LA GYMNASTIQUE SUEDOISE EST-ELLE NEE EN CHINE ?
Ling a créé la gymnastique suédoise en s’inspirant très largement du « Cong-Fou » tel qu’il fut décrit par le Père Amiot en 1779 ! Une contre-enquête de Georges Charles.
La Gym Suédoise définie par l’Express : le Lycée Papillon !
Au mois de mars dernier en feuilletant le supplément d’un magazine, l’Express Styles, pour ne pas le citer (N°3010 – cahier N°2), j’ai été interpellé par un article « forme » signé Nathalie Helal, ou plutôt « propos recueilles par Nathalie Helal » dont le titre était « Et si on se mettait à la gym suédoise ? »
Avec, en sous-titre « Récemment débarquée en France cette discipline qui mixte danse et mouvements connaît un engouement sans précédent. » Ce qui ne pouvait, évidemment que motiver ma curiosité et titiller quelque peu mon esprit de chercheur en matière de pratiques corporelles.
Je vous ferai évidemment grâce de tout l’article pour en extraire quelques morceaux choisis.
» Danser et se muscler en s’amusant, sans prédisposition aucune, tels sont les principes de ce sport, nouveau phénomène urbain lancé, dès la fin du XIXe siècle par des kinés. (…) Concentré de plusieurs disciplines, la gym suédoise est une succession d’exercices variés, effectués debout et en musique (aussi bien sur du jazz que sur du hip-hop) mais sans chorégraphie (…) et pourtant on n’utilise ni appareil, ni barres, ni accessoires. Un tapis permet d’adoucir les mouvements au sol. On se la joue cool. Comme les salles sont issues du réseau associatif on ne se prend pas au sérieux. Le professeur, le plus souvent un bénévole, de positionne le plus souvent non en face mais au milieu des participants. Résultat l’échange et le coaching sont constants. Les prix sont raisonnables (…) rien à voir avec les « usines à gym » qui facturent « salé ».
– suivent quelques adresses et un mail qui est le site de la Fédération Française de Gym Suédoise –
Ouf, on est tout à coup très rassuré car il ne s’agit, bien évidemment pas de gymnastique suédoise, avec ou sans majuscules, mais bel et bien de Gym Suédoise avec majuscules, appellation probablement déposée ou faisant l’objet d’un copyright.
Heureusement car autrement cela aurait irrémédiablement fait penser aux fameux cancres du Lycée Papillon de Georgius sur la musique de Juel. Si, si, souvenez-vous
« Vercingétorix né sous Louis Philippe battit les Chinois un soir à Roncevaux, c’est lui qui lança la mode des slips et pour ça mourut sur un échafaud, Monsieur l’inspecteur on sait tout ça par cœur, on n’est pas des imbéciles, on a même de l’instruction au Lycée Papa, au Lycé Papa, au Lycée Papillon ».
Passons sur « la Normandie où coule la Moselle, capitale Béziers et chef lieu Toulon… ». Nous voilà donc parfaitement informés et nous remercions chaleureusement l’Express de sa sollicitude bienveillante en accueillant en son sein des journalistes qui effectuent un travail de synthèse aussi remarquable.
On se croirait presque dans le rapport MILVITUDE, c’est tout dire.
Une sérieuse mise à l’heure s’impose !
Le fameux « phénomène urbain lancé, dès la fin du XIXeme, par des kinés » est, probablement cette gymnastique suédoise dont Pehr Henrik Ling (1776 1839) se proclame fondateur, sinon « inventeur ». Il eut, évidemment, des précurseurs, des émules, des disciples, des successeurs et même quelque détracteurs parmi les uns et les autres. Mais nous y reviendrons. Il eut même un disciple français, le Dr Philippe Tissié, qui passe, officiellement ou peu s’en faut, pour avoir introduit cette pratique en France en 1898. Pour les historiens du sport précisons que « La gymnastique à la maison à la chambre et au jardin suivant le méthode suédoise » par E.Angerstein – docteur en médecine – et G. Ekler -professeur en gymnastique – fut publié par la Librairie J. Baillère et fils, Paris en 1892. et qu’il fut même précédé par « Du massage – son histoire ses manipulations -« par J. Estradère docteur en médecine de la Faculté de Paris aux Editions Delahaye et Crosnier Place de l’Ecole de Médecine Paris publié en 1884 et qui traite également de la gymnastique suédoise puisqu’il dénonce Ling comme s’étant directement inspiré des pratiques chinoises décrites par la Père Amiot.
