Les méditations Zuòwàng et Jìngzuò – méditations 3/3

Ceci est le troisième et dernier des 3 articles sur la méditation, écrit par nos amis italien Paolo Raccagni et Yves Kieffer et dont voici la traduction (retrouvez les autres articles en bas de celui-ci).

Dans un récent article publié sur le blog de Paolo Raccagni « La luna e el lago » (Simples méditations taoïstes), j’avais évoqué les concepts de zuòwàng et jìngzuò. Je vais tenter d’apporter quelques informations supplémentaires sur ces sujets.

Zuówàng 坐忘 signifie littéralement « s’asseoir dans l’oubli ». Ce terme se compose de zuò 坐 (asseoir/s’asseoir) et de wàng 忘 (oublier, négliger, abandonner). Le caractère zuò représente deux personnes 人 (rén) assises par terre 土 (tǔ). Le caractère global wàng 忘, contient le radical du cœur 心 (xīn) sous le caractère wàng 亡 (s’échapper, disparaître, mourir, perdre) ; le sens général est « oublier, être (mentalement) absent ». Zuówàng a été traduit de différentes façons: « être/s’asseoir dans un état d’abstraction mentale », « s’oublier soi-même et son environnement », « être libre de préoccupations mondaines ».

Livia Kohn, professeur de religions orientales à l’Université de Boston, remarque que le mot “oubli” se réfère souvent à quelque chose dont nous devrions nous rappeler, donc une activité mentale. Par contre, dans la vision chinoise, il s’agit plutôt d’abandonner tout ce qui touche à l’intention, à la réaction, pour s’unir à l’esprit (shén 神) et être prêt à se fondre avec le Dào (道).

D’un point de vue historique, le terme zuòwàng apparaît pour la première fois dans le Zhuāngzǐ, lors d’un dialogue entre Confucius et son élève Yan Hui:*

Yan Hui dit (à Confucius) : « Hui (Yan Hui utilise son nom au lieu de « je ») progresse. »
« Que veux-tu dire par là ? » demanda Confucius.
« J’oublie la bonté et la justice. »
« C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. »

Un autre jour, Yan Hui revit Confucius et lui dit : « Hui progresse. »
« Que veux-tu dire par là ? »
« J’oublie les rites et la musique. »
« C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. »

Un autre jour encore, Yan Hui revit son maître et lui dit : « Hui progresse. »
« Que veux-tu dire par là ? »
« Je m’assieds et j’oublie tout. »
Confucius rougit et demanda « Qu’entends-tu par s’asseoir et oublier tout? »
« Me dépouiller de mon corps, oblitérer mes sens, quitter toute forme, supprimer toute intelligence, m’unir à ce qui embrasse tout, voilà ce que j’entends par m’asseoir et oublier tout. »
Confucius dit « L’union au grand tout exclut toute particularité, évoluer sans cesse exclut toute fixité. Tu es vraiment un sage! Désormais Qiu (Kǒng qiū 孔丘 étant le nom social de Confucius) te suivra. »
Shi Jing, co-fondateur de la British Taoist Association, résume cette pratique comme suit:
 « Zuòwàng c’est s’asseoir et oublier, oublier ce qui nous est le plus cher: le moi avec toutes ses opinions, ses croyances, ses idéaux. Nous pouvons être tellement absorbés par cette idée du moi que nous ne voyons le monde que comme un lieu où satisfaire nos désirs et nos ambitions personnelles. »

Eva Wong, écrivaine et pratiquante du courant Quánzhēn (全真道, Quánzhēn dào, « La Voie de la Parfaite Complétude » ou « de la Complétude de l’Authentique ») écrit: « Zuòwàng c’est abandonner les concepts, les idées. Lorsque nous laissons tomber les concepts, notre moi naturel, notre esprit céleste apparaissent naturellement. Ils ne nous ont jamais abandonnés, mais nous ne pouvions pas les ressentir parce que nos concepts nous en empêchaient. Ainsi, en pratiquant zuòwàng, nous disons simplement que voici une méthode qui nous permet de commencer à abandonner nos concepts. »

Jìngzuò 靜坐 , littéralement « s’asseoir tranquillement » ou « s’asseoir dans le silence » se réfère à un type de méditation néo-confucéenne proposée par Zhu Xi et Wang Yang Ming. Il s’agit de s’asseoir en croisant les jambes ou en s’agenouillant (comme en seiza japonais) ou encore en s’asseyant sur une chaise, et à réfléchir dans le calme. Wang Yang-ming considérait que « la sagesse doit être recherchée à l’intérieur et qu’il n’y a nul besoin de la chercher dans le monde extérieur. L’examen de soi et l’exploration intérieure suffisent pour acquérir la connaissance véritable et pouvoir atteindre la sagesse. »

Jìngzuò a été remis au goût du jour par Jiang Weiqiao (1873 – 1958), personnage souvent considéré comme le précurseur du Qìgōng (氣功) moderne. Sa méthode consiste à s’asseoir dans le calme, si possible dans un endroit réservé à cette pratique, et de concentrer l’attention sur la respiration dans la zone du dāntián (丹田) inférieur, à la hauteur du point qìhai (氣海). Une fois que l’on a le contrôle total du diaphragme pulmonaire, la respiration est inversée (le diaphragme s’élève en inspiration). La respiration ralentit et s’approfondit. Ensuite une énergie chaude remplit le ventre et se met à monter le long de la colonne vertébrale jusqu’à circuler en boucle autour du tronc.**

Yves Kieffer

* Le dialogue entre Confucius et Yan Hui est tiré en grande partie de PHILOSOPHES TAOÏSTES, paru dans la BIBLIOTHÈQUE DE LA PLÉIADE, pages 136 et 137.

** Cette forme de méditation est décrite en détail dans le livre TAIJI QUAN de Christian Bernapel et Georges Charles, éd. ENCRE.

Sources complémentaires : ENCYCLOPEDIA OF TAOISM et Wikipedia.

 

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Article original à cette adresse :

http://lalunanellago.blogspot.com/2019/12/meditazione-zuowang-ejingzuo.html