par Georges Charles
Qui n’a jamais été intrigué, au restaurant chinois, par la présence plus ou moins discrète d’éléments décoratifs constitués par des papiers imprimés de couleur comportant des signes étranges ou des graphies abstraites ? Ils se trouvent face à la porte d’entrée, au dessus de la caisse, derrière les bouteilles du bar, sur la porte de la cuisine, aux toilettes et vont, parfois, jusqu’à envahir les murs au dessus des tables. En cherchant bien on en trouverait probablement aussi sous la table et, peut-être même, sous la moquette elle-même !

A première vue il peut s’agir de calligraphies étranges rédigées en caractères très anciens et dont l’impression laisserait à désirer. Le contraste entre ces simples feuilles de papier de couleur avec les tableaux et les laques dûment encadrés ou les dragons et phénix de plastique n’en est que plus évident. Visiblement ils ne sont pas indispensables à l’agencement des lieux et ont été rajoutés à la décoration habituelle. En réalité, ils agissent discrètement à votre insu et, si on en croit leur omniprésence, ils sont certainement utiles à quelque chose. Dans l’optique pragmatique des Chinois, s’ils ne servaient à rien il y a déjà belle lurette qu’ils auraient disparu. Mais, en fait, il y a exactement deux mille quatre vingt trois ans qu’ils fonctionnent.
C’est, en effet, en 84 av.J.C. que le Maître taoïste Shang, connu sous le nom du maître céleste Shang (Sang Tianshi) ou son patronyme plus commun de Shang Daoling (Shang Tao Ling) mit au point un procédé de communication avec les « entités spirituelles » (Shen)… donc les « Divinités » du panthéon et de la mythologie chinoise. Par le biais de la méditation et de l’alchimie interne (Nei Dan Gong) il découvrit la capacité de visualiser les mouvements de ces entités pour, ensuite, les reproduire sur un support matériel.
Cette forme d’écriture automatique fut donc à l’origine des Charmes taoïstes (Fu ou Fulu). Il suffisait alors à l’adepte de fixer la figure en question pour établir une communication avec l’entité spirituelle concernée. Celle-ci ne pouvait que satisfaire à la demande qui lui était faite. Une fois celle-ci réalisée, le contrat avait été honoré et il suffisait alors de brûler le charme afin de se libérer de toute influence contraignante. Cette méthode eut assez rapidement de nombreux résultats et trouva un prolongement dans la rationalisation du procédé.

Un groupe de Maîtres taoïstes ne tarda pas à créer une « Ecole des Charmes et des Talismans » (Fu Lu Pai). Les figures tracées par ces maîtres reproduisaient tout d’abord les mouvements de la nature, les tourbillons des cours d’eau, les volutes de la brume qui s’accroche à la montagne, le passage du vent dans les branches d’un pin, la surface d’un étang sous la pluie, le vol d’un papillon dans une prairie, les traces laissées sur le sable par la brise marine, la reptation d’une racine entre des rochers, le contre-jour du soleil dans les bambous…
En harmonisant le plein et le vide ils créèrent il y a près de deux millénaires une forme d’art à la fois abstrait et fortement figuratif. Le mouvement de l’énergie vitale, le Qi, se retrouvant « piégé » sur une simple feuille de papier par le biais d’une calligraphie magique (Ling Shu) il devenait alors possible d’amener chez soi l’énergie profonde et subtile d’une source, d’un arbre, d’un rocher et de modifier l’ambiance d’un lieu par l’intermédiaire de ces charmes. Cette pratique fut à l’origine de la calligraphie en forme de nuage ou « écriture moutonnante » (Yunzhuan) encore utilisée dans bon nombre des charmes destinés à écarter les esprits malfaisants et les énergies perturbatrices. L’énergie développée par une chute d’eau permettait d’éviter l’incendie ou celle d’un rocher rendait une porte inviolable.
De fil en aiguille, de nombreux charmes trouvèrent une vocation très pratique et souvent très terre à terre. Ils permettaient, et permettent toujours, d’attirer la clientèle solvable, d’écarter les indésirables et les inopportuns, de permettre une meilleure conservation des produits ou de faciliter la digestion de ceux qui n’étaient plus de toute première fraîcheur. Les taoïstes, non contents de se limiter à la reproduction des volutes d’encens ou aux ébats des carpes sous un pont tentèrent de fixer les mouvements de l’esprit pendant la méditation ainsi que les manifestations de l’énergie dans les organes et les méridiens pendant la pratique de l’alchimie interne ou du « Qigong » qu’ils avaient également inventé.
Ils essayèrent également de percer les secrets de la matière en se plaçant, par le biais de la méditation (Nei Gong) tantôt dans un organe, tantôt à l’intérieur d’un rocher. Ils transcrivirent leurs impressions par le biais de l’écriture spontanée.

