L’héroïque bataille de Neufchâtel, mai 1940

Par Georges Charles

Cet article  fait  le  pendant avec celui  que j’ai  publié,  il y a peu, sur le monument de  la bataille d’Abbeville, surmonté d’un drapeau européen, et  comportant bon nombre de  contre-vérités et d’illogismes, caractéristiques de notre époque.
https://tao-yin.fr/la-bataille-dabbeville-ou-lhistoire-reecrite-dans-du-beton/

Je sais que l’on va me reprocher que ce type d’article n’a rien à faire avec  les Arts Classiques du Tao « où il convient simplement de regarder son bras monter lentement avec  un sourire intérieur énigmatique pour que tout aille bien ou mieux ou moins mal. » Mais  je  vous rappelle que le respect ancestral fait  partie de  la tradition du Tao et que se couper de ses  racines n’est pas la chose  la plus  intelligente qui soit. Au vu du monument d’Abbeville, on se rend  compte que le « devoir de mémoire » ne sert qu’à  instrumenter un système économico-politique qui est déjà  programmé de longue date au détriment même  de notre histoire. Et de notre liberté.

Depuis plusieurs années l’Association Opale Bunker History m’invite à participer à la reconstitution d’un camp allié et à un défilé  de véhicules militaires d’époque à l’occasion de la commémoration du 8 mai 1945 et de la victoire des Alliés et de la France Libre sur  les troupes d’occupation nazies. En réalité la capitulation sans conditions des forces armées allemandes a eu lieu à Reims, le 7 mai 1945 à 2H41 du matin. Bien qu’un général soviétique ait signé  l’acte de reddition, Ivan Sousloparov, que le général Walter Bedel-Smith pour les troupes alliées, le général français François Sevez aient également signé alors que du côté allemand ce fut le général Alfred Jodl, Joseph Staline exigera que la  capitulation « officielle » ait  lieu le  8 mai  à  Berlin.  Et  ce fut cette  date qui fut retenue. La France ne lui convenant visiblement pas.
Cette année je suis donc intervenu deux  fois, le  8 mai pour fleurir la stèle commémorative de mon grand-père, Georges Charles, résistant d’avant le première heure, située devant  son domicile, rue des Allées et rappeler brièvement son histoire.
Et le 12 mais pour un discours, publié plus bas, sur la place de Neufchatel où eurent lieu les principaux combats, le 22 mai 1940. J’essaie  d’y expliquer les faits militaires  mais  aussi le contexte plus général de la situation assez catastrophique de cette « Campagne  de France » qui se  solda par une défaite retentissante  et l’occupation d’une bonne partie de la France.

Le discours de Georges Charles le 12 mai 2024 à Neufchâtel-Hardelot en hommage à « L’héroïque Bataille »  du 22 mai 1940 :

Georges Charles lit le discours qu’il a rédigé. Les trois maires, de Neufchatel-Hardelot, de Nesles, de Dannes. Jacky Lemaître, Présidant de Opale Bunker History et la Relève avec le Drapeau Français. Photo MicheL Mémoire  d’Opale mai 2024.

« Nous sommes présents, pour célébrer ce que certains historiens, comme Henri de Wailly, ont nommé l’héroïque bataille. Elle a eu lieu, ici même, fin mai 1940 mais a été occultée par deux autre batailles plus connues, l’encerclement des armées françaises et britanniques à Dunkerque et la bataille d’Abbeville où est intervenu le Colonel De Gaulle. On a souvent donné une image de l’armée française en débâcle. Où elle était équipée et surtout commandée, elle a su réagir et donner du fil à retordre à l’armée allemande. On oublie qu’il y a eu plus de morts en trois semaines pendant cette campagne de France qu’en quatre mois à Verdun. Les Chasseurs Alpins face aux troupes de Mussolini dans les Alpes, les Cadets de Saumur défendant avec succès les ponts de la Loire, les chars à Stonne, près de Sedan, à Montcornet, les troupes coloniales à Airaines n’ont pas démérité. Loin de là. Mais le cinéma nous offre le spectacle désolant de la 7eme Compagnie qui ne mérite que par ses acteurs.

Mais venons en à cette héroïque bataille.

