Interview de Georges Charles sur le “ Qigong “

Du judo au Dao Yin Qi Gong

Cet interview date de septembre 1999 et a été réalisé pour le magazine Tao-Yin

François Libert (FL) – Georges Charles, vous enseignez actuellement le  » Qigong « . Comment en êtes -vous venu à cette pratique ?

 

 

Georges Charles (GC) – C’est une longue histoire.
Mon père avait pratiqué avec Kawaishi et m’a inscrit dans un club de Judo en 1958. J’ai eu comme professeurs Riva et Dupuis.
Pardon il faut dire Maître Riva et Maître Dupuis maintenant !  J’ai donc commencé par le Judo – Jiujitsu.
Le Judo ne me convenant pas trop, j’ai alors entrepris la pratique du Karate chez Henri Plée qui était le pionnier de cette discipline et qui l’a fait connaître en France. Il a découvert cette pratique auprès des Japonais lorsqu’il était en Corée, comme volontaire.

 

gc1962

Photo au Dojo de la Montagne Sainte Geneviève en 1962
Henry plée est sur la gauche, en Hakama, je suis également sur la photo.
Le troisième à gauche avec le point rouge.
C’est un cours de bâton.
Je continue à enseigner le bâton, mais chinois maintenant, tous les mercredi au Dojo San Yiquan de Paris.

 

 

Lorsqu’il l’a ramenée en France, dans les années cinquante, plusieurs enseignants l’ont, à l’époque, accusé de l’avoir purement et simplement inventée de toute pièces. Cela lui a valu le surnom de  » Karaplée « .

Il a du relever plusieurs défis qui, heureusement, se sont toujours bien terminés… pour lui. Il est vrai qu’il était déjà pratiquant de lutte libre et de judo et qu’il avait, paraît -il, un  » coup de boule  » redoutable et redouté.
Ce n’était probablement pas du Karaté très orthodoxe mais il avait au moins le mérite de le pratiquer avec conviction et en hakama pour se différentier des Judokas.
J’étais évidemment l’un des plus jeunes pratiquants de  » La Montagne  » et Henri Plée m’a avoué qu’il pensait, à l’époque, que j’abandonnerai rapidement la pratique car j’étais un peu trop dissipé à son goût. Il s’est trompé et il le reconnaît maintenant… près de quarante ans après. (cinquante ans maintenant en 2010 !)
Il est actuellement dixième Dan et a été élu, l’an dernier, comme le  » professeur du siècle  » par de nombreux pratiquants. Il a évidemment formé de très nombreux enseignants de grande valeur qui, pendant de nombreuses années, ont donné une sacrée avance au Karaté français tant sur un plan technique que sur le plan de la compétition.

 

Dans ces premières générations d’enseignants on retrouve Habersetzer, Delcourt, Lavorato… ainsi que Hoang Nam mais également Cauhépé puis Maroteaux… et quelques autres encore. Vis à vis de tout ce beau monde j’étais évidemment un peu le  » petit jeune  » et on ne faisait pas trop attention à moi.
Mais cela ne m’empêchait pas de pratiquer avec conviction.

 

Je suis resté plusieurs années chez Henri Plée ce qui m’a permis d’étudier sous la direction de Maîtres Japonais qu’il invitait… Harada, Murakami, Kase, Mochizuki, Nanbu… à qui j’apportais le thé et pliais le Keikogi. Ce qui me permettais d’assister, en douce, à maintes discussions souvent des plus animées car les relations avec ces experts japonais qu’il hébergeait et Plée n’étaient pas toujours des plus faciles.

 

gc1968

1968, Nunchaku avec Yoshinao Nanbu
C’est le Maître Yoshinao Nanbu (avec deux N !) qui le premier, en France a introduit le fameux Nunchaku, ceci bien avant Bruce Lee.
J’ai été rapidement passionné par cette arme agraire au point que mon surnom d’époque était « Nuntjac ».
Par la suite il est vrai qu’on m’a aussi surnommé « Técondo » puisque je fus l’un des 4 premiers élèves français du Maître Lee Kwan Young au Gymnase François Peatrick au Plessis Robinson. Il y avait les deux jumeaux Olivier et Thierry Streit de Bossy et le regretté Patrick Tamburini.

