Méditation et Yi Jing – méditations 2/3

Ceci est le deuxième des 3 articles sur la méditation, écrit par nos amis italien Paolo Raccagni et Yves Kieffer et dont voici la traduction (retrouvez les autres articles en bas de celui-ci).

En Chine, d’après l’étude et l’interprétation des textes antiques, il existait un rapport direct entre l’écriture et la divination. L’idéogramme wén 文traduit par « écriture, littérature » désigne en particulier les fissures provoquées par de la chaleur appliquée sur la carapace d’une tortue. Par extension, wén indique tout type d’image ou de dessin. A l’aube de la littérature chinoise, les jīng 經étaient les canons, les textes qui rassemblaient tous les « signes » qui permettaient par la suite d’interpréter les oracles. La légende dit que Fu Xi lui-même institua les hexagrammes après avoir observé ces « signes » (wén) du Ciel et de la Terre, qui étaient en quelque sorte les précurseurs de l’écriture.

A l’intérieur de ces jing ou canons, on trouve presque toujours des 符 (symboles, signes), soit les talismans magiques (fúzhòu 符咒) des Taoïstes. A l’origine, le terme indiquait un contrat entre des parties, mais aussi le document qui témoignait de l’engagement pris : une tablette en bois ou en métal qui était ensuite divisée entre les contractants. Avec le temps, ces mêmes jing qui contenaient les diagrammes magiques prirent la même valeur que les et devinrent des talismans à leur tour, des documents qui unissaient – par l’aspect sacré du texte – le Ciel et la Terre, dont l’Homme était le témoin et le médiateur.

Nous pouvons ainsi dire que le Jing 易經, le « Livre des Mutations » est lui-même un « talisman » (puisqu’il contient des , c.-à-d. les hexagrammes) qui permet la communication entre le haut et le bas, entre l’externe et l’interne, mais unissant également ces aspects. Sa condition même de talisman lui procure un caractère « coercitif » par rapport aux divinités interpellées par le postulant, divinités qui seront en quelque sorte obligées par le contrat en cours d’agir en faveur du postulant lui-même.

Le « Livre des Mutations » est tellement riche qu’il est possible de l’aborder de nombreux points de vue ; en tant que texte oraculaire, texte de sagesse, annuaire historique … un ensemble de situations qui englobe la totalité des manifestations. Je vous invite donc ici à « aborder » le Livre des Mutations en tant que support à la méditation.

Deux mots sur le terme « méditer ». Son origine grecque médomai se traduit par « j’ai à l’esprit » ; il a été repris en latin avec meditāri, itératif de medēri « soigner ». La parole « méditation » est composée de deux parties, soit « medit » ((mediūs, médian, centre) et … action ; donc « agir centré ». Méditer, c’est donc en quelque sorte « faire quelque chose », bien que ce « faire » soit plus de l’ordre du non-agir (wúwèi 無爲), du non-agir contre nature ou d’agir en conservant un équilibre parfait avec le Dao.

Ce type de méditation est semblable à la contemplation des phénomènes naturels et se rapproche de la technique dite yuǎnguān (远觀, observer au loin). Elle se réalise en deux phases : une plus externe (waiguan 外觀) qui consiste à contempler l’image dans la structure des traits qui la composent ; l’autre plus interne (neiguan 內觀) qui consiste à intégrer l’image. Lorsque nous regardons l’hexagramme et les trigrammes qui composent ce même hexagramme, nous obtenons une lecture de la réalité (vision externe). Ensuite, nous intégrons cet hexagramme et observons sa mutation (vision interne). Nous pouvons alors espérer nous éveiller à la réalité.

Dans la première partie, adoptons une posture favorable à la méditation. Pour ma part, je m’assieds en croisant les jambes tout en maintenant le tronc « entre Ciel et Terre ». Puisque je les cite, nous pouvons utiliser les hexagrammes relatifs comme support de méditation, soit les hexagrammes Qian ䷀䷀, 1- Elan Créatif, et Kun ䷁, 2 – Elan Réceptif, ou plus simplement les trigrammes Qian ☰, le Ciel et Kun ☷, la Terre. Dans la deuxième partie, nous tentons de visualiser un mortier alchimique dans notre ventre (dantian inférieur), dans lequel nous allons laisser se déposer l’image. Puis, à l’aide du Feu alimenté par notre Souffle Vital ( 氣) nous allons consommer cette image et obtenir une mutation ou transformation, et peut-être même un éveil. Ce type de méditation peut accompagner l’interrogation de l’oracle à travers l’Yi Jing, dans les phases « faire rouler les paroles dans le cœur », « apprécier ce que l’on comprend », « apprécier ce que l’on ne comprend pas ».

Par la suite et avec un peu de pratique, nous pourrons méditer sur l’hexagramme qui nous intéresse. Puisque je viens de citer les deux trigrammes ci-dessus, prenons pour exemple l’hexagramme 12 Pi ䷋- l’Adversité, la Séparation, la Stagnation.

La première phase consiste à comprendre les deux trigrammes (guà 卦) qui forment l’hexagramme et qui déterminent son influence externe. Dans le cas présent, l’hexagramme est formé par la Terre (Kun) en bas et par le Ciel (Qian) en haut. Le Ciel (Yang) se retire vers le haut, la Terre (Yin) descend de plus en plus. Selon la tradition, c’est l’image symbolique attribuée à la Séparation. Vu leurs mouvements, les deux « forces » tendent à se séparer. Par conséquent, la « communication » cesse et l’équilibre se détériore. Les trois traits négatifs (ou doubles) qui constituent l’image partent d’en bas et – sur le plan auquel nous appartenons, soit le visible, la vision extérieure, ils forment la base sur laquelle nous nous posons et sur laquelle la partie supérieure composée de trois traits positifs (ou continus) va pouvoir s’expliquer : la partie inférieure se consumera, la partie supérieure – n’étant plus ancrée à la base – va s’en séparer.

La seconde phase consiste en un cheminement intérieur. Nous allons alimenter le Feu qui brûle dans notre mortier alchimique par l’intermédiaire du Souffle () et consumer l’hexagramme pris en considération ligne par ligne. En continuant à alimenter ce feu, nous allons obtenir une mutation, un autre hexagramme que nous allons ensuite reproduire sous forme d’image sur un support tangible. Si nous continuons avec l’hexagramme 12 Pi, celui-ci pourrait se transformer pour devenir son inverse, soit l’hexagramme 11 Tai , où le Ciel se trouve en bas et la Terre en haut, ce qui est l’image symbolique de la Paix, de la Prospérité. Le Ciel, expression du Yang a tendance à s’élever tandis que la Terre, expression du Yin, a tendance à descendre. Leurs influences se rencontrent et génèrent l’harmonie entre tous les êtres.

La tradition taoïste prévoit des « recettes » ayant pour but la réalisation de l’adepte à travers l’union de ses éléments masculins (Yang) et féminins (Yin) ; la méditation est un moyen pour unir le monde intérieur avec l’extérieur. Nous pourrions parler de macrocosme et de microcosme, qui se traduit dans la réalité par « accorder l’individu à son environnement » (Isabelle Robinet).

Paolo Raccagni

 

Articles de la série :

Article original à cette adresse :

http://lalunanellago.blogspot.com/2019/12/meditazione-e-yi-jing.html