La calligraphie chinoise et le Tao-Yin Qigong
par Georges Charles
Membre du Conseil des Sages du Fonds International pour la Préservation des Arts Martiaux.
J’aurais pu vous dire :
« Le Qigong c’est chinois, cest ancien, ça soigne des tas de maladies, ça permet de se sentir mieux et on vous propose même une formation et des chaussons chinois en ligne. Et une potion pour ne plus sentir des pieds. »
On a préféré vous en dire un peu plus !
Désolé.
Les enseignements particuliers de Wang Yangming (1472 1529)
Wang Yang Ming – Mandarin, philosophe, homme d’action (1472 1529)
« Cultiver la rectitude (Zheng) c’est un premier pas vers la réalisation (Zheng) ».
Wang Yang Ming.
Ce qu’on peut traduire aussi par « Se rectifier c’est se réaliser ».
« Apprendre, s’enquérir, réfléchir, débattre, agir constituent autant d’aspects de l’étude. Etudier sans qu’il y ait action, cela ne se peut pas. Prenons l’étude de la piété filiale : il faut prendre sur soi le labeur de ses parents et se mettre à leur entière disposition, bref, pratiquer le Tao filial en payant de sa personne avant de considérer que l’on a « étudié ». Comment l’étude de la piété filiale pourrait se borner à en parler en l’air ?
Il en va de même pour l’étude du tir à l’arc : il faut empoigner l’arc, fixer la flèche dessus, le bander et viser la cible. Pour apprendre à calligraphier, il faut étaler le papier, saisir le pinceau et en tremper la pointe dans l’encrier.
De tout temps et en tous lieux, rien n’a jamais pu s’appeler « étude » (Xue) qui n’ait impliqué de l’action.
Se mettre à étudier, c’est déjà agir ».
Chuangxi Lu II Wang Yang Ming Quanji P. 92
Cité par Anne Cheng dans Histoire de la pensée chinoise (p. 512) Editions du Seuil
Wang Yang Ming ajoute encore
« Ce qui commande au corps c’est l’esprit. Ce qui émane de l’esprit c’est l’intention, ce qui constitue originellement l’intention c’est l’aptitude à connaître. Là ou se dirige l’intention ce sont les choses. Il n’est pas de principe en dehors de l’esprit, il n’est pas de choses en dehors de l’esprit »
Chuangxi Lu Wang Yang Ming Quanji P. 6.
Cité par Anne Cheng dans Histoire de la pensée chinoise (P. 504).
Wang Yang Ming ou Wang Shouren est né le 13eme jour du neuvième mois de la huitième année de Zheng Hua (1472) dans la province de Yue et le district de Yu Yao qui se situe au sud de Hangzhou .
L’origine ancestrale de sa famille remonte à Wang Xizhi (Wang Hsi Chih) (321 379) qui fut calligraphe de l’Empereur Yung He de la dynastie des Chin. Wang Yang Ming est l’ancêtre de Wang Tse Ming ou Wang Zemin (Tai Ming Wong) (1909 2002) qui transmit à Georges Charles la filiation de l’Ecole du Poing des Trois Harmonies – San Yiquan – en 1979.
Si il existe une filiation directe et reconnue entre Wang Zemin et Wang Xiangzhai (1885 1963), lui-même disciple de Guo Yunshen (1864 1935), et fondateur du Dachengquan (Ta Tcheng Chuan) puis re-fondateur du Yiquan (Yi Chuan ou I Chuan qui était le nom de l’Ecole fondée par le Maître de Guo Yunshen à savoir Li Loneng ou Li Neng Jan (1842 1919) ) il convient de ne pas oublier la transmission familiale au sein de la famille Wang de Yue et, spécifiquement , les enseignements particuliers de Wang Yangming.
En précisant encore que la transmission de la « Lance fondue à un crochet de Yue Fei » (Yue Fei Gulianjiang) qui est à l’origine profonde du Xingyiquan (Hsing I Chuan – ou Poing de l’Intention prenant Forme) s’est toujours effectuée au sein du Clan Wang de Yue qui avait recueilli et adopté Yue Fei et s’est transmise, par le biais de Wang Zemin à Georges Charles en tant que Maître Héritier.
San Yiquan est donc issue de trois branches principales : celle du Dachengquan puis du Yiquan transmise par Wang Xiangzhai qui représente le Xingyiquan de forme évolutive (Ziran Men Pei Ti) dans la filiation de Guo Yunshen et de Li Lo Neng.
Celle de Wang Yangming qui est le courant philosophique de la « Pureté du Cœur » (Xin Xue).
Celle du Clan Wang de Yue incluant la forme chevaleresque de Yue Fei mais également une branche du Tanglang Quan (Poing de la Mante Religieuse des Sept Etoiles du Nord) qui se pratiquait au sein du Clan.
