Les 55 jours de Pékin… ou la vision hollywoodienne
Les 55 jours de Pékin… ou la vision hollywoodienne par Thierry Borderie et Georges Charles
Pékin 1900.
La Chine est alors une puissance à bout de souffle occupée par les puissances étrangères. L’énigmatique et autoritaire Impératrice douairière Cixi (Tseu Hi) rêve de chasser les » diables étrangers » et de redonner à son pays la grandeur et l’éclat du passé.
Portrait officiel de l’Impératrice Douairière Tseu Hi ou Cixi qui eut un rôle fort ambigu dans cette révolte des Boxeurs, soutenant parfois les révoltés ou donnant l’ordre de les combattre.
Elle ne fit pourtant pas donner l’assaut, comme on le prétend, par la Garde Impériale qui demeura fusil au pied.
Si la Chine est pressurée par les états modernes, elle est, de plus, divisée en son sein par de nombreux courants d’influence. A la cour même, à coté du général Yong Lu qui prône la modération envers les nations occidentales, le prince Tuan clame sa xénophobie.
Le Prince Tuan qui retourna les Boxeurs contre les Occidentaux
Tuan (Duan) peut se lire comme « brocard », tissus qui suivant la lumière devient vert ou rouge !
On retrouve ce caractère classique dans « Baguanjin » (Huits Brocards de Soie).
Le quartier des Légations à Pékin en 1900
Contrairement à ce qu’on prétend le quartier était bien protégé et facile à défendre.
La Légation française tellequ’elle se présentait en août 1900 à Pékin
A Pékin les » Boxers » ou » Poings d’harmonie et de Justice « , membres des sociétés secrètes, font entendre leurs slogans d’une voix de plus en plus forte et de plus en plus pressante : » Protéger le pays, anéantir les étrangers « .Dans la capitale chinoise les diplomates, missionnaires et résidents occidentaux se retranchent dans leurs légations protégées par une poignée de militaires. Onze nationalités y sont représentées : Grande Bretagne, Etats-Unis, Allemagne, France, Japon, Italie, Russie, Belgique, Pays Bas, Espagne, Autriche-Hongrie.
Une rare image des Boxeurs dans Pékin avant le soulèvement
Le 20 Juin, le drame éclate. Des hordes chinoises déferlent, bientôt aidées par l’armée impériale sur trois ou quatre mille civils défendis par à peine cinq cents soldats à l’armement hétéroclite. Le 14 Août, après cinquante cinq jours de siège, la ville est investie par une colonne de secours constituée à partir d’éléments de la flotte occidentale. Les » Boxers » sont vaincus, chassés et l’Impératrice prend la fuite protégée par les restes de son armée.
Voici, en quelques lignes, ce qui résume le ton du film » Les 55 jours de Pékin » qui retraça, à l’écran, en 1963 des évènements déjà vieux de plus d’un demi siècle. Cette super production américaine, que nous avons pu revoir très récemment à la télévision, nous fit vivre, à sa manière une page d’histoire ambiguë de notre proche passé colonisateur à travers deux acteurs privilégiés du drame : le Major Matt Lewis, incarné par Charlton Heston, qui commandait le détachement américain et Sir Arthur Robinson, joué par David Niven, un diplomate britannique.
Précisons que pour les besoins romanesques de l’intrigue, le personnage de la baronne Ivanoff, qui aurait logiquement du se nommer Ivanova, interprétée par Ava Gardner naquit de l’imagination du producteur Samuel Bronston.
Ce film, une super-production, est le troisième mis sur pied par Bronston en Espagne, en décors naturels, après le » Roi des Rois » de Nicolas Ray et le » Cid » d’Anthony Mann, également avec Charlton Heston comme interprète. Pour les besoins du film il fait édifier, dans ses propres studios crées en 1959 près de Madrid, une gigantesque et minutieuse reproduction de la Cité Interdite.
Rapidement des problèmes se font jour entre Bronston et Nicolas Ray, le réalisateur, qui fera pourtant une brève apparition sous les traits du diplomate américain en charge à Pékin… puis entre Ava Gardner et Charlton Heston entre lesquels le courant ne passe décidément pas.
En plein tournage Ray est atteint par une maladie diplomatique. Il est immédiatement remplacé par Andrew Marton célèbre pour avoir réalisé, avec brio, la fameuse course de chars de BenHur. Ce dernier revendiquera la plus importante partie du film dont la majorité des scènes d’action.
