Les Charmes Taoistes (1/5)
par Georges Charles
L’Antre du Tigre et les Veines du Dragon…
Après la découverte par William Harvey, en 1628, que le sang circulait… ce qui avait été mis en évidence en Chine au sixième siècle avant notre ère… l’invention de la vaccine par Edward Jenner (1749-1823) alors que celle-ci était déjà pratiquée en Chine depuis le dixième siècle… de l’imprimerie par Gutenberg en 1448 alors que les premiers billets de banque imprimés portent le monogramme de l’empereur Tien Sheng (1023) de la dynastie Song… de la brouette et de la machine à calculer attribuées à Blaise Pascal (1623-1662) alors qu’elles étaient d’un usage très courant depuis près d’un millénaire dans toute la chine… de la boussole, de la poudre à canon, de l’alcool, du sismographe, du vent solaire… et de dix mille autres choses encore que nous nous attribuons généreusement sans le moindre état d’âme, ni, par ailleurs la moindre conscience scientifique alors que nous sommes les premiers à nous prétendre cartésiens, il ne faut pas s’étonner que deux ou trois barbus revendiquent désormais la paternité de la fameuse hypothèse Gaïa, cheval de bataille et fer de lance du pacifique New-age californien.
Les trois étoiles du bonheur Fu Lu Su ci-contre
Suivant cette hypothèse, la terre serait un organisme vivant qui réagirait, plus ou moins violemment, aux diverses agressions que nous lui faisons subir et qui, comme tout un chacun, serait tantôt en pleine forme, tantôt perturbée par des influences extérieures. Mais il semble, également dans ce domaine, que nous ne soyons pas les premiers, loin de là, à nous soucier de la bonne santé de la terre et même du traitement éventuel de ses diverses perturbations… et des conséquences de ces perturbations sur notre santé physique et psychique.
La vision totalement pessimiste d’une planète inerte échappant à toute influence extérieure sur laquelle vivrait un homme moderne, sorte de Robinson Crusoé, ne dépendant que de lui-même et du bon vouloir de sa science conquérante et dominatrice date à peine de deux siècles. La plupart des civilisations qui ont, ou ont eues, une vision macrocosmique de l’univers ou de la planète, et elles sont nombreuses, n’ont jamais cessé d’affirmer que la vie émanait de cet univers, de cette terre et que cette vie reproduisait ses effets dans le microcosme humain.
Parmi ces civilisation, celle de la Chine possède l’immense avantage de ne jamais avoir coupé les racines d’une tradition plusieurs fois millénaires et de toujours continuer à en recueillir les fruits… ceci, le plus souvent, sans pour autant rejeter la science occidentale moderne.
Ce fait, par exemple, n’avait pas échappé à Charles François Dupuis, Membre de l’Institut, lorsqu’il rédigeait, en 1822, pour les Editions Chassseriau, son » Abrégé de l’origine des cultes » dont voici un court passage :
– De l’univers animé et intelligent –
Avant de passer aux applications de notre système et aux résultats qu’il doit donner, il est bon de considérer dans l’univers tous les rapports sous lesquels les anciens l’ont envisagé. Il s’en faut de beaucoup qu’ils aient vu dans le monde qu’une machine sans vie et sans intelligence mue par une force aveugle imbécile et nécessaire. La plus grande et la plus saine partie des philosophes ont pensé que l’univers renfermait éminemment le principe de vie et de mouvement que la nature avait mis en eux et qui n’était en eux que parce qu’il existait éternellement en elle. L’homme n’avait pas encore la vanité de se croire plus parfait que le monde. Celui-ci paraissait animé par un principe de vie qui circulait dans toutes ses parties et qui le tenait dans une activité éternelle. On crut donc que l’univers vivait comme l’homme et comme les autres animaux, ou, plutôt, on crut que ceux-ci ne vivaient que parce que l’univers, essentiellement animé, leur communiquait, pour quelques instants, une infiniment petite portion de sa vie éternelle qu’il versait dans la matière inerte et grossière. Venait-il à la retirer à lui, l’homme et l’animal mourraient et l’univers, seul, toujours vivant, circulait sans se soucier des débris, animé par son mouvement éternel et organisait de nouveaux êtres. Ce principe de vie, le feu actif ou la substance subtile qui le vivifiait en s’incorporant à sa masse immense en était l’âme universelle. C’est cette doctrine qui est renfermée dans le système philosophique des Chinois sur l’Yang et sur le Yin dont l’un est la matière céleste, mobile, lumineuse et l’autre la matière terrestre, inerte et ténébreuse dont tous les corps se composent.
