Le « sans » il faudra faire avec
Par Georges Charles
Il y a quelques années nous avions, déjà, publié cet édito sur le syndrome de la pizza. Entre temps les choses ont encore évolué puisque la mode est au « sans ». Il faut acheter et consommer mais « sans ». Il n’est pas un jour sans qu’un nouveau produit, ou qu’un nouveau concept, nous éviterons le nouveau « praujais », paraisse accouplé à un argument de persuasion massive : le « sans ». Il faut être, mais « sans ».
Le jambon se doit d’être « sans » polyphosphates, la pâtisserie « sans » gluten, les plats cuisinés « sans » huile de palme, les produits de beauté « sans » paraben, les biscottes « sans » soja, la lessive « sans » enzymes, le vin « sans » sulfites, la confiture « sans » conservateur, le plat asiatique ou la sauce de soja « sans » monoglutamate de sodium (donc « sans » glutamate !), le chocolat « sans » soja, la grenadine « sans » colorant, le régime « sans » sel, « sans » sucre, « sans lait », sans viande (maintenant on dit Végan, ça fait plus branché « bobo » ou même « bonobo » (bourgeois non bohème) – vegan étant la contraction de vegetarian -) Il est même question de Vegan « sans » gluten et « sans » soja – dilemme cornélien pour les macrobiotes qui se sont nourris pendant des années de Seitan 100% gluten ou de Tofu 100% soja sans parler des algues ou du gomasio (graines de sésame grillé avec sel de mer et broyées) qui sont très salés – On pourrait allonger indéfiniment la liste en évoquant, au hasard, des élections « sans » financement occulte, une proportionnelle « sans » charcutage, des cantines scolaires (et pourquoi pas d’entreprises ? » « sans » h’alouf, une bandaison « sans » viagra, un quinqua « sans » brioche, une télé sans Stéphane Bern, une assurance « sans » franchise et une France « sans » immigrés ou « sans » chômage et « sans » dette. Mais là on irait trop loin.
Le « sans » est donc devenu, bêtement, un plus avec lequel il faut compter. Le « sans » finit, inexorablement par nous contaminer.
A un moment on a eu un « Monsieur plus » qui nous rajoutait des cacahouètes, après cela a été une « Madame moins » avec le moins salé, le moins sucré, le moins gras, le moins cher, le moins polluant, désormais c’est le règne du « sans ».
Le problème est que le « sans » est nécessairement remplacé par quelque chose sinon ce ne serait pas du jeu.
Lorsque Madame Zonzon achète un produit de beauté « sans » paraben, lequel est un conservateur, si ce produit n’est pas certifié « bio » il y a une infinité de chances pour que cet adjuvant néfaste soit remplacé par un autre conservateur. Sinon au bout d’une semaine sa crème de nuit se transforme en purée à grumeaux moisie et puante. Qu’est-ce qui remplace donc le paraben ? Soit le methylisothiazolinone, soit le phénoxyéthanol (qui est un ether de glycol), soit le triclosan, que l’on donne comme un perturbateur endocrinien de premier plan, soit le cetrimonium bromide, allergène reconnu, soit le formaldéhyde qui n’est autre que le formol. (source Anne Marie Gabelica ingénieur agronome diplômée en biochimie). De quoi être rassuré. Se balancer du formol sur la tronche avant d’aller au lit n’est peut-être pas le meilleur remède da santé, ou de beauté, qui soit. Mais chacun son truc.
Lorsque le jambon n’est pas traité au sel nitrité (sel contenant une faible proportion de salpètre, comme cela s’est toujours fait depuis nos ancêtres les Gaulois) il faut bien trouver un autre conservateur comme l’isoascorbate de sodium (E 316) qui est un antioxydant et comme Madame Zonzon veut que son jambon blanc « sans » nitrates soit quand même bien rose on y ajoute donc des colorants. C’est « sans » mais aussi « avec », avec « autre chose encore » comme disent les Taoïstes !
On pourrait encore allonger la liste des « encore autre chose » mais cela deviendrait vite lassant.
Plus c’est différent, plus c’est toujours pareil.
On conçoit fort bien que pour des raisons médicales certaines personnes aient la nécessité d’éviter des produits allergisants les concernant spécifiquement, dès que ceux-ci ont été déterminés, mais on comprend mal comment certains groupes, non concernés par ces raisons médicales, ni par ces allergies, en viennent à devenir des intégristes de l’alimentaire.
Simplement parce qu’il existe un marché et que certains producteurs sont prêts à tout pour se démarquer en trouvant un nouvel argument de vente. On assimile alors le « sans » à « sans » allergies, « sans » maladies, « sans » prise de poids, « sans » dégâts sur la nature ou l’environnement mais il est à remarquer, quand même, que ce « sans » est généralement plus cher que le « avec ». C’est ce qui remplace le « sans » qui coûte généralement plus cher que le avec. Un coup d’étiquette colorée, et hop, une petite augmentation ni vue ni connue. C’est toujours ça de pris. Ou ça de prix. Et le dindon est content de sa farce « sans » mais quand même avec autre chose dont il ne se doute même pas.
Mais dites vous quand même un truc : lorsque votre ordinateur vous propose de redémarrer en « mode sans échec » c’est qu’il y a un problème et qu’il vous cache quelque chose.
On peut faire « sans » mais on peut aussi faire avec. Avec un peu plus de bon sens, surtout.