Descartes, le cartésianisme et les 5 Eléments.

Edito Mai 2015
 – Georges Charles

Lors d’un stage de WE qui avait, justement, comme thème « les Cinq Eléments dans la pratique du Qigong », l’enseignant en titre me dit quelque chose qui me troubla quelque peu : « Untel n’est pas venu car il est cartésien et il estime que ce sujet ne lui convient pas ». Ce qui, au moins, a le mérite d’une certaine franchise. Descartes et les « Cinq Eléments » de l’énergétique chinoise seraient donc incompatibles. En un mot comme en cent Descartes n’est pas soluble dans le Qigong. Ma première réaction, habituelle et épidermique, a été de constater le fait qu’une explication logique est évidemment et généralement moins cartésienne que pas d’explication du tout. Si on se borne à dire « c’est comme ça ! », donc « parce que », cela rassure ceux qui se posent des questions. Donc les cartésianistes.

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Le « Qigong » fonctionne parce que c’est ancien et chinois et que cela consiste à lever le bras de telle ou telle manière, mais lentement, en accompagnant le geste d’un sourire énigmatique et donc intérieur. Qui dit « énergie interne » dit « sourire interne ». Sinon il convient de se marrer comme une baleine, en groupe et en cadence, dans du « Yoga du rire ». Pauvre Yoga. Et pauvre rire. A la limite du pathologique. Qui rappelle ce qu’on nommait autrefois, en psychiatrie, le « rire du maniaque ».

Photo ci-contre : utilisation scientifique de l’électrothérapie en 1900. Une certaine dose d’électricité à certains endroits provoque le « rire du maniaque ». Pas besoin de faire un dessin !

Mais au moins, dans ce cas, on sait pourquoi on rit. Parce que c’est le Yoga du rire et que ça fait probablement du bien de se marrer comme une baleine quand tout ce qui nous entoure n’incite même plus à sourire discrètement. C’est le contraire de « faire la gueule ». C’est à la limite du « quand-même ». Donc dans ce cas l’explication est simple : il vaut mieux, quand même, se marrer que de se faire la gueule.

Ce qui est une explication presque cartésienne. Voltaire aurait ajouté « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est meilleur pour la santé ! ». Il ne semble pas qu’il soit nécessaire, par contre, de se marrer en cadence et en groupe pour être heureux donc en meilleure santé. Mais la raison de se marrer pour se marrer n’incite pas à se poser de question. C’est déjà ça. Dans la nature un animal sait se marrer, comme ça, pour rien, et c’est la hyène. Et bizarrement elle a, quand même, assez mauvaise réputation.

Mais revenons à Descartes et aux « Cinq Eléments ».

Précisons tout de suite que le terme chinois « Wu Xing » a été traduit par « Cinq Eléments » (ou cinq éléments !), par les Jésuites qui traduisirent ces caractères, en référence aux quatre éléments (eau/feu/air/terre) de la théorie dite platonicienne. Donc en référence présumée à Platon. Un peu comme « Wushu » (art de la bravoure) a été traduit par « art martial » ou « arts martiaux » en référence à Mars ou Arès, la divinité romaine de la guerre. Un égorgeur psychopathe en jupette de cuir. Et un looser qui est toujours du côté du plus fort quand celui-ci va se prendre une raclée. Mais Platon est également à l’origine de platonique. Ce qui, actuellement, désigne ce qui est purement idéal, sans effet, sans influence où le spirituel s’oppose au physique. Par extension c’est une conception purement philosophique des relations amoureuses. On ne touche pas.

