La Tombe chinoise du cimetière d’Etaples

par Georges Charles

Une seule tombe chinoise isolée dans une nécropole de 12000 tombes !

Une seule tombe chinoise à l’écart parmi 12 000 tombes du Commonwealth

La petite ville portuaire d’Etaples connut pendant la Première guerre Mondiale une activité très importante. Située à proximité de Boulogne sur Mer, l’un des principaux ports français, Etaples et son port mi-maritime mi-fluvial servait de centre de tri autant pour les armes que pour les marchandises mais également les blessés qui devaient être rappatriés en Grande Bretagne. Cela impliquait la présence d’un immense hôpital de campagne situé à l’arrière du front allié. Malheureusement de nombreux blessés décédaient lors du séjour dans ce centre et il fut décidé de les enterrer sur place et donc de créer un cimetière du Commonwealth puisque les ressortissants des diverses nations représentant celui-ci y étaient représentés. On y trouve donc des Anglais, des Ecossais, des Canadiens, des Africains du Sud, des Néo-zélandais, des Australiens mais aussi des des Indiens et, étrangement, un Chinois qui fait bande à part dans un coin de l’immense nécropole. Suivant les instructions initiales du Major Fabian Ware, « inventeur » des nécropoles militaires modernes on retrouve à proximité de sa tombe un massif de bambous et sa tombe est ornée d’un plan de chrysanthèmes. Quatre vingt onze ans après son inhumation en terre française la tradition est respectée. Alors que les milliers de tombes sont alignées comme des régiments il dispose donc, à lui tout seul, d’un jardin chinois qui n’a rien à envier à celui d’un multi-milliardaire de Hong Kong et qui, visiblement, est parfaitement en règle avec le Feng Shui !

Les soldats du Commonwealth nommaient Etaples : « Eat Apples » (Pomme à croquer) car ce fruit y était omniprésent et les réserves inépuisables.

Le personnel de santé suivant l’adage « une pomme tous les matins éloigne le médecin » distribuait ces fameuses pommes sans compter et pour ceux qui avaient la chance de repartir se souvenaient pour toujours de ces fruits acides et parfumés qui, localement, servaient à produire du cidre.

L’Association britannique des « anciens d’Etaples » choisit évidemment une pomme verte comme emblème.

L’impressionnante épée de bronze de l’entrée de la nécropole militaire « Que leurs noms vivent à jamais « 

Une vue de la nécropole face à l’entrée

Un alignement parfait comme dans l’Armée Britannique !

« LA » tombe chinoise du Cimetière Militaire d’Etaples !

Il n’a pas été oublié et il a sa croix et le « poppy » (coquelicot) !

« Une bonne réputation demeure à jamais » Celui qui y repose est un certain Fu Pei Chen Il est également indiqué qu’il est originaire de la ville de Tianjin

Le bosquet de bambous qui représente la Chine !

Les catafalques de marbre et les drapeaux en berne comme des grandes ailes au repos.

Un visiteur attentif et toujours impressionné .

Second Lieutnant Robert Gordon Gordon’s Higlanders 4 décembre 1916 « Bydand » – « Souvenez-vous »

Second Lieutnant Albert W. Gordon Royal Flying Corps – l’ancêtre de la fameuse RAF 12 août 1917

Il est à noter un carré réservé au personnel féminin, la plupart des infirmières tuées en mission sur le front ou décédées de la grippe espagnol à l’hôpital d’Etaples pendant leur service.

Le cimetière chinois de Noyelles : cliquer ici

Le cimetière chinois de Saint Etienne au Mont : cliquer ici

Le Major Fabian Ware et le Roi Georges. L’ancien ambulancier volontaire est devenu incontournable. Le « poppy » de la Somme emblème de ceux du Commonwealth qui sont tombés au combat en France.