A voir et à revoir ce film, dont la critique n’a jamais, par ailleurs été excellente, on peut être choqué par le parti pris unilatéral dans lequel il a été réalisé. Au départ, il semble pourtant que producteur et réalisateurs aient pris soin de se documenter sur les événements historiques mais que, suite à ces divers problèmes, leur seul souci ait été finalement de respecter les contraintes commerciales et l’idéologie dominante des années soixante.
Les Chinois, à de très rares exceptions près, y sont donc représentés comme cruels et machiavéliques… et surtout très hystériques et immensément nombreux. Les occidentaux ont, on s’en doute, le beau rôle.
La lucidité, l’intelligence, le courage, l’ingéniosité, la discipline, la confraternité permettent aux occidentaux de surmonter l’épreuve et de vaincre les » Boxeurs » et l’armée impériale.
La vision historique occidentale…
Il est difficile d’observer à la loupe le drame Pékinois sans connaître quelque peu le contexte ambiant. Il apparaît ainsi que cette page d’histoire ne fut que la cristallisation spectaculaire d’un long et douloureux processus réglant les rapports entre la Chine et le reste du monde.
La vision allemande du conflit :il s’agit bien de « boxeurs ! »
Il faut par exemple se souvenir que le commerce étranger avec le Céleste Empire était, jusqu’au début du dix-huitième siècle strictement limité à Canton dans le sud et à deux villes frontières de la Sibérie pour le nord.
Une autre caricature allemande : la coalition internationale chatie la Chine !
Par volonté impériale les » diables étrangers » n’avaient donc pas accès aux ports chinois et ne pouvaient commercer qu’avec quelques compradores cantonnais de la corporation Co Hong, responsable devant l’état du bon comportement des étrangers. Malgré ces précautions l’usage de l’opium amené en fraude par la Compagnie des Indes faisait des ravages dans la population chinoise à tel point que le gouvernement chinois décida d’en interdire totalement le commerce.
Et chacun est prêt à tirer grand profit de l’expédition punitive !
Dans la vision allemande John Bull, le Britannique se retrouve dépossédé et fait grise mine.
On sent déjà quelques tensions dans l’unité internationale.
Les Britanniques prirent donc la destruction de vingt mille caisses d’opium, dans le port de Canton, comme une insulte intolérable . Ainsi naquit la fameuse guerre de l’opium. Elle fut rapidement perdue par la Chine qui signa le traité de reddition de Nankin en 1842.
Par ce traité la Chine fut contrainte de céder Hong Kong, le » Port Parfumé « , aux Anglais ainsi que d’ouvrir quatre nouveaux ports au commerce de la Couronne… et donc au commerce forcé de l’opium. Ce fait créa un précédent fâcheux pour la Chine car les autres puissances occidentales ne voulurent pas demeurer en reste. La France, sous la contrainte des armes, exigea en 1844 d’obtenir les mêmes avantages que la perfide Albion avec, en outre, une close relative à la liberté religieuse chrétienne sur la totalité du territoire chinois.
A coté du commerce de l’opium, les Anglais eurent l’idée d’exporter une main d’œuvre bon marché et industrieuse vers leurs colonies. Les émigrants chinois s’embarquèrent donc en masse dans ce qu’on nommait, en jargon d’initiés, » le commerce du porc à deux pattes « .
Les rares closes favorables à la Chine furent violées maintes et maintes fois attisant ainsi, peu à peu, le ressentiment des autochtones. Chaque réaction justifiée de l’Empire de Chine fut considéré comme un camouflet à la dignité occidentale. La riposte consistait invariablement en de nouvelles exactions suivies de nouveaux traités de plus en plus restrictifs et de nouvelles exigences. En 1860 les Français firent entrer en lice leurs fameuses canonnières blindées, ancêtres d’autres non moins fameuses vedettes, sur les fleuves chinois. Pendant ce temps Spahis et Sikhs chargeaient de concert, superbement équipés de neuf face aux troupes chinoises armées de lances et de vieux mousquets à silex.
Le 13 Octobre 1860 les troupes franco-anglaises pénétraient dans Pékin par la Porte de la Tranquillité avant de se disperser dans la ville dans une œuvre profondément pacificatrice. Le 18 les troupes du Général Grant mirent le feu aux palais impériaux et l’empereur fut contraint de prendre la fuite vers le nord accompagné de sa cour et de ses quarante concubines.