 

J’étais passionné par les Arts Martiaux et à seize ans, j’ai découvert la pratique de l’Aïkido avec Dominique Balta qui était alors l’un des plus anciens élèves de Masamichi Noro et qui avait également pratiqué avec André Noquet, Nakazono et Murashige. Deux ans plus tard, et parallèlement, je me suis lancé dans le Taekwondo avec Lee Kwan Young qui venait d’introduire cet Art Martial Coréen en France. Au tout début, fin 1968, nous étions quatre dans un immense gymnase à Plessis Robinson.

gc1967

Aïkido au JJCE en 1967 avec Dominique Balta
Dominique Balta fut l’élève de Jean Daniel Cauhépé, de André Nocquet, de Arimoto Murashige et de Masamichi Noro.
Il faisait partie de la deuxième génération des Experts français.Par la suite il a également accepté d’être mon élève dans les Arts Chinois.

J’habitais à l’autre bout de la banlieue et j’avais près de deux heures de transport rien que pour aller à son cours. A cette époque on parlait de  » Karaté volant  » ou de  » Super Karaté  » ! Comme j’avais quelque peu pratiqué le nunchaku avec Nanbu, bien avant la mode Bruce Lee, on me surnommait donc  » Manche à coups « ou « Nunjac » tandis qu’à l’Aïkido j’était évidemment  » Técondo « .

gc1969

USA 1969 avec Robert Popilock (à gauche) Sandan et directeur SPKC
Avec de droite à gauche Edward Bourque, Patrick Lemond, Georges Charles, Gark Kilcher, Richard C. Kayser (à genoux), Bob Costa (à genoux), Bull Bruckell , David d’Angello.
Sommers Point Karate Club.

gc1969-usa

Dédicace de Robert -Bob- Popilock USA 1969
« Ce fut très sympa de te compter parmi nous au Sommers Point Karate Club.
Cela a été très bénéfique dans l’échange des techniques (ou dans l’échange technique). Bonne chance à toi pour le futur et nous espérons te revoir prochainement. Robert Popilock San Dan Directeur SPKC »

 

 

J’étais très bagarreur.
Peu de temps après, j’ai effectué un stage d’étude aux USA, dans le cadre d’une école de la Chambre de Commerce de Paris.
Je devais travailler sur place.
J’ai donc trouvé assez rapidement un job sérieux, dans une grande chaîne d’hôtels, et je suis resté une journée car je n’avais pas la moindre intention de raser ma moustache.
Je me suis donc fait engager comme  » répétiteur  » (coach) à l’Association Sportive du Campus de l’Université de Philadelphie. Mon travail consistait à faire exécuter les préparations, à m’occuper de la mise en forme et à faire réviser les  » Hiung  » (l’équivalent coréen des Katas japonais ou formes préarangées), on disait  » routines « , aux élèves de Taekwondo du Maître Shin Yun Hun qui était secondé par Bob Popilock, un champion alors très connu.
Cela se passait très bien.
L’Aïkido étant très peu connu, j’ai eu l’idée de créer un cours  » pirate  » sur le Campus.
En tant que  » frenchie  » avec moustache, j’ai immédiatement eu beaucoup de succès avec les étudiantes

Un soir deux jeunes Chinois sont venus me voir et m’ont demandé avec quel Maître Chinois j’avais étudié le  » Chin Na Shu  » (art souple des saisies).
Je n’y comprenais rien et leur ai expliqué que c’était de l’Aïkido et japonais.
Ils ne m’ont jamais crus.
On a donc échangé des techniques et ils m’ont fait découvrir quelque chose de nouveau pour moi : le  » Gongfu « .
J’étais assez émerveillé par la richesse de cet Art.
On a donc pratiqué jusqu’au moment où je devais de rendre à San Francisco, on disait  » Frisco « , et ils m’ont donné l’adresse d’un Chinois réputé.
Il était, en fait, responsable de la communauté taoïste et se faisait appeler Shen Tian Shi, ce qui est le titre officiel d’un  » Maître Céleste  » des Tao Kiao (Taoïstes religieux).
Il pratiquait d’étranges exercices et du  » Gongfu  » très souple.
J’ai, ensuite, appris qu’il s’agissait de la  » Boxe Interne du Mont Wudang « .
Cela a donc été mon premier contact avec l’Art Interne et le  » Qigong  » taoïste.

 

FL – Avez vous alors réalisé l’intérêt de cette pratique ?