Onze mille charmes recensés :
De ces travaux étranges naquit une infinité de figures encore plus étranges qui furent recensées par un alchimiste du nom de Gehong (Ko Hung) (284-364 ou 283-343) dans une importante encyclopédie des pratiques taoïstes, le Baobouzi Neipian (Pao Pou Tseu) (« Le Traîté Interne du Maître qui embrasse la simplicité« ) au chapitre du Daozhang (Tao Tchang) (« Canon Taoïste« )… et qui regroupait la description précise de onze mille cinq cent vingt charmes.
Ce Daozhang fut sans cesse réédité en secret jusqu’en 1190 où l’empereur Jian Yu (Chien Yu) (1139-1194) de la dynastie des Song ordonna que cet ouvrage fut officiellement publié sous son autorité. En 1281l’empereur Shi Cong (Shih Tsung) (1260-1294), alias Kubilai Khan, de la dynastie mongole des Yuan ordonna que tous les exemplaires du Daozhang soient brûlés car les talismans, selon lui, s’opposaient à sa puissance et mettaient en cause l’ordre établi. Quelques fragments furent néanmoins sauvés des flammes et, en 1436 au début de la Dynastie Ming une nouvelle édition fut réalisée sous le patronage de l’empereur Cheng Tung (1436-1450). Elle ne comportait malheureusement plus que 1464 figures officiellement répertoriées.

Cette nouvelle édition du Daozhang sert toujours de référence et est encore publiée de nos jours. Elle servit de référence au Révérend Père Doré pour la rédaction de son « Encyclopédie des superstitions chinoises » et qui fut le premier occidental à traiter de ces charmes et à en décrire plusieurs avec leurs applications.
La particularité de ces charmes taoïstes, par rapport à la majorité des amulettes et autres talismans, réside dans leur large spectre d’utilisation car on en retrouve dans tous les domaines ayant un rapport avec les activités humaines. Il existe ainsi des charmes spécifiques à la restauration et à l’alimentation, des charmes destinés aux architectes, d’autres aux artisans, aux militaires, aux lettrés, aux marins.
On retrouve, par exemple, toute une série de charmes médicaux (Zhouyuge) rattachés à l’acupuncture classique et destinés, par leur simple présence, à renforcer l’action du thérapeute ou de ses aiguilles. Ces figures sont ainsi censées canaliser et focaliser l’énergie vitale (Qi) sur une partie corporelle ou un organe précis. Ils représentent souvent la visualisation d’un circuit de l’énergie interne et peuvent, de ce fait, aider à la méditation taoïste utilisant, par exemple la « marche du souffle dans les organes« … donc la conduite du Qi au travers d’exercices particuliers.
Certains, encore, permettent une vibration subtile qui « calme l’esprit (le Shen) du patient » pendant la séance. Certains de ces charmes peuvent, encore, être ingérés par le patient soit sous la forme de cendre mêlée à une décoction soit, simplement, sous la forme d’une boulette.
Les esprits forts ricaneront mais, en Occident, dans la plupart des hôpitaux dépendant pourtant de l’Assistance Publique et sous l’égide des professeurs les plus compétents on administre chaque jour des milliers de placebos qui n’ont rien à envier aux antiques méthodes chinoises. Dans ce dernier cas, le malade sait au moins ce qu’il ingère. Quitte à avaler une boulette inerte il vaut peut-être mieux absorber une pincée d’art abstrait deux fois millénaire qu’un sucre industriel de mauvaise qualité.