A l’inverse la pratique du « Wu Xing », plus précisément d’ailleurs du « Yin Yang Wuxing » , a pour essence et pour but de s’appliquer tant dans le spirituel (Shen) que dans le corporel (Ti). « Yin Yang Wuxing » désigne donc, pratiquement, ce qu’on nomme ici « énergétique chinoise », laquelle inclut la médecine chinoise (acupuncture, moxibustion, massage et manipulations, gymnastique du souffle, nutrition et diététique, techniques d’auto-protection…etc…) mais également la cuisine, les arts chevaleresques, la calligraphie, l’étude des grands classiques donc la « philosophie » (pensée) chinoise et tout ce qui influe, en profondeur, sur le comportement et la destinée de l’humain. « Wu Xing » peut se traduire par « cinq mouvements », « cinq tropismes », « cinq mobilisations ». Xing représentant justement ce qui prend forme dans le corporel et ce qui agit sur celui-ci. On pourrait donc parler de « cinq actions ». On pourrait presque ajouter « cinq actions symboliques » mais avec, dans ce cas, le définition chinoise du « symbole » ou de « l’image symbole » (Xiang). Le caractère chinois antique Xiang désigne la dépouille d’un éléphant mort. Et Kangxi, dans son dictionnaire impérial, explique « Se trouver devant Xiang (le symbole) c’est comme se trouver devant la dépouille d’un éléphant mort. Il faut faire l’effort de l’imaginer (lui redonner l’image) quand il était vivant ».

Donc il convient de lui redonner vie, de l’animer. Le symbole doit être animé sinon il pue comme une charogne. Il doit donc être re-matérialisé mais également animé par « autre chose encore » (Hua). Il convient donc de redonner vie et mouvement au « Wu Xing » qui sont les « images symboles » (Xiang) par excellence de la Chine éternelle. Mais surtout cela doit être utile, donc utilisable et utilisé. L’inverse du platonique !

« Wu Xing » permet non seulement une explication mais une implication et des applications. Et c’est probablement cela qui dérange les cartésianistes parce que cela fonctionne ainsi et toujours depuis plusieurs millénaires. Mais il faut dépasser l’image « dépouille » et accepter le fait. Et non se cacher derrière son petit doigt. Un peu comme le font ces nouveaux alchimistes qui feignent d’ignorer l’origine de leur art « universel » limité à un occident très restreint. Et qui s’étonnent que le bois et le métal figurent dans ces « Cinq Eléments » de la Chine alors que l’air n’y apparaît même pas.

Certains chercheurs occidentaux font remonter l’alchimie « interne » (Nei Dan Gong) entre le Xe et le XIe siècle (La symbolique du corps dans l’alchimie interne de la Chine des Song dans Alchimies -Occident Orient- Editions l’Harmattan (claire Kappler, Suzanna Thiollier-Méjean) (2007) alors que de toute évidence l’un des principaux textes classiques décrivant le processus de l’alchimie interne, donc corporelle, le « Livre de la Cour Jaune » a été rédigé, ou compilé entre le IV et le Ve siècle et qu’il est même proposé au lecteur français « Le Livre de la Cour Jaune – classique taoïste des IV et Ve siècles présenté, traduit et annoté par Patrick Carré (Editions du Seuil) (1999) et que l’alchimiste le plus connu en Chine, et en Occident, demeure Ge Hong (Ko Hung) (283 343), l’auteur du Baopuzi (Pao Pu Tseu) qui, lui même, se réfère à une tradition beaucoup plus ancienne.

Les Chinois, pas cartésianistes mais pragmatiques, font remarquer que le métal permet de séparer puis de réunir, comme il sépare l’eau du feu par l’intermédiaire du récipient de cuisson, ce qui permet la production de vapeur. Laquelle est dénommée Qi (en Chine) et Ki au Japon et que l’in traduit simplement par énergie et, par extension, par énergie vitale. Sonc le mouvement initial de la rencontre de l’Eau et du Feu. Au Japon Ka représente le Feu et Mi l’Eau. Les Kami sont donc les « forces essentielles qui animent la nature » et non, comme on le croit ici des « divinités ». Le Shinto (Shen Dao) n’est donc pas la « Voie des Divinités » mais la « Voie des forces qui animent la nature » et par extension l’Etre Humain. Shen représentant une « force spirituelle » (Esprit-Force). Et, pragmatiquement, le Métal sert également à « partager équitablement » donc avec précision. De même le Bois, qui représente l’image-force (Xiang) du végétal, de la croissance, de la régénération est ce qui sert, d’autre part, de combustible. Donc à alimenter le Feu. Il peut être question de bois combustible mais également de bois fossile, comme le charbon, ou de végétal fossile comme le pétrole. Sans combustible pas de combustion, sans combustion pas de feu. Sans Bois pas de Feu. Le Métal et le Bois s’opposent et se complètent dans le processus d’alchimie interne.

