Un beau coup de fusil de Jean Chastel

lors d’une fameuse battue du Marquis d’Apcher…

Le 19 juin 1767 le Marquis d’Apcher en compagnie du Marquis de Pons de La Grange, organise une grande battue dans les bois de la Teynazère sur les pentes du Mont Mouchet à proximité de La Besseyre Saint Mary et de Paulhac en Margeride. Cette battue comporte 300 rabatteurs et une douzaine de garde chasse expérimentés. Dont le fameux Jean Chastel. Celui-ci, posté sur la Sogne d’Auvers, eut la chance de voir arriver la  » bête « . Il eut le temps de faire une prière, de plier ses lunettes, de les mettre dans sa poche, de se signer, d’épauler son fusil, de faire feu. Et de voir la  » Bête « , qui l’avait sagement attendu, tomber raide morte.

Et il dit sagement « Bête tu n’en mangeras plus ! » Suivant la description il ne s’agissait visiblement pas d’un loup mais  » d’un énorme  » mâtin  » (chien dogue mâtiné d’autre chose, probablement de lévrier) aussi grand qu’un taureau d’un an avec de longs poils hérissés, une grosse tête, le poitrail large et blanc maculé de taches roussâtres, une crinière noire sur le dos allant de la tête à la naissance de la queue qu’elle avait fort longue et recourbée et qui battait ses flancs « . Pendant plus d’une dizaine de jours le Marquis d’Apcher reçut au Château de La Besque toute la noblesse des environs venue le féliciter.

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La stèle de Jean Chastel à La Besseyre Saint Mary. Une belle réhabilitation !

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Bof ! Un simple loup aurait dit Buffon !

Pendant ce temps Jean Chastel fit embaumer, à ses frais, la  » bête  » par un certain sieur Boulanger, pharmacien apothicaire de Saugues, et décida de l’emmener à Paris afin de toucher une récompense bien méritée. Mais le pharmacien n’était probablement pas aussi compétent que l’empailleur utilisé par de Beauterne puisqu’elle se transforma assez rapidement en  » charogne puante et grouillante  » et qu’il fallut en enterrer une grande partie dans la forêt de Fontainebleau. Jean Chastel conserva malgré tout une patte qu’il souhaitait présenter à Buffon qui ne cessa alors de se défiler. Mais Jean Chastel se recommandait du Marquis d’Apcher… et Buffon fut bien contraint de le recevoir.

Il regarda à peine la fameuse patte, fort dégoûté, et déclara qu’il s’agissait d’un loup. Affaire enfin classée ! L’affaire fut donc classé une nouvelle fois. Mais, cette fois-ci, les massacres cessèrent pour de bon. Jean Chastel toucha une prime ridicule et fut prié de se faire sérieusement oublier.

Ce qu’il fit . Revenu à l a Besseyre Saint Mary il demeura donc coi et ne quitta que rarement son repaire. On n’entendit plus parler de ses fils qui, visiblement, avaient subitement changé de région. Il est probable que, les choses ayant été beaucoup trop loin, la  » haute protection « , que ces crimes n’amusaient plus du tout, se soit brutalement refroidie. Peu après sa mort, les villageois brûlèrent sa maison et purifièrent le lieu avec du gros sel pourtant hors de prix à l’époque. Ce qui est pour le moins étrange pour celui qui est officiellement présenté comme le  » héros libérateur de la bête « .

Cela n’empêche nullement qu’on ait élevé, très récemment, une plaque commémorative à son effigie sur l’emplacement de sa maison. Réhabilitation très posthume et très singulière… ou simple effet touristique ?

Très étrangement, aussi, le château du Besset, épicentre de l’affaire, fut également entièrement rasé. Ses pierres permirent aux habitants du village quelques travaux et il demeure, sur place, un manoir et quelques grosses fermes.

Le Besset compte actuellement trois familles de trois personnes. Soit neuf habitants Les relevés de l’époque précisent qu’il y avait alors trente foyers de dix personnes. Soit trois cents habitants. Le Mont mouchet et ses contreforts était alors beaucoup plus habité qu’il ne l’est de nos jours. Ce qui implique que la forêt, contrairement à ce que l’on croit généralement, était beaucoup moins étendu sur le massif qui était principalement recouvert de prairies où l’on élevait bovins et ovins en assez grande quantité.

