La Laque

La laque : une invention chinoise qui préfigure le plastique industriel (Needham)

La laque à l’instar du caoutchouc, une autre invention chinoise, est issue de la résine provenant de l’incision de l’écorce d’un arbre, une espèce de figuier de la famille des toxicodendron, l’arbre à laque, le laquier ou Rhus vernicifera var.verniciflua, nommé Qi (Chi ou Tsi) en chinois (arbre à vernis) et Urushi en japonais.

Le laquier de Chine : il la joue très discret !

Qi le caractère désignant la laque

Le caractère chinois Qi (Tsi) désignant la laque représente, dans sa forme antique, un arbre contenant de l’eau qui se transforme en glace. C’est aussi dans l’étymologie chinoise classique « ce qui sert à glacer le bois ».
Les laquiers commencent à produire la qualité de résine destinée à la laque lorsqu’ils sont âgés d’une quinzaine d’années, auparavant la laque ne se stabilise pas. Ces arbres à laque sont originaires du centre et du sud de la Chine et ont été introduits en Corée au IV siècle en au Japon au VI e siècle.
A l’état sauvage ces arbres se rencontrent exclusivement sur des pentes bien exposées et à une altitude d’environs 400 à 500 mètres. Mais sa culture ne présente généralement aucune difficulté car ses feuilles sont légèrement toxiques et éloignent animaux et insectes.
Les arbres sont incisés en été tous les cinq à sept ans et un arbre ne produit pas plus de 50 gr de laque.
La laque de grande qualité est obtenue à partir de l’incision d’un arbre sur pied mais il est également possible d’abattre l’arbre, d’en broyer le bois, et d’en extraire la résine par un procédé industriel .
Dans ce cas la laque est de moindre qualité.
La laque véritable procède donc d’un travail d’une incroyable minutie nécessitant la rigueur et la patience qui caractérisent les artisans chinois et japonais.
L’objet à laquer, quelle que soit sa taille, doit être soigneusement poli puis recouvert d’une fine toile de chanvre.
Cette toile est ensuite recouverte de deux couches de laque grossière qui sont également polies.
Le laquage proprement dit commence après cette opération préliminaire.
Il est effectué par couches successives, minces, uniformes effectuées grâce à des pinceaux en cheveux.
Chaque couche est mise à sécher dans une sorte de chaudière à vapeur.
Il convient, en effet que la laque sèche dans un milieu humide, ce qui peut être fort long mais qui procure l’effet de profondeur qui la différencie d’un simple vernis.
Chaque couche est ensuite polie grâce à de la poudre de charbon de bois de différents arbres.
La laque de bonne qualité peut atteindre ainsi une trentaine, voire une centaine, de couches successivement séchées et polies.
La dernière couche, constituée d’une laque très fine est poncée puis polie à la main à l’aide de cendres de cornes de daim.
La laque est alors prête à recevoir les différentes décorations dont les principales sont les laques d’or et d’argent, les laques aventurines, les laques sculptées, les pierres taillées semi-précieuses, la nacre, l’écaille de tortue (désormais protégée !)

Dans le Lieou Tseu Si Wen il est expliqué :

« Lorsqu’un bon artisan étend la laque liquide, si il le fait trop lentement elle devient dur et craquelle en séchant, si il le fait trop vite elle durcit mal et ne devient pas bien lisse. Il convient donc de le faire ni trop lentement, ni trop vite »

Ce qui est une très bonne règle dans beaucoup de domaines !
Mais, en fait, un bon artisan pourra revêtir de laque presque n’importe quelle matière : bois, tissus, laiton, porcelaine, verrerie, étain, acier.
Au japon elle était indispensable dans le domaine des armes puisqu’elle protégeait les fourreaux des fameux Katana et Wakisashi ainsi qu’elle renforçait les casques et les armures.
En Chine le Zhou Li (Tcheou Li), texte rituel rédigé à cette époque (1121 av JC 256 av JC), contient de nombreuses références concernant l’utilisation de la laque sur les harnais, les chars de guerre, les arcs, les flèches, les casques, les armures…

Quelques photos de la fabrication artisanale actuelle de la laque. ( lien inactif).
http://www.bagan.com.fr/laque.htm

