Les Arts Martiaux Vietnamiens

par l’Ecole « Poing des Huit Portes » (Bat Môn Quyên).
Membre de la Convention des Arts Classiques du Tao

Histoire d’une méprise ou méprise de l’Histoire ?

L’écriture de ce texte a été motivée par un désir de vérité, car, aux dires des diverses interviews, des écrits et des réflexions qui jalonnent actuellement les magazines et livres d’arts martiaux relatifs aux arts et écoles du Viêtnam, un flou certain et un certain flou demeure.

Ce flou, tout à la fois historique, culturel et donc informatif, peut, et c’est ce fait qui est regrettable, véhiculé des contrevérités, ou de simples « fausses vérités ». Dans le n°45 du magazine Budo International on peut lire par exemple, au sujet du fondateur du Vovinam Viet Vo Dao que « son idée était de réaliser une synthèse des styles vietnamiens, en se concentrant sur leurs aspects pratiques et efficaces. C’est ainsi qu’en 1938, il fonda le Vovinam . »

On peut lire aussi dans l’Encyclopédie des Arts Martiaux, écrit par P.Lombardo, que le fondateur du Viet Vo Dao effectua une synthèse des écoles traditionnelles en retirant de ses écoles « les techniques les moins efficaces ».

Anodines, ces phrases se cumulent pourtant à d’autres phrases, d’autres idées, qui au bout du compte, amènent une certaine définition de l’art martial vietnamien.

Mais cette idée, cette définition, retranscrit elle une vérité historique ou un simple point de vue de l’esprit ?

Cherche t-elle à énoncer un fait ou à imposer un fait ? La nuance, elle, n’est pas anodine… Il est, là aussi, par exemple toujours étonnant de rencontrer des gens qui dans le monde des arts martiaux établissent des synthèses de dizaine de styles différents, en se concentrant bien évidemment sur leur aspect « pratique et efficace », alors qu’il faut plus d’une dizaine d’années de pratique d’une école afin de commencer à en capter l’essence…

A croire sans doute que ce qui pré existait était donc enclin à être confus, surchargé et surtout… inefficace.

Que sont les arts martiaux du Viêt Nam ? Que sont ils dans leur réalité historique ? N’y a t-il pas des (ou une différence) entre les arts martiaux du Viêt Nam et les arts martiaux au Viêt Nam ? On peut lire actuellement sur un site Internet officiel du Viet Vo Dao : (Ecole Than Long, adresse Internet www.dragonvert.fr/artsmartiaux/vietvodao.html)

« Le VIET VO DAO est un terme général employé pour désigner l’ensemble des styles et Ecoles d’arts martiaux originaires du Vietnam. C’est un terme littéraire vietnamien qui remplace les anciens termes « VOTA » ou « VIETNAM VO-THUAT ». Ces expressions évoquent trop l’orgueil national et ne mettent en avant que l’aspect purement technique de l’Art, laissant de côté le sens de la sagesse. L ‘appellation beaucoup plus récente « VIET VO DAO » (elle est apparue en France en 1973) exprime mieux l’esprit de ces Arts Martiaux qui se sont ouverts à tous. »

Ailleurs (www.vovinam-palaiseau.com/decouverte/vietvodao/) , on affirme que le Viet Vo dao trouve ses sources dans un passé vieux d’environ 4000 ans : « Le VOVINAM VIET VO DAO est l’oeuvre de tout un peuple engagé tout au long de l’histoire dans une lutte pour la définition et la préservation de son identité. Depuis sa fondation par l’empereur Hung Vuong en 2879 avant JC, des étapes clés ont assuré la lente et souvent douloureuse maturation de ce qui allait devenir un Art Martial conjuguant tradition et modernité . » Et les choses anodines s’amoncellent encore…

Et les choses s’aggravent, petit à petit, insidieusement… Le préjudice est de taille, car non content d’être subversif, nous nous retrouvons avec ce genre d’écrits dans le même cas de figure qui affirmait en son temps que tous les arts martiaux venaient du Ju Jutsu japonais, ou encore que tous les arts martiaux venaient de Shaolin. Au fil des études faites par des historiens, les nuances apparurent, prouvant par exemple que le Ju Jutsu japonais, ou encore l’aïkido et de manière bien plus évidente, le karaté, puisaient leurs sources dans les arts martiaux chinois, et que les arts de Shaolin trouvaient les leurs dans les arts indous, ainsi que dans des écoles chinoises autres que Shaolin (cf. pour exemple le livre « Tai Ji Quan » de T.Dufresne et J. Nguyen aux editions Budostore) Mais malheureusement ce genre d’affirmation a tendance à revenir à la charge de manière cyclique vu le reportage que l’on peut lire dans le numéro 306 du magazine Karaté Bushido qui tend à prouver « par l’image » que les arts martiaux ont la même origine.

On place là la photo d’un moine de Shaolin qui donne un coup de pied et ici la photo d’un karatéka qui donne aussi un coup de pied et le tour est joué !

On est à deux doigts de démontrer que le football descend directement de Shaolin…

Il serait sans doute plus intéressant d’amener des preuves « par l’Histoire ». « (…)Au commencement du XVIeme siècle, pour apprendre la boxe, boxe qui semblait à l’état embryonnaire à Shaolin, l’abbé Jue Yuän partit à l’Ouest, pour les villes de Lanzhou et Luoyang. Là, il rencontra Li Shou, puis Bai Yufeng et son fils.
Jue Yan revint à Shaolin avec eux.

Les trois professeurs instruisirent les bonzes et mirent au point 70 techniques de boxe, qui furent portés par la suite à 170 ou 173 techniques.
Ces techniques furent la base du Shaolin Quan. » extrait de « Histoire du monastère de Shaolin » dans « Tai Ji Quan, art martial ancien de la famille Chen » par T.Dufresne et J.Nguyen.

Une question de logique… et de terminologie.

Il est légitime et important de s’interroger sur cette phrase citée plus haut qui précise au sujet du terme Viet Vo Dao : « C’est un terme littéraire vietnamien qui remplace les anciens termes « VOTA » ou « VIETNAM VO-THUAT ». Ces expressions évoquent trop l’orgueil national et ne mettent en avant que l’aspect purement technique de l’Art, laissant de côté le sens de la sagesse. » Là encore il convient de comprendre les termes tels qu’ils sont employés.

Vo Thuat Co Truyên est l’expression qui signifie : arts martiaux traditionnels.

Vo Thuat est l’équivalant du terme chinois Wu Shu , qui comporte toute la nuance et la finesse que nous lui connaissons, à savoir que Wu Shu indique clairement une volonté de s’opposer à la violence, une idée de rectitude, un idéal, celui du chevalier (cf magazine Génération Tao Hors série n°1, article « de la droiture à la bravoure » par Daoshi Georges Charles ).
En résumé de cet article, on pourrait dire du terme Vo Thuat qu’il a un sens plus nuancé que « art martial », que « art de la guerre ».