 

« Au petit matin du mercredi 22 mai 1940 deux trains s’arrêtent en gare de Neufchâtel. Après un voyage d’une cinquantaine d’heures des hommes en descendent. Il s’agit de l’État Major et de la compagnie de commandement et servitudes du 48eme Régiment d’Infanterie de Guingamp commandé par le Lieutenant-Colonel Tanguy Le Gentil de Rosmorduc. Un authentique Baron de Bretagne. L’essentiel du régiment est demeuré bloqué à Blessy et à Witernesse dans le nord du Pas de Calais à proximité de Saint Omer, où il combattra le 23 mai avec de nombreuses pertes, près de quatre-vingts hommes.  Du deuxième train descend la Première Batterie du 35eme Régiment d’Artillerie sous le commandement du capitaine Enjourbault ainsi que des éléments du 65e Régiment d‘Infanterie. Presque tous des Bretons. Certains ajoutent durs comme le granit. Mais malheureusement sous-équipés. Seulement quatre canons de 75. Une arme magnifique mais déjà bien dépassée. Son point fort est un tir tendu à cadence rapide effectué grâce au frein de recul hydraulique. Qui a été malheureusement été livré aux Autrichiens lors de la fameuse affaire Dreyfus. Et que les Allemands ont immédiatement adapté sur les canons de 77 et 88. Ces canons de 88, utilisés normalement pour la DCA, décimeront les chars lourds de de Gaulle à Abbeville. Quatre canons de 25 qui ont quand même un peu de mal à percer les blindages des Panzers. Et deux mitrailleuses anti-aériennes de 25 qui se révéleront, quand même, très efficaces. Donc une troupe disparate et incomplète. La fameuse compagnie de commandement et servitude du 48e Régiment d’Infanterie se compose principalement de secrétaires, de comptables, de mécaniciens, de cuisiniers, d’armuriers, de fourriers…qui n’ont pour la plupart jamais tenu une arme et encore moins subi l’épreuve du feu. Mais qui accompliront leur devoir d’une façon exemplaire en faisant face à l’ennemi. Trois régiments incomplets et mal équipés contre une armée ennemie en marche qui écrase tout sur son passage. Leur première mission est d’aider les nombreux réfugiés qui encombrent les routes et les rues à circuler pour dégager le terrain. Ce qui s’effectue non sans peine. Puis de prendre position en dressant quelques obstacles souvent dérisoires face à des chars mais qui vont les obliger à manœuvrer et à présenter le flanc, plus vulnérable. Le colonel de Rosmorduc, présent partout, galvanise ses hommes. De fausses informations circulent : « Ce sont les Anglais qui vont venir nous aider ». On entend le grondement des moteurs et le crissement des chenilles. Le sol tremble. Malheureusement ce sont les Allemands de la colonne de reconnaissance des troupes du Colonel Von Prittwitz de la 2eme division blindée qui s’approchent avec trente chars Panzer, un bataillon d’infanterie motorisé et un groupe d’artillerie. Une troupe conséquente et très bien équipée et motivée.  A douze heures trente la colonne de chars arrive par la route de Frencq. Les Allemands ne s’attendent pas à rencontrer de résistance. Le chef du premier char debout dans sa tourelle est abattu d’une balle en pleine tête par un habitant posté à sa fenêtre, la colonne s’immobilise puis se disperse et tente de pénétrer en ville par la rue Corne. Un combat acharné commence. Les Allemands sont surpris d’autant plus que plusieurs chars sont touchés par les canons français. Mais ils ripostent tuant plusieurs défenseurs. L’adjudant, Goyat, chef de section, se précipite pour servir le canon de 25 dont les deux serveurs ont été tués. Il tombe à son tour sous le feu allemand au milieu de la chaussée. Un Panzer passe sur son corps comme pour se venger de l’affront. Le 7 juin 40 un sort semblable sera réservé au Capitaine Charles N’Tchaoré, des troupes coloniales, à Airaines et les Allemands interdiront que l’on ramasse son corps. Sur la route de Boulogne deux autres chars sont stoppés au canon et à la grenade. Un troisième prend un coup direct d’un canon de 25 mais le calibre est insuffisant pour le détruire. Le char repère le canon et ouvre le feu, tuant ses serveurs. Les combats font rage et le sol est jonché de cadavres et de blessés des deux camps. Un sous-officier Breton est également écrasé par les chars. Après un moment de surprise les Allemands se ressaisissent et, surtout, reçoivent des renforts. Les noyaux de résistance finissent par être détruits les uns après les autres. De nombreux hommes, sous-officiers et officiers finissent par succomber, souvent par faute de munitions. Le capitaine Enjourbault est tué. Mais également le lieutenant Volnat, le brigadier Ruffier, les maréchaux des logis Loquemuse et Nicole ainsi que leurs hommes. A dix-sept heures, après un combat qui aura duré près de six heures, les Allemands sont maîtres des lieux mais déplorent la perte de neuf chars et de plusieurs véhicules blindés. Ils ne donneront jamais le nombre de leurs morts mais celui-ci est conséquent. Rosmorduc refuse de se rendre et avec une vingtaine d’hommes il décide de franchir les lignes allemandes, de passer par la forêt d’Hardelot pour gagner Boulogne et pour reprendre le combat. Ils ne disposaient plus, au total, que de 65 cartouches et d’armes légères. On dénombre huit civils tués pendant les combats. Les Allemands enterrent leurs morts et les villageois les Bretons. Par la suite plusieurs citations seront décernées. Le Capitaine Enjourbault et le Sous-Lieutenant Volnat seront promus au titre de Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. L’adjudant Goyat recevra la médaille militaire également à titre posthume. Le Lieutenant-Colonel Gentil de Rosmorduc sera promu général de brigade. Les rescapés des combats ayant pu rejoindre Boulogne seront envoyés à Dunkerque pour couvrir l’évacuation du corps expéditionnaire britannique, tâche qu’ils assumeront jusqu’au bout en subissant, encore, de lourdes pertes.
Leur sacrifice permettra aux Britanniques de rembarquer la totalité de leurs troupes vers l’Angleterre grâce au dévouement et au courage de nombreux capitaines civils qui ont mis leurs bateaux et leurs équipage au service de l’opération « Dynamo » qui permettra de rapatrier près de 340 000 hommes, qui pourrons ainsi, plus tard, reprendre le combat.