La planche originale de la gymnastique suédoise de Ling (P.H. Ling Schriffen über Leibesûbungen von HF Massmann Magdebourg 1847) Soins et Techiques du corps en Chine en Inde et au Japon par Pierre Huard et Ming Wong Berg 1971.
La planche du » Daoyintu » (Gymnastique du Tao)Tombe N°3 de la Duchesse de Dai – Mawangdui 194 Av. J.C. Toute ressemblance ne serait que pure coincidence !
C’est probablement pour cela qu’ils sont tous les deux passés sous silence. Tissié ne fit donc que suivre le mouvement sans se poser de question, ce qui rassure les commentateurs sportifs. Quant aux « kinés » il est bon de rappeler que cette dénomination de « masseur-kinésithérapeute » fait son apparition officielle dans la Loi du 30 avril 1946 (N° 46 858) puisque avant il était question, toujours officiellement, suivant la Loi du 13 août 1942 de « masseur médical et de moniteur de gymnastique médicale ».
En réalité c’est la fusion entre deux syndicats qui provoque la nouvelle dénomination de « kiné » qui sera donc à la fois ET masseur médical ET moniteur de gymnastique médicale. Kinésithérapie signifiant littéralement « ce qui soigne par le mouvement ». Les masseurs-kinésithérapeutes, les « kinés », sont donc des masseurs (et masseuses !) qui, depuis 1945, soignent par le mouvement. Il demeure à la loi de définir ce qu’est un masseur, donc ce qu’est un massage, et ce qu’est un mouvement qui soigne. Comme souvent c’est une loi « votée » par le Maréchal Pétain pendant le régime de Vichy qui sera rapidement ripolinisée à la Libération. Le s « Kinés » échappant de peu à la collaboration et devenant ainsi résistants, mais quand même directement placés sous la tutelle directe des médecins et de leur Ordre, lui-même établi le 24 septembre 1945 sur les bases de celui du 7 octobre 1940. Un coup de pinceau de plus.
Mais il s’agit bien évidemment d’un « nouvel ordre » et ceci sans le moindre jeu de mot. Les « kinés » de la fin du XIXeme « lançant ce phénomène urbain » qu’est la Gym Suédoise n’est donc qu’une simple image « pédagogique » pour les lectrices et lecteurs de l’Express qui souffriraient d’une maladie dégénérative des neurones probablement liée à un régime hypo-sodé et hypo-lypidique généralement préconisé dans les rubriques « forme ». Sans sel ni gras le cerveau, en effet, fonctionne très mal. Mais ça c’est de la « diffusion très restreinte ».
Pour l’histoire de la kinési : cliquer ici
Notons au passage que les gouvernements autoritaires, sinon totalitaires, qui ne veulent que notre bien, aiment assez tout contrôler, tout réglementer, tout organiser, tout structurer, tout enrégimenter et que leurs successeurs, fussent-ils démocratiques, ne s’en plaignent pas puisqu’ils récupèrent généralement l’eau du bain et le bébé sans trop se faire prier.
Pour la Gym « récemment débarquée en France » on repassera. Le sympathique « Manuel de gymnastique rationnelle et pratique – Méthode suédoise » – de Soleirol de Serves – Médecin Gymnaste et Professeur de gymnastique suédoise au Lycée de jeunes filles de Versailles – (4eme Edition revue et corrigée) publié en 1919 par Masson, un éditeur encore bien connu, publie plusieurs planches de cette même gymnastique suédoise avec la mention « Vue prise dans un lycée de l’Académie de Paris ».
Le manuel de Gymnastique rationnelle et pratique – méthode suédoise – Par M. Soleirol de Serves Professeur de gymnastique au lycée de Versailles 1919
Légende : Vue prise dans un Lycée de l’Académie de Paris (1919) Et il s’agit de la quatrième édition ! En fait il s’agit du Lycée de Filles de Versailles.
Notre journaliste aura au moins manqué trois débarquements. Dans les années 1900 plusieurs lycées, comme celui de Bergerac, indiqueront avec fierté sur leur fronton « Gymnastique et Hydrothérapie » comme quoi il n’y a de nouveau que ce qui a été oublié.
Le fronton du Lycée de Bergerac à gauche GYMNASTIQUE : au centre COLLEGE HENRI IV à droite HYDROTHERAPIE
A l’époque ce n’est pas un phénomène urbain mais du sérieux et du scolaire ! La gymnastique suédoise fut même la gymnastique officielle du Bataillon de Joinville ! Avant d’être remplacée juste avant la première guerre mondiale par le « Plateau Hébert » ou Hébertisme jugée plus « martiale ». On imagine les militaires du dit Bataillon « se la jouant cool » au rythme du Jazz ou du Hip-Hop ! Et leurs instructeurs « ne se prenant pas au sérieux ».
