Jean Moulin, et fusillé le 15 janvier 1944 au Fort de Bondues près de Lille. Son fils Lionel, donc mon père, permettra aux Canadiens de prendre le Fort de Boulogne et sa garnison allemande sans qu’un seul coup de feu soit tiré en leur indiquant un passage secret. C’est donc avec fierté que je les représente aujourd’hui parmi vous et que je remercie Opale Bunker et son Président Jacky Lemaître, ainsi que la Mairie, qui ont permis d’ériger une plaque commémorative devant son ancien domicile.
« Nous devons notre liberté à des hommes qui ne plient pas, ne s’agenouillent pas, ne se soumettent pas » Winston Churchill. »
G.C le 15 mai 2022. Neufchâtel-Hardelot
Il ne doit pas avoir grand chose à ajouter si ce n’est que nous avons passé un excellent week-end avec nos Amis de Opale Bunker lors de cette reconstitution et de cet hommage aux Braves, qui n’avait pas pu avoir lieu ces deux dernières années suite aux mesures « sanitaires » imposées.
Bravo à tous (et à toutes !) les bénévoles qui se sont démené(e)s pour que cette fête et cet hommage soient une vraie réussite. Encore merci à son Président, Monsieur Jacky Lemaître, plus simplement « Jacky » pour nous avoir invités. Et n’oublions pas les Mairies de Neufchâtel Hardelot et de Nesle.
Photo de MicheL- Mémoire d’Opale