Wang Yang Ming
Un ancêtre quelque peu encombrant !
Lorsque Wang Tse Ming (Wang Zeming), disciple direct de Wang Hsiang Chai (Wang Xiangzhai), et qui transmit la filiation de l’Ecole San Yi Chuan (Sanyiquan ou » Poing des Trois Harmonies « ) à Georges Charles, fut contraint, en 1949, de quitter précipitamment la Chine ce ne fut pas en raison de ses activités personnelles mais simplement parce qu’il était le descendant de Wang Yang Ming (Wang Yangming ou Wang Shuren) (1472 1529) un mandarin philosophe, homme d’action et réformateur, ayant vécu sous la dynastie Ming.
Wang Yang Ming (1472 1529)
Mandarin, philosophe, homme d’action
Ancêtre de Wang Tse Ming (Wang Zemin)
Ce simple fait lui valut d’être activement recherché par la police politique du nouveau régime et il apprit que sa tête avait été mise à prix comme celle d’autres descendants de cet illustre ancêtre qu’il avait le tort d’honorer dans l’Autel familial des ancêtres. La famille de Wang Tse Ming était, en effet, originaire de Yueh qui se trouvait dans le district Yu-Yao situé au sud-est de Hangzhou (Hangcheou) dans le Zhejiang (Che Kiang).
Cet endroit bénéficiait déjà d’une grande célébrité puisqu’il se situait à immédiate proximité du tombeau et du temple de Yue Fei (Yao Fei) (1103 1142), le » Général Patriote Protecteur des Frontières « , l’un des héros les plus célèbres de la Chine. Hangzhou avait été, en effet, la capitale impériale des Song du Sud et bon nombre de grandes familles s’étaient fixées dans ses environs immédiats où elles entretenaient des domaines.
C’est dans l’un d’eux que le treizième jour du neuvième mois de la huitième année de Cheng Hua (1472) naquit Wang Yang Ming, de son nom privé Wang Shou Jen (Wang Shouren), également nommé Po An. A cette époque, la famille Wang honorait déjà la mémoire d’un célèbre ancêtre, Wang Hsi Chih (Wang Cixi) (321 379), calligraphe réputé ayant été ministre à la cour de l’Empereur Hsiao Wu Ti. Le père de Wang Yang Ming, Wang Hua Tsing, était, de son coté, ministre à Nanjing (Nankin) et avait été titré » Mandarin Erudit « , l’un des titres officiels les plus enviés récompensant les hauts fonctionnaires impériaux, en 1481.
La mère du jeune homme mourut lorsqu’il avait treize ans et il suivit donc son père dans ses activités mandarinales. En 1491, lorsqu’il avait dix huit ans, juste après s’être marié avec Mademoiselle Chu, la fille du Conseiller d’Etat, il rendit visite à Lou Liang (1422 1491), un savant taoïste très réputé qui accepta de l’initier et dont il fut le dernier disciple. Celui-ci lui transmit, notamment, l’oeuvre complète du philosophe Chu Hsi (Zhu Xi) (1130 1200) fondateur de l’Ecole du Principe Rationnel (Li Xue). Pour celui-ci » L’Esprit (Shen) ne peut exister que si il y a combinaison et harmonie entre le Souffle (Qi) (énergie vitale) et le Principe (Li) « . Cette unité de l’Esprit et du Principe était également prônée par Lu Jiuyan (Liu Xiangshan) (1139 1199), le fondateur de l’Ecole de l’Etude du Coeur (Xinxue) (Coeur en tant que formateur de l’Esprit. » Xin (Coeur)est ce qui engendre Shen (Esprit) « .
» L’Univers est le Coeur de mon Esprit et mon Coeur est l’Univers ! « . On retrouve ce principe dans les enseignements essentiels du Fondateur de l’Aïkido, Morihei Ueshiba O Sensei. Mais il est vrai que Wang Yangming est très connu et étudié au Japon sous le nom de O Yomei. Cette rencontre avec Lu Jiuyan influença très profondément Wang Yang Ming qui chercha à l’approfondir toute sa vie durant. Lorsqu’il choisit un nom pour son Ecole, beaucoup plus tard et après une illumination, il utilisera simplement celui de Xinxue… » Etude du coeur-esprit » aussi traduit par » Pureté du Coeur « .