 

GC – Non, j’avais tout juste vingt ans et j’étais très martial. Je lui ai demandé s’il connaissait l’adresse d’un Maître Chinois de  » Gongfu  » en France.
Par chance extraordinaire, il m’a fait une lettre d’introduction pour l’un de ses amis qui dirigeait une société d’import – export, la sodimpec, rue Monsieur Le Prince à Paris.
Une fois revenu, je me suis immédiatement précipité à son adresse et j’ai été très déçu car il venait de partir en vacances.
C’était l’été et je voulais faire du  » Gongfu « .
J’ai découvert un Maître Vietnamien qui enseignait plus ou moins cette discipline qu’il nommait  » Kung Fu Kempo « .
Il s’agissait du Maître Hoang Nam.
C’était un tout petit bonhomme souriant avec une fabuleuse énergie.
Il était l’un des tous premiers à avoir organisé des stages d’été.
Depuis, il a fait école !
Je me suis inscrit à toutes les disciplines.
Hoang Nam était polyvalent et enseignait, au choix, le Karaté, le Kung Fu Kempo, l’Aïkido, le Taidji (Taijiquan).
Assez rapidement il m’a confié la direction du stage d’Aïkido et, en échange, a accepté que j’étudie le Taidji qui, normalement, était strictement réservé à ses anciens.
C’était un enseignant de grande valeur qui terrorisait des types réellement deux ou trois fois plus lourd que lui. Bien que pratiquant une méthode sino-vietnamienne assez personnelle et peu orthodoxe, il a formé la plupart des enseignants qui ont été à l’origine du Kung Fu en France.
Il a été probablement aussi le premier à ouvrir un cours de Taijiquan sérieux.

 

FL – Avez -vous continué la pratique avec lui ?

 

GC – Non, dès la rentrée venue, je me suis rendu chez le Maître Tai Ming Wong, dont j’avais l’adresse.
Il a lu la lettre et, très amusé, m’a accepté comme élève.
Il n’enseignait qu’à des Chinois qui avaient plus ou moins son âge, une soixantaine d’années.
J’ai ensuite appris qu’il était réfugié en France depuis 1949, qu’il avait obtenu la nationalité française et qu’il se nommait en fait Wang Zemin.
Il utilisait à l’époque le nom sous lequel il obtint la nationalité française.
Etant réfugié politique ayant du fuir la République Populaire de Chine en 1949 de par le simple fait qu’il descendait du philosophe Wang Yangming et qu’il continuait à transmettre ses enseignements (Xinxue ou Ecole de la Pureté du Coeur), il avait simplement « vietnamisé » son nom chinois Wang Tse Ming en Wong Tai Ming puis en Tai Ming Wong.
Il avait été pendant dix années le disciple direct d’un Maître très réputé, Wang Xiangzhai (Wang Hsiang Chai) qui était lui -même le disciple direct de Guo Yunshen dont le surnom était Fo Jun Sha (littéralement  » Mortelle paume du Bouddha  » que l’on traduit désormais plus euphémiquement par  » La Paume Divine  » ).
Tout un programme !
Les autres Chinois n’étaient pas très contents car j’étais encore très remuant et, probablement, assez dangereux.
Ils pratiquaient mollement et parfois sans grande conviction et je les titillais sans cesse.
Wang, pour me calmer, a puisé dans ses souvenirs lointains et a décidé de m’enseigner de l’Externe (Wai Jia) ( » Kung Fu  » dur).
Il disait  » Kuo Shu  » (Main du Pays) dans les Styles Hung Gar (Shaolin du Sud), Pei Tang Lang (Mante Religieuse du Nord), Wing Chun (Printemps Radieux). Cette dernière école fut, ensuite, popularisée par Bruce Lee.
Wang avait pratiqué ces écoles dans sa jeunesse et j’étais donc ravi.
Il en profitait pour me faire pratiquer, ou subir, un échauffement très étrange qu’il appelait  » Gymnastique Chinoise Traditionnelle « .
Ce terme  » traditionnel  » me rassurait.
Pour son âge il était d’une souplesse incroyable.
Je l’enviais et il m’a piégé.

 

FL – Qu’entendez -vous par il vous a piégé ?