L’ « inventeur » des nécropoles militaires : le Major Fabian Ware

Un seul homme, ou un homme seul, peut-il faire changer les choses et influencer l’histoire ? Celle, assez extraordinnaire du Major Ware mérite ici d’être contée. C’est celle d’un simple volontaire de la Croix Rouge anglaise qui décide de venir en France avec son ambulance pour se mettre, en 1914, au service de l’Armée Française. Il se retrouve donc à Béthune et lors de l’inhumation d’un soldat il se rend compte que bon nombre de croix de bois sont déjà en piteux état et que les noms sont devenus illisibles. Avec le Docteur Stewart, également de la Croix Rouge, il décide alors de relever méticuleusement les noms, les emplacements, les régiments d’origines et, chose impensable à l’époque, de prendre une photo de la tombe afin de l’envoyer à la famille. Cependant il continue à convoyer des blessés dans son ambulance et monte même une section médicale avec l’aide du Dr Stewart inventant, en quelque sorte, un SAMU mobile puisque les soins d’urgence sont dispensés pendant le voyage entre le centre de tri et l’hôpital militaire. Mais en dehors des heures de service il n’en continue pas moins à recencer les tombes et à mettre en place un service de fichiers très élaboré comprenant le nom et le prénom du décédé, son régiment, sa fonction et/ou son grade, le jour de son décès et surtout l’emplacement précis de la tombe avec les coordonnées du cimetière. Assez rapidement cette tâche l’emporte sur l’aspect médical de sa fonction. Et il relève ainsi les coordonnées de milliers de tombes françaises puis britanniques. De simple civil il devient assez rapidement pour tous les militaires le « Major Ware » ou « Le Colonel ». Et en 1915 il crée un service qu’il nomme « Graves Registration Commission » Service qui esr rapidement attaché à l’Etat Major. Ce qui lui permet, officiellement, de prendre contact avec les autorités françaises pour leur proposer d’assurer la pérènité des cimetières militaires et d’édicter des règles les régissant. Une loi est votée en décembre 1915 qui permet d’acquérir les parcelles nécessaires à la mise en place de nécropoles et la France décide de faire don de ces parcelles, à perpétuité, à l’Empire Britannique, la Couronne étant chargée de leur entretien. En 1916, le Prince de Galles décide de créer un Comité National pour l’entretien des tombes. Le Major Ware, à la tête de cette organisation transfère son quartier général à Londres. C’est à ses services que reviennent la tâche très difficile d’identification, d’inhumation et d’enrregistrement des morts. Il obtient assez rapidement l’attribution à chaque militaire d’une plaque d’identité double, en fibre ou en métal, remplaçant les simples étiquettes cousues dans les uniformes. En avril 1917 ses services ont identifié 158000 soldats morts en France, 22300 en Belgique, 2500 à Salonique et 400 en Egypte. 12000 photos avaient été envoyées aux familles du Commonwealth. Non content de cette action il décide alors de prendre contact avec les Jardins Botaniques Royaux de Kew afin d’élaborer des nécropoles paysagères ceci afin de rendre les cimetières moins sinistres pour les familles. Il veut que celles-ci disent en partant « On n’aurait pas fait mieuxpour lui !  » Il sollicita de nombreuses associations afin que les graines et les plants soient envoyées en France et choisit lui-même les espèces caractéristiques de chaque pays concerné, c’est ainsi que notre Chinois de Etaples, un certain Fu Pei Chen voit encore sa tombe fleurie de chrysanthèmes et bénéficie, à proximité immédiate, d’un bosquet de bambous ! Il fait établir des pépinières à coté de chaque cimetière et demande à ce que les jardiniers soient spécifiquement formés à l’entretien du paysage constitué. Ces « jardins » du souvenir devinrent vite, et ce pendant la guerre, un hâvre de paix où les soldats venaient se recueillir sur les tombes de leurs camarades mais également y méditer et y trouver calme et repos. Le 21 mai 1917 l’Imperiel War Graves Commission se vit confier, par Charte Royale le marquage spécifique et l’entretien des tombes.

