La rectitude des mots : un exemple en pédagogie
Deux articles de Frédéric Rava-Reny qui se suivent et se complètent sur un exemple de pratique avancée en « gestion mentale »• Mystère autour des consonnes doubles (Le e muet, Un mot confus, Conflit du geste de mémorisation avec
le geste de réflexion)
LA RECTITUDE DES MOTS : UN EXEMPLE EN PÉDAGOGIE
La « gestion mentale » est un courant pédagogie considérant la pensée en mouvement, animée d’une
intentionnalité (yi en chinois) et animée par cinq gestes (hsing en chinois). Toute ressemblance avec un « art martial » ne serait peut-être pas une coïncidence. La recherche en gestion mentale montre que certains
mots mal utilisés sont à l’origine de grandes difficultés. Illustration.
Les mots ont un sens. Confucius lui-même accorde de l’importance à utiliser les noms justes. L’oublier engendre de la violence.
Même chez nos enfants c’est une source de souffrance.
Regarder le mot « devant ». Depuis son origine latine, il indique un lieu, le contraire de « derrière ».
Or certaines grammaires l’utilisent pour dire avant, un sens parfois utilisé mais définitivement abandonné il y a trois siècles.
Voyez vous-même. Je suis en train d’écrire le mot lapin. J’écris l puis a. J’ai écrit a après le l.
Dans le sens de l’écriture, il reste de la place devant le a pour écrire les autres lettres.
À moins de penser que plus vous écrivez plus vous allez derrière…
Certaines grammaires le laissent pourtant croire puisque pour elles, dans lapin c’est l qui est devant le a.
Or il n’est pas devant, il est avant ! Qu’elles lisent leur propre page sur la distinction de ces deux termes…
Conséquence ?…
La grammaire devient difficile puisque nous ne savons plus de quoi nous parlons.
La règle d’accord du participe passé devient incompréhensible (le COD est-il devant, mais où est-ce ?…).
Les consonnes doubles deviennent une gageure. Savoir s’il faut un t ou deux à je jette, par exemple dans je jette cette grammaire surannée aux orties, devient un casse-tête, et tout à l’avenant.
Et pas que chez les dyslexiques, les dyspraxiques ou autres dys…
Chez tout le monde !
Car partagé entre deux choses contradictoires, le bon sens (devant diffère de avant) et l’insensé, nous hésitons.
Et du coup nous nous trompons, mais pas tout le temps ce qui nous agace encore davantage.
Jusqu’à ce que dépité nous aurons fait le premier pas dans la perte de confiance de la loi et de la voie des mots.
La grammaire, c’est comme la boutique de Confucius…
Les mots ont un sens utile.
La grammaire décrit la langue pour la maîtriser.
Utiliser des mots incorrects engendre de l’incompréhension, alimente une frustration et contribue à l’échec scolaire.
Renonçons à devant dans les grammaires ! À bas la boutique de Confucius !
Frédéric Rava-Reny, praticien en « gestion mentale »
MYSTÈRE AUTOUR DES CONSONNES DOUBLES
Voici un résumé d’un entretien en gestion mentale avec Xiongli, un jeune de 12 ans, dyspraxique, élève en 5ème.
Xiongli a déjà découvert comment il exécute mentalement les cinq gestes mentaux (attention,mémorisation, réflexion, compréhension, imagination). Il vient aujourd’hui pour une difficulté précise.
Dans le texte qui suit, F représente votre serviteur, X Xiongli.
Le e muet
F : Que souhaite savoir faire aujourd’hui ?
X : J’ai du mal à savoir s’il faut un t ou deux dans certains mots.
F : Dans des noms ou dans des verbes ?…
Si c’est dans des noms, comme dans chouette, nous devons travailler le geste de mémorisation.
Si c’est dans des verbes, comme pour jette, nous devons travailler le geste de réflexion.
X. : C’est pour la conjugaison. Je me trompe souvent avec les verbes avec les t et les l.
F. : Prenons la règle donnée dans le Bescherelle (tableau 11).
Xiongli lit la règle : « En règle générale, les verbes en –eler ou en –eter doublent la consonne l ou t devant un e muet : Je jette, j’appelle. ».
F. : Dis-moi ce que tu as compris. (on part toujours de ce qui existe, de ce qui est là)
X.: J’ai compris le e muet.
F. : Alors, qu’est-ce que le « e muet » pour toi ?
X. : C’est un e que l’on entend pas comme dans poule.
F. : Es-tu sûr ? (vérification de la stabilité de la personne)
X. : Hum… pas tout à fait.
F. : De quoi aurais-tu besoin pour être sûr ? (recherche des moyens d’agir)
X.: De la définition.
Nous prenons un dictionnaire et nous trouvons qu’une lettre muette est une lettre non prononcée, comme le b dans plomb ou le l dans fils.
X.: C’est bon.
F.: Oui.
F.: Comment pourrais-tu faire pour reconnaître une lettre muette ou savoir si une lettre est muette ou non ? (recherche des moyens de mettre en oeuvre ce qui est là)
Xiongli est fort sur son geste d’imagination, il me propose la façon de faire suivante, validée par la pratique
(toujours avec exemples (exemples yang) et contre-exemples (exemple yin).
–> Pour reconnaître un e muet, on écrit le mot avec et le mot sans, on prononce les deux.