Parallèlement Wang Yang Ming se passionnait pour » l’art militaire » (Wushu) et la stratégie. Très jeune ils réussit brillamment les examens officiels puisqu’en 1492 il était déjà diplômé du Mandarinat au niveau de la province.
Ce qu’il confirma en 1493 et 1496 où il reçut un titre officiel du Mandarinat Impérial
En 1499, à seulement vingt huit ans, il réussit l’examen impérial le plus élevé et obtint, à la seconde place pour tout l’empire, le titre envié de » Savant Reconnu « .
Wang Yang Ming – un philosophe en action
Une carrière bien remplie… d’honneurs et de disgrâces
Portrait officiel de Wang Yang Ming (1472 1529)
Mandarin, philosophe, homme d’action Il entreprit alors une carrière officielle bien remplie mais émaillée de coups d’éclats qui ne lui valurent pas que des amitiés.
Il tenta, ainsi, de réformer en profondeur tant le système carcéral que celui des examens officiels.
Son souci de justice et d’équité lui valut de nombreuses mutations.
Il se spécialisa dans la révisions des procès et fit libérer bon nombre d’innocents puis condamner leurs détracteurs. En 1506 il s’en prit à l’eunuque Liu Chin qui, profitant de son pouvoir, avait fait jeter en prison un policier, Tai Hsien, qui enquêtait sur la corruption… puis ceux qui avaient voulu le défendre.
Le policier fut libéré mais l’eunuque réussit à convaincre l’empereur de faire administrer quarante coups de bâton à Wang qui fut, en outre, contraint de s’exiler dans le Guizhou (Kouei-Chou).
L’eunuque Liu tenta alors de le faire assassiner plusieurs fois et Wang ne dut la vie sauve qu’à sa compétence dans l’art du combat. Il fut même contraint, alors qu’il était cerné par les sbires de Liu, de simuler un suicide en jetant ses vêtements dans une rivière.
Cet épisode eut la conséquence d’affaiblir sa santé car, depuis celui-ci, Wang eut toujours de graves problèmes pulmonaires… il était resté plusieurs heures jusqu’à la tombée de la nuit dans l’eau glacée. Sans moyens Wang n’en continua pas moins ses activités mandarinales. Cette situation difficile tant sur un plan matériel que moral renforça sa volonté et en 1508, il eut une illumination où il eut une la vision globale d’une unité fondamentale entre la pensée et l’action unissant la terre, le ciel et les dix mille êtres.
Après une année de réflexion il décida de transmettre cette doctrine de l’unité du savoir et de l’action dans la » pureté du cœur » (Xinxue). Il réunit plusieurs disciples avec l’aide de l’académicien Jo Shui (1466 1560) et décida alors de clarifier et de répandre ce qu’il considérait comme la véritable doctrine de Konzi (Confucius) ce qui lui valut à cette doctrine la dénomination de » néo-confucianisme idéaliste » dont il devine, naturellement, le chef de file. En 1510, l’eunuque Liu étant décédé Wang fut réhabilité et nommé magistrat instructeur à Lu ling dans le Jiangsu (Kiangsi).
Il reprit alors une carrière mandarinale officielle qui le mena à Nanjing (Nankin) puis à Beijing (Pékin) où il devint le » Maître Supérieur des Cérémonies d’Etat « . C’est lors d’un de ses voyages de retour sur ses terres de Yue que furent rédigées, par l’un de ses disciples Hsu Ai (1487 1517), les » Instructions pour la vie pratique « .
Pendant deux années de séjour à Nanjing (Nankin) sa réputation ne cessa de grandir et il compta parmi ses disciples plusieurs de ses supérieurs hiérarchiques. Par la suite il rédigea lui-même les » Questions sur la Grande Etude » (Daxue Wen) qui demeure son texte majeur. Il proposait une nouvelle lecture du texte de Kongi (Confucius), dépoussiéré des formules toutes faites et proposa de revenir aux anciennes versions du texte classique.
Ce qui ne fut pas du goût de tout le monde.