Les Charmes du Feng Shui…

Il existe, enfin et surtout, de très nombreux charmes permettant de rééquilibrer l’environnement immédiat en contrôlant les excès et les défauts de la présence ou de la circulation d’énergie. Lorsqu’un lieu manque d’énergie apportée par l’élément Eau il est évidemment possible de faire creuser un lac, un étang ou un bassin, ceci en fonction des moyens dont on dispose. Il est aussi possible de disposer un aquarium ou un simple bocal rempli d’eau qui symboliseront cet élément défaillant s’ils sont disposés au bon endroit. Mais il est aussi possible de se référer au Daozhang et de choisir un charme efficace qui remplira cette fonction.
Lorsque ce charme sera disposé à la place adéquate il compensera, à moindre frais, le manque d’énergie. Ce charrme peut simplement représenter une calligraphie ancienne (Su -antique -) ou magique (Ling – magique, merveilleuse… ) du caractère « Eau » ou d’un des nombreux caractères désignant un lac, un étang, une chute d’eau, un rideau de pluie…
Ce caractère Ling (caractère 3187 du dictionnaire Ricci) traduit par merveilleux, prodigieux, magique signifiait, de par son ancienne graphie « offrir au ciel du jade ou certaines danses en vue d’obtenir la pluie » Wieger dans son dictionnaire des caractères chinois ajoute : « C’est le premier effet que demanda à la magie un peuple dont la vie dépend de la pluie« . Il peut également être la transcription, par écriture spontanée, de la visualisation attachée à l’observation subtile d’un phénomène naturel…

Grâce à ce principe, on imagine facilement les très nombreuses applications en Feng Shui de ces innombrables charmes. Ils permettent de réorienter une pièce à peu de frais, de créer une ouverture ou, au contraire, d’obstruer une entrée ou une dépression, d’amener du lourd, du pensant, du massif où on manque de stabilité… ou, au contraire de rendre léger et impalpable ce qui bloque la circulation de l’énergie. Le charme, dans ce cas, évite les contraintes excessives. Il est facile de constater qu’il manque une fenêtre dans une pièce mais moins aisé de réaliser celle-ci sans entreprendre des travaux et des démarches. Il n’est pas dit qu’il y ait, simplement, le droit de creuser une fenêtre, dans ce cas, en sus d’un habile jeu de miroirs, un charme « fenêtre » sera donc utile et pratique pour régler le problème rapidement et à moindres frais.
Un charme « montagne » rendra une porte infranchissable aux intrus… car, en passant devant cette porte ils ne « sentiront » pas la chose facile à renverser ou à escalader. Il en va de même pour une porte de cave portant, soigneusement disposé, un charme « abîme » ou « oubliette« … les amateurs de bons vins à peu de frais passeront leur chemin préférant une cave plus accueillante et plus accessible.
Comme on s’en doute donc ces charmes jouent donc sur l’esprit (Shen) mais il est entendu, en Chine et depuis toujours que le Shen (esprit) dirige le Qi (énergie)… en agissant sur le Shen on influe donc directement sur l’énergie d’une personne et même de son environnement direct ou indirect. Un charme « grosse pierre » représente donc une énergie fort pesante et l’esprit le ressent ainsi… ajoutant encore du poids à ce charme qui, pourtant, ne pèse que quelques grammes. On est dans le domaine particulier du virtuel mais c’est le but recherché puisque le charme en question représente l’énergie intrinsèque, donc virtuelle, de la grosse pierre en question.

Les chinois parlent plus volontiers de l’ordre du « Ciel Antérieur » (Xiantian Tu) de la grosse pierre, donc de son énergie initiale ou nouménale, avant même qu’elle ne se matérialise. Lorsqu’elle se matérialise dans l’ordre du « Ciel Postérieur » (Houtian Tu) ce nouménal devient alors phénoménal. On peut désormais peser, mesurer, sonder, analyser, décrire cette pierre…
Elle possède donc désormais une taille, un volume, une densité, un poids, un nom et existe de manière concrète mais cela ne l’empêche pas de continuer à disposer de son énergie antérieure donc de celle de la grosse pierre avant qu’elle devienne grossière. Par le biais de certaines pratiques classiques cette énergie du ciel antérieur est perceptible et peut, dans certaines conditions, être utilisée. C’est aussi simple que cela !