 

GC – Je voulais pratiquer un art martial efficace et viril, pas un truc pour les vieilles chinoises malades ! S’il m’avait parlé d’art de santé ou de quelque chose de ce genre, j’aurais hurlé de rire.Comme Monsieur Jourdain, et à mon insu, je faisais donc de bonne grâce et sans le savoir du  » Daoyin Fa  » (Tao Yin Fa)… donc du  » Daoyin Qigong « .
Le terme  » Qigong  » n’existait pas encore et cette pratique était interdite en République Populaire.
Officiellement le premier institut de  » Qigong  » a été créé à Pékin en 1981.
J’ai donc pratiqué quelques mois le  » Kuo Shu  » et le  » Daoyin Fa  » et je suis parti en Allemagne pour le service militaire. J’étais alors ceinture noire de Karaté, ceinture noire de Taekwondo et ceinture noire d’Aïkido ce qui, à l’époque en 1970 n’était pas très courant. Au bout de quelques mois je me suis donc retrouvé instructeur de close combat au Centre Commando FFA de Trèves.
C’était assez épique car il y avait de nombreux vétérans d’Indochine et d’Algérie.
Ils ont fini par me respecter et, de mon coté, j’ai appris pas mal de choses à leur contact.
C’était donc très  » martial  » dans le sens initial du terme et très instructif et cela m’a permis, par la suite, grâce à de sérieuses relations, de me charger de la formation des gardes du corps d’une importante société de protection rapprochée.
Je fus aussi un peu à l’origine de la formation des agents des premières sociétés privées de protection rapprochée comme Century, Budo Brother’s, KO Int’l…
Ce qui me valut quelques démélés avec les RG qui considéraient ces sociétés comme des officines de recrutement de mercenaires.
Mais il y a prescription.
Dès mon retour de l’armée, j’ai continué la pratique avec Wang.
En 1973, je suis allé passer un troisième dan de Taekwondo au Kukkiwon de Séoul après un détour par Hong Kong.
A partir de là je n’ai plus pratiqué que les Arts chinois.

 

FL – Quand avez -vous commencé à enseigner les Arts chinois ?

 

GC – Dès 1974, j’ai demandé l’autorisation à Wang d’ouvrir une section de  » Boxe Chinoise  Traditionnelle « .
Il a accepté à la seule condition que je n’enseigne que de  » l‘Externe « .
Mais, j’ai fait comme lui, j’ai un peu triché, et j’ai inclus la fameuse  » Gymnastique Chinoise Traditionnelle  » dans mes cours. Mes élèves, dès cette époque, étudiaient donc le Daoyin Fa ( » Qigong « ) sans le savoir !
Dominique Balta, et c’était très courageux de sa part, a accepté de me servir d’assistant.
Cela lui a valu quelques problèmes avec le Maître Noro qui, à l’époque était très exclusif…
On a alors publié de nombreux articles et effectué de nombreuses démonstrations… plus d’une centaine. Il y avait alors beaucoup de monde et on se retrouvait parfois plus d’une soixantaine en cours.

 

Par la suite, je me suis rendu plusieurs fois à Hong Kong et Taiwan avec une lettre de recommandation de Wang.
J’ai alors pu travailler avec des Maîtres comme Yuen Yik Kai et Chan Hong Chung du Hung Gar, Tang Sang et Leung Ting du Wing Chun et Lee Argn Lee, médecin spécialisé dans la pratique de l’Interne.
Cela m’a également permis d’être diplôme en tant qu’enseignant de la Hong Kong Chinese Martial Arts Association et de la Koushu Federation of the Republic of China.
Entre temps, je suis devenu Directeur Technique National de la Fédération Nationale de Boxe Chinoise qui, à l’origine avait été créée par Hoang Nam.
J’ai alors invité plusieurs Maîtres et experts chinois mais la cohabitation au sein d’une structure unique a été difficile à gérer. En effet, tout ce beau monde pratiquait, sans se poser la moindre question, le  » Kung -Fu Kempo  » y compris les maîtres vietnamiens qui étaient tous, sans exception, gradés dans cette discipline.
Les statuts de cette Fédération de l’époque en attestent formellement.
L’arrivée des  » Chinois « , sur mon invitation, a donc été l’occasion de se poser quelques questions. Cela a été à l’origine de la séparation des écoles vietnamiennes, des écoles sino -vietnamiennes et des écoles chinoises… sans parler des tendances annexes qui ont rejoint le Karaté avec armes et bagages.