C’est à cette époque qu’il commença à critiquer ouvertement la » boutique de Confucius » (Kongzi Dianzhu) qui servait à cautionner le pouvoir des corrompus. Il est à signaler que cette expression imagée fut reprise par les étudiants de la Place Tian Amen en 1989. Preuve que l’enseignement de Wang n’a pas été perdu pour tout le monde. Comme il devenait probablement gênant, on lui proposa, en 1517, un nouveau poste aux confins du Guangxi (Kiangsi) et du Guangdong (Kwantung) où sévissaient des hordes armées. Il réorganisa les forces armées et mit en place des milices paysannes après avoir recruté les experts locaux de l’art du combat.
En cinq mois la situation était redevenue normale.
Non content de cela il décida de réhabiliter les anciens bandits et de les transformer en » nouveaux citoyens » en leur confiant la sécurité de la province… Cette réussite lui valut des félicitations de l’empereur lui-même.
Pour le remercier il prit son fils adoptif à sa charge en tant qu’officier lui allouant les revenus de cent familles et un titre héréditaire.
Wang Yang Ming le pacificateur-réformateur sans peur et sans reproche
Wang Yang Ming : un mandarin réformateur Wang Yang Ming institua la première convention communautaire instituant l’autonomie administrative de ces provinces ce qui le rendit très populaire dans tout le sud de la Chine.
Cette fameuse convention est toujours en usage actuellement et plus que jamais revendiquée par les provinces de la Chine du Sud. Par la suite, Wang Yang Ming fut mandaté pour rétablir la paix dans les provinces du Fujian (Fukien) et du Jiangxi (Kiangsi) où il parvint à capturer le Prince Ning, le neveu de l’empereur, qui était entré en rébellion. Cela valut à Wang Yang Ming de nouveaux honneurs et il fut nommé gouverneur du Jiangxi où il mit en œuvre de nouvelle réformes qui, à leur tour, finirent par porter ombrage à d’importants personnages particulièrement corrompus.
Wang Yang Ming retomba, une fois de plus, en disgrâce vis à vis de la cour impériale et l’un de ses disciples Chi Yuan Heng , accusé de trahison, fut emprisonné et torturé. Il mourut cinq jours après avoir été innocenté et relâché.
Le nouvel empereur Chia Ching conseillé par ses favoris qui exécraient Wang décida de le mettre à la retraite forcée dans son fief de Yueh. Il attribua à Wang le titre de Comte de Hsin Chien, une récompense de mille pécules de riz pour trois générations et un certificat exemptant tous ses descendants d’une punition criminelle. De 1521 à 1527 Wang Yang Ming se retira donc à Yue. Cela lui permit de continuer à transmettre sa fameuse doctrine et à accueillir des partisans de plus en plus nombreux et enthousiastes.
On vint de toute la Chine pour profiter de son enseignement… des lettrés, des savants, des militaires, des fonctionnaires en retraite se pressaient pour suivre son cours magistral qui, certains jours, comptait plus de cent personnes.
Ses détracteurs à la cour se rendirent compte que cette retraite forcée avait encore affermi sa réputation et son audience. Wang Yang Ming était en train de rédiger son » Enquête sur le Grand Enseignement » qui dénonçait le détournement de la pensée et des écrits de Confucius au » profit du pouvoir et pour le pouvoir du profit » lorsqu’il fut officiellement mandaté pour aller réprimer une révolte à Nan An dans le Kiangsi.
Il emmena avec lui deux de ses disciples Wang Chi et Chien Te Hung qui travaillaient sur sa » Doctrine des Quatre Axiomes » et, comme d’habitude, il pacifia la région et rétablit, en sus de l’ordre, le droit. Il ouvrit plusieurs collèges et institutions sociales.
Mais sur le chemin du retour, pris d’un coup de froid, il mourut à proximité de Nan An le vingt neuvième jour du onzième mois de la septième année de Chia Ching soit le 10 janvier 1529. Profitant de ce fait, ses adversaires firent immédiatement supprimer ses privilèges héréditaires et interdire son enseignement.Ses disciples furent pourchassés et parfois condamnés pour propagation de thèses hérétiques et non respect des anciennes traditions.
