Magie Chinoise
et rituel de purification du Feng Shui
par Georges Charles
Rares sont les ouvrages sur le Feng Shui qui évoquent les rituels magiques de purification. En Chine, ils font pourtant partie intégrante de toute intervention dans ce domaine particulier. Feng Shui : entre magie et rituel.
Les Cinq Éléments et le Salut rituel comme purification symbolique.
La notion de « Salut« , donc, étymologiquement, de protection rituelle ou magique ne date pas d’aujourd’hui puisqu’on retrouve de nombreuses descriptions de rituels de purification par le salut dans le « Livre des Rites » (Liji ou Li Ki) attribué à Kongzi (Confucius) ainsi que dans divers textes classiques anciens.
L’un des plus caractéristiques est, par exemple, décrit dans le 19ème chapitre du Traité du Maître Transcendant de Nan Hoa attribué à Zhuangzi… ou Tchouang Tseu… auteur que de nombreux intellectuels se prétendant taoïstes aiment à citer. Il s’agit tout simplement d’un Duc qui lors d’une chasse près d’un marais froid et humide, se croit agressé par un spectre (… ou une « énergie perverse » (Xie Qi) très caractèristique du Feng Shui…). Par la suite le duc se mit à divaguer et se prétendit malade.
Son ministre lui expliqua :
« Un spectre (Gui ou Kouei = entité malfaisante, énergie perverse) ne peut pas nuire à un personnage tel que vous. Si l’esprit vital (l’énergie) accumulé se disperse hors du corps de l’homme (extérieur (Wai) = énergie du métal) et n’y revient pas, celui ci devient débile (faible physiquement et psychiquement).Si il monte dans le haut du corps (excès de Yang en haut = énergie du feu) et ne peut redescendre, l’homme devient irascible. Si il descend et s’accumule dans le bas du corps (excès de Yin en bas = énergie de l’eau) sans pouvoir remonter l’homme devient oublieux. Si il se fixe au milieu du corps et s’accumule dans le centre (énergie de terre) sans pouvoir ni monter ni descendre, cela le rend malade. C’est là votre cas. Trop de soucis et de concentration : régénérez vous et distrayez vous (énergie de bois) !« .
Il s’agit là d’un cycle particulier dit de « violation » (Wu), aussi nommé cycle d’assaut, d’attaque ou d’insulte qui n’a pas échappé aux acupuncteurs traditionnels tels que Chamfrault (Tome 5 du Traité de Médecine Chinoise – chapitre IV paragraphe sur le « répartition des énergies Yang et Yin de l’homme » Editions Coquemard), Lavier (Histoire, pratique et doctrine de l’acupuncture traditionnelle. Editions Henry Veyrier) ou, plus récemment, Eyssalet ( Les Cinq Chemins du clair et de l’obscur – chapitre sur les Cinq Mouvements ou Cinq modalités P. 147 – Editions Guy Trédaniel)…
en effet si on suit attentivement le texte on trouve dans l’ordre les énergies du Métal, du Feu, de l’Eau, de la Terre et du Bois… Le métal est fondu par le feu; le feu est éteint par l’eau; l’eau est absorbée par la terre; la terre est consommée par le bois et le bois, à son tour est tranché par le métal.
Il s’agit donc d’une purification symbolique qualifiée de barbare (Wei). Cela représente, en quelque sorte, l’attaque donc la « purification » par « violation« , du métal (hache, sabre, lance, flèche…) suivie du feu (incendie du campement adverse) puis de l’eau (inondation et désolation) aboutissant à la terre (occupation du lieu et délimitation de nouvelles frontières…) puis à la conquête de nouveaux territoires (bois et vent).
Ce que l’on sait moins est que ce fameux cycle de violation est utilisé comme purification symbolique précédant le salut qui, lui-même, ouvre le rituel de pratique à proprement parler. Zhuangzi donne ensuite une description des principaux spectres (Gui) habitant les égouts, les chaufferies, les fosses à fumier, les endroits humides, les steppes, les régions montagneuses… Le but de la purification magique utilisée dans le cadre du Feng Shui classique est justement de se débarrasser de ces éventuels spectres… donc des énergies perturbatrices ayant pu envahir un lieu. Ce faisant, le praticien en Feng Shui purifie le lieu qu’il souhaite étudier et rééquilibrer mais également se protéger. En effet, intervenir successivement de nombreuses fois dans des lieux à problèmes peut, à la longue, générer des perturbations énergétiques bien compréhensibles… car il est rare qu’on fasse venir un expert de Feng Shui lorsqu’il n’existe aucune raison à son intervention.