 

De cette époque précise date l’éclatement du  » Kung Fu Kempo « , jusqu’alors unitaire, en Viet Vo Dao, Vo Vietnam, Vovinam, Vodao, Boxe Chinoise, Kung Fu, Wushu, Taiji Quan … ainsi que la création des diverses fédérations désireuses de représenter ces disciplines.
Cette explosion a été à l’origine de divers clivages, notamment entre les anciens élèves de Hoang Nam… d’un coté Dan Schwartz et de l’autre Jacques Chenal, pour ne pas citer de noms.
Le Karaté en a évidemment immédiatement profité pour récupérer le  » Kung Fu « . Il existait donc d’un coté la  » Boxe Chinoise  » et de l’autre le  » Kung -Fu « … par la suite la  » Boxe Chinoise  » est devenue le Kung -Fu Wushu.
Entre temps je me suis fait démissionner du poste de DTN car je n’avais pas tout à fait le même point de vue sur la pratique et l’enseignement que les dirigeants de cette Fédération… En gros, ils m’expliquaient sans cesse qu’ils n’avaient rien à foutre des Chinois et qu’on pouvait tout à fait se passer d’eux.
De plus ils critiquaient ouvertement mes contacts avec le Karaté et l’Aïkido…
Par la suite j’ai toujours eu le même type de problème avec les diverses fédérations auxquelles je me suis affilié.
On me reprochait généralement d’être trop externe pour l’interne ou trop interne pour l’externe. On s’arrangeait donc pour m’envoyer la convocation le lendemain de l’Assemblée Générale ou de la réunion du Comité Technique que j’était censé présider… puis on constatait mon absence et on affirmait que j’étais d’accord avec ce qui avait été décidé… sans m’en prévenir bien évidemment.
Quand je n’étais pas d’accord avec ce procédé on faisait alors valoir mon très mauvais caractère et mon intransigeance.

 

Cela a duré assez longtemps dans trois ou quatre fédérations différentes de Kung Fu, de Karaté, de  » Tai Chi Chuan « … et même de  » Ritsu Zen  » !
En gros on appréciait ma présence sur le papier quand il s’agissait de signer des statuts ou des protocoles d’accord mais on préférait éviter celle -ci en réunion ou dans les passages de grades.
Depuis un bon moment je préfère donc demeurer  » autonome  » même si cela me pose toujours des problèmes.
On prétend donc que je suis  » anti -fédé  » mais, de tous ceux qui prétendent cela, je suis probablement celui, et le seul, qui peut présenter le plus grand nombre de licences fédérales diverses et variées sur un espace de près de trente années.
J’ai été successivement  » fédéré  » au Judo, à l’Aïkido, au Taekwondo, au Kung -Fu Kempo, à la Boxe Chinoise, au Kung -Fu Wushu, au Karaté, au  » Tai Chi Chuan « , au  » Qigong  »
Sans parler des diplômes fédéraux.
Je suis simplement contre le manque total de démocratie de la plupart de ces fédérations qui prétendent pouvoir donner des leçons de moralité aux enseignants et aux pratiquants. Je refuse, en France, le concept de dictature bananière surtout lorsque celui -ci est cautionné en connaissance de cause.
Je ne suis pas marginal, je suis rigoriste et, probablement, un peu confucianiste. Lorsqu’une fédération représentative aura balayé devant sa porte et proposera un processus démocratique dans son fonctionnement, dans l’attribution des grades et des diplômes, dans la formation professionnelle, jusqu’ici totalement inexistante, dans le respect de la personne morale des associations je ne serais plus  » anti -fédé « .

Mais, au vu de ce que j’entends, cela n’en prend pas le chemin.

 

 

FL – Et le  » Qigong  » dans tout cela ?