On se croirait maintenant dans le « Soldat Rose » ! Evitons de parler des agrès, planches, cordes, espaliers caractéristiques de la gymnastique suédoise puisque tout cela a gentiment été mis chez Emmaüs par les « professeurs bénévoles issus du milieu associatif ». Il faut savoir se renouveler. Mais alors, Bon Dieu, pourquoi récupérer ce terme de Gym(nastique) Suédoise ? Nous aimerions avoir l’avis de la Fédération sur ce sujet. D’autant plus que nous adorons les Fédérations, surtout les Fédérations Françaises. C’est ce F.F. qui rassure. On imagine les Jeeps, les brassards, les tondeuses. Enfin tout ce qui rentre dans la légitimité retrouvée ou reconstruite.
Et c’est presque gratuit, puisqu’on vous le dit, et pas des usines puisque seulement 50 000 personnes, toujours suivant l’article en question, seraient concernées ! Une question demeure posée puisqu’il est question, au départ « d’exercices variés effectués debout » puis, un peu après d’un « tapis qui permet d’adoucir les mouvements au sol ». Alors debout ou couché la Gym Suédoise ? Ou dans d’autres positions ? On se demande par ailleurs si les « fédéraux » ont lu cet article. Si c’est le cas ils ont probablement du résilier leur abonnement et sortir affublés d’un faux nez pour pas qu’on les reconnaisse. Il est vrai que le ridicule ne tue plus. Mais comme il est dit « comme c’est issu du réseau associatif on ne se prend pas au sérieux » C’est un peu ce qu’on se disait, aussi. C’est pour de rire. Et on s’est bien marrés. Espérons que les responsables associatifs et les bénévoles qui ont encore une certaine idée de la Loi de 1901 le feront aussi. Par contre les termes « coaching » et « bénévolat » ne nous semblent pas toujours aller de pair.
Et on imagine, en effet, que le « professeur » situé en face de ses élèves soit de nature à compromettre la bonne tenue du cours par un excès de rigorisme petit-bourgeois. Pourquoi, alors utiliser ce terme de « professeur » ? Ah oui, on oubliait qu’il est « bien souvent bénévole ». Nous on appelle ça un pote sympa qui s’y colle pour se la jouer cool sans se prendre au sérieux dans un nouveau phénomène urbain. Et ça il y en a plein qui se remuent pas mal dans les rues de nos banlieues et qui ne sont pas Suédois ni gymnastes !
Mais revenons à la gymnastique suédoise
Elle est attribuée à un Suédois né à Ljunga, en Suéde, en 1776. Pehr Henrick Ling
Pehr Henrik Ling (1776 1839) « inventeur » de la gymnastique suédoise
Comme Descartes c’est un autodidacte écrivain et poète qui gagne sa vie en tant que Maître d’Armes. Il exerce à l’Université de Lund puis à l’Ecole Militaire de Karlsberg de 1817 à 1825. Il est passionné de mythologie nordique et probablement par le culte, également nordique et germanique, lié au corps qui devrait être celui de Baalder ou de Siegfried.
Il se fait connaître en développant une méthode de gymnastique également utilisée comme instrument thérapeutique. Il est alors question de « gymnastique médicale et orthopédique suédoise » puis de « massage et gymnastique médicale suédoise ».
Ling n’écrit pas de texte mais publie des planches (voir plus haut), affichées sur les lieux de pratique, qui seront reprises par ses successeurs dont son fils Hjalmar et ses élèves Liedbeck, Georgii, Dally et Massmann. Ce dernier publie un ouvrage complet (P.H. Ling Schriffen über Leibesübungen) à Magdebourg en1847.
La méthode suédoise de Ling connut un grand succès et il compta plusieurs « disciples » comme Jahn à Berlin, Amoros à Paris, Clian en suisse qui permirent de la développer à l’étranger. Certains lui reprochèrent déjà de s’être largement inspiré d’un certain Nachtigall (1777 1847) lui-même élève de l’Allemand Guths-Muts, et fondateur de la méthode danoise.
Mais ce fut Bernadotte, le Roi de Suède, qui lui permit en 1814 de prendre la direction de l’Institut Royal de Gymnastique de Stockholm où il finit de mettre au point son système. Celui-ci se basait sur quatre branches principales :
- – La gymnastique pédagogique
- – La gymnastique militaire
- – La gymnastique médicale
- – La gymnastique esthétique.
