Reportage au temple de la terre à Pekin
par Shawei LES VRAIS FAUX RITES DU NOUVEL AN CHINOIS :
L’entrée du Temple de la Terre à Pékin
Les guides français sur Pékin ne lui consacrent en général que très peu de lignes, beaucoup moins en tout cas que pour le temple du ciel. De celui-ci, il en est pourtant le complément nécessaire et non moins important. En effet, dans l’ancienne cosmogonie chinoise, comme il n’y a pas de yang sans yin, de soleil sans lune, de ciel sans terre, il n’y a donc pas de temple du ciel (tiantan) sans temple de la terre (ditan). Le visiteur étranger passionné de Chine ancienne accordera donc autant d’importance à ce site qu’à tous les autres nombreux sites historiques de Pékin qui constrastent tellement avec la modernité de la capitale chinoise.
L’observateur de la Chine contemporaine qui se rend au temple de la terre au moment des festivités du nouvel an y découvre une des foires les plus animées de l’année et n’est pas sans se poser quelques questions sur l’atmosphère faussement sacrée ou vraiment artificielle de ce qui s’y passe… Il pourra ainsi chaque année assister à une reconstitution du rituel sacrificiel de l’empereur en l’honneur de la divinité de la terre telle qu’elle s’est déroulée pendant des siècles sous les dynasties Ming et Qing.
Voilà donc pour se mettre dans l’ambiance un petit historique du temple de la terre de Pékin avec des vrais photos du faux rituel sacrificiel ayant eu lieu le 28 janvier 2006 !
Le temple de la terre fut construit en 1530. Le site principal du temple de la terre est la cour de l’autel sacrificiel. Celle-ci est de forme carré et fait face au sud. En effet, le temple de la terre est structuré en conformité avec l’ancienne conception selon laquelle le ciel est rond et bleu, la terre carré et jaune, le sud représente le ciel et le nord la terre, le sud représente le positif et le nord le négatif, le dragon est assimilé au ciel et le phénix à la terre. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a aucune représentation de dragons au temple de la terre, seulement des représentations de phénix.
L’esplanade du Temple de la Terre lieu du Rituel annuel
Le temple de la terre est un temple de sacrifice où les empereurs des dynasties Ming et Qing faisaient leurs offrandes à la divinité de la terre chaque année à l’équinoxe d’été. Par sa superficie, c’est le plus grand temple de sacrifice pour la divinité de la terre de la Chine.
Les sacrifices ont commencé en Chine dans la nuit des temps et nous ont laissé une histoire écrite de plus de 3000 ans. Jadis, beaucoup de phénomènes naturels ne pouvaient être expliqués comme la naissance et la vieillesse, la maladie et la mort, les catastrophes du feu et de l’eau. Les gens n’avaient pas de connaissances ou d’idées claires sur la façon dont ces choses survenaient. Ils croyaient ainsi que toutes les choses dans le monde dépendaient de l’arrangement et de la manipulation du ciel et de la terre ainsi que des divinités. La seule solution était donc de prier pour la bénédiction du pouvoir divin, consistant dans le ciel impérial et la divinité de la terre. Ceux-ci décidaient tout dans le monde humain. Voilà pourquoi les sacrifices étaient nécessaires. Sous la dynastie des Zhou il y a 3000 ans, un système rituel de sacrifice au ciel et à la terre existaient déjà, connu sous le nom « rites de la dynastie des Zhou ». Reprenant le système des « rites des Zhou », les empereurs des dynasties Ming et Qing venaient tôt le matin à chaque solstice d’été pour faire des offrandes à la divinité impériale de la terre, aux divinités des 5 montagnes sacrées, aux 5 collines divines, aux 4 mers et aux 4 rivières ainsi qu’aux tablettes des divinités et des ancêtres.
Durant les dynasties Ming et Qing, il y avait 45 sacrifices par an dont celui pour la divinité de la terre au moment du solstice d’été qui était d’une grande ampleur. Ainsi, quand l’Empereur venait au temple de la terre, une grande garde d’honneur constituée de plus de 2000 personnes était mobilisée pour la parade, ce qui se faisait aussi pour le temple du ciel.
Le défilé des Gardes impériaux (la coiuleur jaune de la ceinture symbolise l’Empereur)
Trois jours avant la cérémonie du sacrifice, l’empereur, les princes et les officiers qui y prendront part, devaient mener une vie de privation. Selon les règles, pendant trois jours ils ne devaient pas s’occuper d’affaires criminelles, ne devaient participer à aucun banquet, ne boire aucun alcool, ne manger aucune viande, ne faire d’offrande à aucune divinité, ne se rendre sur aucune tombe, ne rendre visite à aucun malade ou mort, n’écouter aucune musique et n’avoir aucune relation sexuelle.