Principes de l’action de ces charmes.
Plusieurs chercheurs occidentaux se sont penchés assez récemment sur ces charmes et sur l’éventuelle action de ceux-ci. Il existe donc, à leur sujet, plusieurs hypothèses. L’une d’entre-elles est que ces charmes représentent une idéalisation puis la matérialisation graphique du mouvement d’une énergie donc la représentation abstraite de celui-ci concrétisée par un état d’esprit (Shen) à un moment donné et dans un lieu, ou cadre, particulier. Certains de ces charmes sont ainsi liés aux structures (Ti) ou aux formes (Xing) sinon aux mouvements (Dong) liés aux Cinq Eléments (Wuxing ou Wou Hing) de la cosmogonie taoïste et qui sont l’Eau, le Bois (ou le Vent), le Feu, la Terre, le Métal.

Ces « Cinq Mouvements » représentent donc des symboles (Xiang) liés aux Orients, aux saisons, aux organes et organisent ce qui se manifeste sur terre. On retrouve ainsi une hypothèse importante trouvant, en Occident, son origine dans les travaux du Baron de Reichenbach, vers 1850. Ces travaux impliquaient différentes expériences effectuées à l’aide d’aimants et de pendules et tendant à prouver la présence d’un spectre électromagnétique se matérialisant par le biais d’un matériel optique.
Puis, vers 1905, à la suite des travaux du Colonel Rochas, il fut admis que ces émissions n’appartenaient pas au spectre électromagnétique connu mais à un tout autre système qualifié alors de non-cartésien. Ces diverses expériences furent ensuite reprises et développées par Turesse, Bélizal, Chaumery, Morel. Ces mêmes émissions particulières, qualifiées alors d’ondes de forme furent encore mises en évidence. Ces divers chercheurs tentèrent de les concilier avec les théories de l’époque et leurs applications dans le domaine de l’électro-magnétisme. Il fut alors scientifiquement admis que ces « ondes de forme » possédaient en réalité deux aspects, l’un magnétique et l’autre électrique et qu’elles rentraient, ainsi, dans une bande encore inexplorée du spectre électromagnétique.

On retrouva, comme en Chine jadis, une différentiation entre ce qui était mesurable, le phénomènal (ordre du Ciel Postérieur ou Houtian) et ce qui ne l’était pas, le nouménal (ordre du Ciel Antérieur ou Xiantian). Depuis d’autres recherches, menées notamment au CNRS par plusieurs chercheurs dont Jacques Ravatin, spécialiste en physique mathématique, ont mis en évidence que ces « ondes de formes » ne sont pas des ondes et n’appartiennent pas aux champs électromagnétiques.
Il a donc eté proposé une nouvelle terminologie : « émissions dues aux formes« . Suivant ce chercheur l’univers physique ne demeure qu’un aspect relatif d’un univers plus vaste. L’univers physique restreint à la capacité de localisation d’un objet grâce à l’utilisation de points de repères… distance, vitesse, force est alors qualifié de local.
Dans l’univers total, par contre, ces points de repère disparaissent et il est alors qualifié de global puisque cette capacité de localisation disparaît. Entre l’univers restreint du monde physique, le local, et l’univers total qualifié de global, il existerait certains domaines intermédiaires agissant entre ces deux faces du réel. Donc des passages du local au global et des projections du global dans le local. Il s’agirait, dans cette dimension intermédiaire, du monde encore assez peu connu et encore peu exploré, si on excepte quelques exceptions comme celles des charmes, du « fractal » auquel appartient ces « émissions dues aux formes« .
Rejoignant les théories taoïstes, Ravatin en arrive à différencier puis à distinguer les niveaux qualitatifs du physique (Terre) du vital (Homme) et du Psychique (Ciel). De cette théorie des « émissions dues aux formes » liée au local, au fractal et au global, il en résulte qu’un objet, fut-il éventuellement limité à sa conception graphique ou même symbolique (dessin, écriture, projection abstraite) peut se faire le récepteur, le condensateur, l’amplificateur et l’émetteur de ces émissions et, par conséquence, agir sur l’environnement direct… impliquant une action ou une réaction dans le domaine du physique (local), du vital (fractal) ou du psychique (global).