Ce qui peut expliquer quelques « différences » avec la transmission uniquement liée à Wang Xiangzhai et ceci, particulièrement dans la pratique et l’enseignement du Tao-Yin Fa (ou Daoyinfa), ce que l’on nomme actuellement Tao-Yin Qigong du Ling Pao Ming (Lingbaoming) d’une part et d’autre part à un contexte philosophique particulier lié à la pratique et à l’étude du Xinxue.
Dans ce contexte particulier il faut rappeler que depuis les Song, et même probablement avant, il avait été défini que « San Jiao He Yi » : les Trois Enseignements (Taoïsme – Bouddhisme – Confucianisme) font UN .
Ce principe essentiel fut repris par Wang Yang Ming et ses successeurs et s’implique tant dans la pratique que dans l’enseignement. Il n’est pas question de qualifier, comme cela se fait parfois le Xin Xue de « néoconfucianisme » puisqu’il s’agit également alors de « néotaoïsme » et de « néobouddhisme » mais d’une forme d’enseignement de vie à part entière.
Ce qui laisserait sous-entendre qu’il existe bien un « archéo-taoïsme » ou un « archéo-bouddhisme » ! Comme il peut encore exister une « petite boutique de Confucius » !
Il ne s’agit pas non plus, comme d’aucuns le prétendent, de « superstitions » ou de « croyances » ou pire encore de « secte taoïste » mais d’un mouvement de pensée fort honorable.
Honorable mais dérangeant puisque la tête de Wang Zemin fut mise à prix en 1949 par les nouvelles autorités de la Chine sous le prétexte qu’il descendait de Wang Yang Ming.
Ce qui lui valut sont statut de réfugié politique en France alors qu’il n’avait rien d’autre à se reprocher. Ce qui lui vaut encore probablement un certain oubli sauf dans le marbre de la tombe de Wang Xiangzhai.
C’est vrai que Wang Yang Ming inspira Lu Xun (1881 1936) dans la fondation du Mouvement du 4 mai 1919 et la reprise du slogan « Non à la boutique de Confucius ! » Ce même slogan sera repris en 1989 par les étudiants en philosophie sur la place Tiananmen puisque ce sera la première banderole déployée.
Et ces mêmes étudiants, sur qui roulèrent les chars, utilisèrent les principes de Wang Yang Ming : « Chercher à, comprendre c’est déjà contester ! » « Dans certaines circonstances ne rien faire c’est déjà agir » « Dans le doute, agis ! » « Agir est facile ». Mais cela passa quelque peu au dessus de la tête des journalistes et des sinologues de service qui ne virent qu’une critique de Confucius alors que c’était le régime qui était accusé d’utiliser Confucius comme des boutiquiers.
Et qui, en dehors des élèves de philosophie en Chine s’occupe encore de Wang Yang Ming et de ses enseignements ?.
Lors d’un « village-bien-être » organisé par Prémalliance et auquel je participai, j’ai observé une jeune chinoise en train de préparer ses instruments de calligraphie : pierre à encre, pierre d’encre, réservoir d’eau, pinceau, feuille de papier de soie.
Ses préparatifs étaient fort « classiques » et, ce que je fais rarement car d’un naturel assez distant avec les jeunes femmes et particulièrement les Chinoises, je lui ai demandé si elle connaissait les principes de Wang Yang Ming attachés à la calligraphie.
Elle m’a regardé curieusement et m’a demandé, étonnée « Ah vous connaissez Wang Yang Ming ? » en ajoutant immédiatement « C’est assez compliqué ! ».
Je lui ai dit que je m’intéressai à sa philosophie et à ses moyens d’action. Elle m’a alors asséné cette vérité vraie « Pour nous, en Chine, Wang Yang Ming c’est comme pour vous en France Coluche. C’est un fouteur de merde ! »
Et j’ai alors immédiatement compris l’importance de Coluche et pourquoi il avait eu un « accident » ! Waou ! Et j’ai aussi compris pourquoi Wang Zemin n’était pas trop apprécié dans le Landerneau de la « posture de l’arbre ». Pour moi-même je n’en conclurais rien de définitif. Et conserver le bénéfice du doute.
Il y en a qui « gagnent à être connus » moi je préfère encore « prêter à confusion ». Et parfois même donner à bandon. Kongzi me le rendra au centuple. Surtout depuis qu’il est devenu à, la mode.
Mais si vous voulez en savoir un peu plus sur l’enseignement privé, ou particulier, de Wang Yang Ming tel qu’il me fut confié par Wang Tse Ming, son descendant respectueux, c’est le moment où jamais !
Où il est question d’Art Chevaleresque !
Le principe de la calligraphie (ou du tir à l’arc) suivant Wang Yang Ming
La pierre à encre représente la « structure » (Ti).
