« Le Maître aux trois paumes »

Sun Lu Tang (1861 – 1933) maître vénéré sous le règne des derniers empereurs de Chine, ami de Sun yat-sen et de Chang Kaï-chek, il fut probablement le dernier maître de la Chine ancienne. Sun Iu-tang disparut en 1933 emportant, avec lui dans la tombe son secret, celui d’une attaque foudroyante de la paume de la main qui l’avait fait surnommer « Le Maître aux trois paumes »…

Il est né soixante quatorze ans plus tôt, en 1859 à Pao Ting, grosse bourgade à quelques cent kilomètres au sud de Pékin, dans une famille de commerçante dont il était le fils unique. Les premières années de sa vie se déroulèrent sans histoire. dans sa dixième année, un incendie ravage la ville. Ses parents y trouvent la mort en essayant de sauver quelques objets de la boutique en flammes. Il se retrouve dans la rue sans aucun recoure et ne tarde pas à tomber gravement malade. A treize ans, n’ayant, même plus la force de mendier il décide d’en finir avec la vie et, réunissant ses dernières forces, il se pend.

Un passant providentiel, alerté par ses gémissement se précipite, tranche la corde et au moyen de percussions sur des endroits précis ranime le moribond. Le sauveteur se révèle être un maître de l’art du Hsing I, un style souple très renommé, et décida de recueillir le jeune homme.

Sun Lu Tang

Li Kuei-yuan c’est son nom , connaît également, les secrets des plantes ainsi que de nombreux remède qui lui furent transmis c’était alors la tradition dans les écoles chinoises par son maître. De son mieux, il soigne Sun et le traite comme son propre fils. Le jeune homme, pour remercier son bienfaiteur, lui fait le serment de devenir son meilleur élève afin de pouvoir le représenter dignement voire le tempe venu, de lui succéder à la tête de l’école.

Celle-ci a d’ailleurs belle réputation et bien que vétuste, compte plus d’une centaine de boxeurs. La méthode enseignée par Li est complexe, le Hsing I se basant sur la souplesse, des déplacement circulaires, des attaques s’effectuant en ligne droite, des postures solides mais variées. Certains ont comparé les techniques de cette école à une vague en rouleau qui entraine dans son tourbillon ce qu’elle rencontre, sans qu’il soit possible d’y remédier.

Le jeune Sun travaille de façon acharnée et il recouvre la santé. Deux ans plus tard, il possède déjà une technique exceptionnelle, à tel point que Li, présumant d’un don extraordinaire, décide de le présenter à son propre maître, le fameux Kuo Yun Shen, surnommé par ses contemporains « La paume divine« , « L’homme au coup de paume dévastateur » ou tout simplement « la paume« .

Kuo est en fait un véritable monument, une sorte de héros vénéré et redouté, et devenir un de ses élèves est déjà une consécration.

Kuo Yun Shen

Kuo Yun Shen

Sa technique favorite une attaque de paume imparable et d’une puissance inouïe est célèbre. Elle lui a déjà valu trois ans de prison pour avoir tué net son adversaire lors d’une rencontre à vingt cinq ans. Depuis ce jour, il interpose toujours son centre de main sur le corps de celui qu ‘iI attaque afin, assure t-il, d’absorber l’énergie et d’éviter de le blesser gravement.

Che I Chaï

Che I Chaï

Deux hommes seulement ont pu y résister, son ami Che I Chaï, pratiquant le Hsing I et le fameux Tung Haï-chuan maître de Pa Kua. Le combat entre les deux hommes fut hermétique et, parait-il, dura trois jours pendant lesquels aucun des deux hommes ne put porter d’attaque décisive même la paume de Kuo était inopérante. Exténués, ils décidèrent de conclure un pacte, encore en vigueur de nos jours, grâce auquel les pratiquants de Hsing I pourraient étudier le Pa Kua et vice-versa. Kuo, exigeant quant à l’excellente réputation de son école, n’acceptait que des éléments de première valeur, si bien qu’elle ne comptait jamais plus d’une trentaine d’élèves.

Le jeune Sun fait sensation dès le premier jour grâce à une démonstration magistrale. Le maître lui-même fut stupéfait et l’accepta, non seulement comme élève, mais comme disciple, position partagée par seulement deux autres boxeurs, et qui concédait le privilège de vivre constamment avec le maître.