Suivant Needham et Temple la laque est sans doute « le premier plastique industriel inventé par l’homme » et un matériau de première qualité.
Jugez-en : elle n’est attaquée ni par les acides ni par les alcalis ; elle résiste jusqu’à une température de 250 à 300 degrès ; elle résiste à l’eau, à l’humidité, à la sécheresse et à la plupart des solvants ainsi qu’aux bactéries ; elle ne se décolore pas à la lumière et demeure insensible à la plupart des rayonnements ; c’est un isolant thermique et électrique exceptionnel équivalent au mica utilisé dans l’industrie.
Son principal inconvénient est qu’il est impossible de réparer ou de recoller une véritable laque qui a été cassée.
Il semblerait également que la lumière des néons lui occasionne des changements de teinte à long terme.
Son seul équivalent approximatif, et qui ne bénéficie pas des mêmes qualités, loin s’en faut, fut inventé en 1869 par Wesley Hyatt, avec le celluloïd, premier plastique industriel qui donna, par la suite, en 1907 la bakélite qui évolua elle-même vers les plastiques et les résines actuels.
Les recherches archéologiques font remonter l’usage de la laque, en Chine, au XIIIe siècle avant J.C.
La reine Fu Hao fut, en effet, inhumée dans un cercueil de laque datant de cette époque et que l’on découvrit, intact, à Anyang en 1976.
Il est donc fort probable que la laque fut utilisée avant même cette période puisque le cercueil en question montrait déjà une technique très élaborée. La plupart des fouilles récentes concernant des tombeaux de la dynastie Han (206 av.JC 223), dont la fameuse Tombe de Mawangdui de Shansha ont permis de retrouver des laques en excellent état bien qu’elle datent de plus de deux millénaires.

Tripode en laque provenant de la tombe de la Duchesse de Dai à Mawangdui

Les Chinois appréciaient la valeur des objets laqués dont le prix dépassait alors celui du bronze.
La laque fut donc utilisée pour le mobilier, les paravents, les coffres, les cercueils, les fourreaux d’épée, les casques, les boucliers, les armures mais également des instruments de cuisine ou des objets de culte et de décoration.
Il convient de rappeler quele mot laque est féminin lorsqu’il désigne la matière mais devient masculin lorsqu’il désigne un objet laqué !

On peut donc parler d’une « collection de beaux laques d’Extrême-Orient ».
Le terme laque provient du sanscrit « Lakh » qui signifie brillant, lumineux et qui a donné l’arabe Lakk, terme qui est apparu en occident avec les premiers objets laqués au retour des croisades.
Le terme sanscrit définit particulièrement une certaine qualité de lumière, donc de clarté.
Comme le ciel durant la nuit une laque peut être très sombre de couleur mais très « claire » dans son éclat, donc posséder une « lumière intérieure », une « brillance » plus nouménale que phénomènale.
La laque est donc très difficile à photographier car elle intègre et reflète la lumière, provoquant des effets particuliers.
Il existe un phénomène semblable pour certains jades antiques qui sont, ainsi, très difficile à photographier ce qui les différencie des jades communs même de grande qualité.

Cela est à rapprocher du chapitre XV du Daodejing de Laozi (15 du Tao Te King de Lao Tseu) où il est tantôt question de « confus comme l’eau boueuse » (Liou Kia Hway), de « turbidité » (Philastre), de « mêlé comme un étang boueux » (François Houang), de « sans plus de transparence que l’opacité même » (Richard Wilhelm et Etienne Perrot), de « indiscernable comme des eaux mêlées » (Claude Larre), de « obscurs comme l’eau trouble » (R. Payette), « diffus comme l’eau trouble » (J.F.Billeter).
Le terme en question est Zhuo (Cho, Tchouo) (Ricci 1066) qui, évidemment se traduit par trouble, bourbeux, turbide et que l’on retrouve dans le chapitre sur la « Genèse » de Liezi (Lie Tseu III) : « Les énergies troubles, plus denses et plus manifestées descendent formant la Terre ».