Le sens de Vo Thuat (Wu Shu) serait plutôt « art de celui qui s’oppose à la violence sans faire pour autant usage de celle-ci ».

Le signe chinois qui y correspond illustre une main qui arrête une lance.

Le terme Wu Shu nous éloigne en fait du dieu Mars, assoiffé de sang, pour nous rapprocher d’une notion de cessation d’ utilisation des armes, et donc par extension de la violence.

Ce terme est donc rattaché à la notion essentielle de rectitude, Gishi en japonais, Zheng en chinois, qui désigne l’attitude particulière, morale et physique, liée à la bravoure chevaleresque.

Est brave, comme un chevalier, celui qui cultive et conserve cette rectitude, ce qui lui permet d’éviter l’usage de la violence.

Comme l’expliquait le maître Wang Yang Ming (1472 – 1529 ) : « Il n’existe qu’une rectitude mais dix mille façons de la perdre ». A la lumière de cette explication, comment est il possible que le terme Vo Thuat évoque de « l’orgueil national » en ne mettant en avant « que l’aspect purement technique de l’art, laissant de côté le sens de la sagesse » ? Les légitimes fondateurs de l’art martial du Vietnam, ne sont ils pas tous ces hommes et ses femmes, qui au cours des siècles, et ce depuis pratiquement 214 avant J.C. ont affronté l’envahisseur chinois, mongol, français, laotien, cambodgien, américain, etc., se souciant peu d’établir des synthèses mais tentant tout simplement de survivre et d’empêcher la destruction de la culture authentique et unique du Vietnam ?

Ce sont de ces luttes, de cet instinct et de cette volonté de survie que sont issus les arts martiaux vietnamiens, les techniques du Vo Thuat. Les chevaliers, généraux, hommes d’armes, maîtres d’armes des temps anciens, pratiquant le Vo Thuat, ne se souciaient donc que de « l’aspect purement technique de l’art, laissant de côté le sens de la sagesse. » ? Peut on vraiment dire cela de personnage tels que les sœurs Trung, l’empereur Tran Hung Dao ou l’empereur Quang Trung, le héros Lê Loi , les maîtres et maîtresses des écoles de Vo Thuat, qui même de nos jours revendiquent leur appartenance légitime au Vo Thuat ?

Tous ces personnages connus et tous les autres, inconnus, « laissaient de côté le sens de la sagesse » ?

Peut on réellement dire cela d’un pays qui dès le Xeme siècle mêla intimement et officiellement à ses arts guerriers le « Tam Gia », les trois doctrines que sont le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme ?

Peut on réellement croire cela alors que les plus hauts concours militaires pour le doctorat en arts martiaux, exigeaient une connaissance littéraire, tactique, stratégique et philosophique exemplaire ?


Nguyên Trai, grand lettré vietnamien du XVe siècle, écrivait : « Plus la menace extérieure se fait pressante, plus elle commande la paix à l’intérieur de nos frontières. La force ou la faiblesse d’une armée ne dépendent nullement du nombre mais s’inspirent des grandes vertus d’humanité et de justice. Ainsi nous l’ont enseigné le roi moine et le généralissime Trân Hung Dao. Qui possède l’humanité peut s’appuyer sur la faiblesse pour subjuguer la force. Celui qu’anime la justice peut opposer un petit nombre au plus grand nombre ». La sagesse ne semble pas être mise de côté dans ses dires…

Peut importe ce qui motive la démarche apparemment hégémonique des fédérations actuelles de Viet Vo Dao qui désirent mettre en avant leurs écoles. L’important est que l’histoire est altérée par cette déclaration, car avant le Viet Vo Dao existait le Vo Thuat, et rien ne justifie son oubli et encore moins son remplacement !

« Note Importante sur le terme Viet Vo Dao : Il ne doit être lié qu’au seul style Vovinam. Lors de la création de la première fédération regroupant les arts martiaux vietnamiens en 1973, le Maître Patriarche Le Sang autorisa les fondateurs à regrouper les différents styles sous le nom générique de Viet Vo Dao. Depuis, ce terme continue à être utilisé en France par tous les styles vietnamiens. Au Vietnam, le terme Viet Vo Dao est exclusivement réservé au Vovinam VVD. »

Autres faits d’importances

Nous pouvons voir aussi dans l’Encyclopédie des Arts Martiaux, rédigée par P.Lombardo, qu’il est même précisé quels sont les styles dont le fondateur du Viet Vô Dao a effectué la synthèse.

Une autre école de Viet Vo dao, l’école Nghia Long, citée dans le magazine Ceinture Noire n°24, met l’accent elle aussi sur son

« programme technique basé sur une synthèse des techniques et formes (Quyêns) de tous les arts martiaux (Hoa Lu, nord Viet Nam, Binh Dinh, centre Viet Nam, Vo Lam Tan Kanh, sud Viet Nam, Sa Long Cuong, Tay Son Nhan, Vovinam xxeme siècle, Thinh Vo Dao, maître Ho Hoa Huê) et sports de combats vietnamiens (boxe, lutte et self défense) ». Maintenant, tous les arts martiaux sont réunis dans une seule école ! Heureusement que nous ne sommes pas en Chine. Effectué une synthèse y serait un dur labeur !!!

Un cas d’école

Allez, soyons fous ! Tentons au moins théoriquement l’expérience.

Prenons par exemple « uniquement » cinq des écoles externes les plus connues de la Chine : le Hung Gar, le Choy Lee Fut, Le Wing Chun, le Tang Lang et le Bai He Quan. A ces cinq styles, ajoutons y les trois styles internes que sont le Ba Gua Zhang, le Tai Ji Quan et le Xing I Quan. Afin de faire une synthèse qui en vaille la peine, mêlons à tout cela le Shuai Jiao (la lutte chinoise) et le combat de compétition, le Sanda.

Nous incluons bien entendu dans ces études autant l’étude à mains nues, qu’aux armes et qu’aux techniques prophylactiques des Qi Gong.

Prétendons maintenant en faire la synthèse afin d’en retirer uniquement les techniques les plus efficaces.

Il faudrait tout d’abord être un expert accompli de chacun de ces styles.

Pour maîtriser le Hung Gar (ou pour en faire au moins juste un tour relativement intéressant) comptons cinq ans, à raison au minimum de trois entraînements de deux heures par semaines.

Faisons de même avec le Wing Chun, le Choy Lee Fut, le Tang Lang et le Bai He Quan.

Ajoutons maintenant à cela les dix années de pratiques nécessaires à chacun des styles internes (en sachant par exemple que pour le Ba Gua Zhang, trois ans devront être exclusivement consacrés à l’étude de la Marche en Cercle, tel qu’il l’est préconisé par les maîtres de ce style, comme maître Wang Bo).

Mélangeons à cette sauce (qui commence à devenir très épaisses) trois ans de pratique du Shuai Jiao et comptons, allez, un an de Sanda, en se disant que les autres pratiques enrichissent suffisamment un compétiteur.

Allez, faites le calcul. Revenons maintenant à une synthèse des arts martiaux vietnamiens.