Il utilise bien évidemment des exercices effectués en solo, mais également des exercices effectués avec l’aide et le concours d’un partenaire ainsi que ce qui deviendra particulier à toutes les salles de gymnastique européennes à savoir des agrès, des espaliers, des planches, des bancs et des tapis individuels et collectifs.
La salle de Gymnastique Suedoise décrite par les DR A. Wide et G.Falk de l’université de Stockholm – Bruxelles 1913 – page IX
Bien entendu il s’agit de gymnastique médicale et orthopédique suédoise et non de Gym Suédoise ! Et de l’Université de Stockholm.
Mais plus spécifiquement dans le cadre de la gymnastique médicale ou mécanique. Seule la branche de gymnastique esthétique possède quelques lointains rapports avec la danse mais, justement, dans l’aspect chorégraphique d’enchaînements codifiés. Pierre Huard et Ming Wong dans « Soins et techniques du corps en Chine en Inde et au Japon » Editions Berg, rappellent, page 51(version 15 février 1971) que « D’après Boigey, si Ling a droit a la couronne du poète romantique, il est plus discutable dans ses idées éducatives, publiées seulement après sa mort. Quoi qu’il en soit il a eu le mérite de créer une école toujours vivace qui a formé des élèves dans toute l’Europe » Ces mêmes auteurs, à la même page, lèvent également un drôle de lièvre en écrivant »On a reproché à Ling de s’être inspiré de Nachtigall, de Jahn, de Clias et même de la gymnastique taoïste révélée à l’Europe par le R.P. Amiot. N. Dally à comparé son œuvre au vase royal de Dresde, le splendide vase chinois, avec ses figures chinoises, revêtues de teintes européennes »
Mais évidemment comme l’un des auteurs est visiblement chinois il convient peut-être de se méfier de cette troublante révélation qui échappe encore aux historiens du sport occidental. Ce serait en effet quelque peu dérangeant que celui que l’on donne comme le « fondateur » de la gymnastique moderne occidentale se soit inspiré des chinois et de leur gymnastique. Puisque la filiation s’établit habituellement comme suit : gymnastique suédoise, hébertisme, olympisme de notre cher Baron de Coubertin. Connaissant le penchant affirmé de celui-ci pour la supériorité de la race blanche ce serait donc une assez mauvaise nouvelle pour le sport français et, partant, occidental.
Et une petite contre-enquête pour en savoir un peu plus
C’est muni de cette information étrange que je rencontrai, dans les années soixante dix, le Docteur A. de Sambucy. Il me fut présenté par deux de ses élèves, Franck et Tania Gilly, qui devinrent ostéopathes de la première génération, et qui étaient, également mes élèves et auxquels j’enseignais la fameuse « gymnastique taoïste » que j’avais étudié, entre autres, sous la direction de Wang Tse Ming (Wang zemin ou Tai Ming Wong). De Sambucy était un sacré personnage qui disait et surtout écrivait tout haut ce que d’autres n’osent pas même penser tout bas.
Il dirigeait, en pataugas, une école de formation de kinésithérapeutes qui, déjà, commençaient à se tourner vers l’ostéopathie. Résistant dans le maquis il n’en aimait pas moins proclamer qu’il appréciait les statues de Arno Brecker et les grands espaces nordiques. Il serait, actuellement, parfaitement infréquentable. Mais à l’époque c’était un « ponte » de tout ce qui avait attrait à la science, et à l’histoire, du corps. Il fut tout d’abord très étonné d’apprendre que quelqu’un enseignait cette fameuse gymnastique taoïste, ici, en France. Et il m’invita à en faire une démonstration. Une invitation qui ne se refuse pas. Après celle-ci il ne tenait plus sur place et me fit jurer de continuer à transmettre cet « héritage » sans la moindre concession. Et il m’offrit les deux tomes de « Pour comprendre le Yoga – synthèse orient-occident Analyse du Kong-Fou » aux Editions Dangles (1973) qu’il venait de publier.