L’une d’elles, une jeune Mandchoue, ne devait jamais oublier les fumées dans le ciel de Pékin. Elle se nommait Cixi (Tseu Hi). En 1900, Pékin, » La Cour du Nord » était une ville pratiquement carrée, conformément à la symbolique de la terre, et divisée en deux parties.
Au nord Sin Tching, la » Ville Nouvelle » renfermait le palais impérial. Elle portait également le nom de » Ville Tartare » car au moment de l’établissement de la famille régnante, les maisons les plus riches avaient été distribuées aux dignitaires et aux familles mandchoues.
Bande dessinée actuelle au titre évocateur !
La partie sud, où s’étaient réfugiés les Chinois, se nommait simplement » Lao Tching » (Vieille Ville). De très hautes murailles enserraient les deux cités.
Au centre, la cité interdite et le palais impérial étaient enfermés dans un vaste rectangle limité par de hautes murailles teintes de pourpre. Le quartier européen, traversé d’est en ouest par la rue des Légations, se situait çà l’intérieur de la ville tartare.
En ce mois de mai 1900 les rues pullulaient de » Boxers » et la nuit, selon la rumeur, des charrettes d’armes entraient clandestinement dans la ville. Les » exécuteurs du Ciel » comme ils aimaient à se nommer eux-mêmes représentaient une des nombreuses sectes plus ou moins clandestines jalonnant l’histoire du pays. Ce mouvement semblait avoir pris naissance dans le Shantung de la fusion de deux courants : les Ta Tao Chuan et les Pa Kua Chiao se revendiquant eux-mêmes de la légendaire secte du nénuphar blanc » Pei Lien Kiao « … cette dernière ayant donné également naissance à de multiples branches telles que le » Nuage Blanc « , les » Trois Bâtons d’Encens « , le » Thé Pur » ou le » Fouet de la queue du Tigre « .
Les » I-Ho Chuan » ou » Poings d’Harmonie et de Justice « ‘ avaient pris pour devise » Protection de l’Etat, Extermination des étrangers « . Les membres de ces sectes pratiquaient des danses et des rituels guerriers chargés de symbolique savante sans désavouer cependant de grossières mise en scène destinées à frapper l’esprit de la population afin de recruter des adeptes.
L’adhésion à la confrérie était censée offrir l’invulnérabilité et la toute puissance. Les » Boxers » adoraient Kouang Ti, le Dieu de la Guerre ainsi que Chen Wou, divinité de la magie. Ils semblaient faire usage, en sus, de transes vraies ou simulées, afin d’intégrer des forces surnaturelles.
La croyance populaire leur attribuait des pouvoirs ésotériques : insensibilité à la douleur, dédoublement, vol magique, divination. Une fois de plus le vieux fond chamanique de Chine éternelle retrouvait des échos favorables !
Au début de l’insurrection le gouvernement impérial se montra fort inquiet car le mouvement semblait incontrôlable et issu, de plus, d’un courant traditionnellement chinois opposé à la dynastie mandchoue.
Peu à peu l’impératrice, rêvant de la grande Chine passée, inclut les » I-Ho Chuan » dans son vaste échiquier politique. Farouchement opposée aux puissances occidentales comme à la modernisation de la Chine elle vit rapidement dans les » Boxers » le moyen d’agir dans l’ombre sans pour autant compromettre son armée régulière.
L’armée régulière chinoise est composée de milices paysannes et seuls les Gardes Impériaux (devant avec le bâton Eau et Feu et la tunique chamarée ! ) , auxquels on peut ajouter l’armée musulmane du Kangsu ( à gauche avec un fusil moderne) , constituent un corps bien entraîné et bien armé.
En même temps et ainsi elle s’attirait les grâces de Tung Fu Hsiang, général de l’armée musulmane du Kang Su, connu pour sa haine des étrangers et particulièrement des chrétiens.
Le général Dong Fuxiang (Tung Fu Hsiang) dirigeant l’armée musulmane du Kangsu
Les redoutables guerriers de l’armée musulmane du Kangsu.
Comme la Garde Impériale, ils demeurèrent arme au pied et ne furent pas engagés contre les Légations.
Ainsi Cixi unissait dans la même vindicte pour le compte du trône deux dangereux courants qui, par ailleurs, n’avaient jamais caché leur hostilité au pouvoir impérial. Au sein du gouvernement, dès le début des événements de Pékin, deux partis sont en présence. Le » parti chinois » comprenant le » Tsong Li Yamen » (ministère des affaires étrangères) dont le pouvoir minoritaire était favorable à la modération ainsi qu’au respect des droits internationaux.