Quelques constatations concernant les représentations de la Bête et la topographie en cause. Lorsqu’on examine attentivement les gravures d’époque, on se rend rapidement compte qu’elles demeurent avant tout très conventionnelles et qu’elles respectent, c’est normal, des critères artistiques particuliers à cette période dite « classique ». On remarque, par exemple, qu’on ne sait pas encore représenter un enfant autrement qu’avec une tête d’adulte. Tous les gamins ont donc l’air de petits vieux très fatigués (voire la gravure représentant le combat de Portefaix contre la Bête !).

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Une bande de petits vieux fatigués et un gros caniche !

Les animaux eux-mêmes, c’est particulièrement remarquable pour les chevaux, possèdent une tête et des membres disproportionnés pour le corps. En un mot comme en cent, le corps est trop gros , la tête et les membres trop petits. Dans le cas du cheval il s’agit d’un animal fort connu et très représenté.

En ce qui concerne la Bête, évidemment, l’artiste ne pouvait se fier qu’à des descriptions de seconde main, donc baser son étude sur des représentations conventionnelles généralement issues de l’art hiéraldique, le seul à représenter des animaux étranges, inconnus ou extraordinaires.

La plupart des représentations de la Bête suivent donc des critères n’ayant que peu de rapport avec les sciences naturelles ou l’anatomie comparée. Elle est généralement représentée, comme il se doit dans les armes, rampante donc dressée sur les pattes arrières, armée avec des griffes de lion, lampassée c’est à dire tirant la langue, vilenée puisqu’on en voit le sexe et allumée avec des yeux de braise ! Au début elle ressemble à tout et à n’importe quoi en passant par le caniche, la gargouille, la tarasque, le crocodile, le griffon et, à vrai dire, tend plutôt à faire sourire qu’à inspirer la terreur. Quelques graveurs allemands finissent par lui donner un air beaucoup plus féroce la faisant ressembler à un bas rouge ou un lévrier.

Puis tout à coup un graveur français trouve un modèle beaucoup plus convainquant, assez proche il fait le dire, du grand méchant loup cher à Walt Disney et à Tex Avery, poitrail puissant, oeil de braise, gueule démesurée et amplement barbouillée de rouge à lèvres, pattes puissantes et griffues à souhait. En fait l’exagération de la fameuse Bête présentée par Monsieur Antoine au Roi et à à la Famille Royale. Bête dont on sait maintenant avec certitude qu’elle fut amplement « améliorée » lors de son empaillage.

A partir de ce moment la Bête possède un portrait robot bien pratique puisque facile à reproduire dans sa grande simplicité. C’est presque un « Toon » (carton de bande dessinée) avant la lettre. Puisque la « Bête » empaillée avait été probablement réalisée à partir d’un grand loup des Carpathes, complaisamment fourni par le Jardin des Plantes et Monsieur de Buffon, et constituant le « fameux secours » attendu avec tant d’impatience par Monsieur Antoine et ses sbires, le loup se retrouve implicitement impliqué dans cette affaire. Un loup énorme et bizarre, certes, mais un loup ! La plupart des estampes d’époque accusent nominalement la hyène ! Pourquoi ne le dit on pas clairement ? Lorsqu’on examine avec plus d’attention la plupart des estampes représentant cette fameuse « bête » on y trouve la mention non équivoque de la hyène. L’une des plus connue d’entre toutes explique « Figure de la bête féroce nommée hyène qui dévore les hommes et principalement les femmes et les enfants… ».

L’une des figures connues représentant Monsieur Antoine et le garde de Monsieur le Duc d’Orléans un certain Ranhard (ou Rinhard) porte la légende : « Représentation de la bête féroce nommée hiene » . Et, de fait, l’animal représenté sur l’estampe comporte une crinière, de nombreuses taches et une tête fort ressemblant à celle d’une hyène. Une autre figure la montrant avec un chien porte la mention « Véritable figure de la bête féroce nommée hiene et description de l’hiene -A Paris chez Basset, Rue Saint Jacques – ) La revue médicale Aesculape proposait une gravure portant cette mention « Hyenne – animal féroce qui ravage le Gévaudan depuis 1764 telle qu’on l’a envoyée à la Cour « .

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Une autre encore « Bête furieuse que l’on suppose être une hiene qui désole depuis six mois les pays du Gévaudan, d’Auvergne et du Languedoc ». Concernant ces estampes d’époque le qualificatif qui se répète le plus souvent après celui de « bête » est celui de « hyène ». C’est un fait vérifiable.

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Sur une enluminure on reconnaît un lion, un éléphant, un dragon et une hyène. Cet animal est donc assez bien connu depuis fort longtemps et ne ressemble pas à un loup !