Pardon… De tous les arts martiaux vietnamiens , ceux du sud, du nord, du centre, de Binh Dinh et des diverses autres écoles citées plus haut.

Là aussi, faites le calcul.

La conclusion d’un tel calcul est uniquement une question de bon sens que chacun d’entre nous peut faire. La définition du mot synthèse indique une idée de composition allant du simple au composé, de l’élément au tout.

La synthèse est un point de vue de l’esprit qui permet d’englober dans une généralité le tout et le détail.

A ce titre, la seule personne susceptible d’effectuer une synthèse d’une école ne pourrait donc être qu’un maître de cet école, qu’une personne qui l’aurait acquise, comprise, qui serait reconnue par ses pairs comme ayant atteint ce niveau. Aussi, viennent se rajouter à cette conclusion certains faits qui ne manquent pas d’intérêt… Un mot de Georges Charles J’ai fait ce calcul il y a déjà quelques années.

Et me suis rendu compte d’un fait.

Il faut un minimum de trois ans à cinq jours par semaine et à huit heures par jour pour obtenir un CAP

Donc un minimum professionnel pour qu’on vous confie un balais.

Et cela fait quand même un sacré nombre d’heures

Avec beaucoup moins d’heures que ça on forme désormais des « professeurs » en « arts martiaux et sports de combat » qui se prennent pour des ingénieurs sinon des généraux !

Et le meilleur du meilleur n’est ils pas le pire du pire ?

J’ai eu une idée géniale : prendre le meilleur de tous les grands vins.

Le meilleur des Sauternes, le meilleur des Margaux, le meilleur des Bourgognes, le meilleur des Champagnes, le meilleur des…et de les mélanger dans une carafe.

Sauf si vous êtes un abruti du Middle West vous concéderez que vous avez dans votre verre le pire du pire qui ne vaudra même pas un Machin Kola !

Le mieux est l’ennemi du bien.

Et aller bien vaut bien mieux que d’aller mieux.

Kongzi ajouterait simplement « Bon sens et juste mesure ».

Une histoire pourtant récente !

Ce qui est étonnant, par exemple, c’est qu’au moment de la création du Viêt Vo Dao (nous sommes donc dans les années 1940), certaines des écoles citées plus haut dans le magazine Ceinture Noire n°24 par l’école Nghia Long n’étaient même pas encore ouvertes officiellement ou demeuraient dans l’ombre à cause des conflits qui sévissaient.

Il est étonnant aussi de remarquer que des écoles citées comme faisant parties de la synthèse du Viet Vo Dao et qui ont officiellement publiées la liste des maîtres qu’elles ont formés, ne citent nullement dans cette liste le nom des fondateurs du Vovinam Viet Vo Dao et encore moins du Nghia Long. Comment est il alors possible que ces fondateurs aient pu effectuer des synthèses d’écoles dont ils n’étaient pas maîtres ? Comment ont ils pu effectuer une synthèse d’une ou de plusieurs écoles, une composition allant du simple au tout, sans avoir vu l’ensemble de cette ou de ces écoles, sans avoir été reconnu par les maîtres officiels de ces écoles comme étant capable de comprendre et de composer le style qui leur était enseigné ?

Il est difficile de comprendre pourquoi existe un tel désir d’effacer le passé, de le remodeler suivant une image, de se l’approprier pour mieux le modifier ? N’y a t-il pas assez de place pour la pratique de tous les arts martiaux sur Terre ? Nombreux sont les arts martiaux qui évoluent (le Tai Ji Quan par exemple, qui de la forme Chen a évolué en formes Yang, Sun, Wu, etc., ou le Karaté, qui se décline en Shotokan, en Shotokai, Wado Ryu, Goju Ryu, etc.) Nombreux sont les arts martiaux anciens, nombreux sont les arts martiaux récents et nombreux seront les arts martiaux futurs ! Un élève de maître Georges Charles , Daoshi de l’école San Yi Chuan et officiellement maître héritier de cette école, a dit un jour d’une manière un peu ironique mais ô combien réaliste : « il est toujours mieux d’être maître héritier d’une école, que maître fondateur ».

Fonder une école, c’est avant tout prendre le risque de n’être jamais reconnu par ses pairs.

Aussi, est ce pour cela qu’il est plus commode quand on crée un style, de citer pour justifier la légitimité de cette création des écoles authentiques (au risque parfois de ne pouvoir amener aucune preuve crédible entre la création de la dite école et les écoles citées comme ayant permis cette même création) ! A défaut de pouvoir de nos jours relever des défis mettant en jeu la vie même des duellistes (comme cela se faisait jadis), il paraît évident alors que de faire la synthèse d’authentiques écoles d’arts martiaux dont la réputation n’est plus à faire, de s’approprier leur nom, ne peut apporter obligatoirement qu’un crédit facile et rapide au sein d’une fédération tout aussi peu authentique que les écoles qui la composent et qui pourra faire accepter sans trop de mal sa vérité à un public néophyte, crédule et avide de nouveauté.

Serj Le Malefan précise avec intérêt dans « Vo Thuat, arts martiaux vietnamiens » aux éditions Amphora :

« Les termes employés aujourd’hui en Occident pour désigner les groupements qui dispensent un enseignement du Vo (pratique martiale) sont de création récente, du moins dans leur association : Hop Thuan Dao, Viêt Quyên Thuât, Qwan Ki Do, Viêt Vo Dao, Viet Vu Dao, Vo Vietnam…

Ces différentes écoles ou fédérations, bien que conservant des liens avec le Viet Nam, ont vu le jour dans la diaspora vietnamienne implantée notamment en France, surtout après 1975 (chute de Saigon).

Au Viet Nam, l’appellation la plus utilisée était celle de Vo Thuat qui désigne « l’art de pratiquer les techniques martiales ».

On retrouve des termes similaires en Chine et au Japon (Wu Shu, Bu Jutsu), les idéogrammes restant identiques.

(…) Contrairement à ce que nous connaissons aujourd’hui en Occident (nombre important de clubs avec quantité de pratiquants, fédérations…), ce type de structuration n’a jamais existé au Viet Nam, jusque dans un passé récent, sur le plan national.

Ce n’est que dans les années 1960 que sont apparues certaines tentatives d’unification afin de promouvoir le Vo traditionnel face au développement important de disciplines étrangères dans ce qui était alors le Sud Viet Nam.

La pratique du Vo, notamment pendant la période coloniale, est toujours restée secrète et cet état de fait s’est plus ou moins prolongé après 1955 (…) Ceci a permis l’éclosion rapide, dans les villes du Sud, d’arts martiaux venant de Corée et du Japon.

Bon nombres de jeunes vietnamiens furent alors plus attirés par ces disciplines que par l’art martial national qui, lui, continuait d’être pratiqué presque confidentiellement en ne s’ouvrant que très peu au public.

