Yijing et astrophysique

par Georges Charles

La seule photographie réaliste de l’univers ! « L’origine de l’Univers – si origine il y a eu ! – reste un mystère qu’aucun discours ne peut saisir » – Etienne Klein

Dans le N° 162 du Hors-série « Sciences et Avenir » de avril/mai 2010 et consacré à l’infiniment petit, Etienne Klein, physicien et enseignant de la philosophie des sciences à l’Ecole Centrale de Paris nous explique (page 11)

« Lorsqu’on écoute les physiciens dissertant sur l’origine de telle ou telle chose, on découvre qu’il n’est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout – et en fait seulement – de généalogies, de métamorphoses, de structurations de constituants élémentaires et de systèmes plus complexes. Par exemple ils expliquent que les atomes sont les fils des étoiles, qui sont elles-mêmes filles des nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l’univers. En somme, les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives…Mieux vaut donc rester modestes et admettre que l’origine de l’Univers – si origine il y a eu – demeure un mystère qu’aucune forme de discours ne peut saisir, ni celui de la science ni celui des cosmogonies traditionnelles qui, elles aussi, commencent par « au début, il y avait ».

Voilà au moins ce qui tranche quelque peu avec le principe dont on nous rebat les oreilles d’une genèse originelle et d’une apocalypse finale qui finit par rassurer nos esprits soit disant cartésiens formatés depuis plusieurs siècles, sinon plusieurs millénaires par les religions moyen-orientales et occidentales.

Si on considère le Yijing ou Yi King (I Ching…) ou « Livre des Changements »(« Traité des Mutations » et autres appellations occidentalisées), ainsi que les auteurs taoïstes comme Laozi (Lao Tseu), Zhuangzi (Tchouang Tseu), Liezi (Lie Tseu) ou le Prince Liu Han dans le Wainanzi (Houai Nan Tseu) on a l’impression de se retrouver, comme le présume Etienne Klein, dans une « cosmogonie traditionnelle » où l’on retrouve, bien évidemment un créateur, donc une création, puis une genèse de l’univers ou d’un univers et, finalement, un achèvement sinon un aboutissement dans une espèce d’apothéose.
Ceci étant entretenu par les textes chinois en question, du moins leurs traductions.
Le problème réside, justement, non dans le texte chinois mais dans sa traduction et, surtout, dans les termes utilisés.
La majorité des dictionnaires chinois-français et même français-chinois, pour ne pas dire leur totalité utilise la terminologie mise en place entre le XVIIIe et le XXe siècle par les Jésuites.
Ils réalisèrent un fabuleux travail et on peut citer Ricci, Amiot, Wieger, Philastre et, plus récemment, Larre.
Il est donc habituel et normal, en France et en Europe, comme en Chine d’ailleurs, de se précipiter sur un de leurs dictionnaires pour vérifier la traduction de tel mot ou de tel sinogramme.
Puisqu’il s’agit d’une référence incontournable.
Mais ce faisant, qu’on le veuille ou non, il existe une forte influence culturelle sinon cultuelle ou religieuse dans le choix, parfois inconscient, de ces traductions.
Or, c’est également pour d’autres raisons culturelles ou religieuses que la vision chinoise peut être très différente de la vision occidentale *.
Prenons par exemple deux concepts, que l’on pourrait qualifier d’abstraits, qui n’ont aucun équivalent en Chine : la création (créer) et l’univers.

Il est possible à un Chinois, fut-il Kongzi ou Laozi, d’imaginer qu’il engendre, donc qu’il génère, qu’il donne naissance, qu’il révèle, qu’il manifeste mais en aucun cas qu’il crée.
La création est hors du cadre de son esprit.
Il ne peut, pour lui, exister de créateur, d’élan créateur, de mouvement créateur et de quoi que ce soit qui crée quoi que ce soit.

