Cimetière chinois de Noyelles

Avec un ajout sur le cimetière chinois de Saint Etienne au Mont (62) (21 septembre 2005)
Et un autre sur le cimetière du Commonwealth d’Etaples (62) ( 23 janvier 2009)

par Georges Charles

 

Un petit coin de Chine en Picardie : le repos éternel des Célestes.

Des centaines de milliers de Chinois, qu’on appelait alors des « Célestes », sont venus en France à partir d’avril 1917 en tant qu’alliés. Par traité, signé jadis par l’Impératrice Douairière Tseu Hi (Cixi), ils ne pouvaient combattre, contrairement aux soldats Annamites de nos lointaines colonies d’Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos). Mais ils furent employés, principalement par l’Armée Britannique, à des tâches jugées ingrates ou difficiles comme le terrassement de tranchées, le ramassage des soldats morts sur le champ de bataille, le déminage des terrains reconquis, la blanchisserie où leur réputation était sans égale, les services de santé auprès des malades, particulièrement de ceux atteints de la fameuse grippe espagnole qui fit 17 millions de morts en Europe.

Infatigables ils surprenaient les européens par leur vivacité, leur endurance et leur joie de vivre.

L’entrée du village de Noyelles Les maisons picardes traditionnelles et les « Chiens Fous » (Chen Fo) ou « Gardiens du Bouddha »

Le Chinese Labour Corps La plupart d’entre eux furent recrutés et employés par le Chinese Labour Corps (CLC) au titre de travailleurs volontaires. Il fut créé par les Anglais en 1917 qui reprirent l’initiative de Georges Charles Gordon, « Chinese Gordon » qui, en Chine, en 1840, avait jeté les bases d’un corps chinois du génie formé par des officiers du Royal Ingeneer Corps et qui fut présent aux cotés de l’Armée Toujours Invincible dans sa reconquête du pouvoir menacé par les Tai Ping. Ce fut à cette époque que le traité permettant d’utiliser officiellement ces travailleurs « célestes » mais sans que ceux-ci puissent pour autant porter les armes au nom d’une puissance étrangère fut signé entre l’Impératrice Douairière Cixi (Tseu Hi) et les représentants de la Grande Bretagne et de la France qui avaient participé à la guerre de l’opium. La plupart des Chinois recrutés le furent donc dans les provinces du sud de la Chine dans les régions attenantes à Canton (Guandong), Shanghaï, Jinan (Shandong) et Hong Kong (Zhejiang). Chaque compagnie était composée d’un officier, de huit sous-officiers et de 500 hommes vêtus d’un uniforme bleu sombre ressemblant trait pour trait aux tenues de travail chinoises encore utilisées dans la pratique du Kung-Fu Wushu. A ce sujet, ces travailleurs chinois introduisirent en occident cette pratique lors de fêtes du Nouvel an qui furent filmées. On les voit donc pratiquer la « danse du lion » mais aussi des « formes » (Tao) de Kung-fu Wushu du Sud de la Chine. Il est vrai qu’un autre document filmé montre « Oncle Ho Chi Mihn » pratiquant du Taijiquan avec un assistant très complaisant puisque terrorisé ! On a beau avoir travaillé chez Renault à Boulogne Billancourt, on n’en demeure pas moins un lettré. Et un lettré, même vietnamien, se doit de pratiquer du Taijiquan et non une quelconque forme paysanne fut-elle vietnamienne.

Les Français, de leur coté, bénéficiaient du support de leurs colonies du Sud-Est Asiatique qui fournirent également des contingents de Tirailleurs Anamites venant du Viêt-nam, du Cambodge, du Laos, donc de l’Indochine Française et qui vinrent combattre en France et pour la France. L’Etat Major, qui n’avait pas encore subi Dien Bien Phu, et qui doutait de la valeur combative de ces soldats asiatiques, les cantonna, sans jeu de mot, presque exclusivement à des tâches de maintient de l’ordre ou a la garde des monuments officiels et des ministères. Leur accoutrement et particulièrement leur chapeau conique, leur valut rapidement le qualificatif de « pékins » auprès des militaires.

Le sobriquet est resté et, pendant longtemps, un « pékin » désignait un planqué, un « gazier » désignant un civil en uniforme et un « rombier » un civil tout court.