Il est généralement mis en opposition à Qing (Chinq, King, Tsing) (Ricci 1000) qui signifie pur, limpide, clair, transparent.
Mais dans le cas particulier de la proposition de Laozi (Hun Xi Qi Ruo Zhuo) il représente l’image particulière des particules en suspension dans l’eau et donnant à celle-ci une « lumière » particulière.

Laque noir et rouge – bols à riz « Trois en Un »
La fameuse lueur interne sous diverses déclinaisons

Cette image, et même ce procédé, est justement utilisée pour la laque et ceci depuis plus de trois mille ans, donc avant même cette proposition du Maître Taoïste qui ne fit que reprendre une image connue des artisans qui étaient capable d’emprisonner cette lumière dans ‘le trouble de l’obscurité de la laque ».

Sans trahir un secret normalement bien gardé il s’agissait de broyer extrêmement finement des coquilles d’oeufs d’oiseaux de teintes et de luminosité particulière et d’incorporer cette poudre à la laque afin de lui donner cette fameuse « turbidité » qui accroche le moindre rayon de lumière et le transforme en une sorte de lueur interne.

Sans chercher à porter le fer plus loin, nos traducteurs éminents oublient une simple chose, avant de se nommer Yangzi Jiang, Changquiang (le long fleuve), et, par erreur de traduction, le « fleuve bleu » (XIXe), sinon le fameux Yang Tsé Kiang de Gabin dans « Un singe en hiver », s’est appelé pendant des millénaires  » Jin Sha Jiang » (Kin Cha Kiang),
le « fleuve aux sables d’or », justement à cause de ce sable doré, en suspension, qui lui confère cette luminosité interne si particulière.

Jinshajiang « Fleuve aux sables d’or » ancien nom du du Yangzi Jiang

La couleur particulière du « Fleuve au sables d’or »
et la turbidité (Zhuo) du chapitre XV du Daodejing de Laozi
Tao Te King de Lao Tseu « diffus comme l’eau trouble »

Jean François Billeter, l’un des rares qui ait vu clair dans cette sombre affaire en donne ce commentaire
 » Enrichissement de l’activité interne devenue palpable comme l’image
de la lumière diffuse dans l’eau trouble ».
(Jf Billeter)

Pour Laozi, le sage, ‘l’être réalisé qui de tous temps excelle dans la pratique du Tao »
( Gu Zhi Shan Wei Dao Zhe), comme l’objet laqué, est « animé d’une douce lueur interne ».
Ce qui donne évidemment une toute autre dimension au texte.

Laozi de son coté ne pouvait pas demeurer insensible à la simple beauté de certaines laques.
Comme le fut, deux siècles plus tard, la Duchesse (ou Marquise !) de Dai qui avait demandé à ce que soient disposés dans sa tombe les objets les plus représentatifs des artisans de sa province et qui choisit elle même les laques et les soieries qui devaient l’accompagner pour l’éternité dans l’au delà. Ou qui avait simplement souhaité que les futurs pilleurs de tombes, fussent-ils des archéologues, constatent la simplicité et la beauté de ces pièces qu’elle utilisait tous les jours.

Les serpents et les grues, image du Taiji en volume et en mouvement !
laque provenant d’une tombe découverte à Changshi (Hunan)
IVeme siècle avant JC

Et qui ont traversé les millénaires sans la moindre altération.
Ces simples laques rouges et noires attestent de la fierté qu’elle avait de transmettre au générations futures la preuve d’un savoir faire unique et inégalé. Nos « scientifiques » éclairés ont fait de même en confiant à l’espace ou aux profondeurs de la terre des objets représentatifs de notre civilisation.

Mais il est fort probable que des extra-terrestres (ou des infra-célestes ?) et nos lointains descendants seraient probablement tout aussi impressionnés par les souvenirs millénaires de la Marquise de Dai que par nos avatars industriels et nos pseudo-symboles universels.