(…) Dans un sens, ce foisonnement des écoles pose sans doute problème, surtout pour nos esprits cartésiens qui veulent que tout soit structuré et codifié. Il est certain qu’un tel éparpillement rend service à d’autres disciplines dont les fédérations (en France notamment) se voudraient hégémoniques pour tout ce qui concerne la pratique martiale. »

Une question de reconnaissance

Qu’est ce que peut être l’art martial d’un peuple qui a connu siècles après siècles l’envahisseur mongol, chinois, sans compter d’incessantes guerres intestines, des luttes contre les japonais, le Champa, le Cambodge et enfin la gangrène malsaine d’une guerre gorgée du napalm des américains et de l’oblitération mentale et culturelle du communisme ? Il serait injuste de dire que le Viet Vo Dao n’est pas un art martial vietnamien. Le Viet Vo dao a été fondé par un vietnamien pour les vietnamiens ou pour toute personne s’y intéressant, tout en s’appuyant sur la culture vietnamienne.

Il en va de même au japon avec des écoles récentes telles que le Karaté Kyokushinkai ou le Yoseikan Budo qui font parties intégrantes des arts martiaux japonais. L’art martial, à l’image du Tao, est une force en mouvement, qui s’appuie sur le passé pour évoluer et s’adapter.

Le Viet Vo Dao est un art martial vietnamien… Jeune, certes, mais il appartient désormais à la culture et à l’histoire de ce peuple. Ce qui a été écrit sert juste à appuyer le fait que l’erreur serait d’effacer le passé en plaçant le terme Viet Vo Dao devant le nom de toutes les écoles d’arts martiaux du Vietnam , comme cela est préconisé sur un autre site officiel des arts martiaux vietnamiens :
« Dire que l’on fait du Viet Vo Dao signifie seulement que l’on pratique un style originaire du Vietnam, c’est tout. Il convient toujours de préciser le nom de ce style, exemple pour ce qui nous concerne : Viet Vo Dao Thanh Long » Pourquoi ne pas laisser tout simplement à ceux qui le désirent le droit toujours légitime de préférer le terme Vo Thuat, à celui de Viet Vo dao ? Refuserait on à un chinois de dire de son école qu’elle fait partie du Wu Shu ? Refuserait on à un japonais de dire que son école fait partie du Bu Jutsu ? La fédération française des arts martiaux vietnamiens regroupe actuellement une vingtaine de styles différents, de factures plus ou moins récentes :

On peut y voir le Vovinam, le Thanh Long, le Minh Long, le Kim Long, le Han Bai, le Viet Kune Dao, le Viet Vo Dao, le Qwan Ki Do, etc. Mais les arts martiaux du Viet Nam ne se résument pas à une vingtaine d’écoles.
On peut en dénombrer approximativement soixante dix, et la liste suivante est loin d’être exhaustive :

1. Bach My Phai

2. Bach Ho Quyen

3. Chau Gia Duong Lang Nam Phai

4. Con Luan

5. Dai Bang Phai

6. Dau Vo Dai

7. Dong Viet Dao

8. Hac Ho Quyen

9. Han Bai

10. Hau Quyen Trung Dung Dao

11. He Phai

12. Hiep Khi Vo Dao

13. Hoa Long Vo Dao

14. Hong Gia

15. Huynh Long Phai

16. Kim Ke

17. Kim Long

18. La Han Quyen

19. La Son Phai

20. Long Ho Hoi

21. Long Qing Phai

22. Mei Hoa Quyen

23. Minh Long

24. Nam Hai Vo Dao

25. Nam Hong Son

26. Nam Phai Duong Lang

27. Nga My Phai

28. Nga My Son Phat Gia Quyen

29. Nom Tong

30. Qwan Ki Do

31. Sa Long Cuong

32. Tay Son Nhan

33. Thieu Lam

34. Thieu Lam Nam Phai

35. Trung Son Vo Dao

36. Truong Vo Thuat

37. Vat Lieu Doi

38. Viet Vo Dao

39. Viet Vu Dao

40. Vinh Xuan Quyen

41. Vo An Vinh

42. Vo Bac Ninh

43. Vo Binh Dinh

44. Vo Cuu Long

45. Vo Da

46. Vo Dao Vietnam

47. Vo Hoang Nam

48. Vo Lam

49. Vo Lam Son

50. Lam Son Vo Dao

51. Vo Nha Chua

52. Vo Nhat Nam

53. Vo Quang Binh

54. Vo Quang Nam

55. Vo Song Be

56. Vo Tan Kanh

57. Vo Tay Son

58. Tay Son Nhan

59. Vo Thanh Long

60. Vo That Son

61. Vo Thuat Y Quyen

62. That Son Than Vo Dao

63. Nga My Son Phat Gia Quyen

64. Vo Tong Hop

65. Vo Trung Hoa

66. Vo Dao Trung Hoa

67. Vo Duong Cay Lau

68. Vo Viet Nam

69. Vovinam

70. Vu Dao

Beaucoup d’écoles, de styles, ne portent pas de nom, car elles sont tout simplement enseignées dans un cadre familial. On reconnaît ainsi pourtant certains maîtres « sans école », tels que Dinh Tri Dung, Nguyen Van Nguyen, Huynh Ngoc An, Nam Anh, Diep Bao Sanh, Ho Buu, etc. Certaines de ces écoles se reconnaissent dans l’esprit du Viet Vo Dao, d’autres non. Il convient de respecter les choix de chacun, et surtout de comprendre.

Que sont les arts martiaux vietnamiens ?

En Chine la question ne se pose pas. Les arts martiaux de la Chine sont des arts martiaux chinois ! Lapalisse n’aurait pas mieux dit.
Le Wing Chun, le Hung Gar, Le Xing I, le Tai Ji Quan, le Choy Lee Fut, Le Ba Gua Zhang, Le Tang Lang, sont des styles. Ils composent le vaste patrimoine des arts martiaux chinois… Ils puisent dans le passé historique de la Chine leur source, affichant les affiliations, les courants d’influence, les fondateurs. Le doute n’est donc pas possible. Pourtant, les styles, les écoles ne se ressemblent pas. Le Hung Gar a une pratique qui lui est propre et qui est différente de celle du Ba Gua Zhang ou du Wing Chun. Il devrait en être de même au Vietnam, mais le problème de l’histoire des écoles et donc de leur origine et des influences qui les ont modelées est différent et ce, pour plusieurs raisons.

1 Comme le précise monsieur Chau Phan Toan dans une interview accordée à maître Pham Co Gia pour le magazine d’arts martiaux Karaté-Bushido « beaucoup de maîtres d’arts martiaux vietnamiens refusaient de laisser leur nom à la postérité. Aussi on les appelait par le lieu où ils étaient nés ou par l’endroit où ils exerçaient. Plusieurs patriarches d’écoles sont ainsi inconnus de leurs successeurs. »

2 La différence apparaît aussi à cause d’un homme, l’empereur Quang Trung, qui au XVIIIeme siècle va mettre en place des écoles d’états militaires, avec des concours mandarinaux à l’échelle nationale, élaborant ainsi un « standard », une référence, une définition de l’art martial militaire. Ce que l’on nommait le Vo Thuat Co Truyên, (art martial traditionnel) allait devoir répondre à des critères très stricts d’efficacités et d’authenticités, car pour se présenter aux concours et espérer devenir mandarin militaire, les épreuves étaient rigoureusement sélectives !