L’univers fut donc regardé comme un être vivant qui communique se vie (Yang) à tous les êtres qu’il engendre pas sa fécondité éternelle (Yin). Non seulement il fut réputé vivant, mais encore souverainement intelligent et peuplé d’une foule d’intelligences partiellement répandues dans toute la nature et dont la source est dans son intelligence suprême et immortelle. Le monde comprend tout ; il est animé et doué de raison… Voilà l’idée que les anciens eurent de l’âme ou de la vie et de l’intelligence universelle, source de vie et des intelligences distribuées dans tous les êtres particuliers, à qui elles se communiquent par des milliers de canaux subtils. C’est de cette source féconde que sont sorties les intelligences innombrables placées dans le ciel, dans le soleil, dans la terre, dans les éléments et généralement partout où la cause universelle semble avoir fixé le siège de quelque action particulière. Ainsi les Chinois continuent, tout en respectant cette force unique et ultime, de rendre un culte aux Esprits placés dans le soleil et dans la lune, dans le ciel et dans la terre ainsi que dans tous les éléments. Tous ces esprits, suivant les lettrés, sont des émanations du Grand Comble, c’est à dire de l’univers et de l’âme universelle qui le meut. Les Chen (Shen) chez les Chinois de l’école du Tao composent une administration d’esprits et d’intelligences rangées en diverses classes et chargées de différentes fonctions dans la nature et par conséquent dans l’homme… Voilà un des grands mystères de l’ancienne théologie.
Dupuis eut le seul tort, pour être crédible, de naître trop tôt et ailleurs qu’en Californie… Il nous permet, par contre, de mieux comprendre comment et pourquoi fonctionne cette fameuse géomancie chinoise que l’on nomme Feng-Shui.
Nous commençons à admettre l’existence de l’acupuncture et, n’en déplaise à certains, quelques millions d’utilisateurs en France, pourtant pays réputé pour son monopole médical, attestent qu’il ne s’agit désormais plus d’un quelconque épiphénomène marginal lié à une quelconque influence sectaire ou obscurantiste.
Or, cette même acupuncture dont on aimerait certainement en Occident qu’elle sache se limiter à la jonction uniquement technique entre un point défini et une aiguille stérilisée procède directement de la théorie développée par Dupuis… à savoir que le corps humain est la projection microcosmique de l’univers, ou du Tao, incluant le Ciel et la Terre dans un macrocosme global. L’acupuncture a pour but essentiel de rétablir, de faciliter, d’accroître la circulation de l’énergie vitale (Qi) dans l’être humain (Ren).
Elle utilise, pour ce faire, divers moyens… aiguilles de diverses formes, de diverses tailles, moxas qui consistent à faire brûler des boulettes ou des cônes d’armoise sur des points particuliers… mais également, si on élargit le système à la médecine chinoise classique, des massages et automassages, des substances médicinales, des aliments spécifiques, des pratiques psychosomatiques particulières ( » Qigong « , Daoyin, méditation taoïste… ) ceci en fonction des âges de la vie, des saisons de l’année, des heures de la journée. Les méthodes d’investigation et de diagnostic se basent, quant à elles, sur l’observation, la palpation (particulièrement par la prise des pouls), la comparaison.
Le tout prend appui sur les fondements essentiels de la pensée chinoise à savoir le principe d’une Unité Essentielle, le Tao ; d’une Dualité Dynamique, Yin/Yang… aboutissant aux Cinq mouvements de l’énergie, Eau, Bois, Feu, Terre, Métal du cycle des sédentaires et aux Six énergies périphériques du cycle des nomades.