Des « émissions dues aux formes » mais également dues au « mouvement« … donc à la pratique des méthodes taoïstes comme le Taijiquan, le Daoyin Qigong, le Xingyi, le Bagua…
Toutes ces formes décrites par le Daozhang n’ont pas encore été étudiées… et pour cause. Dans l’hypothèse taoïste classique, par ailleurs, cette « émission » ne se limite d’ailleurs pas aux « formes  » (Xing) mais implique également le « mouvement » (Dong).
Certaines pratiques particulières, liées à la tradition taoïste, comme le Tao Yin Qigong (Daoyin Fa), le Taijiquan, le Xingyiquan, le Baguazhang… permettraient, en quelque sorte, une « émission due au mouvement« , le pratiquant devenant à la fois le récepteur, le condensateur et l’émetteur des ces émissions qui échappent encore à la conception restreinte et matérialiste du monde physique lié à l’univers local. Il s’agirait alors, par le biais du fractal, d’une tentative de fusion avec le global donc avec le Tao.
Les charmes taoïstes (Fu Lu) ne seraient alors que de simples clés permettant et facilitant le passage du local vers le global ainsi que l’influence du global sur le local. Ou si on se réfère à la terminologie utilisée par Ravatin à « l’expression matérialisée d’un univers fractal reliant ces deux interfaces du réel« .

Hypothèse de la présence d’un « champ de conscience »…
Cette autre hypothèse, plus orientale mais non moins séduisante, implique le simple fait que la présence d’un charme ou de tout autre support matériel spécifiquement déterminé ou du au simple hasard mais reproduisant une « image-symbole » (Yingxiang) est perçue par le biais de vibrations (ou émissions) subtiles par son environnement direct.
Cette perception subtile peut, évidemment, demeurer inconsciente mais peut aussi, au contraire, être consciemment recherchée et utilisée. La présence ou l’absence d’un objet ou d’une image symbolique (en grec le symbole, symbalen, signifie simplement « ce qui éveille« …) Modifie alors le « champ de conscience » du lieu, lequel peut être traversé par un individu plus ou moins réceptif. Cette réceptivité, consciente ou inconsciente, implique un état particulier lié à ce lieu, donc à cette présence ou à cette absence.

De ce fait certains objets ou images symboliques continuent à manifester leur présence après qu’ils aient été enlevés ou déplacés. Ils demeurent, pour un certain temps, inscrits dans ce champ de conscience auquel ils participent. Dans cette autre hypothèse, le rôle des charmes est de révéler cette présence ou cette absence afin de renforcer ou de modifier l »état particulier lié à ce lieu. Cela correspond, en outre, à l’utilisation traditionnelle d’images, de figures, d’objets et même de rituels dans le cadre spécifique du Feng Shui, donc de la géobiologie chinoise classique.
De ce fait, et une fois encore, l’énergie intrinsèque d’une rivière, d’un rocher, d’un arbre peut être remplacé par la figuration de ceux-ci. De même, certains rituels particuliers visent à agir de la même manière par le simple biais du geste symbolique. Un rituel lié à l’arbre amènera, en quelque sorte, un champ de conscience propre à l’arbre. De même, la visualisation d’un diagramme représentant la circulation des énergies à l’intérieur du corps pourra induire la modification de cette circulation… et suivant la même hypothèse, une ambiance d’opulence créée par un simple charme attirera le client… et son argent.

Fabrication et signification des charmes taoïstes :
Il existe trois catégories principales de charmes (Fu Lu).
Les plus connus et le plus utilisés, donc le plus communs, sont toujours imprimés suivant des modèles immuables et souvent très anciens. Ils sont vendus dans les almanachs chinois et les calendriers. Ce sont, par exemple, les charmes du nouvel an qui amènent prospérité, santé, bonheur tout au long de l’année. Ils représentent le plus souvent une divinité taoïste ou les « Trois Etoiles du Bonheur » (Fu Lu Su San Xing) accompagnés du « Huit Trigrammes » entourant le Taiji ou symbole Yin/Yang.
De couleur jaune ou rouge ils sont destinés à la porte d’entrée ou à sa proximité immédiate. Il existe également, dans ce même domaine assez commun, des feuilles de papier de riz recouverts d’un estampage en feuilles argentées ou dorées et qui se placent dans la pièce principale de l’habitation à proximité de l’Autel des ancêtres ou de son emplacement présumé. Jadis, la couleur dorée était obtenue en badigeonnant de sang frais une très fine feuille d’argent ce qui conférait au charme un pouvoir encore accru. Il est à noter que l’on rencontre encore dans cette catégorie un charme-talisman composé d’une plaque de bois octogonale sur laquelle sont peints les Huit Trigrammes (Bagua ou Pa Kua) entourant un miroir circulaire. Il a essentiellement pour but de protéger la maison contre l’intrusion intempestive des énergies perturbatrices ou des « mauvais esprits des revenants » (Gui ou Kouei). Se voyant dans le miroir, ils sont effrayés par leur propre image et s’enfuient au loin. Ces esprits malfaisants ne se déplacent qu’en ligne droite et il est donc bon et utile de multiplier les formes courbes et les chicanes permettant de limiter leur progression.