En ce qui concerne la « science empirique » des anciens chinois, Joseph Needham de l’Université de Cambridge signale le fait avéré que les artisans du second siècle avant notre ère avaient découvert un procédé chimique permettant de conserver la laque à l’état liquide avant de l’utiliser, ce qui permettait de constituer des réserves de ce produit précieux.
Il suffisait de jeter des crabes dans la laque liquide pour l’empècher de se solidifier !
Needham commente lui-même ainsi cette curieuse affaire :

« Quelle est la part des tissus cellulaires des crabes dans tout cela ? Sans aucun doute avant le II e siècle avant J.C, les chinois ont découvert un puissant inhibiteur de laque. En bloquant l’action de l’enzime en question, ils arrêtaientégalement l’opacification de la polymérisation. Cette spectaculaire intervention dans le cours naturel des chose, analogue à un arrêt d’un processus naturel d’ankylose du au vieillissement intéressa les alchimistes, préoccuppés qu’ils étaient de conserver la souplesse de la jeunesse en retardant ou en supprimant l’ankilose de la mort. De plus cette action des tissus de crustacés n’est pas unique. D’autres recherches ont montré qu’ils contiennent un puissant et mystérieux pouvoir d’inhibition dur le D-amino-acide-oxydase, l’enzyme qui catalyse la réaction d’oxydation des acides aminés »

Mais, bien évidemment, tout cela n’intéresse que fort peu nos fameux « scientifiques éclairés » puisqu’il s’agit de chinoiseries millénaires relatées par un illuminé notoire qui proposait à ses étudiants de l’Université de Cambridge
« d’aller sans cesse rôder vers des territoires non encore explorés ».

Ce que, bien que n’ayant jamais étudié à Cambrigde sous sa férule, je fais toujours avec jubilation.

Les différentes laques chinoises :

On peut différencier trois principales sortes de laques.
Les laques peints (Hua Qi),
les laques sculptés (Diao Qi)
et les laques décorées dites, en Occident, de Coromandel ( Jing Qi)

Le nom de Coromandel provient simplement du fait que les laques chinois décorés, donc les plus recherchés par les Occidentaux, étaient importées par les Compagnies des Indes Orientales via la côte de Coromandel.

Hua Qi : laques peints

Diao Qi : laques sculptés

Jing Qi : laques décorées dites de Coromandel

Les laques peints sont décorés en léger relief de laque d’or, d’argent ou de couleurs spécifiques obtenus grâce à des pigments végétaux, animaux (noir d’ivoire) ou minéraux (cinabre ou sulfure de mercure, le minerai de mercure très utilisé en alchimie taoïste).
On distingue alors plusieurs catégories de laque en Chine, au Japon, en Corée, au Vietnam…

Chine :
Chao Qi (Tchao Tsi) : laque transparente
Hua Jin Qi (Houa Kin Tsi) : laque dorée ou laque d’or
Chou Qi (Tchou Tsi) : laque vermillon
Hei Qi (Hei Tsi) : laque noire
Di Hong (Ti Hong): laque sculptée rouge
Dui Hong (Touei Hong) : laque rouge peinte
Qiang Jin (Tsiang Kin) : laque à relief d’or
Souan Qi (Tsouan Tsi) : laque à incrustations de pierres
Li Dian (Ki Tian) : laque à incrustations de nacre

Laque à reflets d’or – oiseaux sur pin – fermetures en argent ciselé

Japon :
Urushi : le nom japonais de la laque (au féminin !) : la substance
Ki Urushi : laques japonais (au masculin !) : le produit fini
Ro Iro Nuri : fond de laque noire
Kin Ji Nuri : fond de laque d’or
Ro Gin Nuri : fond de laque d’argent
Shu Nuri : laque rouge
Tame Nuri : laque brun
Seishitu Nuri : laque vert
Nshi Ji Nuri : laque poudrée d’or dit « aventurine »
Tsui Koku Nuri : laque noire sculptée
Tsui Shou Nuri : laque rouge sculptée
Guri Nuri : laque en plusieurs couches de différentes couleurs sculptées en profondeur
Takemoso Nuri : laque imitant le bambou
Shitan Buri : laque imitant le bois de santal
Togidashi : laque peinte au mouen de poudres
Suri Hagashi Nuri : couche de laque noire sur fond rouge
Heidatsu Nuri : décor par feuilles d’or ou d’argent
Ichimatsu nuri : décor imitant un échiquier
Chikin Bori : ciselures rehaussées de laque d’or
Kamakura Bori : sculpture recouverte de laque noire puis de laque rouge

