Voyage à Beijing

par Jean Luc Saby Enseignant, Membre de la Convention des Arts Classiques du Tao

Pelleteuse en action dessin pris sur le vif

On le savait déjà, le désert avance pendant que les terres fertiles reculent. Beijing (alias Pékin)1confirme la règle au détriment de la culture. Depuis cinquante ans y apparaissent des déserts nivelés par des bulldozers au profit du progrès que l’on nomme le « grand pas en avant » qui n’en finit pas de durer au profit du communisme le plus libéral du globe.

Che : briser, démolir !

Dans ce contexte, le patrimoine architectural ne vaut pas bien cher face aux milliards écrasants des promoteurs venus d’Hong Kong. Le visage de Beijing est en constante transformation, c’est ce que l’on appelle construire du neuf au dessus de l’ancien. Dans les années cinquante, c’est la démolition des puissantes murailles qui protégeaient la ville tartare2qui donna le coup d’envoi au modernisme. Une ceinture d’un temps nouveau, faite de larges avenues bordées d’immeubles a remplacé les murailles. Des édifices surdimensionnés se sont imposés autour de la place Tian An Men au lieu des quelques centaines de petits édifices autrefois offices du gouvernement impérial. Dans les années 70, s’en est suivi la démolition des bâtiments d’accueil des délégations étrangères, vieilles ambassades associées à leur dépendance. Les dernières années ont ouvert de nouveaux travaux d’envergure, mais cette fois, il y a péril en la demeure, car ce ne sont plus les bâtiments publics qui sont visés mais bel et bien les habitations particulières.

Si particulières, dans tout les sens du terme, les ruelles étroites HUTONG dissimulent un monde retranché d’habitations traditionnelles, de maisons basses et de cours carrées SI HE YUAN3. Dans un lacis de ruelles étroites interdit des voitures, des maisons grises de taille basse et uniforme font barrage à la modernité : pas de sanitaires, pas d’eau courante, une circulation difficile, promiscuité… Les maisons chinoises sont souvent le produit d’une génération, adaptées à une vie humaine.

Une construction est destinée à être reconstruite de génération en génération en s’adaptant aux besoins nouveaux. L’utilisation courante du bois pour les maisons en permet d’ailleurs la reconstruction rapide. Ici pourtant, coexistent et s’entassent des familles de plusieurs générations. Condamné à l’usure, cet habitat traditionnel fait de briquettes et de bois sculpté pose aujourd’hui le problème de la réhabilitation et la nouvelle donne de l’urbanisme dont nous connaissons malheureusement les excès en ordonne aujourd’hui la destruction quasi systématique.

Dès lors, le vaste domaine appartenant à la Cité Impériale se voit troué comme un gruyère au profit d’artères bruyantes et d’immeubles hautains.

C’est peut-être la notion d’architecture éphémère, qui fait que les chinois ne placent pas, autant que nous le faisons, leur passion dans les monuments architecturaux. On a répudié l’Empereur : Qui veille maintenant sur la cité pendant que celle-ci est livrée aux vautours ? Et… Bienvenue aux jeux olympiques !

 

 

1 Avant l’unification de la Chine sous les QING SHI HUANG en 221 avant J-C, de nombreux petits royaumes se disputaient le pouvoir. Beijing, alors nommé JI fut la capitale du royaume des YAN du Vème au IIIème siècle. Sous les TANG (618-907), la ville s’appelait YUZHOU ; la dynastie des LIAO (936) la baptisa YANJING ; la dynastie des JIN en 1135 la nomma ZHONGDU. Celle-ci fut complètement rasée en 1264 par les Mongols qui construisirent une nouvelle capitale du nom de DA DU. Lorsque la dynastie MING renversa celle des YUAN en 1368, la ville devint BEIPING (« paix du nord »). En 1403, la cité prit enfin le nom de BEIJING qui signifie « capitale du nord » par opposition à NANJING alias NANKIN qui était alors la capitale du sud de la Chine. Pour finir, le président MAO proclama en 1949 BEIJING comme la capitale unique de la république populaire de Chine.

2 Depuis le XIIIème siècle, période d’origine de la construction de la ville Tartare ou ville Impériale, Beijing est le siège central des trois dernières dynasties chinoises : – les YUAN (1280-1368) – les MING (1368- 1644) – les QING (1644-1911) Comme une toile étendue autour d’un seul homme : l’empereur, la ville impériale recouvrait 70 Km2 de bâtisses, de ruelles, de canaux, de parcs entourés par de puissantes murailles. Kubilaï, le premier Maître d’œuvre de cette ville, suivi de ses successeurs ont fait de cette ville un monument unique inégalé dans le monde.

3SI HE YUAN : L’habitat traditionnel, littéralement traduit par « quatre (SI) pavillons (HE) autour d’une cour (YUAN) » apparaît déjà pendant l’époque des Han. Un même plan s’adapte aussi bien à la construction d’un palais qu’à des habitations modestes telles qu’elles se présentent dans les « Hu tong ». Mais chaque bâtisse des abords du palais impérial, riche ou pauvre, chacune autour de sa cour carrée, tracée sur la base d’une mesure unique ne pouvait rivaliser en éclat et en hauteur avec la grande maison impériale : la Cité Interdite.