Sur la couverture je reconnus immédiatement les figures du « Cong-fou des Bonzes de Tao-Ssé », donc de la gymnastique taoïste, du RP Amiot. Ces planches, qui furent également publiées par Henri Maspéro dans « Le taoïsme et les religions chinoises » NRF Gallimard (1971) dans le chapitre « la gymnastique Daoyin » (pages 578 à 588), constituaient cet héritage cité par Huard et Ming Wong. Mais De Sambucy n’était pas Chinois et, dans sa conclusion partielle du tome 1 écrivait lui aussi et sans ambages :
« Ces mouvements ont, en bonne partie, donné naissance à la suédoise accroupie de Ling (1810). (…) Voilà l’origine de la fameuse gymnastique suédoise, elle vient du trésor traditionnel de l’humanité. J’ai toujours un sourire amusé (et indulgent) en apprenant que quelqu’un à inventé une nouvelle gymnastique…Inventé ? «
Pour comprendre le Yoga…et le Kong-Fou ! Ouvrage en deux tomes de De Sambucy (Dangles 1973)
La conclusion partielle de De Sambucy où il est question de Ling (page 362)
Et nous eûmes une assez longue conversation sur ce sujet particulier et sur celui, plus général, des inventeurs. Ayant effectué quelques études de droit je fis remarquer à Sambucy que, juridiquement, l’inventeur est celui qui « découvre quelque chose ». Or, on ne découvre que ce qui a été recouvert donc occulté.
L’inventeur d’un trésor, terme juridique désignant celui qui le découvre, ne fait qu’exhumer celui-ci et, ce faisant, le met à la lumière. Ling a donc forgé la gymnastique suédoise après avoir « inventé » donc découvert la gymnastique taoïste. Le seul inconvénient est qu’il ne l’a pas dit et qu’il passe donc pour ce qu’il n’est pas, le créateur de cette gymnastique suédoise qui serait en fait, et surtout en pratique, sino-suédoise. Cela m’a donc incité à rechercher les sources plus anciennes encore de cette accusation et, peu à peu, je les ai accumulées.
Il ne s’agit donc pas de science fiction mais de faits et d’écrits qui lèvent sur ce sujet un voile bien pudique. Mais qui, bien évidemment, ne franchiront jamais la Ligne Maginot de l’histoire « officielle » du sport en France tant celle-ci est sclérosée par les descendants zélés et putatifs du Baron Coubertin qui était assez actif dans ce domaine. Rappelons simplement que si sa phrase la plus connue est « L’important c’est de participer » il expliquait aussi « Les races sont de valeurs différentes et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance » – cité par Amnesty International dans « football et racisme ». Il est donc normal, dans cet esprit, que les Chinois fassent allégeance à Ling ! Circulez, il n’y a rien à voir ! Ou plutôt comme on dit maintenant dans la Police : « Restez pas statiques ! »
Et quelques documents qui ne laissent aucun doute
Il est facile de prétendre qu’il est facile d’affirmer n’importe quoi. Malheureusement les écrits publiés restent et il sera difficile de faire l’impasse sur ceux-ci !
Le Mémoire concernant l’histoire des Chinois et la notice de Amiot sur le Cong-Fou (1779) Tout d’abord à tout seigneur tout honneur puisqu’il s’agit du « Mémoire concernant l’histoire des Chinois par les Missionnaires de Pékin Tome IV » Publié à Paris chez Nyon, Libraire rue Jean de Beauvais vis à vil le collège M DCC LXXIX (1779). Avec Approbation et Privillège du Roi. Ce tome IV comporte la notice sur le Cong-Fou du Révérent Père Amiot et les planches décrivant celui-ci.
De gauche a droite : La couverture
Le Révérent Père Marie Joseph Amiot de la Compagnie de Jésus
La fameuse notice sur le Cong-Fou du Père Amiot (1779)
Et l’une des planches originales du Cong-Fou des Bonzes de Tao-Sse publiée par le Père Amiot en 1779.
C’est donc la « source-mère » de ce fameux « Cong-Fou des Bonzes de Tao-Ssè » dont il sera souvent question par la suite. Il est intéressant de constater que dans la page publiée ici l’indicatio des postures est la même que pour la gymnastique suédoise de Ling : « Il y a trois postures principales 1/ debout 2/assis 3/couché (et Amiot ajoute sur les genoux). Le commentaire « Nous ne craignons pas de le dire, en réunissant toutes les postures et attitudes des comédiens, des danseurs, des sauteurs et des figures académiques, on n’aurait pas la moitié de selles qu’ont imaginées les Tao-Ssè. Les différentes manières de raidir et de plier, d’élever et d’abaisser, de courber et d’étendre forment seules des attitudes prodigieusement variées ». Et Amiot donne une excellente définition du Cong-Fou (Cf Kung Fu ou Gongfu) qu’on nommerait plus volontiers aujourd’hui Qigong :
» Le Cong-fou consiste en deux choses : dans la posture du corps et dans la manière de respirer »
Notons pour la petite histoire que le « Cong-Fou » (Kung Fu) fut donc connu en occident bien avant les pratiques japonaises et qu’il ne dépend donc pas du Karaté !