La purification par le Métal et l’épée magique (Ling Jian) de « monnaies de soumission et de triomphe » :
Dans l’ordre nous retrouverons donc le Métal avec l’épée magique (Ling Jian) constitué d’une ligature de multiples pièces chinoises (sapèques), parfois nommées Yasheng Qian – monnaies de soumission et de triomphe – percées d’un carré.
Il convient donc avec le son du Métal (Hé) – reproduisant le son de l’éclair ou celui de la soie déchirée par le métal – de trancher d’abord verticalement dans les « Quatre Directions » fondamentales (Nord, Ouest, Sud, Est) donc dans le sens des aiguilles d’une montre (Shun). Puis de trancher horizontalement dans le sens contraire des aiguilles d’une montre (Ni) en tournant sur soi-même enfin de trancher d’une manière oblique de la gauche en haut (Yang) vers la droite en bas (Yin) en visualisant la couleur blanche.
Certains officiants utilisent également une « épée aux Sept Etoiles du Nord » qui comporte sept points de cuivre inclus dans une lame d’acier forgé rituellement et se réunissant pour former l’image symbolique de la Grande Ourse ou une épée magique en bois de pêcher teinte en rouge… Jadis on utilisait aussi, dans certaines cérémonies officielles, un sceptre de jade (Yu Ji ou Jou I) souvent représenté comme instrument de pouvoir.Il est également possible, dans certaines conditions, d’utiliser simplement la main, doigts réunis en « forme d’épée magique » ou « d’immortel montrant le chemin« . Dans ce cas index et majeur sont réunis et étendus tandis que le pouce recouvre les ongles de l’annulaire et de l’auriculaire. Ces trois derniers doigts joints forment un cercle. Le geste consiste simplement à trancher comme avec une épée. Cette position particulière de la main est également utilisée dans la pratique de l’épée droite (Jian) que l’on retrouve dans les formes armées (Wutao, Doan… ) du « Kung-fu Wushu » (Art chevaleresque chinois classique ou traditionnel ) ou des Arts Internes comme le Taijiquan, le Baguazhang, le Xingyiquan. Cette purification symbolique a pour but de « trancher ce qui s’attache au lieu« .
Ce rite particulier, lié au métal, se retrouve dans bon nombre d’inaugurations puisqu’il convient de couper un ruban symbolique… ce que fait souvent même le Président de la République sans pour autant passer pour un attardé notoire. Bien que l’épée de sapèques soit l’objet le plus utilisé en Feng Shui, avant même la fameuse boussole géomantique (luoban ou Luo Pan) elle est rarement montrée ou décrite et moins encore démontrée quant à son utilisation rituelle. Celle-ci fait probablement un peu peur.
On préfère donc souvent aseptiser la vérité que de purifier le lieu. Il faut dire qu’en Chine, les acupuncteurs chinois étudient également des pratiques purificatrices qui ne seront jamais montrées aux acupuncteurs occidentaux venus étudier l’acupuncture traditionnelle car la tradition fait parfois un peu peur à ceux qui ne la pratiquent pas dans son contexte originel. Par la suite, ces mêmes acupuncteurs occidentaux se plaignent d’être quelque peu fatigués, sinon vampirisés, par leurs propres patients. Il y a quelques chances que les praticiens occidentaux en Feng Shui, n’ayant pas forcément toutes les données du problème oriental et particulièrement chinois, se sentent peu à peu quelque peu fatigués, sinon vampirisés, par les lieux qu’ils traitent sans le moindre rituel de purification ni de protection… Ils auraient du lire Zhuangzi !
La purification par le Feu… et l’encens… sans oublier les indispensables pétards.
Après le métal vient le feu. Après avoir « tranché – donc séparé – ce qui s’accroche au lieu » encore faut-il se débarrasser de ce qui est produit. On utilise, tout simplement, l’incinération.