Wang Yang Ming réhabilité par l’Empereur
Une réhabilitation sans précédent en Chine… impériale
Wang Yang Ming est l’un des quatre philosophes qui a sa stèle dans le Temple de Confucius à Qufu. Ce ne sera qu’en 1567, soit trente huit ans après la mort de Wang Yang Ming, que l’empereur Lung Ching le réhabilitera officiellement lui restituant son titre familial héréditaire et l’élevant à celui de Marquis de Hsin Chen avec la distinction rarissime de Wen Cheng (Achèvement de la Culture). En 1584 fut publié un décret impérial par lequel il était décidé qu’on offrirait chaque année, et pour l’éternité, un sacrifice à Wang Yang Ming dans le Temple de Confucius… Pendant toute la dynastie Ming, de 1368 à 1644, cet honneur ne fut rendu qu’à quatre personnes. Ce faisant l’empereur lui-même concédait, enfin, l’importance de Wang Yang Ming tant pour l’histoire de la Chine que pour la pensée chinoise.
Pour en savoir plus sur Wang Yang Ming
Portrait de Wang Yang Ming – Dynastie des Ming
Si on excepte un important paragraphe consacré à Wang Yang Ming par Anne CHENG dans » Histoire de la Pensée Chinoise » publié aux Editions du Seuil en 1997 et qui le cite abondamment tout en lui restituant la place qui lui convient dans cette » Pensée Chinoise » il n’existe, malheureusement, aucune traduction en langue française de l’œuvre de Wang Yang Ming. On est donc contraint de se satisfaire soit de l’édition chinoise moderne des œuvres complètes de Wang Yang Ming : Wang Yangming Quanji, Shanghaï Guji Chubanshe (1992)
Soit des éditions en langue anglaise que constituent les traductions annotées de Wing Tsit Chan : » Instructions for practical living and others neo-confucian writings by Wang Yang Ming » publiées au Columbia University Press ainsi que » The Philosophical letters of Wang Wang Ming » translated and annotated by Julia Ching et publiées par University of South Carolina Press Columbia, South Carolina.
Il est à noter qu’une partie de l’enseignement privé de Wang Yang Ming, transmis de génération en génération au sein de sa famille, est toujours contenue dans la transmission et dans la pratique de l’Ecole Sanyiquan qui revendique ce patrimoine historique et culturel qui lui fut léguée par Wang Tse Ming.
Nul n’est prophète en son pays Wang Yang Ming est plus connu au Japon qu’en Chine
Mais sous le nom de O’Yomei !
Wang Yang Ming et ses disiples – groupe monumental en bronze à Taiwan Le mandarin, philosophe et homme d’action Wang Yang Ming (Wang Yangming, Wang Shou Jen, Wang Shouren, Po An) (1472 1529) demeure encore assez méconnu de nombreux Chinois et à plus forte raison de la plupart des Occidentaux qui, pourtant, étudient la pensée et l’histoire de la Chine. Paradoxalement Wang Yang Ming est, actuellement, toujours très cité au Japon et en Corée où il demeure encore un modèle.
Il est vrai que de grands auteurs japonais comme I. Nitobe auteur de » Bushido Soul of Japan » (Kodansha) ; M. Shibata traducteur du » Kojiki « , du » Gorin No Sho » (Maisonneuve) ; Y. Mishima auteur de » Confession d’un masque » et du » Rêve dans le Pavillon d’Or » ; J. Tanizaki auteur de » La vie secrète du Seigneur de Musashi » (Gallimard) le citent abondamment dans leurs divers ouvrages. Dans sa préface de » La vie secrète du Seigneur de Musashi « , Tanizaki, afin de justifier la démarche de son roman, précise : » Wang Shou Jen a écrit : » Il est facile de vaincre des bandits tapis dans la montagne, mais il est difficile d’écraser l’ennemi caché dans notre coeur » .