A l’opposé le » parti mandchou » qui détenait un grand pouvoir militaire représenté par le Prince Tuan allié au terrible Tung Fu Hsiang. La sympathie de Cixi allait bien évidemment vers ceux de son sang… donc vers les mandchous.
Le Général Kouang (Guang) demeura dans le front modéré qui prônait la conciliation avec les Occidentaux.
Le siège des légations.
A partir du 20 mai 1900, l’étau se resserre autour de la capitale.
Le 23 mai, la gare de Chen Sin Tien, à 50 miles de la capitale est incendiée, les rails sont arrachés sur des dizaines de kilomètres.
Le 24 mai les » Boxers » campent près du pont de Palikao où 40 années auparavant s’était joué un épisode fameux et dramatique de l’histoire chinoise. Pendant ce temps à Pékin, des tracts enflammés circulent promettant la protection de Kouang Ti, le Dieu de la Guerre, à tous ceux qui partiront en croisade contre les » diables étrangers « .
Dans les légations, malgré les messages apaisants du palais, influencés sans doute par les derniers conseils du parti chinois, on s’organise fébrilement : plans de défense, distributions d’armes, tours de garde… Le 29 mai la situation s’aggrave avec la totale rupture des communications vers l’extérieur : plus de télégraphe, plus de courrier. Une rumeur peu rassurante se confirme : le général Tung Fu Hsiang camperait à une vingtaine de km de la ville.
Le 30 mai on apprend que des troupes de renfort alliées viennent de pénétrer dans Pékin. Mais il s’agissait en tout et pour tout de soixante quinze Français, de soixante quinze Russes, de cinquante Allemands, de quarante Autrichiens, de cinquante Italiens, de vingt six japonais et de cinquante deux Américains soit moins de quatre cents hommes.
Les divers soldats présents à Pékin pour la défense des légations
– document japonais –
Autre document japonais très méticuleux où on reconnaît les soldats des diverses nations.
Les Japonais s’intéressaient toujours beaucoup aux armes et aux armées occidentales
Ils infligeront une cuisante défaite au Russes en 1904 1905
Dès le premier Juin, les soldats de l’armée du Kang Su pénètrent dans Pékin derrière le palanquin de l’impératrice. Plus aucun doute n’est alors permis… le général musulman est bien là.
Plusieurs pierres jaillissent de la foule visant un détachement anglais. Il semble que les soldats réguliers fraternisent avec les » Boxers « . Ce jour là le premier acte sanglant est commis par les Boxeurs dans Pékin. Ils assassinent un officier Chinois qui tente de convaincre les militaires du Kang Su à la modération. Peu après un dignitaire Japonais du nom de Sugiyama est, à son tour, décapité par les guerriers musulmans. C’est le premier étranger tué dans Pékin. Le 13 Juin, les premiers » Boxers » se ruent, avec la complicité évidente de la population chinoise, dans le quartier des légations. Une fusillade éclate. Ce sont les Français et les Italiens qui viennent d’ouvrir le feu et de tuer huit » Boxers « . En représailles les » Poings d’Harmonie et de Justice » exécutent deux cent chrétiens Chinois.
A la cour, l ‘impératrice hésite encore, partagée entre les louanges mandchoues envers l’utilité surnaturelle des » Boxers » et les conseils de prudence émanant du parti chinois inquiet des réactions du monde extérieur. Finalement il semble que l’impératrice ait décidé de pencher vers la position mandchoue et de soutenir les » Boxers « . Dans les légations assiégées on compte sur l’arrivée d’une colonne internationale de secours commandée par l’amiral Seymour.
Le Maréchal (Titou) Nie Shisheng, revêtu de la tunique jaune, opposera une vive résistance à la progression des troupes occidentales, il fut également celui qui combattit les Boxeurs avec opiniatreté car ils mettaient en péril le trône impérial Mandchou..
Malheureusement celle-ci est arrêtée à Lo Ja par une armée de rebelles. Peu à peu on se met à perler de l’amiral » see no more » (on ne le verra plus).
Les troupes chinoises retardent l’armée internationale à la bataille de la Rivière Fei.
Le 19 juin le baron de Ketteler, ministre allemand, est assassiné en pleine rue par des » Boxers » et des soldats réguliers du Kan Su. Le soir même une autre attaque est portée, sans succès, contre les légations.