Cela consistait jadis à faire un feu puis à jeter sur les braises des substances aromatiques comme le benjoin, le santal, la myrrhe, la myrte, l’ambre, le sang dragon…
Par la suite on utilisa, plus simplement, des charbons ardents sur lesquels on lançait des résines désignées globalement sous la dénomination d’encens. Puis vint le tour des cônes et des baguettes parfumés naturellement… ou synthétiquement… sinon des diffuseurs d’essences essentielles ou aromatiques qui sont censées purifier l’atmosphère. Pour aboutir, ou peu s’en faut, à l’ionisateur électronique d’ambiance.
Certains prévoient même des peintures odoriférantes. Jusqu’à se demander si le remède, la diffusion d’un parfum chimique, n’est pas pire que le mal : la destruction d’odeurs naturelles. Les asiatiques utilisent très volontiers des bâtons ou des spirales d’encens dans les rituels publics (temples… ) et ouverts à tous mais continuent à utiliser des encens en grains dans les rites purificateurs plus spécifiques ou dans les espaces à consacrer par une cérémonie. Il est donc possible de distinguer simplement l’encens de purification initiale, utilisé pour nettoyer un lieu en profondeur, des encens d’entretien qui agissent plus superficiellement.
Dans le premier cas il est toujours préférable de continuer à utiliser des charbons ardents et des résines. Ces dernières, considérées comme des « encens d’église » sont utilisées dans la plupart des temples d’orient et d’extrême-orient ainsi que dans certains rites particuliers des églises occidentales. On peut en trouver dans les boutiques plus ou moins liées aux divers cultes sous la dénomination d’encens de Jérusalem, d’encens sacré du Tibet… Par la suite il sera tout à fait possible de conseiller l’utilisations de cônes ou de baguettes ou, ce qui est très pratique et efficace, de papier d’Arménie. Celui-ci a au moins l’intérêt d’être confectionné avec des essences naturelles et fort agréables à l’odorat, ce qui n’est pas toujours le cas des encens bon marché !
Pour le rituel de purification initial il est traditionnel de disposer le brûle-encens face au Sud et de procéder à trois fumigations successives. Pour le rituel d’entretien il convient de tourner autour du lieu à nettoyer dans le sens des aiguilles d’une montre (Shun) en effectuant un nombre de tours impair (Yang)… Un, trois, cinq, sept ou neuf. Ce rituel de purification ou de nettoyage s’effectue avec le son Ha – celui du brasier dans lequel on jette les substances aromatiques – Les purifications extérieures peuvent s’effectuer avec des huiles produisant une fumée plus abondante. Concernant le Feng Shui populaire il existe un autre moyen de purification très utilisé en Chine, ainsi que dans la plupart des pays d’Extrême-Orient puisqu’il s’agit simplement des pétards nécessaires à toute cérémonie d’inauguration et nécessairement de couleur rouge, la couleur du Feu. On inaugure la nouvelle année par des pétards, on inaugure le mariage par des pétards, on inaugure un nouveau restaurant, une nouvelle boutique, un nouveau building, un nouvel aéroport ou un nouveau président… par des kyrielles de pétards. Plus il y en a plus l’inauguration est jugée comme faste, donc bénéfique. Une fête chinoise sans pétard n’est pas une fête chinoise et encore moins une fête. Une inauguration sans pétard est un enterrement de pauvre.
Le pétard (Pao) de par son bruit éloigne les mauvais esprits et les influences pernicieuses et fait, littéralement, exploser les revenants (Gui ou Kouei). Ce qui explique, pour de nombreux chinois, que les occidentaux – les Guilo ou Kwei Lo (types fantômes, individus perturbateurs…) – aient justement horreur des pétards. Pao signifie exploser, mais également sublimer… et proclamer. En Chine on « proclame » (Pao) une nouvelle loi. A l’origine il s’agissait de lancer des bambous verts dans le feu et ceux-ci éclataient dans un grand vacarme en projetant des cendres incandescentes, ce qui était de très bon augure.La tradition se perpétue donc et, particulièrement à l’extérieur on se saurait réellement sanctifier un lieu sans quelques pétards bien sentis. On laisse faire les enfants qui s’en donnent à coeur joie, mais il existe encore quelques vieux maîtres taoïstes qui ne dédaignent pas allumer eux-mêmes la mèche à l’improviste surtout si il y a des Kweilo dans l’assistance. En occident on évite ce genre de débordement sonore surtout si on souhaite passer pour quelqu’un de sérieux et on se prive ainsi d’une bonne purification à peu de frais. La poudre a originellement été créée pour cet usage qui vaut bien celui, plus guerrier et beaucoup plus désagréable, qu’en ont fait, par la suite, les militaires occidentaux.