Du Massage, son historique ses manipulations par J. Estradère Paris Delahaye 1884
Un siècle plus tard c’est le Professeur J. Estradère, Docteur en Médecine de la faculté de Paris
Le Massage par J. Estradère Paris 1884
Qui rappelle le rôle de Ling mais surtout qui reprend les affirmations de Georgii et de Dally, disciples de ce dernier, quant à l’origine réelle de la gymnastique suédoise. En traitant de Amiot (page 44)
» Voyez avec quelle sainte sollicitude il s’exprimait en 1779 (donc dans le Mémoire cité plus haut) après avoir péniblement traduit le « Cong-Fou des Bonzes de Tao-Ssè », inséré dans les mémoires sur les Chinois » :
» Le Cong-Fou a réellement tous les caractères d’une antique méthode scientifique. Cette assertion curieuse est appuyée de raisons qui nous ont fait imaginer de proposer aux physiciens et aux médecins de l’Europe d’examiner si la partie médicale du Cong-Fou des Tao-Ssè est réellement une pratique de médecine dont on peut tirer parti pour le soulagement et la guérison de quelques maladies. Si cela était nous nous croirions bien dédommagés de la peine que nous avons eu à nous mettre au fait d’une matière aussi ennuyeuse pour une personne de notre état et si étrangère à nos études et à nos occupations. Nous fussions nous trompé dans nos conjectures, nous ne croirions pas avoir à rougir d’une méprise qu’on ne doit imputer qu’à notre sensibilité aux maux qui affligent la vie des hommes et à notre amour pour la patrie «
Voilà qui est dit.
Pour les sceptiques le texte d’Estradère concernant Ling et le Gymnastique du Tao pages 44 et 45 – Du massage Paris Editions Delahaye 1884 –
En n’oubliant pas que le Révérent Père Amiot écrit ces lignes en pleine période de la « Querelle des Rites » où tout ce qui est chinois n’a pas bonne presse, c’est le moins qu’on puisse dire, au Vatican. Son appel ne sera que très peu entendu, sauf par Ling qui, grâce à cette description on ne peut plus précise de la pratique de la gymnastique des bonzes taoïstes, créera plus tard la gymnastique suédoise. C’est d’ailleurs Estradère qui enfonce le clou à la page suivante (45) Lisez bien !
« Beaucoup répondirent à cet appel, Ling, le premier, créa sa gymnastique sur ce modèle car ainsi que l’ont reconnu par une comparaison attentive et sévère mais juste M. Bérend et tout récemment M. Dally, la gymnastique de Ling n’a pas le mérite d’une nouveauté ; elle est écrite dans le Cong-Fou. Les mémoires sur les Chinois, envoyés par le père Amiot et les autres missionnaires eurent un grand retentissement en Europe, et il est impossible que Ling n’en eut pas connaissance. Ling n’a pas mentionné la gymnastique des Chinois ; c’est un oubli ; mais Ling n’a pas eu la témérité de penser qu’il était l’auteur d’une école. Et cependant il est bon nombre d’écrivains qui ne dédaignent pas à chaque page de leurs écrits de s’extasier devant le grand œuvre de Ling. Ling n’a pas créé une méthode : Ling n’a fait que rationaliser ce qui est en pratique depuis bien des siècles en Chine. Pourquoi s’obstiner à lui attribuer le mérite d’une invention ? »
Et Estradère, toujours à la même page consacre, si l’on peut dire, quelques lignes à la gymnastique suédoise !
« Je ne m’étendrai pas d’avantage sur la gymnastique suédoise ; ce serait sortir de mon sujet que de venir prouver ici que tous les mouvements que Ling a indiqué sont décrits dans le Cong-Fou des Tao-Ssè ».
Et il enfonce un dernier clou, mais de belle taille :
« Je ne citerai qu’un dernier mot de Dally « La doctrine de Ling (cynésiologie folio 155) toute entière n’est qu’une sorte de décalque daguerréotype du Cong-Fou des Tao-Ssè ; c’est le vase royal de Dresde, le splendide vase chinois avec ses figures chinoises revêtues de teintes européennes «
Estradère n’est pas un amateur puisqu’il cite, page 48, le San Tsai Tou Hoei
« Publié à la fin du seizième siècle on y trouve une collection de gravures représentant des figures anatomiques et des exercices gymnastiques. Parmi ces exercices figurent les frictions, les pressions les percussions, les vibration, la massage en un mot et beaucoup d’autres mouvements passifs (…) L’étude du massage chez les Chinois m’a amené à parler de Ling et de la gymnastique suédoise. Celle-ci a donné naissance aux gymnastiques allemande et anglaise… »
Mais le Doyen Réveil lui reprochera de de défendre une mauvaise cause en persistant de confondre « superstitions indigènes et science médicale » Estradère sera muté de la Faculté de Médecine de Paris à l’établissement thermal de Bagnères de Luchon où il pourra continuer ses coupables activités !