Cette Charte précise :

« Chaque tombe doit être commémorée individuellement, le nom précisé sur la pierre tombale ou sur un monument commémoratif ; tombes et monuments doivent être permanents et les pierres doivent être toutes semblables et aucune distinction ne doit être apportée quant aux grades ou aux responsabilités civiles. Chaque pierre dressée à la tête de la tombe porte l’insigne du régiment ou du service ou l’emblème national , le nom, le grade, le matricule et les décorations et, à la base, une pensée suggérée par la famille ou choisie dans un répertoire. Ces pierres font 81 cm de haut ; 38 de large. UN emblème religieux peut y être gravé à la demande de la famille. Normalement le sommet de la pierre est légèrement arrondi mais il peut exister des variations suivant les services ou les tombes civiles. Les tombes des soldats qui ont reçu la Victoria Cross (VC) portent uniquement l’emblème de cette haute décoration. La pierre utilisée provient en général des carrières de Portland ou Hopton Wood mais une pierre française de même couleur et de même qualité pourra y substituer. Ces pierres sont alignées dans des plates-bandes étroites plantées lorsque c’est possible de rosiers et de plantes vivaces au milieu de pelouses en gazon coupées d’arbres et d’arbustres. Ceux-ci pourront être choisis en fonction de la nationalité particulière des carrés concernés. Les tombes de soldats non identifiés portent la mention choisie par Kipling « Kwonwn Unto God » (Connu de Dieu). Il est égrigé à l’entrée de la nécropole une « pierre du souvenir » portant la mention « Que leur nom vive à jamais » tirée de l’Ecclésiaste (XLIV 14). L’Auel du Souvenir à été dessiné par Sir Edwin Lutyens et la croix du sacrifice de bronze, en forme d’épée, par Sir Reginald Blomfield. Chaque cimetière possède au moins une petite porte de bronze fermant une niche contenant le registre du cimetière. Il y est adjoint un registre où les visiteurs peuvent apposer leur signature et y consigner une remarque ».

A partir de 1920 une série de grands monuments commémoratifs, comme à Thiepval ou à Etaples furent érigés à proximité de ces nécropoles et réaloisés à partir de souscriptions nationales et d’Oeuvres des Anciens Combattants. La concession perpétuelle n’a jamais été remise en cause et ces nécropoles ou cimetières du Commonwealth représentant le Royaume Uni, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Afrique du Sud sont considérées comme des ambassades de ces pays. Ce qui explique la levée unanime de boucliers lors de la tentative de déplacement de certains de ces « lieux sacrés » pour la construction d’un aéroport international près de Péronne. Certains avaient oublié qu’il est plus facile d’exproprier les vivants que les morts surtout lorsque ceux-ci ont donné leur vie sur le sol concerné.

Ce qui est assez extraordinnaire dans cette affaire c’est qu’un civil, simple ambulancier volontaire, à l’époque on disait « un pékin » ait pu influer de par son action sur l’ensemble des cimetières militaires de ce bas monde ! Qu’il s’agisse, évidemment de Etaples et de Noyelles, Thiepval mais aussi de Notre Dame de Lorette, de Verdun, d’Arlington des cimetières américains de la deuxième guerre mondiale, de celui du Pont de la Rivière Kwai en Thaïlande, tous ont été conçus et réalisés, puis gérés et entretenus suivant les normes édictées par le « Major » Ware ! Les « grands cimetières sous la lune » doivent à cet ambulancier d’être ce qu’ils sont. Il est, ainsi, l’un des fondateurs essentiel du fameux « devoir de mémoire ». Cela méritait d’être dit !

Major Fabian Ware

Sources sur le Major Fabian Ware et le Commonwealth War Graves Commission: Rose E.B. COOMBS « Before Endeavours Fade » London 1976