La purification lustrale par l’eau et le sel…
Après vient la purification par l’eau car il convient de limiter les effets en chaîne et excessifs du feu impérial. Il s’agit, encore très simplement, de procéder soit à des ablutions rituelles, que l’on retrouve dans le rite du baptême, avec de l’eau lustrale soit de projeter cet eau, et parfois du sel, sur le lieu à consacrer et à purifier.
A l’origine après avoir jeté de l’huile sur le feu, d’où une expression encore très utilisée dans un sens populaire, on jetait du sel sur le brasier, ce qui le faisait crépiter et ravivait la flamme, puis de l’eau salée ce qui produisait un son particulier (Shiii) qui, justement est le son de l’Eau (Sii – pluie glacée de l’hiver sur des ardoises) et une intense vapeur.
Désormais on se contente souvent, ne serait-ce que dans le baptême, d’une aspersion symbolique d’eau dite bénite et du dépôt de quelques grains de sel sur la langue. Cette saveur (sapor) salée amenait la « sapience » donc la sagesse. Eau et sel sont donc toujours utilisés pour purifier un lieu ou pour se purifier symboliquement en se frottant les mains de sel avant de procéder à un rituel.Ceux qui acceptent de faire baptiser un enfant trouvent pourtant étrange que l’on puisse baptiser un lieu avec les mêmes ingrédients. Dans une certaine mesure, pourtant, la bouteille de champagne utilisée pour baptiser un nouveau bateau procède de la même intention… et est devenue indissociable de la victoire sportive. On évacue ainsi le mauvais sort et on baptise le succès, donc le nouveau champion, au vu et au su de tous… mais on passe pour étrange si on procède de même, officiellement, avec un appartement, une nouvelle boutique ou, à plus forte raison, une société. On dissimule alors le rite sous la pratique festive. Pourquoi se cacher et risquer de bâcler un moment essentiel puisque l’on sait par ailleurs que ce « baptême » est important pour le succès futur de l’entreprise. Dans la tradition sacrée japonaise les divinités primitives Izanagi No Kami et Izanami No Kami agitent l’eau salée avec la lance jusqu’à ce qu’elle devienne solide et engendre l’archipel principal du Soleil Levant. Les gouttes d’eau salée qui tombent de la lance magique, également symboliquement attachée à l’élément Eau, deviennent les multiples îles. L’eau salée et la lance ornée de pierres sombres sont, de ce fait, toujours utilisées dans certains rituels Shintô.
La sanctification du lieu par la terre…
Il n’est pas question de laisser l’eau s’installer sur le lieu que l’on souhaite utiliser et on utilise, ensuite, la terre pour absorber l’excèdent de celle-ci. Cela consiste symboliquement à délimiter le lieu consacré donc à en situer les limites. Cela se faisait jadis avec l’usage d’un carré magique (Lo Shu) à partir duquel on définissait un centre (Terre) et une périphérie ainsi que, bien souvent, une circulation symbolique. En Chine cela était représenté par l’Empereur (Wang) qui se voulait à la jonction entre terre et ciel et qui évoluait, suivant un ordre particulier, en fonction des saisons et des périodes de la journée, dans son « Palais du Ming Tang » ( Ming = illumination, clarté, connaissance globale ). En Occident on retrouve ce rite dans le fait de déposer une première pierre… la « pierre angulaire » ou « pierre d’achoppement » qui symbolise le point de départ de l’édifice… donc de l’oeuvre.
Dans le rite de purification traditionnel cela consiste à délimiter l’endroit consacré au rituel… qui se trouve ainsi au « centre » de la pratique. Cette délimitation peut être formalisée par une marche rituelle, procession ou circumambulation (marche circulaire), généralement effectuée avec de l’encens (feu) ou des instruments de musique (cymbales, tambours, flûtes… ). Cet espace sacré peut également être constitué de plusieurs enceintes protectrices dont les limites sont définies par le rituel.
Celui qui officie se tourne généralement vers le Nord, suivant l’orientation chinoise, ce qui lui permet d’avoir la lumière de l’Est, donc le jeune Yang ou Yang naissant, du coté gauche et, par conséquence, le Yin à droite. De ce coté se tiennent les armes (métal).