Les » Boxers » affirment que cet échec est du à la présence d’une femme en couches ce qui indispose les divinités tutélaires et rend inopérante leur magie guerrière. Le Prince Tuan réussit à convaincre l’impératrice de signer un décret ordonnant à Yung Lu et à l’armée régulière d’attaquer les légations.
De plus le gouvernement reconnaît désormais officiellement les » Boxers » comme une organisation régulière ayant une mission à accomplir.
L’iconographie chinoise, ici la bataille de Tianjin, décrit la hardiesse des troupes chinoises face à l’envahisseur.
On note la présence très symbolique d’un drapeau rouge (Hong), symbolisme qui sera repris par Mao quelques années plus tard.
Le siège commence réellement le 20 Juin. L’ambassade britannique est alors désignée pour abriter les familles et en l’espace d’une journée est transformée en forteresse.
Le matin du 23 Juin les soldats de l’armée du nord entrent en action et incendient l’ambassade d’Italie. Ce fut la quatrième légation livrée aux flammes et au pillage après celles de Belgique, d’Autriche et de Hollande. Malgré tout les assiégés se défendent avec succès causant la mort de centaines de » Boxers » et de soldats de l’armée du nord.
Devant l’hécatombe la population et l’armée chinoise commence à s’interroger sur les pouvoirs surnaturels de leurs meneurs prophétiques. Le doute s’installe donc dans les rangs des officiers de l’armée du nord déjà sous l’influence réservée de leur chef Yung Lu. Jusqu’au premier juillet divers assauts sont encore donnés contre les légations mais toujours sans succès et avec de très lourdes pertes. Pendant ce temps au palais Yung Lu et ses partisans tentent de démontrer à l’impératrice le caractère suicidaire d’une telle entreprise.
Yung Lu ne partageait pas l’opinion des Mandchous sur le caractère salvateur des » Boxers » et écrivait ce jour
» J’ai vu les télégrammes. Un pays faible qui déclenche seul la guerre à dix autres pays forts court à sa ruine. L’héritage de nos anciens souverains, déjà difficile à garder, vient d’être compromis par le fait d’hérétiques rebelles. On dirait qu’on a voulu le jeter aux quatre vents.
Aujourd’hui que les boxeurs sortent de leur tanière on dit que c’est le Ciel qui les envoie. Moi, je dis qu’ils constituent un terrible danger, mais il n’y a pas moyen de revenir en arrière. Etant malade je n’ai pu agir.
Pendant mon congé j’ai adressé mes rapports au Trône mais rien n’y a fait. Maintenant, je me force à sortir de ma réserve. Les boxeurs se comptent dans Pékin par dizaine de milliers qui vont et viennent comme des sauterelles. On ne peut plus les tenir en ordre. Nous devons faire dorénavant tous nos efforts pour les
réprimer… « . De leur coté les » Boxers » s’évertuaient, en vain, à réduire la cathédrale du Pei Tang. La veille ils avaient ordonné aux habitants du quartier d’allumer des lanternes rouges et de l’encens. Les rues autour de la cathédrale étaient donc illuminées et on y voyant comme en plein jour. Mais malgré tout cela les » Boxers » une fois de plus furent encore repoussés avec de très nombreux morts.
Les Chinois en conclurent assez rapidement que la Sainte Vierge bénéficiait de pouvoirs magiques plus puissants que le Dieu de la Guerre ! On parla donc d’écrans magiques infranchissables constitués avec des sexes de vierges. Des désaccords se firent jour entre les membres des diverses confréries… ceux de Tung Tcheou affirmaient que les lanternes rouges étaient hétérodoxes et qu’il convenait mieux d’effectuer des processions pendant sept jours avec des gongs et des tambours. Au sein des légations on attendait toujours la venue de l’hypothétique colonne de secours. La cour impériale promulguait décret sur décret… le plus souvent contradictoires. Devant la résistance des » diables étrangers » on ne savait plus trop quoi penser. La veille de l’Indépendance Day le contingent américain se distingue en enlevant une puissante barricade ennemie à la baïonnette. Le six juillet les » Boxers » amènent, face à la légation d’Angleterre, une machine de guerre haute de plusieurs étages. Par chance le sept les assiégés découvrent dans une remise un vieux canon anglais datant de la guerre de 1860. Il est baptisé » The Empress Dowager » (l’Impératrice Douairière » puis, moins formellement » Betsy « . Remis en état et approvisionné par des obus russes » Betsy » met rapidement hors de nuire la machine de guerre moyenâgeuse.