 

GC – On y vient peu à peu ! A cette même époque, j’ai eu la chance d’avoir comme élèves Gabriel Faubert, un acupuncteur bien connu, ainsi que Franck et Tania Gilly, Pierre Yves Dodin qui faisaient partie des premiers élèves de Marc Bozzeto , l’un des pionniers de l’ostéopathie crânienne en France. Ils m’ont également fait connaître et apprécier le Dr de Sambucy qui avait té leur premier enseignant.
Ce dernier avait écrit plusieurs ouvrages sur le  » Yoga chinois « , donc le  » Qigong  » classique, et m’a réellement incité à enseigner cette discipline.
Au contact de ces thérapeutes j’ai pris, enfin, conscience qu’il convenait de mieux respecter le corps… et qu’il valait mieux le vivifier que de le mortifier.
J’ai donc créé avec leur aide, en 1978, l’Institut des Arts Martiaux Chinois Traditionnels et j’ai demandé à Wang l’autorisation d’enseigner officiellement l’Interne.
Il a accepté et en 1979, lorsqu’il a pris sa retraite et est parti en République de Chine, il m’a demandé d’assurer la succession de son école, le  » Poing des Trois Harmonies  » (San Yiquan).
C’était, à l’époque, une lourde charge car Wang Tseming ne représentait pas seulement la filiation de Wang Xiangzhai, lui même fondateur du Dachengquan (Ta Tcheng Chuan) et du Yiquan (I Chuan) puisqu’il reprit le nom de l’Ecole de Li Nenjang qui avait initié cette tendance (Ziran ou Tseujan) que l’on qualifie de « spontanée », « naturelle », « libérale » mais que je préfère nommer « évolutive ».
Mais également la filiation de l’Ecole Xin Xue (« Pureté du Coeur ») assimilée au Néoconfucianisme (ce sont les Occidentaux qui la nomment comme ça !) développée par Wang Yang Ming (Wang Shuren ou O Yomei) son ancêtre au sein du Clan du Marquisat (Houjue) Wang De Yue.
Ce Clan, à l’étendard aux Sept Etoiles d’Or sur sinople, détenait une forme de lance du Général Yue Fei (1103 142) puisqu’il avait recueilli et adopté celui-ci (Yue Wou Mou Wang) ainsi que les formes d’armes de l’Ecole de la Mante Reiligieuse des Sept Etoiles du Nord.
Entre le Tao-Yin Shen Ti du Ling Pao Ming, le Xingyiquan de forme évolutive, l’Externe de trois Ecoles, les formes d’armes du Clan Wang de Yue et les principes du Xin Xue cela faisait déjà beaucoup même lorsqu’on est passionné et qu’on possède un peu plus de vingt ans de pratique.
A partir de là mon enseignement a inclus l’Externe, dans trois écoles, l’Interne en Xingyi Quan (Hsing I Chuan) et le  » Daoyin Qigong  » du Ling Pao (Ling Pao Ming Siu Tan Pai Tao Yin Chi Kung « . Cette filiation a été très bien acceptée et reconnue en Chine mais beaucoup moins bien ici ou les anciens élèves de Wang ont mal supporté qu’un occidental puisse diriger une école traditionnellement chinoise.

 

FL – Le  » Daoyin Qigong  » s’est alors fait connaître dans le milieu martial ?

 

GC – Principalement car j’évoluais dans ce milieu.
Pour beaucoup de pratiquants c’était une autre vision des choses, particulièrement dans l’échauffement et les préparations.
Auparavant, pour beaucoup, cette mise en condition consistait presque uniquement en des  » pompes « , des abdominaux, des marches en canard autour de la salle et d’interminables séries de coups de pied dans le vide.
C’était efficace sur le plan de la condition physique sportive et de l’endurance mais désastreux pour le corps et particulièrement pour le dos. Assez rapidement de nombreux pratiquants et quelques enseignants, dont certains de renom, se sont rendus compte des avantages et du potentiel de cette pratique. Pour certains d’entre eux cela a été l’occasion de découvrir les pratiques chinoises et une toute autre conception de l’Art Martial basé sur le respect du corps… et surtout du partenaire.
Au tout début il n’y a pas eu de problème mais, peu à peu, cela a dérangé en profondeur ce qui était établi, particulièrement dans les mentalités.
Un professeur de Karatedo très connu en est même venu à qualifier cela de  » syndrome parisien  » !