Laques japonais XVIIIe – Inro aux chauve-souris ; peigne aux fleurs ; coupe à Saké

Laques japonaises XVII et XVIIIe

Vietnam :
Que les Vietnamiens le veuillent ou non, l’art clasique de la laque (ou du laque !) provient de chine et utilise la terminologie chinoise simplement vietnamisée.
Cependant les Vietnamiens ont développé (comme les Japonais de leur coté !) un savoir faire qui leur est particulier, notamment grâce à la présence d’un arbre à laque (laquier) local le Melanorrhoea Usitata dont la résine mélangée au laquier chinois produit une qualité très brillante assez caractéristique.
Les laques de Nam Gu (district de Hanoï) et de Phu To, où pousse le laquier vietnamien sont ainsi très réputés (encore une fois au masculin puisqu’il s’agit du produit fini – merci le correcteur orthographique, couché !)
Originellement les quatre couleurs « classiques » sont le noir, le rouge, le jaune, le brun auxquelles il faut ajouter deux « métaux », l’or et l’argent.
Des laques vietnamiennes plus modernes et très caractéristiques utilisent une laque dorée faisant contraste avec la laque noire.

Laque vietnamienne – bol « Montagne et poissons d’Or »

La Corée, la Thaïlande produisent également, depuis fort longtemps et sous l’influence chinoise; des laques réputés.
Il ne faut pas oublier que, dans ce domaine comme dans pas mal d’autres (Bouddhisme, arts martiaux) la Corée précéda le Japon.

Les différentes époques des laques :

La classification des laques se fait simplement en fonction des époques de leur production, exactement comme on le fait pour les poteries et les bronzes.
En Chine, en Corée, au Japon, au Vietnam elle suit simplement les noms dynamiques.
Il est étonnant de constater que ces différentes dynasties correspondent également Al un style très particulier comme on pourrait parler en France d’ un mobilier Louais XIII, Empire ou Belle Époque !

Oreiller en cuir laqué. Ne vous y fiez pas il est très ergonomique !

Il semble donc que les artisans d’ Extrême-Orient aient mis un point d’ honneur Al différencier les dynasties régnantes au travers d’ un style particulier Al chacune des dynasties.
Un laque de l’époque Song ne ressemble donc pas à un laque de l’époque Han qui lui-même est très différencié d’un laque de l’époque Ming.
Sauf, bien évidemment, si il s’agit d’une copie « officielle » ou non.
En effet, depuis le 8eme siècle existe en Chine une manufacture impériale (puis « officielle » !) des copies.
Celles-ci peuvent concerner la porcelaine, la céramique, le bronze, les laques, les étoffes et soieries, les peintures et les calligraphies.
Les très belles pièces étaient donc reproduites à l’identique et en plusieurs exemplaires afin d’être conservées ou vendues.
La mention « copie sous ordre de l’Empereur…. » était légale.
Elle fut remplacée par « copie officielle » et accompagnée d’un certificat d’origine.
Mais, bien évidemment, le commerce aidant la mention « copie » n’est pas toujours indiquée ce qui peut provoquer quelques malentendus, les pièces copiées étant presque parfaites et il faut l’oeil et la sagacité d’un expert pour déceler la contrefaçon.
Il est donc tout à fait possible de posséder une belle copie Ming d’une pièce Song ou Han, la valeur n’est pas tout à fait la même mais la copie Ming vaut quand même beaucoup plus qu’une copie actuelle !

 

Plateau de laque rouge et brun – copie Ming d’une laque Han

Epoques chinoises :

Zhou (Chou ou Tchou) : 1121 ac JC 256 av JC
Il s’agit, bien évidemment de pièces très rares, le plus souvent d’objets présentant des fragments de laque.

Qin (Chin, Tchin) : 221 207
Quelques belles pièces, notamment des objets liés aux rites tels que décrits dans le Liji (Li Ki ou Livre des Rites) : coupes de libation, plateaux à offrandes

Han (206 av JC 220)
C’est la grande période des laques noires et rouges à décor de volutes ou d’animaux fabuleux que l’on a retrouvé dans les tombes telle celle de la Duchesse de Dai à Mawangdui.
Très nombreuses pièces de mobilier dont coffres à ranger le linge, armoires, paravents et cercueils.