3 Comme l’explique une thèse rédigée à l’université de Nice (www.net4war.com/history4war/dossiers/vietnamxix/introduction05.htm), il existe une profonde dichotomie sur laquelle repose l’art militaire vietnamien : « l’armée professionnelle de l’état et le peuple. Cette dualité n’est pas toujours effective et n’intervient que lorsque certaines conditions sont réunies. Dans le cadre des guerres opposant l’Etat vietnamien au Champa à l’époque féodale, qui ne nécessitait que la confrontation d’armées régulières, le sort du conflit était généralement hasardeux pour le Viêt-Nam. De même lorsque le peuple s’oppose à l’invasion étrangère et qui plus est française, en 1858, sans le soutien de l’armée gouvernementale, la résistance s’étiole malgré de grands chefs. Quoiqu’il en soit, lorsque le pays est menacé dans son indépendance, « le peuple uni comme un seul homme se lève de façon consciente et de lui-même contre les agresseurs étrangers » de concert avec l’armée régulière. » Deux grands courants d’écoles se sont donc développés au Vietnam : les écoles militaires, qui préparaient au concours de mandarin militaire, et des courants de pratiques pour le peuple et par le peuple, pour assurer la défense de sa maison, de son village, de ses proches.

Ce que mettent en exergue ces différents points, c’est que :

Premièrement : il est facilement compréhensible dans un pays sans cesse sous domination ennemie ou divisé par des luttes intestines, que les détenteurs d’un savoir martial cherchent à se protéger par l’anonymat, car ils risquaient d’être les premiers persécutés. Il n’est pas étonnant alors que des traditions martiales se soient développées parfois « sans fondateur », laissant ainsi des écoles se développer sans une historique bien affirmée, handicapant les successeurs d’un désir légitime de reconnaissance et d’affiliation.

Deuxièmement : Il y a eu une nette cassure entre « le militaire » et « civil » mais la tendance générale était de rejoindre les écoles militaires, car elles seules assuraient un réel prestige social. N’importe qui pouvait se présenter aux concours militaires d’état, autant les élèves travaillant dans des écoles militaires que le simple paysan. Ceci a contribué à développer les arts martiaux dans toutes les couches de la société vietnamienne de l’époque, car même le plus humble, par le biais des concours pouvaient s’élever au rang de mandarin.

Troisièmement : le contre effet des concours, eut pour effet que des maîtres, refusant cette sélection, se mirent à enseigner leur art pour aller à contre courant de l’état. Mais même alors ce contre effet joua aussi en faveur du développement des arts martiaux, avec les maîtres qui fuyaient les honneurs et se réfugiaient dans les montagnes ou se cachaient avec quelques rares disciples.

Quatrièmement : l’art martial au Vietnam s’est développé d’une manière officielle, par le biais des écoles militaires d’état afin de lutter contre l’ennemi extérieure et aussi d’une manière officieuse, car tout le monde n’avait pas la culture nécessaire pour se présenter aux concours. Il fallait connaître des Quyên précis, ainsi que des textes de stratégies militaires.

Cinquièmement : Des écoles se développèrent aussi pour lutter parfois contre l’état, au gré des révoltes familiales désirant obtenir le contrôle du pays et parfois avec l’état, mais sous forme de guérilla. Il va sans dire que ces écoles restaient dans l’ombre. Cette prolifération de conflits et donc de moyens pour s’y opposer, fit que le Viet Nam développa une richesse extraordinaire de courants de pratique différents, militaires et civils, adaptés pour la défense du territoire autant que pour les luttes intestines. Un texte anglais parut sur Internet sur l’histoire des arts martiaux au Viet-Nam précise (cclib.nsu.ru/projects/satbi/satbi-e/martart/vietnam.html) :  » Many martial arts were created during XVI-XVIII centuries, when Vietnam was separated in several states. It was a good situation for the developing of martial arts. Many martial arts surfaced during the Tay Son Rebellion (1771-1788), the first serious attempt for unifying the country. The rebel’s base was in Binh Dinh Province which still is a place with many martial arts.

The country was finally united at the beginning of XIX century. But during the period of 1858-1884 Vietnam was conquered by France and became its colony. During the colonisation martial arts had to be kept underground and were transferred in family schools only, from father to son. Studying was kept secret, students sweared to never use their martial art without serious reason and to not divulge its secrets. »1 Ce texte tend à confirmer aussi le fait que bon nombres d’écoles, durant la colonisation par les français, apprirent à se développer dans l’ombre, s’entourant de secrets et de précautions, rendant là aussi encore plus difficile le dénombrement exacte des écoles vietnamiennes.

C’est indirectement de cette culture du secret que s’est formé le Viet Vo Dao, qui soutenu par le gouvernement inquiet de voir se développer au Vietnam des pratiques externes telles que le Taekwon Do, le Karaté ou le Judo, favorisa un enseignement de masse, ouvert à tous : « The revival of the tradition in Vietnamese martial arts is connected with Nguyen Loc (1912-1960). He was born in Son Tay (Ha Tay Province, near Hanoi). In 1938, he founded the first club of Vo Thuat for all interested people (including foreigners!). He named his school Vovinam Viet Vo Dao (often referred to as « the best from Vietnamese martial arts »). »2

La guéguerre qui a pu (ou peut toujours) exister ensuite sur « mon école est meilleure que la tienne » a peu d’importance.
Autant les écoles civiles que les écoles militaires ont participé à l’histoire du Viet Nam, et participent actuellement à sa richesse culturelle et martiale. C’est tout ce qu’il est important de retenir !

1 « Plusieurs arts martiaux ont été créés entre le XVIeme et le XVIIIeme siècles, alors que le Viet Nam était séparé en plusieurs états. C’était une situation propice au développement des arts martiaux. Plusieurs de ces arts ont émergé durant la rebellions des Tay Son (1771-1788), la première sérieuse tentative d’unification du pays. Le foyer de la rébellion se situait à Binh dinh, qui était déjà une place de plusieurs arts martiaux. Le pays fut finalement unifié au début du XIXeme siècle. Mais durant la période allant de 1858 à 1884, le Vietnam fut conquit par la France et devint une colonie. Durant la colonisation les arts martiaux durent être pratiqué dans l’ombre et furent transmis dans des écoles familiales uniquement, de père en fils. Etudié se faisait en secret, les étudiants devant jurer de ne jamais utilisé l’art martial sans de sérieuses raisons et de ne pas divulguer ses secrets. »

2 Le renouveau de la tradition au niveau des arts martiaux traditionnels du Vietnam s’est fait avec Nguyen Loc (1912-1960). Il était natif de Son Tay (province de Ha Tay, près d’Hanoi). En 1938, il fonde le premier club de Vo Thuat pour tous ceux qui pouvaient en être intéressé (même les étrangers !). Il appela son école Vovinam Viet Vo Dao (souvent affirmée comme étant « le meilleur des arts martiaux du Viet Nam »)

Un peu d’histoire.