Il est de fait que son souci de justice et d’équité (Yi), sa rectitude (Zheng) personnelle, sa volonté d’acier, sa croyance dans un idéal universel en faisaient un modèle particulièrement cher au coeur de tous ceux qui ne souffraient pas la compromission avec la corruption généralisée du pouvoir politicien. Sa formule célèbre
» Connaissance et action ne font qu’un «
et sa » Doctrine en quatre axiomes » :
» Bien et Mal ne se trouvent pas dans la substance originelle de l’Esprit « . » Bien et Mal apparaissent seulement quand s’active l’Intention « . » Bien et Mal se reconnaissent cependant grâce à la faculté du Savoir Inné « . » Bien se pratique et mal se repousse grâce à la Rectification par l’Action « . (Instruction pour la Vie Pratique – 1527) Traduction Wang Tse Ming (1978).
Les japonais, sous le nom de O’Yomei, firent de lui un maître à penser qui motiva en profondeur pendant plusieurs siècles l’esprit du « Bushido » tel qu’il fut décrit par Nitobe et pratiqué par Mishima d’une façon que d’aucuns jureront, à juste titre, plus qu’excessive. Il suffit de rappeler que Yukio Mishima, auteur d’avant garde et cinéaste, prit d’assaut, à la fin des années soixante, le grand quartier général des forces armées japonaises à Tokyo, captura une partie de son état major et, devant les caméras de télévision se suicida rituellement par Seppuku ( on dit vulgairement Hara Kiri = se trancher le bide ) avant de se faire trancher la tête par un assistant qui se suicida à son tour et ainsi de suite pour les dix huit hommes du commando qu’il avait formé et entretenu.
L’affaire fit évidemment grand bruit puis fut étouffée car on craignit que ce mauvais exemple ne donne des idées à une jeunesse japonaise en mal d’idéal.
Mishima voulait » simplement protester » contre la dérive mafieuse de la politique japonaise gangrenée par les » affaires » et infiltrée par les Yakusa et contre la passivité de la police et de l’armée. Les Occidentaux ne virent dans cette réaction que le résurgence de l’ultra-nationalisme nippon et insistèrent sur le fait que Mishima » entretenait une milice privée » aux mœurs plus que douteuses. Qu’une simple » milice privée » constituée d’une bande de grandes folles et menée par une sorte de Freddy Mercury japonais ait pu envahir un quartier général des forces armées, en plein jour, dans la capitale japonaise, prendre en otage tout un état major et plusieurs officiers généraux, puis se suicider rituellement en cadence avec des sabres de Samouraï devant les caméras médusées de la télévision nipponne ne suscita, évidemment, aucune autre question ni aucune réaction.
Lorsqu’on évoque désormais Mishima on le fait avec un air gêné ou concupiscent. Faute de mieux. Mais on comprend, par ailleurs, pourquoi les autorités chinoises fussent-elles impériales, républicaines ou populaires se méfient quelque peu de Wang Yang Ming et, surtout, des réactions qu’il pourrait provoquer chez ceux qui prennent sa doctrine au pied du mot et à la lettre.
On comprend aussi pourquoi les autorités chinoises, en 1949, mirent à prix la tête de l’un de ses descendants sous le prétexte que celui-ci prolongeait l’enseignement de son illustre ancêtre en lui rendant simplement hommage.
La « Petite boutique de Confucius »
Statue de Confucius à Taiwan : il n’a pas l’air d’un boutiquier !
Wang Yang Ming est donc souvent cité, ne serait-ce que par les étudiants » intellectuels » de la place Tien An Men qui furent écrasés par des chars en 1989, et qui reprochaient au régime en place d’utiliser, une fois encore et une fois de plus la fameuse » Boutique de Confucius » (Kongzi Dianzhu) donc le détournement pur et simple de la doctrine confucéenne au profit du pouvoir et de la répression. Ce qualificatif des » boutiquiers de Confucius » fut utilisé par Wang Yang Ming en 1525 pour stigmatiser les intrigues et la corruption de la cour impériale et des mandarins et lettrés compromis dans une falsification habile des préceptes de la Grande Etude (Daxue) à leur seul profit. Cette accusation concernant la « petite boutique de Confucius » fut par ailleurs reprise par Lu Xun (1881 1936) fondateur du mouvement pré-révolutionnaire du 4 mai 1919.
Lu Xun (1881 1936) Fondateur du Mouvement du 4 mai 1919.