Bon nombre de ces « volontaires » après la victoire de 1918, officiellement 3000, préférèrent demeurer en France et furent recrutés par l’industrie et, particulièrement, par les usines Louis Renault de Boulogne Billancourt et les usines Panhard et Levassor, situées avenue d’Ivry dans le XIIIe arrondissement, formant ainsi le premier noyau de la communauté asiatique française.

Cette communauté comptera parmi ses membres des éminents révolutionnaires comme Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Li Shizeng, Zhang Renjie, Zheng Yu Xiu (étudiante qui obtint un doctorat de droit en1925), Ren Zhuoxan, Lin Wei, Xiao Pusheng, Xiang Jingyu, Wu Zhihui, Chu Mingyi, Zhang yi qui, plus tard, formeront l’élite de la politique révolutionnaire chinoise.

Sans oublier, bien évidemment leurs éminents confrères vietnamiens Ho Chi Ming et Nguyen The Truyen qui furent formés à bonne école.

Ces « travailleurs » chinois, puisqu’ils ne combattaient pas, étaient regroupés dans des camps à Blangy sur Bresle (76) au lieu dit « les tranchées », à Saigneville (80) et dans la forêt de Crécy, lieu de la fameuse bataille. Ils se nourrissaient évidemment « à la chinoise » et bon nombre d’Anglais et de Français ne dédaignaient pas leur ordinaire quelque peu étrange mais qui les changeait du sempiternel « singe » ou « corned-beef ».

Ce sont ces chinois qui implantèrent dans la somme les fameuses « laitues de glace » ou « chou chinois » Pe Tsai ou Pak Choi ainsi que le soja.

On compta, à l’armistice, au total plus de 96000 « coolies » qui transitèrent par les camps d’Abbeville, Flixecourt, Ham mais qui, à un moment ou a un autre, se retrouvèrent à Noyelles.

Ce village picard sans histoire, situé entre Abbeville et Boulogne, devint donc la plaque tournante d’une noria humaine impressionnante.

Or les conditions d’hygiène n’étant pas favorables et le climat inhabituel pour ces Chinois venant génèralement du Sud de la Chine, nombre d’entre eux tombèrent malades et près d’un millier décédèrent dans l’hôpital de campagne du Native Labour de Noyelles.

Pour ne pas arranger les choses un bombardier allemand, un Gotha, vint dans la nuit du 21 au 22 mai 1918 bombarder le camp de Saigneville, touchant un dépôt de munitions et causant de nombreux morts parmi les ouvriers chinois qui y travaillaient. Le camp fut presque totalement détruit et on retrouva des débris jusqu’à cinquante km. (voir plus bas les articles en picard relatant cet événement tragique).

 

LE CIMETIERE CHINOIS

Bon nombre de ces travailleurs n’ayant pas de famille connue ni les moyens de faire rapatrier leurs corps furent donc enterrés provisoirement dans un champ situé près de cet hôpital. Peu à peu le cimetière prit de l’ampleur et en 1918 on dénombrait déjà près de 800 tombes. Mais des travailleurs chinois continuèrent de mourir de maladie après la guerre, jusqu’en 1921. Lorsque l’Armée Anglaise décida d’aménager les cimetières très nombreux dans la Somme puisque la bataille du même nom fut, en quelque sorte, leur Verdun avec plus de 400 000 morts, une subvention spéciale fut votée pour la création du Cimetière de Noyelles à qui on donna des caractéristiques rappelant la nationalité de ceux qui y étaient enterrés. Il fut officiellement inauguré le 23 mars 1920. Le cimetière est donc à la fois très britannique et très chinois mais également très picard puisque se situant dans la campagne à proximité d’un petit village aux maisons basses de torchis traditionnel.

Au sujet de l’organisation des nécropoles, cimetières militaires et tombes de guerre, si vous voulez en savoir plus reportez vous à la fin de l’article sur la tombe chinoise du cimetière d’Etaples et sur l’action exceptionnelle du Major Fabian Ware.

L’arrivée dans le village est d’ailleurs agrémentée par deux magnifiques « Chen Fo » ou « Gardiens de Bouddha », (Chen = gardien, celui qui protège ; Fo = Bouddha) donc des « lions chinois » que les antiquaires persistent à nommer « Chiens Fous ».

Ces sympathiques animaux, ressemblant quelque peu à d’énormes chiens Pékinois, furent offerts à Noyelles par la ville chinoise de Tungkang lors du jumelage entre ces deux villes qui eut lieu en décembre 1984.

Le cimetière lui-même se trouve sur une légère butte en pleine campagne.