On apprend que Tien Tsin vient de tomber aux mains des occidentaux malgré une garnison de douze mille soldats réguliers et de dix mille » Boxers « . Cela signifie que la route de Pékin est désormais ouverte. Les soldats musulmans, enrichis par le pillage des quartiers occidentaux envahis, commencent à déserter. Le 14 Juillet, un courrier de l’impératrice parvient à la légation d’Angleterre :
» Au cours des dix derniers jours les soldats et les gardes des légations se sont battus et depuis il n’y a plus de communication entre nous à notre grande anxiété. Il y a quelque temps, au pont de la rivière de jade, nous avions suspendu un écriteau sur lequel nous exprimions nos intentions, mais nous n’avons reçu aucune réponse…
Nous avons appris que tous les ministres étrangers étaient en bonne santé et nous nous en réjouissons. Les événements actuels sont la conséquence de votre refus. Maintenant nous demandons à vos excellences de prendre avec eux leurs familles et les membres de leur personnel et de quitter les légations.
Nous choisirons des officiers de confiance pour assurer votre protection. Afin de préserver d’amicales relations nous vous prions, du début à la fin, de n’emporter aucune arme, aucun de vos soldats ne devra être armé, ceci afin d’empêcher toute crainte du coté des troupes et de la population chinoise, ce qui pourrait conduire à des événements inattendus.
Demain à midi ce sera le dernier délais pour nous donner votre réponse de manière à ce que nous puissions fixer le jour de votre départ. C’est le moyen le plus simple que nous ayons pu trouver pour préserver nos relations face à d’incommensurables difficultés. Si aucune réponse n’est reçue à l’heure prévue alors même notre affection ne pourra plus vous aider « . Le lendemain, après consultation des autres responsables des légations Sir Mac Donald rédigea sa réponse en ces termes :
» Les sentiments amicaux exprimés dans votre lettre sont les nôtres. Nous vous faisons remarquer que jusqu’à présent nos troupes n’ont pas attaqué. Elles n’ont fait que défendre la vie et les biens des étrangers que nous sommes contre les agressions des troupes chinoises.
Si les troupes chinoises cessent de tirer nous cesserons de tirer. Si votre gouvernement souhaite négocier, il devra envoyer un responsable officiel avec un drapeau blanc « .
Le lendemain les gardes des légations entendirent dans le lointain une canonnade qualifiée de » nettement européenne « . Le 17 Juillet un long cesser le feu s’instaura. Des soldats des deux camps fraternisèrent et burent le thé sur les barricades.
Le bruit courut que les soldats chinois commençaient à tuer du » Boxer « . Yung Lu fut chargé de servir d’interlocuteur avec les légations et permit un approvisionnement en nourriture et en nouvelles. Le 18 Juillet on apprit donc par un messager Japonais qu’une armée internationale approchait à marches forcées. Elle était composée de quatre mille Russes, de mille cinq cents Américains, de cinq cents Allemands, de mille cinq cents Français, de deux mille Anglais et de quatre mille Japonais… en tout cent trente cinq mille hommes parfaitement équipés.
Lord Seymour est à la tête de l’armée internationale qui marche sur Pékin
Ses alternoiements dans l’avancée des troupes lui vaudra le surnon de « See no more » (on ne le verra plus).
Dans le quartier des légations la nuit précédant le 20 Juillet fut particulièrement calme. Au matin l’impératrice fit parvenir aux assiégés une charrette de fruits et de douceurs.
Le 26 Juillet, pourtant, Li Ping Heng, ancien gouverneur du Shantung, partisan zélé des » Boxers » parvint à convaincre l’impératrice de reprendre les hostilités.
Au matin du 30 des coups de feu furent à nouveau échangés. Le 4 Août une rumeur se répandit dans Pékin que des hommes noirs montés sur des grands chevaux étaient venus aider les assiégeants. Quelques escarmouches eurent encore lieu jusqu’au 12 où des fuyards et des blessés chinois firent leur apparition dans Pékin. Li Ping Heng se suicida.
Le 13 l’impératrice tout en préparant son départ, demanda à son ministre des affaires étrangères d’effectuer des ultimes démarches de paix.