Ce fait est attesté par Laozi (Lao Tseu) dans le chapitre 31 du Daodejing (Tao Te King) : « L’homme noble dans sa vie ordinaire tient sa gauche pour place d’honneur. Elle est à droite lorsqu’il porte les armes« . Or les objets rituels sont considérés comme des armes destinées à combattre les influences pernicieuses. Le lieu consacré est protégé non seulement par une entrée bien disposée et une porte solide sur laquelle, ou de part et d’autre de laquelle, on dispose des symboles représentant des gardiens.Les Shintoïstes entourent leurs maisons, au jour de l’an, de cordes de paille. Le lieu privé ou sacré est ainsi séparé du monde extérieur par une enceinte subtile. Cette enceinte délimite donc un « centre » intérieur par rapport à la périphérie. Ce « centre interne » représente l’endroit privilégié où se situe l’esprit (Shen) du lieu. En pénétrant dans le lieu c’est cet endroit qu’il convient alors de saluer. Enfin, la Terre représente le séjour initial des défunts ou, au moins de leur dépouille.
Une prière antique permet de comprendre quelle importance donnaient les anciens à cette Terre :
« Va sous cette Terre, ta mère aux vaste séjours et aux bonnes faveurs. Douce comme la laine et la soie à qui sut la respecter. Qu’elle te garde du néant. Terre, forme voûte pour lui et ne l’écrase point mais reçois le et accueille le doucement. Couvre le d’un pan de ta robe comme une mère protège son fils« .
Symboliquement le passage par la Terre représente donc la « mort du disciple » (Hexagramme 36 Ming Yi – obscurcissement de la lumière – du Yijing) préfigurant « l’éveil du Maître » (Hexagramme 37 Kia Jen – le retour au Clan familial – du Yijing).
Cet « éveil » sera symbolisé par le Bois (printemps, résurrection, renouveau de l’aube)… et le Salut initial.
La régénération du lieu par le bois.
Cet élément Bois peut s’entendre au propre et au figuré. Il représente, en effet, la régénération, le renouveau, la renaissance, la germination donc le début d’un nouveau cycle lié à la jeunesse, au printemps, au matin. Pratiquement il s’agit donc de l’énergie vitale que représentent les plantes. Il est fort possible d’utiliser ces plantes vivaces comme une plante verte ou un arbre miniature (Bonsaï) pour régénérer un lieu comme il est possible d’utiliser une composition florale de plantes fraîches ou même séchées.
Les compositions japonaises issues de l’Ikebana ont toujours été disposées dans ce but à la place d’honneur (Shinza).
Dans certains cas des objets décoratifs ou des cloisons de bois peuvent également apporter cette énergie régénératrice. L’éventail, producteur de vent ou de brise est également lié à l’élément Bois. Symboliquement le bois correspond également au Salut (salutation rituelle). Ce salut se situe généralement lorsque les purifications rituelles par le Métal, le Feu, l’Eau et la Terre ont été effectuées et correspond à l’ouverture vers autre chose… donc un renouveau. Le salut est donc un élément essentiel du rituel puisqu’il se situe à la fin de celui-ci mais également au début de ce qui va se passer ensuite.
On retrouve donc ce salut dans bon nombre de pratiques traditionnelles et particulièrement dans les arts chevaleresques, ou « arts martiaux » où il a pour but tant de purifier le lieu de pratique que ceux qui y sont présents. Ce salut peut s’effectuer debout ou, plus rituellement, en forme agenouillée et suivant des axes et des orientations très spécifiques.
Dans les pratiques japonaises on salue le plus souvent un emplacement symbolique, le Shinza (littéralement Coeur/Esprit (Shin) assis (Za)… endroit où est présent (assis) l’Esprit du lieu)… lui même entouré du Kamiza ( où s’assoient (Za) les Esprits du Feu (Ka) et de l’Eau (Mi)…) et du Shimoza (endroit ou se tiennent les Esprits des Ancêtres).
L’ensemble Shimoza/Shinza/Kamiza représente également la trilogie Terre/Homme/ Ciel donc le matériel, l’émotionnel, et le spirituel du lieu consacré.