Les philosophies et les techniques sur la forme de combat diffèrent selon l’esprit, la vie et les contextes des pays d’origine où elles naissent.

C’est à travers les nombreuses guerres vécues qu’un art martial se forge et s’enrichit. L’origine de l’art martial traditionnel du Viêt-nam a donc pris naissance dans la vie et la survie du peuple vietnamien à travers son histoire remplie de périples.
Le Viêt-Nam de part sa situation géographique stratégique, a toujours été convoité par ses voisins.
La période légendaire (2879 – 258 av J.C) parle déjà de Phù Dong, le guerrier prodige, sauveur de la patrie.
Dès 111 av J.C, commencent les premières dominations chinoises. Malgré une longue période de domination ( 111 av J.C – 44 ap J.C ) ponctuée de nombreux conflits, la Chine ne parviendra pas à plier le Viêt-Nam.
Durant cette première période de domination, s’illustrent les sœurs Trung, qui vont mener une révolte célèbre contre les forces chinoises.

La seconde période de domination chinoise (44 –
543 ap J.C) n’écrasera pas encore le peuple vietnamien. La dynastie dite des Ly antérieurs va s’établir de 544 à 601.
Les chinois vont toujours se maintenir au Viêt-Nam et vont réussir à imposer une troisième période de domination, de 603 à 938, qui ne parviendra toujours pas à écraser le Viêt-Nam.
Commencera alors l’ère des Grandes Dynasties, qui s’étendra de 939 à 1945.

Durant cette longue période, le Viêt-Nam résistera à trois invasions des forces mongoles, en 1257, 1284 et 1287, ainsi qu’à diverses autres périodes de domination chinoise. La province de Bình-Ðinh située au centre du Viêt-nam a été le berceau de l’art traditionnel
du Viêt-nam. La formation des plus grands maîtres vient principalement de Bình-Ðinh.

C’est au XVIIIe siècle que la province de Bình-Ðinh devient célèbre grâce à l’apparition du héros national Nguyen Hue.
Ce héros, devenu l’empereur Quang Trung a rassemblé tous les arts martiaux des écoles élites du Viêt-Nam en y associant les meilleures écoles des arts martiaux frontaliers.

Il a institué l’apprentissage obligatoire de cet art martial à toute son armée.

C’est le début de la naissance de l’art martial de Binh Dinh.

Comment se définissent les arts martiaux de la région de Binh Dinh ?

Parmi les soixante dix écoles citées plus haut, seules quatre ou cinq sont officiellement d’obédience Binh Dinh. Elles ne représentent pas la majorité des styles vietnamiens, mais il est intéressant de s’y arrêter le temps de quelques lignes, car ce sont ces écoles qui préparaient aux concours militaires des licences et doctorat en arts martiaux au Viêt-Nam.

Parmi le nombre important d’écoles, elles représentaient un standard, une norme de qualité, tout comme l’étaient en Chine les écoles du temple de Shaolin ou celles du mont Wu Dang.

Elles étaient choisies pour défendre l’empire du Dai Viêt, vainqueur des Mongoles et des Han, ce qui n’étaient pas rien ! Elles bénéficiaient de cette expérience et de cette tradition martiale réputée pour pouvoir s’opposer aux armées les plus terribles de l’Asie… Et elles s’y opposèrent avec succès jusqu’au 19eme siècles ! Alors, oui, peut être qu’un peu « d’orgueil national » coulait dans leurs veines. Mais après tout, n’était ce pas légitime ?

Quel chinois n’aurait pas un peu d’orgueil d’être formé par un authentique moine du temple de Shaolin ou du mont Wu Dang ? Quel japonais n’aurait pas un peu d’orgueil d’être formé par la Araki Ryu , l’école de Maître Musashi ? Au sujet des concours militaires, un traité historique, écrit par le candidat Quach Tao qui avait échoué à deux reprises l’examen explique : « La première partie de l’examen consistait à porter à chaque main deux poids de cinquante kilos chacun et de parcourir le plus rapidement possible 200 mètres aller et retour. Puis il fallait exécuter les Bai Quyên et les Bai Binh Khi, ce qui correspond à des katas à mains nues et aux armes. Ensuite le candidat devait se soumettre au combat à mains nues à un contre trois, puis il devait détailler et expliquer des techniques au sabre, à l’épée et au bâton.

La deuxième partie de l’épreuve se composait du tir à l’arc et à l’arbalète sur une cible ronde. Venait ensuite le tir au fusil, puis il fallait pouvoir courir, sauter une haie, tourner trois fois sur soi et transpercer avec une pique un mannequin agité par un soldat. Le postulant devait ensuite démontrer qu’il connaissait l’équitation, savoir galoper, sauter une haie et manier l’épée à cheval.

La troisième partie était le combat à la longue perche contre la longue perche. Chaque perche mesurait 2m65, la pointe de la perche était enveloppée par une petite pochette remplie de cheveux. La pochette était humectée de cendre noire pour marquer la personne sans la blesser. » Une thèse pour le doctorat rédigée à la faculté des lettres et des sciences humaines de Rennes en 1961 par M.Nguyên Danh-Sanh, diplômé de l’école supérieure de pédagogie de l’université de Hanoi, décrit précisément le contenu des concours préparant aux diplômes de bachelier, licencier et de docteur en arts martiaux au Vietnam sous la dynastie des Nguyen (XIXeme siècle). « Il est décidé, sous la dynastie des Nguyen que tous les trois ans aura lieu le concours des armes (…) Le premier concours est daté l’année Thiêu Tri (1846). (…)

Première épreuve : poids de 100 cân à porter sur le parcours de 20 truong pour la mention passable, de 30 truong pour la mention bien et de 40 truong pour la mention très bien.

Deuxième partie du concours : maniement du Côn (bâton de bois dur ou de fer) et de la lance. La bâton de fer pèse 30 cân et ont la mention très bien ceux qui ont réussi à le manier en trois démonstrations successives (Thao), ceux qui n’ont pas réussi une démonstration complète sont éliminés du concours (…)
C’est aussi sous le règne de Tu Luc qu’il est ouvert un concours pour le choix d’un Thien Si (docteur militaire). Le programme est celui du concours Hong (pour le recrutement des licenciés), mais il est plus difficile. Ceux qui sont reçus doivent passer le concours Dinh (cours de palais royal). Il est décidé que tous ceux qui veulent se présenter aux concours Dinh doivent être volontaire pour l’examen des dix huit armes et des traités de stratégie militaire.

Le concours Dinh doit se passer sur une seule journée dans la cour du palais royal Thai Hoa et se compose de trois parties :

La première : maniement des dix huit armes différentes. Emploi d’armes véritables et si la démonstration d’une seule arme est manquée, le candidat est éliminé aussitôt.