Dans l’arc c’est le bronze.
Dans le corps ce sont les os et les articulations
La pierre d’encre représente la « forme » (Xing)
Dans l’arc c’est la corne
Dans le corps ce sont les muscles et les tendons
L’eau qui dissout l’encre représente l’ « essence » (Jing)
Dans l’arc c’est le bois
Dans le corps c’est la circulation
Le pinceau représente le « souffle » (Qi)
Dans l’arc c’est la jonction corde et flèche (comme inspire vers soi – la corde et expire vers l’extérieur la flèche)
Dans le corps c’est la respiration
La feuille de papier de soie ou de riz c’est « intention) (Yi)
Dans l’arc c’est la cible
Dans le corps c’est la concentration de l’intention
L’image que l’on a en soi c’est « esprit » (Shen)
Dans l’arc c’est la mouche au centre de la cible, le but à atteindre.
Dans le corps c’est l’esprit, la visualisation peut-être l’imagination.
Cultiver l’âme dans la sérénité
Calligraphie et traduction de Shi Bo
San Yiquan c’est Xingyiquan
GC
La calligraphie c’est « libérer l’esprit » ou « esprit authentifié » (Zheng Shen)
Dans l’arc c’est le mouvement essentiel du décocher qui consiste en « Wu Wei »
Dans le corps c’est la Liberté d’Action du Cœur.
Ce que « produit » la calligraphie c’est « provoquer autre chose encore »
Dans l’arc c’est le retour en conservant la rectitude et la modestie.
Dans le corps c’est « autre chose encore » qui dépasse largement l’esprit.
Il est essentiel de « provoquer quelque chose encore » qui dépasse la calligraphie, le tir à l’arc, le Tao-Yin, le Xingyiquan, le Taijiquan, le Kung-Fu Wushu, l’acupuncture, les Arts Classiques du Tao et que sais-je encore.
C’est Xin Xue.
Les pinceaux « Les Trois Souffles »
Concernant le principe de la calligraphie suivant Wang Yang Ming
Etre réalisé – Zheng Ren –
A partir de l’assise paisible (Zuo) et stable (Xi)
Il faut réunir Ti (structure) Xing (forme) Jing (essence) au travers d’un mouvement (Dong)
C’est « L »être réalisé qui sait avancer et reculer » (Yijing 1)
Il faut amener le Pinceau (Qi) vers l’encre formée (Zheng Jing) (essence authentique)
Qi et Zheng Jing vont se mêler (comme une pilule d’or) Jindan.
C’est « Il sait prendre » (Yijing 1)
Il faut diriger le souffle (pinceau) avec l’intention (Yi) vers la feuille de papier.
C’est « Il sait donner » (Yijing 1)
Il faut maintenir et contrôler le pinceau sur la feuille de papier pour provoquer l’attaque de l’encre (Qi et Zheng Jing)
C’est « Il sait conserver » (Yijing 1)
Il faut projeter librement l’Esprit (Shen) dans le mouvement qui permet la calligraphie, donc le tracé de l’encre sur la feuille.
C’est « il sait abandonner » (mettre » à bandon » donc tout donner) (Yijing 1)
Pour « provoquer autre chose encore »
C’est « En conservant sa rectitude » (Yijing 1)
Avancer et reculer c’est la mobilisation/stabilisation donc la régénération.
Prendre c’est recevoir et accueillir (voir/prendre – savoir/comprendre)
Donner c’est diriger et contrôler, c’est la « vertu’ (De), l’efficace.
Conserver c’est le maintient/contenance
Abandonner c’est la liberté d’action
La rectitude (Zheng) c’est la réalisation (Zheng)
La réalisation c’est la pureté du coeur.
Xin Xue.
Xin Xue ou la « Pureté du Coeur »
Xin Xue ?
Comment voulez vous traduire cela ?
Peut-on expliquer le rouge à un aveugle de naissance ?
Ou le Requiem de Fauré à un sourd de naissance ?
A la seule différence que l’aveugle voit « autre chose encore » et que le sourd entend « autre chose encore » qu’il ne peut pas vous expliquer.
Mais qui réside dans le cœur et dans sa pureté.
C’est l’authentique con-naissance.
C’est « naître en soi ».
C’est « naître à soi »
C’est « être soi »
C’est être.
Etre.
Et c’est parfaitement inutile de penser pour être !
Je pense donc je suis ne même à rien.
Pas besoin de justification.
Etre suffit.
Etre présent c’est déjà agir.
Mais cela réside dans la pratique et dans elle seule et elle est à portée de main.
Pourquoi alors ne pas la rendre « propre » « appropriée ».
En se l’appropriant en passant du commun au particulier.
C’est un premier pas vers la « réalisation » (Zheng).