Le Kamiza comporte souvent au autel dans lequel on dispose des objets symboliques (éventail, sabres, flûte, cloches musicales…) une calligraphie, un portrait, une composition florale ou un bonsaï. Lorsque le salut a été effectué l’essentiel a été dit et a été fait et les choses peuvent, enfin, suivre leur cours normal. En fait, le reste n’est plus que formalité. Dans le rituel de purification par les Eléments, le salut, correspondant au Bois (conquête) prépare un autre cycle beaucoup plus paisible qui est celui de l’engendrement (Xiang Sheng).Ce salut peut également être remplacé par une onction utilisant une huile consacrée. Dans la tradition chinoise l’huile végétale est, en effet, rattachée à l’élément Bois car elle est issue d’une plante et sert, lorsqu’on l’utilise dans une lampe, à engendrer la lumière. Dans ce cas le Yin du Bois engendre le Yang du Feu. On utilise des huiles parfumées comme l’huile de santal, l’huile de Ylang Ylang, l’huile de camphre. Ces huiles sont considérées comme d’excellents remèdes contre les plaies et bosses et servent également à oindre les défunts avant leur mise en cercueil. Dans certains cas il était également possible de brûler de l’huile sur une surface chauffée. Cela permet de mettre en relation l’Eau (liquide), le Bois (huile végétale ou bâtonnet d’encens parfumé), le Feu (combustion ou chaleur), la Terre (substance parfumée. Le parfum (Xiang) est rattaché à l’élément Terre) et le Métal (support, souvent un brûle encens en bronze). Donc les Cinq Eléments.
La purification ayant été effectuée il est alors possible de disposer le foyer (Feu) – foyer familial – puis de définir les limites de l’occupation du lieu (Terre) – loyer – de forger ou d’utiliser des outils (Métal) qui seront utilisés pour creuser un puits (Eau) qui, lui-même, servira à irriguer les plantations (Bois).
On retrouve alors un cycle où les éléments s’engendrent. Le Feu engendre (Sheng) la Terre. La Terre engendre le Métal. Le Métal engendre l’Eau. L’Eau engendre le Bois. Le bois, à son tour, engendre le feu. Les Cinq Eléments demeurent mais leur utilisation change. Le sabre ou la hache devient la charrue ou la houe. Le Feu de l’Incendie devient le foyer familial. L’eau de l’inondation incontrôlée et destructrice devient le puits. La Terre de l’occupation militaire devient celle du loyer civil. Le bois de la conquête devient celui de la culture.
Les éléments se sont assagis et le conquérant nomade est devenu sédentaire. Il possède alors un Feu et un Lieu donc un foyer et un loyer, ce n’est plus un individu sans foi (foy) ni loi (loy). Il en va de même pour les énergies de l’habitat ou du lieu de travail qui, lorsqu’elles sont purifiées et contrôlées, s’assagissent quelque peu et, de perturbatrices et excessives, deviennent favorables et profitables à tous.
LA MAGIE CHINOISE
Si il existe une magie purificatrice ou protectrice que l’on pourrait qualifier de « Magie Blanche » il existe, également, en Chine une magie beaucoup plus dangereuse et pernicieuse qui correspond à la « Magie Noire » et qui est toujours pratiquée par les sorciers tant à la campagne qu’en ville. La civilisation chinoise plonge ses racines au plus profond des origines de l’humanité et conserve, envers et contre tous, des traditions plusieurs fois millénaires dont certaines se perpétuent encore plus que jamais. C’est, notamment, le cas de la magie.
Les Chinois sont toujours friands de légendes merveilleuses et croient plus que quiconque au surnaturel surtout lorsque celui-ci est quelque peu teinté de magie. Celle-ci fait habituellement partie du quotidien et on trouve presque partout des amulettes protectrices sous des formes les plus diverses, pièces, figurines et pendentifs de métal ou de jade comportant des trigrammes (Bagua ou Pa Kua) ou des formules de protection, effigies de divinités que l’on colle sur les portes lors des cérémonies du Nouvel An, charmes taoïstes et talismans de papier (Fu Lu) reproduisant des calligraphies magiques et permettant de favoriser la chance, de réussir dans les affaires, de conclure un marché ou de séduire son prochain… faux billets et faux lingots servant d’offrandes aux ancêtres et que l’on brûle, miroirs octogonaux que l’on suspend en fac de la porte d’entrée, pierres bénéfiques représentant des animaux du zodiaque, le Bouddha, Kuan Yin ou d’autres divinités chinoises que l’on porte sur soi.