Avant préexiste quelque chose après il existe encore autre chose.
Rien n’étant créé rien ne peut donc aboutir.
Pas de création, pas d’aboutissement (avec ou sans minuscules ou majuscules !) et encore moins d’achèvement.
Le Chinois, et encore moins la Chine, n’est pas adepte du « conte de fée » sauf si il s’agit de ce que l’on nomme l’heureux dénouement qui est le retour à la réalité.
Après les mousmées, Ali Baba et les quarante voleurs, les chameaux qui passent par le trou des aiguilles et les tapis volants on finit par revenir à la réalité.
« Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants »
Et on passe alors du « comte de fée » au « compte des faits », donc de la littérature de science fiction au loukoum à la rose vers le rapport de gendarmerie.
C’est le « happy end » et le retour du réel, du pragmatique, de l’élémentaire mon cher Watson.
Si on évoque le Yijing par « Un » – le créateur, la création, le zinzin créateur et « Soixante Quatre » – après l’accomplissement, l’aboutissement, l’achèvement – on se retrouve indubitablement dans le phénomène « conte de fée » avec un bon Dieu barbu et une apocalypse yesterday.
Donc encore dans une « cosmogonie traditionnelle qui, elles aussi, commencent par « au début il y avait ».
Avec au début du film « Big Bang » (ou au choix suivant la tendance du moment Big Crush, Mégamoob, Méga Bang, Big Splash et on en passe une douzaine !) et après le mot Fin « Géante Bleue » sinon trou noir ou autre piège à anti-matière.
Si on considère que « UN » (Ciel/Ciel) est « Révélation » et que « SOIXANTE QUATRE » est « Dénouement » cela implique qu’il y avait quelque chose « avant » et autre chose « après ».
Donc exit la genèse organisée.
Exit la cosmogonie traditionnelle.
Exit le conte de fée.

Et exit l’univers.
Ou du moins ce truc qui aurait un début et une fin, donc des limites que l’on pourrait qualifier d’humaines.
Et de zinzins qu’on compte en années lumières comme si ce truc, même avec ses limites, avait quoi que ce soit à foutre d’années fussent-elles lumières.
Pourquoi pas d’ères obscures puisque l’obscurité semble précéder la lumière et même peut être lui succéder et que les années semblent un peu restreintes.
On pourrait presque dire, en paraphrasant de Gaulle que « L’univers c’est l’infini à la portée des caniches ».
L’univers c’est probablement une crotte de nez du Tao, sans plus.
Et la terre peut exploser une bonne douzaine de fois que le Tao s’en tape.
Puisqu’il ne s’en rendra même pas compte.
Dans cette optique lorsque des taoistes dissertent sur l’origine des choses -si origine il y a – il n’est aucunement question de genèse mais bel et bien, aussi, de généalogies (Yi) , de métamorphoses (Hua), de structurations de constituants élémentaires (Wu Xing) et de systèmes plus complexes (Tao) mais aussi d’étoiles et de nuages mais surtout pas d’univers.
Ils ont donc encore un peu d’avance sur la science et sur les cosmogonies traditionnelles.
Mais il ne faut surtout pas le dire !

* Juste un exemple. Il existe une odeur particulière attachée à la saison printanière. Il s’agit de Xuan. Les textes classiques comme le LiJi (Livre des Rites) expliquent qu’il s’agit de « l’odeur de cru » et l’exemple donné est celui « du petit agneau » qui, précise le texte, donne l’envie de mordre. Il s’agit simplement de la fameuse « odeur de chair fraîche » propre aux ogres des contes de fées. Ce qui a été malencontreusement traduit par « rance », malodorant dans les dictionnaires qui n’ont pas cessé de se recopier mutuellement. Qualifications qui ont été repris, bien évidemment, sans se poser la moindre question. Et qu’on n’a cessé de recopier mutuellement dans tous les ouvrages d’énergétique. Il est probable que pour un citadin, fut-il Jésuite ou acupuncteur, qui parfumerait son caniche à l’essence de violette, le « petit agneau » en question serait malodorant. Mais pour l’ogre ou le grand méchant loup cette odeur « Xuan », donc de chair fraîche, évoque tout autre chose. C’est toute la différence entre la théorie et la pratique et, malheureusement, entre l’Occident et la Chine.