Le « Maître du Coeur »
Le « Maître du Cœur » et l’Empereur.
Dans les deux manuscrits de « médecine interne » retrouvés dans la tombe de la Marquise de Dai à Mawangdui il est déjà question d’un « méridien », en fait d’un « merveilleux organe » nommé « Maître du Cœur » ou « Cœur-Maître » (Xin Zhu).
C’est grâce à ce « Maître Cœur » que le Cœur manifeste son autorité.
Comme un Premier Ministre et l’Empereur.
Le « Maître-Cœur » étant considéré comme le premier ministre et l’empereur le cœur.
Le premier ministre communique les volontés de l’empereur mais également le protège.
Ce faisant il lui arrive parfois, et parfois même souvent, de parler en son nom mais à sa place.
Si ce premier ministre abuse de son pouvoir il relègue donc l’empereur au second rang et en devient le « maître »
Mais, de son coté, si l’empereur n’est pas bien secondé et protégé il finit par instaurer une dictature.
Salutaire et sécuritaire produisent, généralement, le totalitaire.
Le rôle du « Maître du Cœur » est donc de contraindre l’empereur.
C’est pourquoi on a pu la nommer aussi « contracteur du cœur » (et non constricteur du cœur !)
La contre-action est ce qui limite, contraint l’action.
Pour rassurer les occidentaux et plus particulièrement les médecins on l’a nommé « péricarde » ce qui signifie littéralement « enveloppe (péri) du cœur (carde) ».
Et cela expliquait alors la fonction mécanique du muscle cardiaque, du cardia.
Et restituait, enfin, au cœur sa simple vocation de pompe mécanique sans autre intérêt que son mouvement rythmique.
El l’on pouvait dormir tranquille puisque (presque) dans âme.
En effet les Jésuites avaient pris la très mauvaise habitude de traduire Xin (le cœur) par l’âme.
« Purifier le cœur » devenait donc « purifier l’âme » .
Et entre les deux tendances, celle médicale du « cœur-muscle-pompe » et celle, cléricale, du « cœur-esprit-âme » il demeurait un vaste monde assez inexploré !
Et si le cœur (ou le Cœur) était autre chose qu’une pompe ?
Cette dernière hypothèse, démocratiquement, est très minoritaire tant dans le temps que dans l’espace puisque depuis des milliers, sinon des millions, d’années, partout l’être humain a le orte de croire qu’il réside « encore autre chose » dans le Cœur.
Mais la science (ou La Science !) comme aiment à le rappeler quelques scientifiques n’est pas démocratique.
Quelques individus imposent leur loi et leurs lois à la multitude et, finalement, ce sont les politiques qui en délivrant les diplômes, ou du moins en les officialisant, décident de ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas et, surtout, qui a le droit (sinon le devoir !) de se prétendre scientifique.
C’est pour le bien de la multitude.
On veut notre bien à notre insu.
A l’insu de notre plein gré.
On veut notre sécurité et notre santé.
Sécuritaire et salutaire.
Totalement.
Mais à titre personnel on est, encore et heureusement, libre de penser autrement.
Et d’agir autrement.
En ne laissant surtout pas l’énergétique, fut-elle chinoise, aux seuls acupuncteurs.
Qui sont comme les médecins, des scientifiques.
Et donc influencés par la politique du moment.
Tantôt ils ont des poils et sont rats, tantôt ils ont des ailes et deviennent oiseaux.
A l’instar de la chauve-souris, française, du bon Monsieur de La Fontaine.
La chauve souris en Chine (Bian Fu) c’est le « Rat du Bonheur »
Et elle n’a que faire de la politique et du politiquement correct.
Même l’Empereur la porte sur son Cœur !
Et par moment il est bon que l’Empereur, donc le Cœur, puisse se libérer de la contrainte de son « Maître ».
Si le Cœur est contracté, il ne peut pas agir.
Lever la contrainte par cœur, c’est lever la contrainte par corps.
Il faut « élargir » le mouvement du Cœur, lui permettre une certaine liberté d’action.
Et faire en sorte que le « Maître du Cœur » ne soit pas un « écrou ».
Et qu’il se borne à veiller sur le cœur et non à le surveiller.
Le « Maître du Cœur » n’est pas un maton !
Tant que le cœur est contraint, contracté, il ne peut pas agir.
Il faut simplement élargir le cœur pour lui rendre sa liberté d’action.
En évitant, évidemment, d’en faire un tyran.
Et pour cela un certain contrôle est nécessaire.
Et ce « contrôle » paisible c’est
« Maintenir l’Energie Contenir l’Unité ».
Et rien mieux que le tir à l’arc, la calligraphie, le Tao-Yin, Le Xingyiquan, le Taijiquan (incluant la « posture de l’arbre si vous voulez !) ou les Arts Classiques du Tao pour ce faire.