Le 14 revêtue de vêtements grossiers, ongles et cheveux coupés elle prit discrètement la fuite. Il est vrai que dans la nuit les assiégés eurent la surprise d’entendre tonner le canon . A trois heures de l’après-midi les Sikhs et les Radjpoutes de l’armée des Indes pénétraient en fanfare dans la légation britannique. Puis vinrent les soldats du Penjab et du Bengale et le reste de l’armée de sa gracieuse Majesté.
Plus tard arrivèrent peu à peu les Américains suivis des Russes et, enfin, des Français. A peine toutes ces troupes avaient défilé sous les acclamations des occidentaux enfin libérés qu’elles se livrèrent au pillage systématique de Pékin considéré ville ouverte.
Ce pillage s’accompagna, comme il se doit, d’une ample massacre de tout ce qui pouvait ressembler de près comme de loin à un » Boxer » donc à un Chinois. Les civils comme pour exorciser la trop longue tension du siège se mêlèrent rapidement aux militaires, emmenant à leur suite les chrétiens chinois désireux de se venger.
Ce que les » Boxers » avaient accumulé lors des pillages fut à nouveau pillé.
Les Boxeurs fait prisonniers sont décapités en public par des bourreaux chinois
Les Sikhs et les Baloutches avaient une prédilection pour les bijoux en or et en argent, peu importait à qui ils appartenaient. Les Japonais s’intéressaient plus particulièrement aux tissus de soie et de brocard dont ils connaissaient fort bien l’immense valeur. Mais, les plus acharnés étaient, au dire de tous les témoins, les terribles cosaques de l’armée Russe qui brûlaient, pillaient, égorgeaient, violaient sans la moindre retenue.
Les terribles Cosaques Zaporogues du contingent russe avec quelques armes prises aux Boxeurs et une mascotte chinoise
Plusieurs journaux s’indignèrent de cet état de fait comme la » Wesminster Gazette » qui publia plusieurs lettres édifiantes :
» L’après-midi chacun s’en va dans sa légation pour assister à la vente aux enchères des objets qui ont été pillés la veille. Le soir de petites excursions sont organisées pour aller piller à nouveau. C’est le pillage, rien que le pillage du matin au soir et le plus souvent encore du soir au matin. Cela a commencé par les soldats et cela s’étend désormais non seulement aux officiers et aux civils mais aussi aux missionnaires et à certains hauts fonctionnaires des légations. Le nombre de ceux qui résistent à la tentation du pillage est extrêmement restreint « .
L’enseigne de vaisseau Yves Le Prieur qui participa avec le contingent français au secours des légations assiégées.
Il laissa une relation fort détaillée de l’action des troupes frnaçaises à Pékin.
Il se rendra au Japon en 1904 à la suite d’accords militaires franco-japonais et deviendra, par la suite, la première ceinture noire occidentale du Kodokan du Maître Kano.
Il reviendra en France et formera plusieurs instructeurs de Judo dont Ré-Nié.
Il sera aussi l’ « inventeur » des fusées Le Prieur, conçues sur le modèle chinois, et qui seront utilisées avec succès pendant la Première Guerre Mondiale contre les ballons captifs allemands.
Il fut l’un des Occidentaux, quelque peu oublié, qui fit connaître la Chine et le Japon à ses contemporains et qui était fort intéressé lui-même par plusieurs aspects de la pensée chinoise.
Il fut aussi l’un de ceux qui tenta de faire connaître aux instances militaires les « 13 articles » de Sun Tseu, donc l’équivalent français de Chinese Gordon, alias Charles Georges Gordon.
Les fusées Le Prieur sous un Nieuport 17 en 1916.
Il s’agit de fusées utilisées par les Chinois depuis des siècles mais adaptées à l’aviation de guerre par le Capitaine Yves Le Prieur.
Les flèches explosives utilisées en Chine depuis plusieurs siècles.
Extrait du Zhonguo Wu Ping Fa Jing (Traité des armes chinoises Dynastie Qing)
Ce sont les ancêtres des fusées Le Prieur et donc des missiles sol/air, air/sol et air/air
Le Prieur est l’inventeur officiel et occidental de ces fusées.
Mais en termes juridique l’inventeur est simplement celui qui « découvre ».
Lorsqu’on « découvre » un trésor on devient, officiellement, l’ « inventeur du trésor »
Or, on ne peur découvrir que ce qui a été recouvert, donc caché ou dissimulé.
Inventer, donc découvrir, c’est simplement « mettre à la vue de tous ».
