Le Taijiquan art martial ou gymnastique douce ?
Vers la fin des années soixante dix il existait déjà, en France, plusieurs cours de Taijiquan mais, l’immense majorité d’entre-eux ne développait de cette pratique que l’unique vision gymnique limitée à la reproduction d’une forme plus ou moins simplifiée alors considérée comme une sorte de yoga dynamique. Dans la plupart des cas il s’agissait en fait d’une version beaucoup plus californienne et post-soixante huitarde que chinoise.
Rares alors étaient ceux qui étaient en mesure de démontrer que le Taijiquan était également un « art du poing » à plein titre autrement que par le biais du fantasme d’une invincibilité merveilleuse et par conséquence jamais éprouvée autrement que par la parole.
Dans ce contexte particulier il était alors normal que deux enseignants détonnent quelque peu.
Il s’agissait de deux élèves du Maître Wang Yen-nien qui enseignaient de concert dans une salle parisienne : Serge Dreyer et Charles Li.
Ils étaient tous deux universitaire et aussi différents qu’il était possible de l’être. Serge Dreyer était un solide sarthois barbu, volubile et enjoué au physique de rugbyman et qui avait été joueur professionnel de football au Mans tandis que Charles Li était un chinois filiforme et taciturne comme un félin.
Ils transmettaient un Taijiquan étrange, complexe et fort peu démonstratif, très en appui sur la jambe arrière avec une bascule du bassin très caractéristique…
Contrairement à la plupart des autres tendances le corps commençait par une préparation très structurée et très physique basée sur des enroulements et des déroulements et se terminait, invariablement, par des exercices à deux puis par des applications de combat.
Les deux enseignant faisaient alors montre d’une réelle efficacité tant dans des pratiques de poussées que dans des saisies ou des applications libres incluant les poings et les pieds et étaient même impressionnants lorsqu’ils rivalisaient d’adresse.
De plus, ce qui était rare et l’est encore actuellement, il ne s’agissait pas d’une quelconque adaptation d’un autre sport de combat ou d’une aptitude personnelle aux principes du Taijiquan mais bel et bien d’applications classiques du Taijiquan en combat.
Il est en effet tout à fait possible d’étudier le Taijiquan classique et d’utiliser en combat libre de la Boxe anglaise ou du Karaté. Le travail proposé était réellement différent et réellement efficace et bon nombre de pratiquants et d’enseignants d’arts martiaux furent alors convaincus que le Taijiquan ne se limitait pas à une simple gymnastique.
Etrangement ces deux enseignant insistaient également sur la précision du geste et de la posture, sur le placement du souffle ainsi que sur les principes essentiels de l’énergétique chinoise classique.
Il leur arrivait même de parfois citer les classiques chinois.
Avec eux et quelques autres enseignants de pratiques chinoises il fut alors décidé de faire venir le Maître Wang Yen-Nienà Paris et au Mans. Ce qui fut fait non sans mal. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts mais le Maître Wang Yen-Nien est revenu de nombreuses fois en France.
Une terminologie pour le moins complexe !
En Chine, la langue chinoise s’écrit avec des caractères chinois. Ceci étant simplement dit et affirmé il convient alors de constater que la plupart des occidentaux ne lisent pas ces caractères et qu’il convient donc de les transcrire, plus ou moins phonétiquement, en lettres romaines. Cette romanisation de la langue chinoise ne se fait pas sans mal puisque la retranscription phonétique d’un son varie en fonction de la langue utilisée pour cette transcription. La lettre I, par exemple, ne se prononce pas nécessairement de la même manière en Chine, en France ou dans les pays anglo saxons. De ce fait, le même caractère chinois peut présenter plusieurs différentes transcriptions. Il existe donc différents systèmes dont les plus connus et les plus utilisés sont ceux de l’Ecole Française d’Extrême-Orient (E.F.E.O.), utilisé en France et dans les pays francophones, le système Wade sans doute le plus répandu dans le monde anglo-saxon, le système allemand Lessing ainsi que diverses transcriptions secondaires comme celles du dictionnaire Couvreur. Sans oublier le Pinyin Zimu qui est le système officiel élaboré en République populaire de Chine en 1958 et qui est reconnu comme tel par divers traités internationaux dont le France, entre-autres, a été signataire en 1959 et 1972. Cette romanisation pinyin a malheureusement été basée à l’origine sur une prononciation anglaise et se doit donc d’être décodée lorsqu’elle est lue par un Français !
Ce qui ne simplifie pas les choses.