Et persister d’affirmer que Ling n’a pas créé la gymnastique suédoise.
Il aurait mieux fait de la fermer.
« Manuel pratique de massage » par le Dr G. Berne Editeur JB Baillière et fils Paris (1914)
Le massage par le DR Georges Berne Paris Baillière 1914 Mais il s’agit ici d’une cinquième édition !
Berne est moins prolixe mais non moins efficace.
D’une part il donne une définition du Cong-Fou qui est un modèle du genre : »
Le Cong-Fou est l’exposé d’une méthode thérapeutique qui consiste en trois parties A/ une partie comprend les diverses positions du corps B/ une partie partie indique l’art de varier les postures C/ la troisième explique comment pendant la durée de ces positions et de ces attitudes, le patient doit respirer ».
Le texte de Berne concernant Ling et les planches reproduites du « Cong-Fou »
Le texte de Berne concernant Ling et la gymnastique suédoise
Et une autre planche de Berne sur le « Cong-Fou » qui a inspiré Ling
Toute ressemblance avec le Tao-Yin (daoyin) est une coïncidence ! Un exercice de gymnastique suédoise. Les pratiquants du Tao-Yin apprécieront. En photo le Professeur Rodolphe, adepte de la gymnastique suédoise. On le retrouve en dessous
Et les planches de la gymnastique suédoise décrite par Ling Non, non il ne s’agit pas de la « croissance du Yang » ni de « poing de la clarté ». A droite : « Exercices de Santé du Kung-Fu » par Georges Charles Editions Albin Michel Paris 1983 – Grande purification des Cinq Eléments et des Quatre Saisons de l’Ecole de la Clarté du Joyau Ecarlate (Ling Pao Ming)
Ici Ling signifie « écarlate, merveilleur, extraordinnaire » et n’a aucun rapport avec Pehr Henrik Ling ! Dans cet ouvrage, toujours disponible, j’explique déjà les rapports existants entre Ling, la gymnastique suédoise et le « Kung-Fu » donc la « gymnastique du Tao » (pages 55 et 56) Et je reprends et élargis cette explication dans « Traité d’Energie Vitale » (Editions Encre).
Ensuite il propose dans son ouvrage, très bien reproduites, les fameuses planches du « Cong-Fou des Bonzes de Tao-Ssè » du Père Amiot ce que n’avait pas fait Estradère. Concernant Ling il est également direct, simple, concis (page 13) »En Suède Pehr Henrik Ling, né en 1776, contribua à rappeler l’art de la gymnastique. En 1813 il obtient la création de l’Institut Central de Gymnastique de Stockholm, dont il fut nommé directeur. C’est surtout la gymnastique médicale qui fut de la part de Ling l’objet d’études spéciales.
Le système de Ling est absolument semblable à celui des Tao-Sse, mais il est moins complet. Son mérite est d’avoir remis en honneur une méthode thérapeutique absolument abandonnée depuis des milliers d’années ». Si ce dernier point peut être discuté puisque sa description en Europe date du dix huitième siècle et fut même une « curiosité de salon » à la Cour de Versailles et que le Tao-Yin (donc le Cong-Fou des Tao-Sse) continuait à y être pratiqué chez les Praticiens du Tao (Tao Kia ou Daojia) du Lingbaoming (Ling Pao – Joyau Ecarlate – ) du Maochan (Montagne de la Longévité ) et du Jindan (Pilule d’Or ou Cinabre d’Or) ses conclusions rejoignent les précédentes.
Et quelques planches de plus
La gymnastique rationnelle et pratique méthode suédoise ce n’est pas tout à fait la Gym Suédoise !
Exercices de gymnastique suédoise pour les enfants la marche – Soleirol de Serves – Paris 1919 – Exercice à deux Ce qui peut rappeler quelque choses aux pratiquants de Yiquan, de Dachengquan et de San Yiquan !
Et pour les jeunes filles de la gymnastique suédoise avec un bâton « La gymnastique suédoise à la maison à la chambre et au jardin » Par E. Angerstein – docteur en médecine et G. Ekler – professeur de gymnastique Paris Baillière et fils Paris 1892
Mais également pour les jeunes gens « La méthode danoise du bâton » par le Capitaine J.P. Jespersen Jul. Gjellerups Copenhague et Librairie Maloine Paris (1948) A quand la Gym Danoise ?