Si la prononciation est la même, c’est un e muet.
Si la prononciation est différente, ce n’est pas un e muet, c’est un e sonore.
(c’est la même chose pour une autre lettre muette)
Exemple :
J’écris poule / poul
Je prononce les deux mots.
Ils se prononcent pareils.
Le e de poule est un e muet.
Contre-exemple
J’écris fil / fi.
Je prononce les deux mots.
Ils ne se prononcent pas pareils.
Le l de fil n’est pas un l muet, c’est un l sonore.
Un mot confus : devant
Nous pourrions croire que le point difficile de la règle étant acquis, tout va bien.
C’est sans compter sur le paronyme devant identifié en gestion mentale comme grande source de
confusion.
F.: Attention, il y a un mot difficile dans la règle.
À chaque fois que tu vois ce mot dans une règle ou un énoncé, tu ralentis pour bien savoir ce qu’i lveut dire : c’est le mot devant.
Par exemple, dans le mot chat, quelle est la lettre devant la lettre a ?*
X.: Dans le sens de la lecture ou de l’écriture, c’est la lettre t.
F.: C’est la réponse correcte. Et si nous regardons maintenant la règle, nous voyons une des difficultés cachées.
Je vais t’aider à la découvrir.
Dans jette y a-t-il un e muet ?
X.: Je compare jette et jett, ils se prononcent pareils, il y a un e muet : jette.
F.: Très bien. Maintenant quelle lettre y a-t-il devant le e muet ?…
X.: Aucune ! (Xiongli reste perplexe)
F.: Eh oui ! La règle a confondu le mot devant avec avant. Du coup, ton cerveau sent bien que la règle parle bien du t, et en même temps si on suit le sens des mots, il n’y aucune lettre devant le e muet dejette.
Du coup il est partagé entre deux choses contradictoires. Alors tu hésites, et tu trompes. Et pas
tout le temps.
X.: Ah, voilà ! C’est vrai que je ne me trompe pas tout le temps.
F.: La règle pourrait s’écrire comme ça :
« En règle générale, les verbes en –eler ou en –eter doublent la consonne l ou t avant / derrière / à
gauche d’un e muet : Je jette, j’appelle. ».
Préfères-tu après, derrière ou à gauche ? (les termes de après et à gauche se réfèrent
respectivement à la structure temps (= yang) ou espace (=yin) de la pensée)
X. : Je préfère à gauche.
Pratique du geste de réflexion au lieu du geste de mémorisation (conflit bois / métal)
F.: Très bien, faisons un petit exercice maintenant. Souligne les formes correctes :
nous jetterons ou nous jeterons
jeté ou jetté
vous jettez ou vous jetez
Xiongli souligne alors deux formes incorrectes et une forme correcte.
F.: Alors, d’après toi, c’est ça ou non ?
X.: Oui.
F.: Comment le sais-tu ?
X.: C’est que je me souviens les avoir vu écrit comme ça le plus souvent. (ici c’est le geste de
mémorisation (= bois) qui prime au détriment du geste de réflexion (= métal))
F.: Pourrais-tu utiliser la règle pour vérifier ? (sollicitation du geste de réflexion)
X.: D’accord.
Quel e de jetterons dois-je vérifier ?… (il y a un souci dans le geste de réflexion alors je propose de
l’exécuter autrement)
F.: OK, changeons la façon de faire.
1. Repérer la lettre t ou l des verbes en -eter ou -eler.
2. Repérer le e à droite du t ou du l.
3. Déterminer si ce e est muet ou non : écrire le mot avec ce e, écrire ce mot sans ce e.
4. Ces deux mots se prononcent-ils pareils ? Oui, le e est muet, je double le t ou le l.
Non, le e est sonore, j’écris un seul t ou un seul l.
Xiongli utilise alors ce nouveau protocole.
X. : Alors, pour jetterons / jeterons, c’est le second e.
J’écris jetterons / jettrons : ça se prononce pareil donc le e est muet, il y a deux t : nous jetterons.
J’écris jeté / jet, ça ne se prononce pas pareil donc le é est sonore, il y a un seul t : jeté.
J’écris jettez / jettz, ça ne se prononce pas pareil, le e est sonore, il y a un seul t : jetez.
F.: C’est bon ?
X.: Oui, c’est ça.
F.: Très bien.
X.: Alors, le é ou le è sont toujours sonores, c’est d’ailleurs pour ça qu’on leur a mis un accent (pour
accentuer le son). (Xiongli est aussi expliquant donc friand d’explications = mouvement yin dans le
geste de compréhension (= eau))
F.: Pour terminer, même chose avec il jeta / il jetta.
X.: Alors jet / jeta, le a est sonore, un seul t : il jeta.
F.: Ça marche, mais il y a plus rapide : si c’est une autre lettre que e, il y a toujours un seul t…
X.: Ah ouais !
L’entretien se termine sur un contentement réciproque.
Tout le long de l’entretien, je demeure en contact avec la pensée de Xiongli, exactement de la même façon
qu’en tuishou. Nous appellons ça la pratique (!) du dialogue pédagogique. Avec la pratique de la pratique,
nous arrivons à sentir la pensée de la personne se mouvoir comme « pour de vrai ».
Frédéric Rava-Reny, praticien en « gestion mentale »