Il reprit la formule de Wang Yang Ming « Non à la boutique de Confucius ! »
Quelques temps avant sa mort Wang Yang Ming avait, avec l’aide de ses disciples, entrepris une fameuse » Enquête sur la Grande Etude « . Or, les enquêtes étaient sa grande spécialité et, probablement, celle-ci aurait fait grand bruit dans le landerneau confucianiste bien confit dans ses habitudes. Le principe de Wang Yang Ming était de prendre au mot Confucius et de le prendre mot-à-mot dans son souci de » Rectitude » (Zheng) et de » Rectification des noms » (Zhengming).
Confucius dans la » Grande Etude » affirmait » Gouverner (Zheng) c’est être dans la Rectitude (Zheng) » (XII, 17) et il expliquait, un peu plus tard (XIII, 3) que pour Gouverner (Zheng) (c’est à dire tenir le gouvernail ) il convenait tout d’abord de » Rectifier les noms » (Zheng Ming = littéralement rectitude des noms).
Donc de rendre aux mots leur juste valeur. Or, Wang Yang Ming demeurait persuadé que le texte publié officiellement, et donc utilisé officiellement, avait été détourné de son sens originel le manque de rectitude des noms, donc des mots, impliquant le manque de rectitude dans le gouvernement qui, alors, se transformait en » boutiquier « .
Lorsqu’il est question de la » boutique de Confucius » ce n’est donc pas tant Confucius qui est accusé mais les » boutiquiers » en charge du gouvernement qui utilisent ses textes détournés à leur seul profit. Ceci quel que soit le gouvernement.
Lorsque l’on parle de Wang Yang Ming dans les » milieux officiels » chinois, on note assez immédiatement un refroidissement brutal de l’atmosphère.
Citer Wang Yang Ming n’est donc pas très bien vu que ce soit à Pékin, à Taipei (Taipeh, capitale de Taiwan ou Formose), ou même à Singapour où l’on se flatte encore de respecter Confucius comme modèle de gouvernement. Il est à noter que le Confucianisme, tel que dénonce Wang Yang Ming, est toujours considéré officiellement comme l’une des trois » doctrines philosophiques d’état » (avec le Bouddhisme et le Shintoïsme) du Japon.
Il est également de fait que certains de ses fameux aphorismes, toujours très appréciés de la contestation comme » Comprendre c’est déjà contester « , » En certaines circonstances ne rien faire c’est déjà agir « , » connaissance et action ne font qu’un, agir est facile » font toujours quelque peu désordre dans les officines ministérielles et la forme de la casquette du garde en faction à l’entrée du bâtiment n’est que d’un intérêt très relatif. La » boutique Confucius » demeure toujours, au bout de cinq siècles, toujours en travers de la gorge de ceux qui citent » le maître Kong » pour justifier leur pouvoir sur autrui au nom d’une quelconque tradition à géométrie variable.
Qui était Wang Yang Ming ?
Wang Yang Ming ou Wang Shuren (1472 1529)
Si il s’agissait d’un obscur révolutionnaire ou d’un quelconque agitateur, voire d’un marginal asocial, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Malheureusement la description qu’en donnent certains sinologues comme J.F. Billeter : » la tension entre recherche spirituelle et confucianisme officiel s’accroît et devient chez Wang Yangming incompatibilité déclarée. Pour avoir introduit cette rupture Wang Yangming est devenu le personnage clé de l’histoire du confucianisme des Ming. Son influence a été énorme sur ses disciples comme sur ses détracteurs et rien ne peut être dit de l’histoire des idées au XVIe et au XVIIe siècle qui ne ramène à lui d’une manière ou d’une autre « . Ou comme Anne Cheng, déjà citée, dans son Histoire de la Pensée Chinoise parue au Seuil en 1997 : » Cependant, loin de se cantonner à la réflexion philosophique, son insatiable curiosité se porte tour à tour sur la préparation des concours mandarinaux, les arts militaires et les techniques taoïstes de longévité son enseignement philosophique sur la » conscience morale innée » se double d’une carrière officielle bien remplie, consacrée notamment à la lutte contre les bandes armées » donne une toute autre image de ce personnage.