Wei (Trois Royaumes): 220 265
Utilisation de la laque dans de nombreuses pièces d’ornement et surtout dans les arts de la guerre : chars, harnais, armures, casques, arcs, flèches, boucliers mais également dans les arts de la table : bols, assiettes, boites de transport (encore en usage au Japon !), tables basses, sièges. Objets purement décoratifs : peignes, broches, miroirs (bronze poli et laqué), chaussures laquées, éléments de coiffure, chapeaux de gaze laquée.

Jin (265 316) ; Nan Pei Chao (dynasties du Nord et du Sud): 317 589 ; Sui (581 618)
Eclipse de la laque, celle-ci est moins utilisée et ne correspond pas à un style très particulier. Laque utilitaire et domestique.

Tang (618 907)
Renouveau de la laque. Celle ci s’utilise désormais dans l’architecture et dans la sculpture. Miroirs de bronze laqués et surtout instruments de musique. Les laques les plus réputés proviennent alors de Siang-Tcheou. Incrustations de nacre dans la laque. Tissus laqué permettant de confectionner des statues.
C’est la laque qui sera transmise au Japon sous la dénomination de Kanshitsu « laque sèche » (Temple de Kofokuji). Vaisselle de grande qualité destinée aux tables princières.
La porcelaine commence à remplacer la laque dans les objets usuels.

Sung (Song) (960 1279)
Généralement de formes simples et dépourvues d’ornements décoratifs.
La qualité de la laque seule prime sur le décor.
Vaisselle, bols à soupe, plats en forme de fleurs de lotus, coupes lobées, boites carrées ou rondes. La cour de l’empereur seule utilise des laques rouges et noirs recouvrant des objets d’or et d’argent.
Les laques de cette époque servirent et servent encore, dans leurs modèles, à la Cérémonie du Thé qui s’est transmise de la Chine au Japon via la Corée à cette époque.
Les boites en laque servent plus particulièrement à la conservation des crus précieux de thé.
On distingue plusieurs styles de laques : la laque peinte, la laque à reflets d’or, la laque ajourée, la nacre incrustée dans la laque, les pièces de métal incustées dans la laque (pièces d’or, sapèques anciens)

Grande armoire de laque (Musée Guimet – Paris)

 

 

Petit coffret à bijoux (Musée Guimet – Paris)

Yuan (1279 1368)
Cette époque se caractérise plus particulièrement par l’invention de la laque rouge sculptée Dihong (Ti Hong) qui est actuellement connue sous la dénomination occidentale de « laque de Pékin ». Elle pouvait être utilisée pour confectionner de petites pièces : boucles d’oreilles, bracelets, éléments décoratifs pour la chevelure, broches mais également des pièces de forte dimension comme un trône impérial !

La laque rouge de Pékin (Ti Hong) parure actuelle

Elle fut très utilisée dans la fabrication de nombreux objets décoratifs comme des boîtes à bijoux, des petits vases, des assiettes décoratives, des gardes de sabres sculptées, des boites servant à transporter la nourriture lors des banquets champêtres.
Mais cette dynastie produit également d’autres laques de couleurs très particulières dues à l’ajout de substances végétales(huiles végétales parfumées, rhizomes de racines de lotus), animales (sang de porc, jaune de crabe) et minérales (chaux, cinabre).

Laque à reflets d’or et oiseau sur prunier
la teinte particulière est dite « peau de poire »

Ming (1368 1644)
Production très artistique de petits et grands objets dont le mobilier : lits, armoires, coffres, chaises, fauteuils, paravents. Grands panneaux de laque noire ornés de paysages aux tons d’or doux et chauds, plateaux de laque noire peinte. La laque s’importe en Europe (cabinets, tables basses, armoires). Nombreux paysages peints. Laques gravées de type Coromandel souvent destinés à l’exportation vers l’Occident.

Laque gravée aux fleurs et papillons dite de Coromandel

Qing (Ching Tching) (1644 1911)
Les laques commencent à être produits industriellement pour l’exportation !