Churchill, lui-même, avait pu reprendre cette formule « Des lions menés par des ânes »… « Lions led by donkeys »… Malheureusement les lions se sont fait tuer sur place et les ânes ont filé à Bordeaux pour pouvoir continuer à braire. Un proverbe chinois affirme « Lorsque l’âne se contente de braire il effraye même le tigre ». Le magasine allemand Der Spiegel en 1967 publie la liste officielle des 1471 appareils allemands abattus par la chasse française dont 535 Me 109, 195 Me 110, 412 bombardiers dont les fameux Stukas et 329 avions de reconnaissance et de transport. De notre côté, on ne sait pour quelle raison, on évoque mille appareils puis 355. Pourquoi ? Il fallait trouver un responsable et il est toujours plus facile d’incriminer le militaire que le politique. Et le soldat de base plutôt que le haut commandement.

Il convient donc de rendre hommage à ces hommes qui se sont bien battus et qui, souvent, on fait le sacrifice de leur vie. C’était le cas, ici à Neufchâtel-Hardelot. Le cimetière accueille les tombes de plusieurs aviateurs britanniques tués en effectuant leur mission au-dessus du Pas de Calais à cette même époque puis plus tard.

Mon grand-père, Georges Charles, dont l’historien Jean Marie Fossier rappelle qu’il faisait, dès 1938, partie du SIS (Secret Intelligence Service) Britannique, en recueillera plusieurs qui seront soignés, cachés, nourris à Neufchâtel et convoyés jusqu’à la ligne de démarcation d’où ils pourront rejoindre l’Espagne puis l’Angleterre pour reprendre le combat. Je suis toujours en relation avec le fils de l’un d’eux. Georges Charles continuera à fournir des informations aux Britanniques et à la Résistance Française, notamment sur les bunkers de la Côte, et les sites de V1 et V2, mais il sera « balancé », comme Jean Moulin, et fusillé le 16 janvier 1944 au Fort de Bondues près de Lille. Son fils Lionel, donc mon père, permettra aux Canadiens de prendre le Fort de Boulogne et sa garnison allemande sans qu’un seul coup de feu soit tiré en leur indiquant un passage secret que son père connaissait. C’est donc avec fierté que je les représente aujourd’hui parmi vous et que je remercie Opale Bunker et son Président Jacky Lemaître, ainsi que Madame le Maire, qui ont permis d’ériger une plaque commémorative devant son ancien domicile. »
« Nous devons notre liberté à des hommes qui ne plient pas, ne s’agenouillent pas, ne se soumettent pas » Winston Churchill. »

G.C le 12 mai 2024.

Cette cérémonie et  ce  discours ont  été suivis par un vin d’honneur à  la Salle des Fêtes de Neufchâtel et d’une remise des Médailles du Travail le tout animé par l’ orchestre  de l’École de Musique, formation très dynamique et  sympathique.

Pages concernant Georges Charles FFL , héro  de  la résistance
https://tao-yin.fr/hommage-a-georges-charles-heros-de-resistance-maj/

Le site de Opale Bunker History :

http://opalebunkerhistory.free.fr/heroique_bataille_2491.htm