Il n’est pas rare que les deux hommes passent de longues soirées à essayer leurs techniques, le vieux maître conseillant de son mieux l’élève, parfois le corrigeant vertement. Quand il juge celui-ci suffisamment évolué en pratique, il lui livre ses secrets dont, affirme-t-on, celui de son coup de paume extraordinaire.

Un soir le maître le convie à prendre place à sa table, ce qui signifie en clair qu’il le reconnaît comme son égal et qu’il ne peut plus rien lui apprendre. De la part de Kuo c’est un compliment extraordinaire. Il est de fait que le jeune Sun désormais, non seulement lui résiste mais place également quelques techniques qui parfois déconcertent le maître.

Sun Lu Tang

Nanti d’une lettre de recommandation, Sun se rend à Pékin étudier le Pa Kua sous la direction de Cheng Ting-kua, ami de Kuo et élève direct de Tung Hai-chuan. Cheng est surnommé quelque peu irrévérencieusement et à son insu par ses élèves, « l’invincible cobra » (serpent à lunettes) car il est myope comme une taupe mais d’une force colossale. On raconte que pendant la révolte des Boxeurs à Pékin en 1900, il tua douze soldats allemands à main nue pendant un seul combat. Attaqué une nuit par un de ses élèves tandis qu’il dormait paisiblement, (c’était alors une « plaisanterie » courante pour tester les réflexes de ses supérieurs) il le tue net d’une pique de la main. Ce qui, il faut bien l’avouer, jeta un froid parmi d’éventuels pratiquants de ce jeu hautement éducatif Quoi qu’il en soit, le maître Cheng était un excellent professeur. Il le fallait. Le Pa Kua est un des arts chinois les plus hermétiques et les plus complexes et tenter d’expliquer ses techniques serait des plus délicats. Basé sur un mouvement tournoyant et de faible amplitude, il se révèle comme un style souple mais doté de défenses et d’attaques invraisemblablement vicieuses et efficaces. Sun devient rapidement un des meilleurs élèves puis l’assistant en second du maître. Il surpasse d’ailleurs celui-ci au bout de quatre ans et l’année suivante Cheng, comme Kuo, décide que le jeune homme a atteint la maîtrise de son art.

A vingt-cinq ans, fait unique, Sun se retrouve donc confirmé par les deux patriarches du Hsing I et du Pa Kua comme maître de ces disciplines. Il peut déjà ouvrir une école car, le cas n’étant pas courant, sa réputation est déjà bien établie. Cependant, soucieux de devenir sans égal, il préfère étudier le Tai Chi Chuan sous la direction de Pan Hou, la plus haute autorité de cette école. Incroyablement doué, il maîtrise sans peine les techniques de la « boxe ultime » en quatre ans, ce à quoi très peu parvienne au terme d’une vie de travail acharné.

Le premier Tao de cette école, par exemple, ne comprend pas moins de 436 mouvements. Pour accéder à un niveau élevé, il faut connaître six Tao. Sun est le premier qui réussit à en retenir douze. Non content de cette performance il entreprend l’étude des Tao armés (épée, sabre, lance, bâton) avec la même facilité.

Les spécialistes de l’époque sont effarés devant une telle somme de connaissances et, pour la première fois dans l’histoire millénaire de la boxe chinoise, reconnaissent en Sun Lu-tang le maître incontesté des trois principales écoles de style interne. Sun retourne alors chez son père adoptif, Li Kuei-yan, qui le reçoit les larmes aux yeux, et lui demande l’autorisation d’ouvrir sa propre école. Le vieux maître est frappé par tant d’humilité, lui qui sait ne plus arriver à la cheville de son élève.

Cette école devient aussitôt un centre extraordinaire et compte dès la première année plus de 3000 élèves. Les plus grands maîtres envoient leurs meilleurs disciples étudier sous la direction de Sun et viennent parfois même lui rendre visite. Cavalier émérite, archer exceptionnel, il profite par exemple d’un voyage en train en compagnie du vice-président de la république entre Mukden et Pékin, pour tirer cent flèches par la fenêtre et tuer une soixantaine d’oiseaux, ce qui est incroyable mais rapporté par le président lui-même dans ses mémoires. Si on ajoute à ceci ses dons de peintre et d’escrimeur, Sun devient une sorte de génie vénéré à la fois par les personnages influents et le peuple, ce qui à l’époque est également un exploit.