La deuxième : démonstration de Quyên (boxe vietnamienne). Chaque candidat doit se battre contre cinq gardes royaux dont il doit vaincre au moins trois pour obtenir des points. Il est à noter que les gardes royaux sont aussi des gens qui s’y connaissent en boxe et que ceux qui ont été choisi pour être opposés aux candidats, au cas où ils seront vaincus, verront leurs traitements supprimés pendant neuf mois.

La troisième : combat au fouet et au bâton de fer encore contre cinq gardes royaux.
Ces trois parties étant passées avec succès, le candidat peut employer son arme favorite pour etre alors opposé à cinq gardes royaux. Sont reçus ceux qui ont réussi à en vaincre au moins trois.

Ensuite, après le festin offert par le roi, les candidats doivent passer leurs compositions écrites et théoriques : chacun aura à traiter un sujet portant en général sur les traités militaires de Tôn Ngo , le livre élémentaire du militaire, le livre des armes, ou bien sur les grands combats des chefs militaires du passé. Ceux qui manquent de culture ne seront reçus qu’avec le grade de Pho Bang (inférieur au grade de docteur (…) » On voit donc grâce à ce texte que le pratiquant de Vo Thuat devait connaître un programme précis de Quyên (les « boxes » vietnamiennes, équivalant des Tao chinois ou des kata japonais), qu’il devait connaître le combat à un contre plusieurs, et ceci tant à mains nues qu’aux armes, qu’il devait avoir une bonne condition physique.

Il se devait aussi de savoir monter et se battre à cheval et de connaître le maniement des 18 armes classiques, ainsi que les classiques de stratégie et de tactique militaire. Quelques écoles transmettent toujours cet enseignement propice à former les élèves à la licence ou au doctorat d’arts martiaux, conservant intacte cette tradition, ce savoir et ce savoir-faire. Maître Pham Co Gia précise par exemple au sujet de sa formation, lorsqu’elle se plaignait auprès de son maître de ne pas assez pratiquer « à mains nues » et de peut être trop étudier le maniement des armes, que celui-ci lui répondait : « avec quoi tiens tu ces outils ? Avec quoi te déplaces tu ? Avec quoi peux tu réagir rapidement ? Si tu n’arrives pas à faire la liaison entre l’entraînement à ces armes et l’art « poings-pieds », retourne à tes ventes de savon ! »
Lors d’une interview accordée au magazine « Arts Martiaux » au Viêt-Nam en 1970, maître Truong Thanh Dang explique au sujet de son enseignement :

« Je tiens compte du travail des Bai Quyên avant tout qui doivent être solides, pour cela il faut travailler beaucoup les posture. Puis j’enseigne le maniement des armes blanches (…) il sert à renforcer le travail des Bai Quyên. Bien que la technique à mains nues possède la parade en haut et en bas, ce n’est pas aussi synchroniser que le maniement des armes blanches. » La classification des armes blanches classiques demeure traditionnelle au Vietnam. Cette classification se fait par groupe d’armes de même catégorie. Certaines écoles de Binh Dinh (école Sa Long Cuong par exemple) l’ont officiellement établi ainsi :

1. Cung – Arc

2. Dai Dao – Hallebarde

3. Don Dao – Song dao Simple sabre, double sabre

4. Thuong Dao – Pique, lance

5. Doc Kiêm Song Kiêm – simple épée, épée double

6. Xa Mau – lance serpentine

7. Lang Khiên – bouclier

8. Doc Phu, Song Phu – hache simple, hache double

9. Kick – vouge

10. Roi – perche

11. Doc Gian – masse épée

12. Chuy – masse d’arme

13. Dinh Ba – fourche

14. Bua Cao – râteau de guerre

15. Côn (Doan, Te Mi, Truong) – bâton court, moyen, long

16. Song Tô – dagues jumelées

17. Song Xi – double bras armés

18. Day Xich – chaîne

Dans l’éditorial « Connaisance du Viêt Nam », publié en 1954 et rédigé par Huard P. et Durand M., on peut voir au chapitre XI réservé à l’histoire de la guerre au Vietnam des tableaux représentants les armes traditionnelles utilisées par l’armée vietnamienne au XIXeme siècle :

Pour ce qui est du combat à mains nues, un texte en anglais sur les arts martiaux vietnamiens parut sur Internet précise (cclib.nsu.ru/projects/satbi/satbi-e/martart/vietnam.html) :

« Vo Binh Dinh is a style that originated in Binh Dinh (today Ngia Binh) Province. It is based on the assumption that the opponent is non-vietnamese and therefore likely taller and heavier. Hence a Vo Binh Dinh fighter constantly moves, changes positions, changes the directions of movement, uses counter-strikes to attacking arm or leg. »1

Le Vo Thuat faisant référence à Binh Dinh est donc un art à part au sein de la configuration martial du Viet-Nam. Maître Tran Ngoc Dinh, explique au sujet des arts martiaux de Binh Dinh (www.vietanhmon.org/francese_file/binhdinh.htm) :
« L’appellation du style Binh Dinh est l’homonyme de celle de la région du Vietnam central , appelée actuellement Nghia Binh, qui s’étend derrière le port de Qui Nhon. Le Binh Dinh est un des styles vietnamiens les plus renommés, diffusé principalement dans le Vietnam central et méridional. Sa naissance est étroitement liée aux événements historiques qui ont caractérisé le pays à la fin du XVIII siècle.

Dans la seconde partie de l’an 700 le Vietnam tout d’abord gouverné par la dynastie des Le, était en pratique sous le contrôle de deux familles  » Féodales « , les Trinh au nord et les Nguyen au Centre-Sud. Suivant la tradition, l’origine du style Bind Dinh doit être liée aux vicissitudes rencontrées par trois frères, Nguyen Nhac, Nguyen Lu et Nguyen Hue, qui au cours de l’année 1771, donnèrent vie à la révolte des  » Tay Son « , du nom de leur village natal.

Il s’agit, à l’origine, d’une rébellion à caractère populaire, causée par la différence des conditions de vie des concitoyens sous l’administration des Seigneurs Nguyen, qui avec le temps s’élargit à tout le pays, et aux différentes couches de la population. En 1783 le prince Nguyen Anh fut obligé de s’enfuir et en 1786 la ville de Thang Long, forteresse des Trinh fut occupée (Hanoi). La dynastie des Le, profitant de la faiblesse des Seigneurs Trinh et Nguyen tenta de reconquérir le pouvoir effectif et demanda l’intervention de l’armée chinoise.

Le plus jeune des trois frères, Nguyen Hue, qui était considéré comme le patriarche du style Binh Dinh, fut un des meilleurs stratèges de l’époque. En 1788, il se proclama empereur sous le nom de Quang Trung et repoussa l’invasion du Vietnam septentrional par les troupes chinoises, intervenues pour soutenir la dynastie des Le.

Dans de nombreuses écoles, le style Binh Dinh est enseigné avec d’autres styles vietnamiens et sino-vietnamiens. Dans le centre du Vietnam existent différentes écoles traditionnelles de ce style, parmi lesquelles l’école Sa Long Cuong (le dragon qui se pose sur une dune de sable) où est également enseigné le style Thieu Lam (Shaolin), l’école Bach Ho (tigre blanc) et l’école Ngu Ho (cinq tigres).