 

De fait, plusieurs enseignants de Karatedo, contaminés par cette gymnastique chinoise, sont progressivement passés avec armes et bagages vers la  » Boxe Chinoise  » puis vers le Taijiquan.
La plupart d’entre eux pratiquent et enseignent encore vingt ans après.
D’autres se sont posés des questions et ont recherché les origines chinoises de leur pratique et ont redécouvert les anciennes écoles d’Okinawa où de nombreux Maîtres pratiquaient encore des formes chinoises et une gymnastique énergétique sinon du Taijiquan.
Cela a été une sérieuse brèche dans le karaté sportif !
Un ami de longue date, Pierre Portocarrero, avec lequel j’avais depuis longtemps des échanges privilégiés a été le chef de file de cette tendance.
L’impact a été moins important en Aïkido car de nombreux enseignants, grâce à la tendance énergétique et philosophique développée par le Maître Ueshiba, proposaient des préparations assez proches de la conception chinoise et particulièrement taoïste.
De leur coté les Japonais avaient développé une version nipponne du Daoyin (Tao Yin), le Do In.

 

FL – Cette implication martiale a -t -elle eu une influence sur la pratique du  » Qigong  » ?

 

GC – Oui, malheureusement car la Fédération de Karaté voyait d’un assez mauvais œil cette fuite des effectifs vers les pratiques chinoises ou les anciennes écoles d’Okinawa très proches de la conception chinoise… et a usé de son influence auprès du Ministère de la Jeunesse et des Sports pour que le  » Kung Fu Wushu « , le  » Taiji  » et le  » Qigong  » soient officiellement considérées comme des disciplines affinitaires, donc mises sous la dépendance directe du Karaté.

Cela n’a pas empêché la création de multiples fédérations considérées comme  » dissidentes « .
De fait, et jusqu’à une époque très récente, puisque cela date de moins de deux ans, le  » Qigong  » a été successivement et à la fois placé sous la tutelle du Karaté, de la Boxe Chinoise, du Kung Fu, du Kung Fu Wushu, du Taijiquan… chacune de ces disciplines revendiquant le droit, et souvent le devoir, de délivrer des diplômes spécifiques d’enseignants de  » Qigong « .
Les divers diplômés de ces diverses disciplines ayant, évidemment, en retour le droit et le devoir d’enseigner le  » Qigong  » sans la moindre formalité ni souvent, d’ailleurs, la moindre compétence.

 

 

FL – La situation a -t -elle évolué depuis ?

 

GC – Elle demeure toujours très confuse. (en 1999 date de cet interview)
Suivant le Ministère de la Jeunesse et des Sports, la Fédération officielle de Karaté (FFKAMA) ne peut plus désormais prétendre détenir délégation pour le  » Kung Fu Wushu  » le  » Taijiquan  » et à plus forte raison pour le  » Qigong « .
Trop de problèmes juridiques liés à une dissidence qui était de plus en plus forte.
Le même Ministère souhaite vivement, et c’est un euphémisme, que ces pratiques se regroupent désormais au sein d’une fédération unitaire représentative ne dépendant plus du Karaté.
Mais, entre temps, de nombreuses fédérations se sont créées, peut -être une douzaine en réalité, toutes revendiquant représenter tantôt les Arts Martiaux Chinois dans leur ensemble, tantôt les Arts Martiaux Chinois Internes, tantôt le Taijiquan, tantôt le Qigong de santé, tantôt le Qigong médical, tantôt une école particulière…
Certaines fédérations de Qigong se sont elle -mêmes scindées en plusieurs tendances et sous tendances, chacune de toutes ces fédérations affirmant, bien évidemment, être la seule à pouvoir défendre les intérêts des enseignants et des pratiquants de  » Qigong  » et préparer le  » seul  » diplôme qui sera reconnu.
Sur le terrain, lorsque vous souhaitez enseigner le  » Qigong « , de nombreuses municipalités persistent encore à exiger un  » diplôme  » de Karaté…
Les directives et les indications de la Jeunesse et des Sports n’ont pas encore atteint tout le territoire et il semble, encore, exister quelques pressions sournoises.

 

FL – Les pouvoirs publics sont -ils conscients de cet état de fait ?

 

GC – Probablement, mais certains ne comprennent pas encore que le  » Qigong  » se constitue d’une mosaïque de styles, de méthodes, de tendances, d’écoles très variées et souvent réellement différentes.
Il existe en fait des  » Qigong  » de tendance taoïste, de tendance bouddhiste, de tendance confucianiste, de tendance martiale (interne ou externe !), de tendance médicale, de synthèse entre ces tendances, de création récente, d’origine vietnamienne (Tham Te), d’origine japonaise (Di In, Reiki), d’origine tibétaine… entre le  » Qigong  » chinois classique et se référant à une tradition millénaire authentique, basé sur l’interprétation des grands classiques de la Chine antique et le  » Qigong  » californien  » New Age  » il doit exister plus de quatre cents variations et quelques difficultés à cohabiter sereinement.

