LA REVANCHE DE LA CUISINE ANGLAISE

ENGLISH COOKING THE REVENGE
Par Georges Charles

 

 

La revanche de la cuisine anglaise
English cooking revenge
Par Georges Charles
Il y a encore quelques années la trop fameuse cuisine anglaise faisait les gorges chaudes de tout le continent et, probablement, de la terre entière.
On se gaussait du fait que les maudits Godons étaient incapables de savoir faire cuire un légume ou une viande correctement.
En un mot comme en cent la cuisine anglaise était la risée du monde entier.
Et sur ce plan tout le monde était d’accord que ce soit en France, en Italie, en Espagne, en Chine et même en Allemagne.
Et on plaignait les pauvres sujets de sa Gracieuse Majesté de n’ingérer que du bouilli, du fade, de l’insipide et de procéder à des ridicules mélanges sucré salé ou d’utiliser des assaisonnements étranges.
Sans qu’on s’en doute cette cuisine redoutable, tout comme la langue anglaise, a désormais envahi la planète et il est désormais difficile d’y échapper.
Sous l’influence pernicieuse des nutritionnistes, probablement à la solde du MI6, on est désormais contraints de se nourrir comme à Londres, Manchester ou Liverpool.
On se doit de consommer les légumes encore croquants, donc à peine cuits, et, si possible, sans le moindre assaisonnement.

Légumes d’une cafétaria de bord de mer : God Save the Queen !

Mettre du beurre, ou pire, de la crème, ou un peu de sel dans ses haricots verts ou dans ses épinards équivaut à un acte terroriste de la pire espèce.
Faire griller une côtelette ou un entrecôte vous expose désormais à l’ire des fondamentalistes qui vous excommunient pour moins que cela.
Et que ce soit en France, en Italie, en Espagne et à peu près partout dans le monde le haricot vert croquant et la rondelle de carotte, même pas Vichy, a envahi les assiettes.
Et pas seulement les plateaux des cafétérias de grandes surfaces mais également les assiettes de nos grands restaurants.
Fini le braisé, le sauté, le frit, le revenu et vivent le blanchi, le vaporisé, le bouilli.
C’est de la « bouille pour les chats » alias le Cat-soup qui est devenu l’inénarrable Ketchup.
Qui, à l’origine était quand même une honorable sauce indonésienne le Ketjab.
Jusqu’au fin fond de la Romagne, cet été, on m’a servi ces fameux légumes anglais.
Très décoratifs.
Heureusement que les Italiens laissent encore traîner sur la table de l’excellente huile d’olive et du piment en poudre, sinon du parmesan râpé.
Dont il fallait faire provision avant qu’il ne disparaisse de la dite table juste après la « pasta ».
Et plus tard j’ai eu la surprise de découvrir que le carpaccio servi dans un restaurant réputé était en fait…du roastbeef cuit à l’anglaise et donc bouilli.
Mais coupé très fin !
Why not porca miseria.
Etant moi-même un adepte inconditionnel de la sauce à la menthe avec le gigot d’agneau de pré salé rôti, celui de la Baie de la Somme est aussi honorable que de la Baie du Mont Saint Michel, et est moins dérangé par les touristes, je puis comprendre qu’un certain atavisme influence nos papilles.
Mais quand même.
Pour les grenouillards qui se marrent je leur rappelle, à tout hasard, que l’on nommait justement nos amis anglais les « roastbeefs » non seulement à cause de leurs tenues rouges et blanches qui les faisaient ressembler à un filet bardé mais grâce à leur mauvaise habitude, jadis, de rôtir la viande de bœuf.
Les gardiens de la Tour de Londres, qui comptent désormais quelques femmes dans leurs rangs, les « roastbeefs beefeaters » ne me démentiront pas.
Ce sont les Normands, au onzième siècle, qui lors de la conquête, réussie, de cette maudite ile ont apporté avec eux la mauvaise habitude du bouilli jusqu’alors inconnu chez les Saxons et les Angles.
Les « collabos » se hâtèrent dont d’imiter les occupants et de se mettre à faire bouillir la viande avec des légumes !
Ce qui était quand même plus classe que de manger avec les doigts des quartiers dégoulinants de graisse brûlée comme le faisaient habituellement les natives, ou indigènes.
Et sur le modèle de William The First, alias Guillaume le Bâtard devenu le Conquérant, donc un Normand, ils se mirent également à manger le fromage avec de la confiture.
Cela datait du fait qu’avant l’embarquement pour l’Angleterre, donc la Bretagne, Guillaume craignant de manquer de provisions avant fait ramasser les fromages de la région de Neufchatel.
Les ayant trouvé trop salé il donna l’ordre d’aller « quérir des confits picards », alias des confitures de fruits rouges.
Et il obligea tous ses hommes, officiers et barons compris, à manger ces fameux fromages de Neufchatel accompagnés de confiture afin qu’ils ne soient pas malades.
Il tenait à ce que ses troupes arrivent en bonne santé de l’autre côté de la Manche pour mettre une peignée à ce rascal de Harold et à ses Housecarls.
Les Anglais ont conservé l’habitude alors qu’à Neufchatel cet épisode est tombé dans l’oubli le plus total.
Sauf que chez quelques vieux Normands on mange toujours ce fromage avec de la confiture sans trop savoir pourquoi.
Il est amusant de constater que, désormais, cette très mauvaise habitude due au fait que le Neufchatel soit en effet assez salé de nature, a envahi pas mal de restaurants hauts de gamme.
En douce.
Il est aussi amusant de constater que lorsque le bétail ou les animaux de basse cour sont sur pattes ils conservent leur nom saxon, ox, sheep, pig, hen alors que dans l’assiette il deviennent alors normands, beef, mutton, porc, chiken.
Il y a ceux qui les élèvent, les Saxons et ceux qui les consomment, les Normands.
En fait la cuisine anglaise c’est de l’ancienne cuisine normande sans la crème !
Si on excepte le Ketchup et le Worcestershire sauce.
Et il faudra s’y habituer, malheureusement.