Beaucoup de préparations devaient être faites avant le début du sacrifice dont les principales étaient : faire tenir prêts 290 cuisiniers et serveurs, nettoyer l’intérieur et l’extérieur de l’autel ainsi que la cour intérieure, tuer le veau, le cochon et le mouton en guise d’offrandes, préparer la table des encens, les ustensiles de sacrifice et les instruments de musique…
Les animaux du sacrifice rituel … adieu veau, cochon, mouton !
L’empereur devait arriver à l’intérieur du temple de la terre avant l’aurore, se reposer, mettre sa robe jaune et finalement monter sur l’esplanade de l’autel pour la cérémonie.
« L’Empereur » dans sa tenue de cérémonie
La cérémonie était quelque peu compliquée et comprenait au total 9 formes. A chaque forme, l’empereur devait se mettre à genoux 3 fois et se prosterner 9 fois devant la tablette divine de la divinité de la terre. Ainsi cela signifie que l’empereur devait se mettre à genoux et se prosterner pendant environ 2 heures. Mais c’était souvent trop pour l’empereur et en général il envoyait un de ses princes ou un de ses fils pour le remplacer.
Agenouillements et prosternations
Quand la dynastie Qing fut renversée pendant la révolution de 1911, le rite sacrificiel à la divinité de la terre fut interrompu et le temple de la terre cessa donc d’être un temple de sacrifice. Mais en réalité bien avant cela, à la fin de la dynastie Qing, le sacrifice à la divinité de la terre était déjà délaissé par les empereurs.
En 1923, un grave tremblement de terre survint au Japon à Tokyo . Pour porter secours aux victimes de la catastrophe, l’empereur déchu Pu Yi rouvrit alors le temple de la terre en vendant des tickets d’entrée.
Il en est ainsi de même aujourd’hui pour tous les sites historiques de Chine. La moindre visite d’un temple, d’un parc ou de tout endroit connu constitue une part non négligeable du budget d’un touriste chinois ou étranger !
La veille du nouvel an, le temple de la terre et son spectacle de faux sacrifice attire ainsi les foules curieuses, sous la surveillance de soldats et la bienveillance du phénix…
La foule et un garde plus actuel que les gardes impériaux. Le brassard est rouge !
Si les sacrifices réels n’existent bien sur plus en Chine aujourd’hui, au moment du nouvel an, les Chinois se ruent en effet dans les différents temples pour faire quelques offrandes sous forme de fruits et pour faire brûler de l’encens. Il en coutera alors un minimum de 20 yuans pour acheter de l’encens, ce qui n’est pas vraiment bon marché… A l’heure de la marchandisation à l’extrème de la société chinoise, c’est comme si les reconstitutions de rituels anciens, sous un régime communiste, républicain et athé, jouaient encore dans l’esprit des Chinois un certain rôle, sait-on jamais !
La table des encens
Le culte impérial n’empèche pas les baskets à trois bandes !
L’indispensable encens. Notez le nombre impair des bâtons !
Mais une fois le rituel de la prière à la divinité de la terre effectuée, il s’agit de passer à un autre rituel contrastant avec la privation de l’empereur et de ses princes lors des anciennes cérémonies sacrificielles : celui de manger ! Ainsi peut-on s’arrêter à de multiples stands pour se restaurer de brochettes aux goûts divers et variés.
Et la non moins indispensable bouffe de tous les horizons de Chine !
Une fois le ventre bien rempli, le visiteur étranger, ayant assisté au temple de la terre à de fausses cérémonies auxquelles les Chinois semblent pourtant croire vraiment, en aura peut-être perdu son chinois ! Il pourra alors méditer sur l’origine du caractère classique yi traduit par rites composé du caractère yang désignant le mouton, celui qu’on mène à l’autel du sacrifice, et du caractère wo, signifiant moi et représentant deux hallebardes affrontées. L’interprétation de Lucien Tenenbaum dans son livre Ecrire, parler, soigner en chinois paru aux éditions You-Feng révèle ainsi que le caractère yi :
« rappelle que le mouton sacrifié sur l’autel du bien collectif vient apaiser le fracas des hallebardes dans lequel s’affirme les individus, les clans, tous ceux qui se groupent sous le même nom, totem ou ancètre. Une convention, scellée après un conflit par un sacrifice, donc un rite, vient rétablir la concorde »(p. 85)
Ce caractère désigne ainsi plus précisément la conduite socialement juste mais contient paradoxalement une autre signification : faux ou factice. Nous voilà donc guère plus avancés…
Le visiteur du temple de la terre au moment des festivités du nouvel an, restant donc quelque peu perplexe devant ces faux-vrais rites, pourra malgré tout se rassurer en allant regarder du… « vrai Qigong »… (photos réalisées sans trucage)
Et une démonstration de « vrai » Qigong !