Dans la tradition chinoise le Bois représente aussi le vent. C’est le bois qui permet au vent de s’exprimer. On mesure aisément la force du vent aux mouvement des branches sinon des arbres. La « chaussette » , anciennement de soie, des aéroports et des autoroutes n’est qu’une simple amélioration technique et visuelle de ce processus. Qu’en est il alors de l’air ? Toujours pour les pragmatiques Chinois il est omniprésent et représente symboliquement le QI, le « mouvement de l’énergie ou l’énergie du mouvement ».

Pas de feu sans air, pas de bois sans air, pas d’eau sans air, pas de terre sans air. Pourquoi alors le séparer de sa manifestation ? Le Qi est présent dans l’Eau, dans le Bois, dans le Feu, dans la Terre et dans le Métal. Lorsque le Qi n’est plus présent dans le métal, lorsque celui-ci s’immobilise, il s’oxyde, se rouille, se détruit. Le métal est alors occis. Ou Oxy. C’est une simple vérité que même Descartes n’aurait probablement pas démentie. Nos « nouveaux alchimistes » évitent de parler du Métal (ou même du métal) mais ne cessent de l’utiliser dans leurs chaudrons (qui permettent de séparer et de réunir – solve coagula ou spagus agueiren – alchimie latine ou alchimie grecque ou spagyrie), de le citer (mercure, argent, vif argent, or, or philosophal) et, en réalité, ne pensent même qu’à ça. Comment obtenir de l’or !. Certains expliquent que l’or c’est simplement la lumière. Mais dans ce cas il suffirait d’allumer une bougie ou d’appuyer sur le commutateur pour se prétendre alchimiste ! L’Epée flamboyante de Saint Michel (dont l’anagramme est Alchimiste au cas où vous ne l’auriez pas remarqué) n’est pas constituée d’autre chose que d’or et de lumière. Et si on admet que l’or c’est l’o (Eau) et l’r (Air) on retrouve les principes essentiels et substantiels de l’Eau (le Jing) et de l’Air (le Qi). Donc de la fameuse alchimie interne chinoise, quelque peu oubliée par les bateleurs patentés.

Les « Wuxing » représentent le passage entre le monde ordinaire des manifestations et celui, plus subtil, des mouvements de l’énergie ou plutôt des forces qui animent la matière et l’esprit. Le fait d’expliquer ceci ou cela n’implique pas le fait de la réalisation, donc du passage vers le réel, l’action du réel. Des tas de gens, en Occident, connaissent le principe d’Archimède mais n’en n’ont pour autant jamais construit de bateau. Inversement, sur la planète, innombrables sont ceux qui ne connaissent même pars Archimède et encore moins son principe mais qui sont tout à fait capables de construire un bateau qui flotte. C’est le principe de Mimile. Mieux vaut faire que savoir. Sauf que c’est beaucoup moins bien payé. Celui qui sait et qui ne fait rien sera toujours plus apprécié, et donc mieux payé, que celui qui fait mais ne sait pas. Pour les Wuxing il faut faire et également savoir. C’est « pensée-action ». Et même dans certains cas on peut laisser tomber la pensée.

Il ne suffit pas de penser pour être. Etre suffit. Concernant Descartes je ne puis que vous conseiller de lire cet édito où je persiste et je signe qu’il est à l’opposé du cartésianisme primaire.