Il comprend 849 tombes de marbre blanc portant des inscriptions en chinois et en anglais et le nom du travailleur si celui-ci est connu.

 

DES TOMBES EMOUVANTES :

Chaque tombe comporte donc le nom chinois du travailleur et sa transcription phonétique. On y trouve donc bon nombre de Li, de Chang, de Chen, de Wu, de Tang, de Wang, de Ma puisqu’il n’existe, en Chine, qu’une petite centaine de patronymes ! C’est ce qui a posé la difficulté d’identification : bon nombre de ces Chinois ne savaient pas écrire leur nom en Chinois ni à plus forte raison en langue occidentale.

Et les prononciations étant très différentes suivant les régions de Chine il était alors très difficile de savoir à qui on avait affaire.

Ces travailleurs portaient donc une plaque avec un simple numéro. Mais il aurait été inconvenant de simplement porter ce numéro sur la tombe. On préféra donc dans bon nombre de cas demeurer sur la notion d’inconnu.

Afin que la tombe ne soit pas une simple plaque anonyme, comme celle qu’ils portaient autour du cou de leur vivant, les autorités anglaises eurent l’idée de choisir et de traduire une formule chinoise pour chacun d’entre eux : « A noble duty bravely done » (un noble devoir bravement effectué) « A good reputation for ever » (Une bonne réputation pour l’éternité » ; « A good felow and a fierce worker » (Un bon camarade et un sacré travailleur) ;  » A little man but a great heart » (Un petit homme mais un grand coeur).

Quelques arbres agrémentent le cimetière apportant un peu d’ombre dans cette campagne picarde qui s’étend à perte de vue.

Le Major Ware avait souhaité que les arbres plantés dans les cimetières militaires rappellent le pays d’origine de ceux qui y sont inhumés. Le chois des pins et des massifs de chrysanthèmes n’est dont pas du au simple hasard.

Le Pays du Soleil Couchant Xi Ming Guo Comme les Chinois appelaient la Picardie

 

CHE PICARDS ET CHE CHINOUOS

Quand les Picards du début du siècle rencontrent les Chinois cela ne peut donner qu’une relation ne manquant pas de sel. Plusieurs Chinois, demeurés sur place, se sont mariés fort civilement et ont une descendance désormais bien picarde.

« Comme la djérre a s’prolongeot, ché Inglais il awoait installè un camp aveuc un dépot d’munichions à Saigneville, qu’dhés aéroplanes boches ils ont bombardè pi foait seuteu din l’nuit du 21 au 22 du mouo d’moai dix-huit. Si j’vo raconte tout eu, ch’est por vo dire éq chés Inglais il awoait imbeuché des ouvrieux chinouos qu’i travailloait pour eux. Jé z’ai vus habillés en bleu aveuc leur zius bridès, leur pieu ganes conme édz aillots, pi leus dints noérs conme du cirage. Pauvres Chinouos, vnus d’si loin d’leu poéyi, travailleu in France, comme des mercenaires ! Jé zés woès coer passeu ch’diminche din nos rues in jérgonnant, tout in portant à l’épeule un baton aveuc un cabus d’un cotè pi eune botte ed carottes éd l’eute. Pu d’un i n’a point rvu Pétchin ni Canton ! Justémint, j’érvient d’visiteu pour el preumieu coup cho’ch chinmtiére chinoése ed Noéyélles, d’où qu’i sont interrés. Chimtière rudmint bien intérténue conme toutes chés chinmtières inglaises. Alleu l’vir ! A veut ch’déplachemint » (AD. Dérgnies).

« T’in souvient-tu qué les piots bonhommes éq ch’étouot point piu heuts qu’des pots à boère avec leus piots zius in coulisse, et pi leus dints noérs conme des grains d’cafè din leur bouque? Ils avoait l’air effarouchés. « Beaucoup Boum Boum, Nous seuvés ! » qui disoait chè paures Chinouos avec des lèrmes tout plein leurs piots zius. Ils avoait yeu peur, ché paures gins ! Inhui cché Chinouos i sont drus conmes puces, et pi n’ont pu peur. Il zont pui ed soldats a eux tous seuls qu’tous ché puissances insane. Ché eux qu’i foait peur à tout l’monde. Tu npérlés d’un cangemint ! Chest cho qu’oz appélle él progrès ! » (Gaston Vasseur).

Courriers publiés dans CH’LANCHRON – éch jornal picard N° 58 Aprézeut 1994.