Il s’agit donc, dans une certaine mesure, de superstitions que le Révèrent Père Doré de la Compagnie de Jésus à pu, en Chine, décrire avec force détails puisqu’il rédigea seize volumes à ce sujet. De nombreuses superstitions sont liées au culte des morts. Cela porte malheur, par exemple, de piquer des baguettes dans un bol de riz et de les laisser plantées car il s’agit alors d’une offrande aux morts. De même, on ne verte jamais de l’eau froide dans le thé ou on ne brûle jamais de l’encens en baguettes par paires.
Dans le cadre de la magie noire, on utilise justement ce qu’il est convenu de ne pas faire dans le cadre du rituel. Il s’agit donc le plus souvent d’une inversion (Ni) de ce rituel. Ces opérations magiques se situent donc très souvent à la lisière de la religion dont elle devient l’adversaire au moment où elle ravalent le divin à l’état de moyen. Contrairement au rituel religieux, le rituel magique, dans ce cas particulier de la magie noire, représente des désirs égoïstes donc d’intérêt privé et souvent malfaisants.
Cette magie utilise donc un ensemble de procédés mettant en oeuvre ce que le rituel tente de combattre. Il n’est donc pas rare qu’elle utilise le sacrifice où le sang et les viscères jouent encore un rôle important. Là où le rituel utilise le symbole ou l’acte symbolique, la magie utilise le fait. L’acte de salir ou de dégrader par le fer, par le feu, par le sang un lieu consacré par le rite est un acte magique conscient qu’utilisent les sorciers. Le fait de dégrader un symbole est également un acte magique.
Dans une certaine mesure il est possible d’inverser un symbole bénéfique pour en faire un instrument magique de pouvoir plus ou moins maléfique. Lorsque le roue solaire bouddhique (svastika) tourne vers la droite, la croix gammée nazie du « soleil noir » (sauvastika) tourne vers la gauche et est donc considérée comme senestre, donc sinistre. Il en va de même pour le Taiji qui, lorsqu’il est inverse (Ni), est considéré comme un symbole de magie, donc de domination. Cette domination poussée à l’extrême devient destructive. La magie noire cherche à détruire un adversaire en s’assurant le concours des forces opposées au bien. Elle agit donc à l’envers (Ni) du rite public.
C’est une des raisons essentielles pour lesquelles, dans la majorité des civilisations traditionnelles, en Grèce, à Rome, en Chine, au Japon le rituel sacré se devait d’être effectué publiquement au grand jour alors que les opérations magiques s’effectuaient en privé et secrètement. Ce qui est sacral a donc un caractère public tandis que ce qui est magique demeure d’ordre privé. Un rite privé est donc une chose contradictoire en soi et ne peut avoir d’effets légitimes, mais il en va autrement de la magie qui, pour demeurer opérative, se doit de demeurer secrète. Ces pratiques magiques se retrouvent jusque dans les « arts martiaux« .
En effet, si on excepte le rituel très chamanique de résistance à la douleur ou de domination des éléments (… marche sur le feu, méditation sous les cascades, bains d’eau glacée, méditation dans les grottes, enfouissements dans la terre et autres casses de divers matériaux accompagnés de fakirisme de type planche à clous et marche sur des lames de sabre… ) on retrouve, dans certains cas, l’utilisation de mouvements symboliques (destruction par le feu… ) dans des formes traditionnelles (Katas ou Tao) ou même la tentative de l’utilisation des énergies dites perverses ou perturbatrices (délétères, pathogènes… ) pour blesser un adversaire ou un ennemi. C’est le cas, particulièrement, des « Mains empoisonnées du démon » (Ti Sha Shou) qui consistent à accumuler une énergie perverse (Xie Qi ou Sha Qi) pour la restituer brutalement lors d’une frappe particulière sur un point spécifique (Dian Xue ou Tien Hsueh ou art de frapper les points vitaux) à une heure précise. De très nombreuses légendes courent évidemment sur ce sujet précis, ainsi que sur l’utilisation de la magie pour vaincre un adversaire.
Rituel publique et magie privée s’affrontent ainsi depuis des millénaires en Chine et le Feng Shui se retrouve bien souvent et naturellement au milieu…