Notez, en passant, la référence d’Anne Cheng aux » arts militaires » (en chinois Wushu) et aux » techniques taoïstes de santé » (en chinois Daoyin Fa). Lorsque l’on se souvient que l’un des principes essentiels de l’enseignement de Wang Yang Ming, » connaissance et action ne font qu’un « , est de mettre en pratique ce qu’on étudie, il y a donc de très fortes chances pour que cette » curiosité » n’ait pas uniquement été platonique mais bel et bien suivie d’effet donc de pratique.
Wang Yang Ming ne cessa ainsi d’insister sur un édit impérial datant de 1462 et qui précisait justement : » L’étudiant doit s’appliquer à acquérir le savoir et à le mettre ensuite en pratique » et n’eut de cesse de le faire appliquer.
Implicitement il est donc admis que Wang Yang Ming pratiquait les » arts militaires « , donc le Wushu, et les » techniques taoïstes de santé « , donc le Tao-yin et qu’il devait nécessairement les transmettre dans son enseignement afin, simplement et naturellement, de demeurer en accord avec ses principes. Toute autre hypothèse serait remettre en cause la probité morale et le sens de la rectitude de Wang Yang Ming qui, alors, aurait perdu du temps à étudier quelque chose qu’il ne pratiquait pas et à pratiquer quelque chose qui ne serait pas suivi d’une transmission pour les générations futures.
Wang Yang Ming et l’art du combat
Plusieurs textes affirment également qu’il échappa à un assassinat commandité par l’eunuque Liu Chin grâce à sa » compétence dans l’art du combat » (Instruction pour la vie pratique – introduction de Wing-Tsit Chan citant le Nien-pu, le Ming Shih, le Hsing Chuang) or, en chinois » compétence dans l’art du combat » se lit textuellement et intégralement » Kung-Fu Wushu « .
Voilà au moins qui a le mérite d’être particulièrement clair mais ne motive que fort peu les traducteurs non avertis. Il est maintenant permis de se poser la question sur ce que pouvait donc bien pratiquer Wang Yang Ming. Dans ce cas il suffit de se souvenir qu’en 1500 » il retourna dans le Yueh (Yue) pour se reposer et construisit une petite maison dans le Yang Ming Tung sur le flan de la montagne Hui-Chi et se dénomma lui-même Yang Ming, à partir de quoi vint la dénomination de l’honorifique maître Yang Ming de Yueh « .
Or, ce fameux Yueh (ou Ye) est le fief de Yueh Fei (Yue Fei ou Yao Fei) le » Général patriote protecteur des frontières » dont la tombe et le temple se situent toujours sur ce site désormais fameux à proximité d’Hangzhou. Yue Fei est, lui-même, considéré comme celui qui fut à l’origine, grâce à une forme de lance qu’il adapta à la pratique à main nue, du Xingyiquan (Hsing I Chuan) (Poing de l’Unité du Corps et de l’Intention), mais également d’une pratique énergétique connue comme les » Sept précieux brocards » (Baduanjin ou Pa Tuan Chin) ce qui fait, nous n’en doutons pas, beaucoup de coïncidences troublantes. L’un des paradoxes essentiels développés par Wang Yang Ming et repris, quelques siècles plus tard, par Sun Wen (Sun Yat Sen) le premier président de la République Chinoise est « Agir est facile, savoir est difficile « , ce qui se lit, en chinois » Xingyi Zhinan » (Hsing I Chih Nan).
Le Xingyi (Hsing I) semble donc avoir été particulièrement cher au coeur de Wang Yang Ming et probablement de ses descendants qui souhaitaient entretenir cet héritage au cours des siècles dans ce qu’ils nommaient
» l’enseignement particulier » (Siren Xue).
Cet enseignement » privé « , « personnel » ne pouvait se transmettre par l’écrit puisqu’il demeurait » interne » et devait permettre de mieux comprendre (prendre en soi) la doctrine globale de Wang Yang Ming sans le recours d’artifices. Wang Yang Ming affirmait, non sans un certain humour :
» Il y a ce qui est écrit et il y a ce qui n’est pas écrit. Il y a ce qui est dit et il y a ce qui n’est pas dit. Il y a ce qui est montré et il y a ce qui n’est pas montré. Entre ce qui est écrit et ce qui n’est pas montré il existe un vaste monde où se perd celui qui est mal éclairé. Savoir lire est nécessaire, savoir écouter est important mais savoir regarder au travers des choses et des êtres pour voir ce qui n’est pas montré est essentiel « .