La seconde catégorie de charmes, plus particulière, est imprimée sur demande pour des cas plus particuliers mais assez généraux : réussite dans les affaires, protection contre l’inondation ou l’incendie, capacité d’écarter les indésirables ou les pique-assiettes, charmes facilitant l’éloquence ou au contraire permettant d’engourdir la langue d’un interlocuteur malveillant, charmes permettant d’attirer le client à un endroit précis ou de faciliter les transactions, les ventes, les paiements.
En règle générale tout ce qui peut permettre au possesseur d’un tel charme de faciliter son action dans tous les actes de la vie ou, au contraire, d’empêcher les mauvaises actions adverses. Tous ces charmes sont également dûment répertoriés et correspondent à des critères précis et immuables. Ils peuvent néanmoins être fortement personnalisés et comporter un mode d’emploi assez formel suivant le plus souvent un rituel fort ancien. Ces divers charmes peuvent être portés sur soi, demeurer dissimulés dans un objet ou, au contraire, être disposés à la vue de tous.

La troisième catégorie, plus spécifique encore, consiste en des charmes effectués uniquement sur commande précise dans un but déterminé. La plupart des charmes attachés à la médecine chinoise classique appartiennent à cette catégorie. A l’instar de la plupart des talismans ils sont chargés par la présence d’un fragment d’une éventuelle relique ou d’une parcelle d’un texte ésotérique. Il est à noter que la plupart des authentiques sabres japonais comportent sous le laçage de la poignée des pliages (origami) effectués à l’aide de textes bouddhistes ou shintoïstes et que certaines lames comportent également l’équivalent d’un charme gravé dans le métal.
La plupart de ces charmes taoïstes peuvent être réalisés suivant le principe de l’écriture automatique lors de cérémonies proches de celles du chamanisme. Le « Devin » (Lingjen), généralement un prêtre ou un officiant appartenant aux « Bonnets Noirs » ou aux « Turbans Rouges » entre en transe et trace des caractères magiques sur un support authentifié par l’empreinte de son index ou de son pouce.
Au Japon les empreintes des mains des Sumo sont considérées comme des porte-bonheur de grande valeur et confèrent force et courage pendant trois ans. Certains de ces charmes, enfin, effectués à la demande servent de support à la médirtation ou à la pratique des Arts Classiques du Tao et reproduisent parfois les déplacements de l’adepte sur le sol (Pas de Yu l’Ancien ou de Yu le Boîteux). Il s’agit alors d’une marche rituelle ou initiatique.

Dans l’Art chevaleresque de la Paume des Huit Trigrammes (Baguazhang ou Pa Kua Chang), de tels charmes étaient dessinés sur le sol de manière à faciliter la compréhension du mouvement et du déplacement du pratiquant qui, par la même occasion, visualisait les trigrammes, les hexagrammes et leurs diverses mutations. Lors de cérémonies d’exorcisme de tels charmes pouvaient être tatoués ou simplement dessinés ou peints sur le corps du patient. Il existe toujours des méthodes spécifiques permettant, par le biais de la méditation active (Taoyin Neigong) de visualiser ces énergies puis de les reproduire sur un support suivant le processus de mobilisation, d’accueil, de conduite, de contrôle et d’utilisation des énergies du Ciel Antérieur. Ces charmes bien que se voulant d’une utilité très concrète représentent également une forme tout à fait méconnue de l’art abstrait ce qui les rend souvent étranges et décoratifs. Ils ont surtout le mérite d’exister, paisiblement, depuis plus de deux millénaires. Ils ont traversé de nombreux régimes et sont toujours présents. Leur avenir ne semble aucunement menacé.