« Le traitement manuel suédois » par Michel Dentz Librairie Octave Doin Paris 1927 C’est évidemment un traité de massage mais qui comporte un important chapitre sur la « gymnastique corrective médicale suédoise » Donc sur la gymnastique suédoise.
Les exercices de Dentz On retrouve les grands classiques de la gymnastique suédoise. Donc du « Cong-fou » et même du Tao-Yin ou Daoyin et par extension le Do In !
Les positions fondamentales de la gymnastique suédoise On y retrouve, très étrangement, les principes exact décrits par Amiot dans les positions essentielles. Comme dans le texte de Amiot la posture à genoux est séparée des autres. Edifiant, non ?
Encore un petit coup de bâton ?
Et un moulinet aux haltères ? « Gymnastique suédoise à la maison, à la chambre, au jardin » Angerstein et Ekler Paris 1892 Si c’est pas du « Cong-Fou » c’est quoi ?
En conclusion probablement provisoire
Soit il s’agit d’une conspiration sournoise de Dally, Georgii, Bérend, Estradère, Berne, Wide, Zander, Huard et Wong et De Sambucy contre Ling et sa fameuse gymnastique suédoise, soit d’un fait qu’il convient d’examiner avec une certaine attention. Il convient alors de me placer parmi les conspirateurs puisque j’ai « inventé », suivant la conception juridique, donc découvert, ou redécouvert, ces textes qui ont bien été publiés et qui sont toujours visibles. Mais que les historiens du sport ne lisent pas puisqu’ils s’en foutent comme de l’an quarante.
En précisant que j’ai déjà rappelé ces faits dans plusieurs de mes ouvrages (Exercices de santé du Kung-Fu chez Albin Michel (1983) ; Traité d’Energie Vitale chez Encre ; Le Rituel du Dragon au Chariot d’or ; dans le site des Arts Classiques du Tao ; dans celui de Génération Tao et dans plus d’une vingtaine d’articles parus dans la presse « spécialisée ». Sans parler des hors séries, monographies et autres guides de santé de bien-être. Ce qui fait déjà pas mal sur ce sujet assez particulier mais qui semble en passe de devenir un « phénomène urbain » ! Du moins sous sa forme Gym Suédoise.
Je remercie donc l’Express de m’avoir donné l’envie d’en rajouter une couche. Et j’en suis un peu désolé pour celles et ceux qui se sont fait mener dans le bateau de l’info people pré-emballée. Et qui vont, je l’espère, se poser quelques questions. Mais l’important, en fait, c’est de bouger. Donc circulez puisqu’il est interdit de stationner.
Et n’oublions pas, une fois encore, de remercier le Père Amiot qui n’en demandait pas tant.
Le Père Jean Joseph Marie Amiot (1718 1793) arriva à Pékin le 21 août 1751 Il fut personnellement accueilli par l’Empereur Kien Long. De par ses travaux de recherche publiées sur le « Cong-Fou » il fut le créateur involontaire et méconnu de la gymnastique suédoise. Il fut donc celui qui introduisit cette pratique en Europe et elle fut même pratiquée à la Cour de Louis XV . Il fut également le premier occidental à traduire les « Treize Articles » de Sunzi que l’on nomme ici « L’art de la guerre » de Sun Tzu. Par un étrange mimétisme il finit par ressembler à Confucius ce qui impressionnait les Chinois qui le nommaient le « Mandarin Céleste ».
Note de Georges Charles sur le « Cong-Fou »
Ces divers auteurs utilisent le terme Cong-Fou qui s’écrit actuellement Kung-fu et qui devrait d’ailleurs, en transcription Pinyin Zimu puisqu’il s’agit de la transcription officielle des caractères chinois en langue occidentale, s’écrire gungfu.
Précisons que lorsqu’il s’agit de l’Art « Martial » le terme précis est Kung-Fu Wushu (ou gungfu wushu). Il ne s’agit donc pas d’un contresens puisque le Kung-Fu Wushu, commme le Taijiquan (Tai Chi Chuan), par ailleurs, englobe également des parties gymniques préparatoires, donc de la gymnastique « chinoise ».
Nous n’en voulons dont aucunement à la Gym Suédoise qui semble, au demeurant, une pratique fort sympathique et conviviale. Donc actuelle. Et qui, quelque part, est un cousin à la fois proche et lointain. Mais il était bon de « rendre aux mots leurs justes valeurs » comme le demandait Confucius il y a plus de deux millénaires. C’est simplement une question de « bon sens ».
Et de respect mutuel.
Et en cadeau bonus
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