Concernant Wang Yang Ming, se baser sur le seul écrit est donc illusoire mais nécessaire. Anne Cheng, à la fin de son paragraphe sur Wang Yang Ming ajoute, enfin : » En affirmant la nécessité d’une pensée engagée, Wang Yangming créait une alternative à l’ » école du principe » jugée trop spéculative.
Son enseignement devait connaître une fortune considérable en Corée puis au Japon, sous le nom de O’Yomei, où il était encore vivant dans l’esprit des réformateurs de l’ère Meiji en 1868.
Une pensée holistique
qui remet quelques pendules à l’heure et fait pleurer quelques crocodiles.
Wang Yang Ming, Mandarin, philosophe, homme d’action et précurseur Au delà d’être un empêcheur de penser en ronron Wang Yang Ming a laissé quelques textes significatifs sur sa fameuse vision globale, donc holistique avant la lettre, qui laissent pantois les écologistes californiens qui pensaient avoir tout inventé à ce sujet.
Il ne s’agit donc pas de » New-age » mais bel et bien d’un V.S.O.P (Very Special Old Produce or Precept or Practise) qui mérite d’être, de temps à autre, sorti de derrière les fagots pour une dégustation sans modération.
» L’Être réalisé (Zheng Ren = être en rectitude) est celui qui conçoit Ciel/Terre/Dix mille êtres comme un seul et unique corps. Il comprend le monde comme une seule famille et son pays comme une seule personne. L’étranger est donc son frère et le fils de l’étranger son propre fils.
Le propre de l’homme mesquin (Xiao Ren = petit bonhomme) est, au contraire d’opérer sans cesse des distinctions, des catégories entre les objets et les êtres et entre le moi et l’autrui.
Agir comme l’Être réalisé ne provient pas d’une intention délibérée mais est simplement le fait de l’harmonie de son cœur-esprit avec l’univers tout entier. L’homme mesquin n’est diminué que par son étroitesse de vue.Lorsqu’on voit un enfant tomber dans un puits on ne peut réprimer un sentiment d’effroi et de compassion car le sens humain fait alors corps avec l’enfant. Mais l’enfant appartient à l’espèce humaine.
Devant les cris de terreur et l’attitude pitoyable d’animaux sur le point d’être massacrés, on ne peut d’avantage supporter le spectacle car le sens humain fait alors corps avec ces animaux. Mais ces animaux sont, comme nous, dotés de sensibilité et de conscience.A la vue de plantes menacées de destruction on ne peut s’empêcher de ressentir de la commisération car le sens humain fait alors corps avec ces plantes. Mais les plantes sont, malgré tout, des êtres vivants.
Devant des débris de pierres ou de tuiles on ne peut s’empêcher de sentir son cœur se serrer car le sens humain fait alors corps avec ces détritus.Tous ces sentiments, même le cœur de l’homme le plus mesquin ne saurait y échapper un jour. Son étroitesse de vue empêche seulement qu’il s’en rende compte et qu’il en tienne compte lorsqu’il regarde un autre être humain, fut-il un étranger, un animal, une plante ou un simple caillou « . Daxue Wen (Questions sur la Grande Etude).
Il est de fait que mettre un caillou sur le même plan universel que l’empereur risquait, à l’époque, d’être assez mal interprété.
Considérer que les animaux sont doués de conscience et de sensibilité n’est pas encore, en l’an 2000, admis par la législation française ni par les trépaneurs de chats. Que ceux qui versent, aujourd’hui, des larmes de crocodiles sur les rochers et les plages mazoutées pensent un peu plus à la plage ou aux rochers qu’à la saison touristique, à la » boutique « , ferait, néanmoins, plaisir à ce lointain ancêtre » universel » de l’écologie de terrain.
Wang Yang Ming fut, en effet, l’un des premiers, avec Zhang Zai, à considérer l’être humain (Ren) non pas comme un » citoyen d’un pays » (Guomin) mais comme un citoyen » universel » (Tianmin) – littéralement « citoyen du Ciel » et à revendiquer ce titre mais cela est une autre histoire.