Laque noire avec incrustations de pierres semi-précieuses
(sardoine, lapis lazuli, cornaline, nacre, aventurine…)

Donc la qualité baisse. Mais belle production de panneaux de laque sculptée dite de Coromandel. Porcelaine laquée destinée à l’exportation. Influence occidentale dans l’art de la décoration (fleurs, oiseaux, personnages avec ombrelles).
Suivant W. Winkworth, conservateur du British Museum,
« Ces laques Qing, de même que la porcelaine de Sêvres ne réussissent qu’à donner l’impression d’une opulence coûteuse ; il ne faut donc pas les prendre pour de véritables oeuvres d’art ».

Ceci est bien évidemment du à une énorme production de laques très conventionnels et srtéréotypés où la monotone répétition des mêmes motifs suscite l’ennui.
La pièce la plus célèbre de l’époque demeure le trône de l’empereur Kien Long taillé dans de la laque rouge vermillon.
Ce même empereur se fit enterrer dans un cercueil de laque rouge qui fut mis en vente il y a quelques années à Pékin !

Le trône de l’Empereur Kien Long (1736 1796) : laque rouge sculptée

Epoque contemporaine
La Chine est toujours le premier producteur mondial de laque.
Celle-ci sert toujours pour le marché intérieur mais principalement pour l’exportation.
La production peut être familiale, artisanale, semi industrielle ou industrielle.
Elle est également très prolifique dans des résines et plastiques synthétiques imitant la laque et il est donc facile de tomber dans le panneau.
Les Chinois, experts en la matière, laquent également fort bien les canards et les travers de porc mais c’est encore une autre affaire !

La laque japonaise : Ki Urushi

 

 

Laque japonaise de Kano Sanraku (1559 1635) Epoque Monomaya
Pruniers en fleurs et pivoines
Pavillon de l’Empereur puis Daikaku Ji

Nos amis Japonais et leurs amis antiquaires patentés seraient furieux si nous ne traitions pas de la laque japonaise.
Pendant longtemps, et probablement encore maintenant, la laque japonaise est encore plus réputée que son homologue chinoise.
De fait, les artisant Japonais, bien qu’ulitlisant le même procédé que les Chinois, ont adopté et adapté un savoir faire très particulier.
La recherche de la qualité du produit prime donc sur la quantité produite et encore maintenant de nombreux artisans perpétuent une tradition séculaire qui se transmet exclusivement de Maître à Disciple.
Et ce dernier se doit de respecter les règles même et surtout si il s’autorise quelques nouveautés qui caractériseront sa signature.

Laque japonaise : oiseau et feuilles d’automnne

Evidemment les Japonais vous jureront sur tous leur Dieux, Divinités et autres Kamis que leur art n’a rien à voir avec la Chine puisque le Prince Yamato Daki, fils de l’Empereur Keiko (302 290 Av JC), chassant sur la montagne Aki Yama et ayant incisé un arbre lors du tir d’une flèche (qui atteignit bien évidemment sa cible !) remarqua un liquide noir qui suintait de la blessure de l’arbre. Il fut donc le créateur « officiel » de la laque japonaise et entreprit de décorer des objets. Très pris par ses activités il transmit son art à son serviteur, un certain Takaho No Sakane, qui devint le laqueur officiel de la Cour
Impériale !

Plus vraisemblablement la laque parvint au Japon via la Corée grâce au Bouddhisme sous l’époque de Nara (552 710).
Mais ne dites jamais cela à un Japonais : il serait fâché à vie car si la Chine peut passer comme « grand ancêtre » (Kara = le chemin qui même de la porte d’entrée à l’autel des Ancêtres et ce qui désignait auparavant le « continent » qu’on ne nommait pas !) il est hors de question de devoir quoi que ce soit à la Corée et à ses « chiens mangeurs d’ail » comme on nomme sympatiquement ses ressortissants dans le milieux populaires !