Dans la région de Binh Dinh il existe deux communes, An Thai et An Nhon dont les écoles sont connues pour leur rivalité séculaire. La distinction entre les différentes écoles est importante, car le Binh Dinh est un style hétérogène, qui a subi de fortes contaminations et interprétations diverses, la description des quyen (formes), étant transmise surtout oralement, au moyen de « poésies »2 , correspondant à une séquence complexe de techniques.

Le Style Binh Dinh se développe donc dans un contexte historique, et ses caractéristiques naissent du conflit avec l’armée chinoise, constituée de soldats plus grands et robustes que les combattants vietnamiens. La stratégie de ce style se base donc sur le principe de la contre position : courte distance contre longue distance, souplesse contre rigidité, mobilité contre positions statiques.

Après la mort de Quang Trung et le retour au pouvoir de Nguyen Anh (1802), dans la région de Binh Dinh furent instaurées des lois qui limitaient le droit de réunion et interdisaient la pratique des arts martiaux. A cette interdiction est liée l’évolution d’une arme particulière du style Binh Dinh, le bâton Roi (dit  » en queue de souri « , un long bâton qui se rétrécit sur une de ses extrémités, qui par ses caractéristiques de forme et de flexibilité permet d’exécuter des techniques qui sont à mi chemin entre celles de la lance et celles du bâton long. Le programme de Binh Dinh comprend dix quyen (formes) à mains nues, pour lesquelles le nom rappelle souvent la tradition historique (Than Dong =  » enfant roi du ciel « , héros légendaire de l’épopée vietnamienne), à la philosophie orientale (Bat Quai = 8) ou au monde animal et végétal (Long Ho = dragon et tigre, Lao Mai = le vieux prunier). Outre les quyen à mains nues, le programme comprend de nombreuses formes avec le bâton long (Con) et le bâton Roi, l’épée papillon (Dao), la lance (Thuong) et le sabre vietnamien (Kiem ou Guom) »

1L’art martial de Binh Dinh est un style originaire de la province de Binh Dinh (aujourd’hui Ngia Binh). Il se base sur l’hypothèse que l’adversaire n’est pas vietnamien et donc plus grand et plus violent. D’où le fait qu’un pratiquant de Vo Binh Dinh va constamment se déplacer, changer de position, changer de directions dans ses mouvements, utilisant des contre attaques pour attaquer les bras ou les jambes.

2Dans les arts martiaux chinois et vietnamiens les formes sont transmises au travers des  » poésies « , c’est à dire des phrases qui décrivent en termes poétiques le déroulement des techniques (par exemple :  » ho lap binh duong  » = le tigre descend de la montagne). Dans les styles chinois à chaque  » poésie  » correspond une seule technique ; dans les styles vietnamiens par contre, ces  » poésies  » qui doivent respecter des règles métriques particulières, sont plus courtes et à chaque phrase correspond un mouvement complexe, qui comprend plus d’une technique : de ceci dérive le fait qu’une quyen avec le même nom et les mêmes  » poésies  » peuvent êtres interprétées de façons différentes en fonction de l’école.

En conclusion…

Le Vo, l’art martial au Viet Nam, qu’il soit Vo Thuat (art martial traditionnel), ou Viet Vo Dao (art martial populaire), est avant tout l’expression d’une nation. Une nation est composée de gens, d’histoires, d’Histoire, de cultures, de traditions, de familles, de pensées, de religions, de sciences, de philosophies, etc.

La Chine compte plus de trois cent styles différents d’arts martiaux. Le Viet Nam a aussi sa richesse martiale.

Elle n’est pas une simple annexe des arts martiaux chinois. Elle s’est nourrie des guerres, des conflits et des périodes de paix de ce petit pays pour se forger et se développer et permettre au peuple vietnamien de continuer à exister.

Il est indéniable que les arts martiaux chinois ont influencé le Vo vietnamien. Ne dit on pas que pour vaincre un ennemi il faut commencer par le connaître ? Le Thieu Lâm (Shaolin), le Tai Khi (Tai Ji), le Pa Kua (Ba Gua), le Y Quên (I Quan) sont des termes qui apparaissent clairement dans les arts vietnamiens et qui marquent une obédience chinoise évidente.

Mais si l’art martial du Vietnam n’était qu’un pâle ersatz des arts martiaux chinois, comment Ly Thuong Kiet aurait pu vaincre les chinois ou comment Bac Binh Vuong Nguyen aurait il pu faire fuir le général chinois Ton Si Nghi ? L’art martial vietnamien doit apprendre à se développer et croître au gré des idées et évolutions de ses maîtres. Il n’y a aucune honte à fonder une école comme le Vovinam Viet Vo Dao, à la vouloir vietnamienne, à l’aimer comme telle.

Mais il convient surtout de comprendre et d’apprendre, de chercher toujours la vérité par les faits que peuvent amener l’histoire et de ne pas l’occulter par des contres vérités, car dans un pays autant rongé par la guerre, fuir l’histoire, remplacer des mots par d’autres mots, des idées par d’autres idées, c’est aider ce merveilleux pays et sa culture si particulière à s’enfoncer un peu plus dans les ruines et l’oubli.
V
éhiculer des idées fausses, des concepts erronés revient à effacer encore plus le passé, à semer la confusion dans les esprits et rendre encore plus inaccessible cette vérité historique si dur à conserver dans un pays exsangue culturellement par tant d’années de conflits et de souffrances !

Les arts martiaux ou plus exactement les arts de la bravoures, les arts chevaleresques (Wu Shu ou Vo Thuat en vietnamien) véhiculent des richesses culturelles extraordinaires au travers de poèmes, de techniques artisanales et martiales uniques, de techniques combattives authentiques, d’écrits, d’histoires, de peintures, de pensées philosophiques, de connaissances tactiques et stratégiques, de techniques prophylactiques, etc. Ce qui sert aux arts martiaux se sont les vertus sur lesquelles ils reposent.

Ces vertus, à l’image du confucianisme reposent sur la bonté humaine, le devoir, la courtoisie, l’intelligence et la confiance. Et la confiance dans une école ou un style d’arts martiaux ne peut croître et s’épanouir que sur la vérité historique. « Sachez qu’il existe en France de très nombreuses écoles de Vo.

Certaines se sont regroupées dans différentes fédérations indépendantes ou se sont rattachées à divers organismes.
D’autres, quant à elles, poursuivent une existence en solitaire, parfois même sans s’ouvrir pleinement vers le public.
Certaines arrière-cours ou certains parcs et jardins constituent encore des Vo Duong (écoles) informels au seins desquels il est possible de pénétrer mais avec de fortes recommandations et un parrainage obligatoire. »
Serj Le Malefan

… Voilà ce que sont les arts martiaux du Viêt-Nam…

ce qu’ils étaient…

et ce qu’ils seront !