Il convient donc de ne pas s’étonner si Taijiquan, en pinyin, peut également s’écrire :
Tai-ki k’iuan(Technique de Longue vie, technique de combat par Catherine Despeux 1975) ;
Tai ki tchuan(Relaxation, sérénité, équilibre sur les traces du Tai ki Tchuan par Dominique de Wespin – Editions André Gérard Marabout – (1973) ;
Tai Chi Ch’uan(Fundamentals of Tai Chi Ch’uan par Wen-Shan Huang Editions South Sky Company Hong Kong (1973) ;
Taiji Quanpar Wang Yen-nien Editions Hsin Hua Printing Taipei (1988) ;
T’ai-Chi Ch’uanpar Chen Man-ch’ing et R. Smith Editions Charles Tutte (1967) ;
Taï Ji Quan Le Dao et le Qipar Antoine Ly Editions Lierre et Coudrier (1990) ;
T’ai Ki K’iuan – Soins et Techniques du corps en Chine, au Japon et en Indepar P. Huard et M. Wong Editions Berg (1971)… etc.
Il est bien évident que toutes ces transcriptions, en tenant compte des trémas, tirets et autres apostrophes désignent bel et bien la même chose s’écrivant en chinois avec trois caractères immuables.
Si la romanisation est donc assez complexe, c’est le moins que l’on puisse dire, la traduction de ces trois caractère n’est pas, non plus, aisée.
Tai(caractère 4460 du dictionnaire Ricci) signifie grand, le plus grand, suprême, extrême. Ji(Chi) (caractère 392 du dictionnaire Ricci) signifie poutre faîtière, faîte, le point le plus élevé, sommet, apogée, la plus haute perfection.
Quan(Chuan) (caractère 1383 du dictionnaire Ricci) signifie poing, main fermée, boxe, par extension art du poing.
Taijiquan peut donc tout à fait se traduire autant par « Poing du Grand Faîte » que « Boxe de la Haute Perfection« .
Ainsi que de par de multiples images métaphoriques plus ou moins poétiques comme « Boxe contre les ombres« , « Danse des ondes« , « art martial interne » et on en passe encore pas mal et des pires. Mais, tout cela serait encore trop simple car Taijiquanreprésente, de plus, un terme générique dont il convient de préciser encore le style, l’école, la tendance et, parfois même, l’enseignant !
Affirmer pratiquer « du Taijiquan » (ou pire encore « Faire du Taichi » comme on fait les Pyramides, la Thailande, son âge, la gueule, un infarctus…) c’est, en quelque sorte, comme prétendre « jouer au ballon » !
Il existe, en effet, du Taijiquandu Style (… de la famille) Yang, du Style Chen, du Style Wu, du Style Hao, du Style Lee… comme il existe du football, du handball, du basket ball, du rugby, du jeu à treize ou de la balle au prisonnier !
Un sympathique bazard chinois et quelques Gremlins! De son coté, le Style (de la famille) Yangpeut être différencié entre l’Ecole moderne (Xin Jia) et l’Ecole Ancienne (Lao Jia).
On parlera ainsi du « Yang Xin Jia Taijiquan » (Taijiquan de l’Ecole moderne de la Famille Yang).
Il est, ensuite, possible de différencier les formes « longues » (Tai), « moyennes » (Zhong) ou « courtes » (Xiao) en fonction de la taille de l’enchaînement (… ou des enchaînements) transmis.
Il convient souvent d’adjoindre un qualificatif particulier généralement lié à un enseignement spécifique.
On peut donc se référer au Taijiquan« originel« , « orthodoxe« , « classique« , « explosif« , « de combat« , « de transmission secrète« … etc. Enfin, un enseignant exceptionnel a pu laisser une empreinte que souhaitent conserver ses élèves en transmettant sa méthode plus particulière encore.
Il est donc admis de se référer à cet enseignant dans le titre de l’Ecole : « Ecole Yang de méthode Chen Man Ch’ing » ou « Ecole Yang de méthode Li Guang Hua » ou « Ecole de la Transmission Secrête du Maître Wang Yen Nien » ou « Taikyokuken du Maître Yong Meiji »…etc…etc…
Ce qui fait, en réalité des dizaines de combinaisons.
Mais, lorsque des non initiés « vont s’inscrire au Taijiquan » que des néophyte « pratiquent le Taijiquan » ou que les touristes « Font du Taichi » des enseignants ou des anciens qui se rencontrent n’utilisent que très rarement ce terme global et préfèrent dire « j’étudie le Yang Pai Lao Jia » (lire l’ancienne branche de l’école Yang) ou « j’enseigne le Yangjia Michuan » (lire la transmission secrète de la famille Yang). Tout cela peut sembler très compliqué de l’extérieur mais il doit être assez rare que Barthez ou Zidane aient encore à expliquer qu’ils jouent avec les pieds au ballon rond dans un club suivant les règles de la Fifa !