Dans une certaine mesure, en tant que première Ceinture Noire Occidentale du Kodokan du Maître Kano au tout début du XXeme siècle, Yves Le Prieur est également, et juridiquement parlant, l’inventeur du Judo occidental.
Il fallait lui rendre cet hommage. A Pékin, dans le même temps, ministres occidentaux et chinois s’entendaient peu à peu sur les conditions de la reddition. Fin Octobre voici ce qui fut décidé : paiement d’une indemnité de 1 milliard de francs or en soixante versements. Contrôle des douanes maritimes et provinciales par les puissances étrangères jusqu’à extinction de la dette. Retour à Pékin sous surveillance de la cour impériale et mise en place d’une garde permanente de 2000 hommes dans la capitale.
Transformation de Tien Tsin en port international.
Emprisonnement perpétuel du Prince Tuan.
Ouverture de tous les ports chinois au commerce international.
Interdiction à la Chine d’acquérir des armes et des munitions à l’étranger…
La Chine fut donc contrainte de signer cet infamant » traité de paix » le 7 Septembre 1901. Afin de rembourser cette fabuleuse dette elle sera contrainte d’emprunter à ces mêmes nations qui l’envahissaient. De par ce fait, elle venait de s’endetter pour plus de quarante ans.
Rares furent les vois qui s’élevèrent contre cette indignité qui allait faire, en Extrême-Orient, plus de dégâts encore que le Traité de Versailles et jeter la Chine quelques années plus tard dans la plus immense guerre civile de tous les temps…
Le départ du contingent de secours français pour Pékin à Marseille est acclamé par une foule nombreuse.
Sir Robert Hart, haut fonctionnaire Britannique en poste en Chine écrivait pourtant en novembre 1900 :
» De nombreux débats ont eu lieu ces temps ci à propos des agissements des puissances envers la Chine. C’est toujours une source d’étonnement d’observer comment, au milieu de toutes les difficultés de leur pays, les Chinois gardent leur calme et leur philosophie tout en bouillant intérieurement d’indignation.
Si tout ce qu’ils avaient à dire tenait dans une seule page, cela pourrait être résumé de la façon suivante : Ce que vous dites est vrai.
Nous n’avons pas avancé avec le temps.
Nous ne sommes pas un peuple militaire.
Nous avons toujours préféré cultiver les arts de la paix et tous nos enseignements conduisent à détester la guerre et à mépriser la profession des armes.
Nous n’avons jamais disposé d’une armée autre que celle destinée à tenter de maintenir l’ordre et à réprimer les révoltes.
Nous n’avons jamais éprouvé le besoin de la transformer en une armée capable d’affronter les troupes étrangères. Puisqu’il le faut nous changerons.
Il est tout à fait possible que nous allions lentement, trop lentement et que nous soyons surpris par nos ennemis sans y être préparés. Cela est du au fait que nous n’aimons pas le changement.
Mais si le droit est le droit pourquoi ne serait-il pas reconnu ?
Pourquoi devrait-il être défendu par la force ? Il est possible de la Russie s’empare de tout le nord de notre pays, l’Allemagne de l’est, la France du sud, l’Angleterre de centre… cela pourrait même être un bien que cela arrivât.
Mais un beau matin, peut-être dans cinquante ans, peut-être dans cent ans, peut-être dans deux cents ans une immense vague de patriotisme balaiera notre pays d’est en ouest et du nord au sud et nous vous dirons : » Maintenant, messieurs, rentrez chez vous ! « .
Et vous partirez. Une telle philosophie vous fait actuellement sourire.
Mais si ces lignes devaient survivre quelques cycles, les lecteurs auront le temps de réaliser combien tout cela est vrai et rira bien qui rira le dernier « .
Pékin Novembre 1900.
Pour en savoir plus :
Le film » Les 55 jours de Pékin «
Vidéo Editions Atlas BP 983 27009 EVREUX CEDEX.
Le siège de Pékin
par Alexandre Grigoriantz aux Editions Favre
Tseu Hi, Impératrice des Boxers
par Soulié de Morant Editions You Feng
Le mouvement des Boxeurs en Chine
Par Yan YAN aux Editions You Feng 2007
Yan Yan est la fille du Maître Yan Zijie, Patriarche du Meihuazhang (Boxe de la Fleur de Prunier) et également Docteur en Histoire (Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne)
Son ouvrage sur les Boxeurs est une référence !
L’article de Georges Charles sur le mouvement des Boxeurs à Pékin en 1900
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