 

Imaginez le problème au sein d’une future fédération unique de  » Jeux de balle  » où seraient représentés le football, le rugby, le jeu à treize, le hand ball, le baskett, le volley, le ping -pong, le golf et la pétanque.
Et qui subirait l’influence de la fédération de tir elle -même placée sous la tutelle des chasseurs !
Il demeure encore à définir si le  » Qigong  » est un sport ou une activité physique devant nécessairement dépendre d’une fédération sportive.
Ou si le  » Qigong  » doit nécessairement continuer à être assimilé à une pratique martiale – fut -elle Karaté, Kung Fu Wushu, Taijiquan – et donc, dans ce cas subir des contraintes légales propres à la pratique et à l’enseignement des arts martiaux et sports de combat qui ont un régime juridique à part dans la législation sportive suite à un accident mortel survenu dans les années 1950

 

 

FL – En conclusion quelle est votre position actuelle d’enseignant et de responsable associatif à ce sujet ?

 

GC – Bien qu’enseignant le  » Daoyin Qigong  » et parallèlement les Arts Martiaux chinois externe et internes, ce qu’on me reproche parfois, je considère que le  » Qigong  » doit pouvoir trouver son autonomie totale et que les pratiquants, et futurs pratiquants, doivent pouvoir bénéficier d’un critère de garantie quant au sérieux de l’enseignement dispensé dans ce domaine. Je ne suis donc pas, contrairement à ce que certains prétendent, opposé aux diplômes d’enseignants de  » Qigong « .

 

Il convient simplement que ceux -ci puissent être délivrés autrement que par le biais d’anciens karatéka dirigeant une fédération de Kung Fu et prétendant avoir étudié le Taijiquan !
Ayant été par deux fois, presque trois, directeur technique national de fédérations diverses et sachant très bien ce que cela implique je n’ai pas souhaité créer une nouvelle fédération de plus, encore une, qui ajouterait à la confusion ambiante. Cela aurait été très facile, donc très compliqué. J’ai préféré motiver une quarantaine d’associations à se regrouper dans une Convention Nationale des Enseignants des Arts Classiques du Tao.

Au sein de cette convention les enseignants sont totalement libres d’adhérer ou non à une fédération existante, ceci en fonction de leurs aspirations personnelles.
De cette manière nous demeurons libres de notre choix et subissons les contraintes que nous avons choisies. Parmi ces enseignants, certains pratiquent avec moi depuis plus de vingt ans, d’autres, issus de différentes pratiques nous ont rejoint au fur et à mesure.
Certains enseignent les Arts Martiaux et le  » Qigong « , d’autres n’enseignent que le  » Qigong « … cela les regarde également car le fait de pratiquer ou de ne pas pratiquer un Art Martial fut -il chinois, japonais, vietnamien ou autre n’est ni un avantage ni un inconvénient dans l’enseignement du  » Qigong « .
Lorsque des Judokas font de la musculation personne ne leur demande de comptes et on ne prétend pas que la musculation dépend du Judo comme discipline affinitaire ou autre.
Cette Convention Nationale permet, au moins, de nous retrouver en dehors des problèmes administratifs fédéraux habituels et de fonctionner sous la forme d’un réseau associatif efficace qui prend en compte une chose essentielle trop souvent négligée :la pratique.
Cela ne nous empêche pas, au contraire, d’observer l’évolution de la situation du  » Qigong  » en France et en Europe et d’être présents sur le terrain en entretenant, malgré tout, de bons contacts avec plusieurs fédérations.

 

Actuellement je continue donc à enseigner et à être présent sur le terrain associatif par le biais d’une  » Convention Nationale des Arts Classiques du Tao  » qui regroupe plus de trente associations et de nombreux enseignants… et pratiquants.
C’est du travail de terrain qui a lieu dans des cours hebdomadaires, dans des stages de fin de semaine, dans des stages d’été et dans diverses interventions tant en France qu’à l’étranger.

 

Donc la pratique continue !

En novembre 2009 Georges Charles vient d’accepter la charge de participer au Conseil des Sages du Fond International pour la Préservation des Arts Martiaux.
F.I.P.A.M.
Cliquer ici