Sous l’Empereur Kotoku (645 654) fut créé « le département ou bureau de l’industrie des laques » qui réglementait la profession de laqueur et la production de la laque, donc des laques.
Ce département officiel ne sera aboli au VIIIe siècle par l’empereur Mommu (697 707) qui voyait en celui-ci une entrave à la production et à la création.
Il imposa même la culture des arbres à laque sur les terres des propriétaires et exigea que les impôts, jusqu ‘ici payée en riz, le fussent en résine de laque.
Mais c’est pendant la période Nara (710 794) que la laque connut un véritable essor artistique.
On y distingue alors deux grands types de laque :
le Makinrô où l’objet recevait une couche de laque noire qui était ensuite décorée avec de la poussière d’or, recouverte d’une seconde couche qui était polie afin de faire réapparaître le dessin.
Le Heimon où l’objet était d’abord décoré par incrustations puis laqué.
De nombreuses statues sont recouvertes de laque.
Pendant la Période de Heian des Fujiwara (784 1185) apparaît le style Hyomon No Zushi qui consiste à effectuer des incrustations d’or et d’argent sur une première couche de laque, à passer une seconde couche de laque transparente qui est polie comme un miroir donnant à l’ensemble une transparence irréelle.
Apparaît également un nouveau genre de laque incrusté de nacre et de corail que l’on nomme Raden.
Le Okigushi consiste à renforcer les pièces de laque par de l’étain ou de l’argent.
Le Ikajiki est un fond d’or pur, technique également utilisée au Vietnam.
par la suite les artisans reproduirent ces principaux styles.

Petit cofret à bijoux XVIIIe

La production japonaise de laques est toujours très active car il est de bon ton de posséder des objets laqués utilisés tous les jours : bols à riz et à thé, boîtes de présentation, plateaux pour Sashimi…
Le trousseau de la jeune mariée comprend encore traditionnellement un service de laque et un miroir laqué.
Le miroir laqué avec le Sabre-épée et le Joyau Ecarlate est l’un des « Trois Trésors » impériaux.
Il est donc fort apprécié comme symbole d’opulence.
Sans oublier le Chado ou Cha No Yu, la Cérémonie du Thé qui utilise la laque dans plusieurs objets rituels.
La laque passe pour être ce qui protège le mieux les grands crus de thé.
Il s’agit alors de laques spéciales ne possédant aucune odeur et permettant de confectionner des boites parfaitement hermétiques.

Petit coffret à bijoux XIXe

Les laques occidentaux
Ils existent bel et bien puisque l’Occident a tenté de copier les Extrême Orientaux, comme d’habitude, mais avec beaucoup moins de réussite. Quelques artisans continuent néanmoins à pratiquer le laquage, proche du vernis-tampon tel qu’il est encore transmis à l’Ecole Boule. Les fameux meubles Boule ne sont en réalité qu’une adaptation occidentale, fort réussie mais avec ses caractéristiques propres, des procédés de laquage utilisés en Chine et au Japon sur les mobiliers.

Laque occidentale 1900 « fritillia et papillons d’ivoire »
Album à photos avec fermoir d’argent

Pour nettoyer un laque taché
Utiliser (avec précaution car on ne connaît jamais réellement la résistance d’un laque surtout si il n’est pas d’une qualité exceptionnelle !) la recette suivante

1/3 d’huile de lin
1/3 d’essence de térébenthine
1/3 de farine de blé
quelques gouttes d’huile de sésame.

Frotter avec un chiffou doux en utilisant des mouvements circulaires allant de la périphérie vers le centre puis revenant du centre vers la périphérie.

Laque occidentale : le pont d’ivoire par Priou (1930)

 

Bibliographie :

  • Les laques d’Extrême-Orient Chine et Japon par Mlle MJ Ballot G. Vanoest Editeur 1927
  • L’art japonais à travers les siècles Edit. Musée National d’Art Moderne Paris 1958
  • Arts de la Chine par R. Soames Jenyns et William Watson Office du Livre Fribourg 1963
  • Nouvelles découvertes archéologiques en Chine Editions en langues étrangères Pékin 1973
  • Pékin Impérial par Lin Yutang Albin Michel 1961
  • Quand la Chine nous précédait par Robert Kg Temple Bordas 1986 : indispensable !
  • La Science chinoise et l’occident par Joseph Needham Editions du Seuil 1969
  • La tradition scientifique chinoise par Joseph Needham Collecrtion Savoir Hermann 1974

Pour les caractères chinois nous remercions particulièrement

http://www.chine-nouvelle.com/outils/dictionnaire.html