Mais l’art de la boxe reste sa préoccupation principale et il entreprend cinq ouvrages, un sur le Hsing I, le second sur le Pa Kua, le troisième sur le Tai Chi, le quatrième sur l’art du sabre et le dernier, le plus intéressant, concerne les techniques et les principes des plus grands maîtres et le secret du coup de paume que Kuo lui a transmis. Les quatre premiers livres sont encore utilisés actuellement et font autorité en la matière. Il préféra brûler le cinquième le jour de sa mort, afin que ses secrets disparaissent avec lui.

A soixante-dix ans il est nommé président de l’Association Nationale des Arts du Poing Chinois et président de l’association de boxe de Kiangsu, qui sanctionnent un niveau extraordinaire et une moralité sans défaut. A cette époque, il fut proposé de créer un appareil qui mesurerait la puissance de ses coups. Le vieil homme déclare qu’il ne faut aucune force pour combattre et que seule l’énergie interne compte. Pour prouver ses dires, il prie un énorme boxeur dans l’assistance de lui saisir l’index à pleine main et d’essayer de le retourner. Le boxeur sue sang et eau pendant plus de dix minutes sans aucun résultat, pendant que Sun continue à développer sa théorie, le visage serein ; puis, d’une chiquenaude, il envoie la brute sue le sol. Il meurt en 1933 à soixante-quatorze ans, et ne jugeant pas qu’un de ses élèves soit digne de lui succéder, il emporte dans la tombe le secret de son coup de paume.

Sun Lu Tang avec un groupe de Boxeurs de Xing Yi (Province du Shanxi en 1924)

Sa technique était incomparable, ses connaissances immenses et quant à sa puissance réelle elle était, parait-il, hors de toute proportion avec ce qui avait été vu jusqu’ici. Bien que de naturel pacifique et modeste, peu enclin à des démonstrations intempestives ou à des duels, il démontrait parfois à ses élèves l’étendue de cette puissance. Il pulvérisait par exemple une pile de briques de 1 mètre de hauteur – et ceci sans qu’elles portent à faux d’une seule claque du plat de la paume; ou il écrasait un galet dans sa main. Il n’utilisait jamais sa technique favorite en combat mais se plaisait à terminer celui-ci par une attaque peu communes une série de coups de paumes dans laquelle il ne mettait aucune énergie mais d’une rapidité invraisemblable et qui projetait au sol l’adversaire abasourdi par une telle avalanche…

Un combattant jura qu’il était impossible à un homme ne possédant que deux mains d’arriver à un tel résultat. De plus comme le maître était expert dans les trois styles de boxe interne majeurs, le surnom de maître aux trois paumes lui resta, bien que, très modeste, il n’aimait pas qu’on le nomme ainsi.

Un jour, âgé d’une soixantaine d’années, il dînait avec quelques amis à Pao Ting. Il fut soudain pris à partie par deux boxeurs d’une école voisine qui l’avaient reconnu et qui, peu soucieux de sa réputation, voulaient l’affronter pour le tester. Il ne les écarta même pas et continua à manger comme si de rien n’était. Excédés, ils l’attaquèrent simultanément d’un coup de pied et d’un coup de poing. Sans même prendre la peine de lâcher ses baguettes ni de se lever, d’un seul geste de sa main libre il brisa la jambe et le bras des deux malotrus et les envoya voler à travers les tables. Puis, il se leva pour les traîner de force chez leur maître afin de lui demander une explication quand au comportement de ses élèves. Celui ci, ayant reconnu Sun, ne dut son salut qu’à une fuite éperdue et il ne remit jamais les pieds dans la région. Les témoins de cette scène affirment que Sun ne mit aucune force dans sa technique, et que, heureusement pour les deux larrons, il n’employa pas sa technique « coup de paume« . On peut alors se demander ce qui serait produit s’il avait décidé d’utiliser sa botte secrète Ses funérailles à Pékin furent grandioses. La plupart des grands maîtres de boxe de l’époque y assistèrent, accompagnés de leurs élèves pour rendre un dernier hommage.

Ce fut un des rares boxeurs de très haut rang qui fut admis par tous comme le plus fort et malgré tout ne suscita aucune jalousie grâce à sa modestie sans égale et son sens aigu des rapports humains. La seule chose que l’on peut regretter est qu’il n’ait jamais daigné dévoiler son secret désormais perdu à jamais.

 

Bibliographie

Xin Yi Quan Xue : The Study of Form Mind Boxing de SUN Lu Tang, Pacific Grove, High View Publicaions – 1993 -Traduit par Albert Liu –