Ci-contre : Charme de protection des Huit Trigrammes de Fou yi: santé, propérité
Aussi étrange que cela soit aux yeux d’un occidental, cela fonctionne puisque l’acupuncture soigne et guérit des millions de patients chaque année en Chine et dans la plupart des pays d’Extrême-Orient… Vietnam, Corée, Japon, Thaïlande… et désormais jusqu’en Occident où l’acupuncture, avec l’homéopathie est la forme de médecine non-conventionnelle la plus utilisée.
Ces mêmes fondements essentiels de la pensée chinoise, nous l’avons vu avec Dupuis, insistent sur le fait que ce système fonctionne dans le rapport du macrocosme univers/ciel/terre avec le microcosme être/être humain. La majorité des praticiens qui utilisent l’acupuncture traditionnelle admettent ce fait. Ils admettent également le fait de pouvoir soigner et guérir l’être humain en utilisant l’acupuncture sinon ils utiliseraient vraisemblablement l’allopathie occidentale.
Par contre, ils s’étonnent souvent que le Feng Shui puisse fonctionner, avec strictement les mêmes paramètres, en ce qui concerne l’environnement direct de l’être humain… donc le macrocosme le plus proche.
Puisque l’être humain est la projection microcosmique du macrocosme Terre (Ti)/Ciel(Tian) par le biais de sa structure (Ti) et de son énergie (Qi) il n’y a aucune raison pour que les mêmes principes qui sont utilisés pour traiter cet être humain microcosmique demeurent inopérants en ce qui concerne le macrocosme.
De tous temps ont été établies des relations entre ce microcosme humain et ce macrocosme naturel… à savoir que la structure (Ti désignant les os et articulations) correspondent aux rochers ; que la forme (Xing, désignant les muscles et les tendons) correspond à l’humus ; que l’essence (Jing désignant les principes liquides) correspond aux rivières et aux lacs ; que le souffle (Qi désignant tout ce qui est gazeux) correspond aux vents… le tout demeurant animé par l’esprit (Shen).
Il fut même établi une comparaison avec les mers puisque le corps humain contient quatre océans essentiels : l’océan de la nourriture, l’océan des moelles, l’océan des énergies, l’océan de l’esprit. De même que le corps humain est parcouru de canaux subtils d’énergie et de points de rencontre de ces canaux la terre comporte également des » Veines de Dragon » et des » Cavernes du Tigre « … correspondant tout simplement aux méridiens (Jing) et points d’acupuncture (Xue).
Le Feng Shui, littéralement Vent Eau, ce qui correspond au souffle (énergie ou Qi) et à l’essence (principe essentiel ou Jing), a donc pour but de régulariser les énergies du Ciel (Vent/Dragon) et de la Terre (Eau/Tigre) en utilisant les mêmes principes que ceux de l’acupuncture.
Le Feng Shui, à cet effet, faisait jadis partie de la médecine chinoise classique car il permettait grâce à un meilleur choix de l’habitat ou à un rééquilibrage des énergies perturbées de celui-ci d’éviter que le patient soit lui-même perturbé par des énergies pathogènes ou délétères (Sha Qi). La médecine chinoise classique se basant sur la prévention, le Feng Shui était donc considéré comme essentiel. Ce n’est que très récemment, au tout début de ce siècle, sous l’influence occidentale que le Feng Shui fut rejeté au rang des superstition malfaisantes. Il n’en continue pas moins à être utilisé, comme l’acupuncture, par des millions de personnes et fait, avec le retour à l’économie dite libérale, un retour en force.
On reparle donc à nouveau, dès que l’on construit un immeuble, un quartier, un aéroport ou une ville nouvelle du » Souffle du Tigre et des Veines du Dragon » et rien ne se fait plus dans ce domaine de la construction ou de l’agencement de locaux sans consulter un expert en Feng Shui. Le phénomène chinois a récemment gagné les Etats-Unis et, par contre coup, la Grande Bretagne… Il ne va donc pas tarder à débarquer sur le continent.