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La Bête du Gévaudan « chimère » ou « fantastique » telle que la reproduit Axel Pérignon dans le Hors Série Science et Avenir de juillet/août 2000 consacré aux animaux extraordinnaires. Elle se retrouve donc entre le monstre du Looch Ness, le dahu, le kraken, la sirène, Godzilla, la licorne et le mokeke mbdêbe ! Et on ajouterait presque et Tintin et Milou au Tibet ! Suivant l’auteur, Geneviève Carbone, ethnozoologue, on serait face, si on cumule les témoignages et descriptions, à un hybride (pas une Prius Toyota !) de loup, d’ours de la taille d’un taureau d’un an avec une gueule de lion et une queue de léopard ! Encore une fois pourquoi pas d’une hiène !

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Morte de rire la hiène ! Mais rira bien peut-être qui rira le dernier. « Lorsque toutes les solutions logiques ont été écartées, il faut bien envisager l’impossible !  » Sherlock Holmes. Il est également de fait que l’on éprouve alors de grandes difficultés à s’entendre sur l’orthographe de hiène qui devient hiene, hiènne, hyenne, yenne, iène, hÿenne. Bête est plus facile à écrire. Loup également. Mais dans ce cas il convient de remarquer qu’aucune de estampes ne met en cause le loup.

 

Une répartition administrative et topographique différente de la nôtre !

Concernant la topographie précise des attaques de la bête sur le terrain, il convient d’être prudent car la plupart des compte rendus d’époque les situent à la fois sur la paroisse et sur le lieu dit. Or la répartition des villages par paroisse est fort différente à l’époque de ce qu’elle est aujourd’hui.

Si l’on prend le cas du village de Dièges, par exemple, bien que situé à proximité de Paulhac en Margeride il était, à l’époque, rattaché à la paroisse de Saugues pourtant éloignée d’une quinzaine de Km.

Une attaque se déroulant à quelques centaines de mètres de Paulhac était alors officiellement répértoriée sur le territoire de Saugues…donc pour certains historiens à Saugues ! La ferme de la Vachellerie, plus éloignée de Paulhac que Dièges était par contre rattachée à la paroisse de Paulhac. Il existe un autre lieu dit La Vachellerie (D 589) à proximité de Saugues et qui était rattaché, quant à lui, à la paroisse de Saugues. I

l en va de même concernant les fameuses « sognes » rendues célèbres par la « Sogne d’Auvers » où Jean Chastel est censé avoir abattu la « vraie Bête du Gévaudan ». Or, sur la paroisse d’Auvers il n’existe aucune sogne si ce n’est celle justement désignée par les habitants de ce village fort sympathique au demeurant et qui a le privilège d’accueillir la très fameuse statue de la Bête réalisée par le sculpteur Ph. Kaeppelin et un sympathique musée justement consacré à la Bête ! Comme nous le signalons, l’épisode décrit par la statue et impliquant « la pucelle du Gévaudan » , alias Marie Jeanne Valet, la bonne du curé de Paulhac, devrait se situer à Paulhac et non à Auvers. Dans ce cas pourquoi la Sogne ne se situerait-elle pas à Paulhac ? A Auvers, normalement, devrait se trouver la statue de Jean Chastel tuant la bête sur la fameuse Sogne Même en cherchant bien sur les cartes anciennes pas plus de statue de Jean Chastel que de Sogne d’Auvers à Auvers ! Si ce n’est une vague clairière désignée comme telle dans un consensus assez mou et dont l’entrée du chemin est constitué par une décharge sauvage ne motivant pas trop le tourisme pédestre !

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La décharge au pied du chemin menant à la « Sogne d’Auvers » (août 2006)

On ne peut pas dire que ce soit un lieu fort touristique !

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Cinq ans après, donc en août 201, le lieu a été proprement nettoyé. Comme quoi il suffit, parfois, de demander poliment !

Des sognes, on en trouve, par contre deux autres sur les cartes anciennes et actuelles : la sogne du Pou à Nozeyrolles ; La Sogne – entre Les Chazettes et Lesbinières . Or à Nozeyrolles comme à Lesbinières et à Desges il existe un lieu dit « le bois noir ».

Suivant les cartes actuelles et les cartes d’époque, n’en déplaise aux habitants d’Auvers, les deux sognes situées à proximité d’un « bois noir » sont justement la Sogne du Pou située sur la commune de Nozeyrolles et la Sogne située sur la commune de Lesbinières.

 

Le très officiel rapport Marin méritertait d’être lu ou relu : ce n’est pas un loup !

Le rapport du Maître Marin rédigé à Besques le 20 juin 1767 affirme : « Sur les dix heures un quart du matin du jour d’hier, 19 juin du présent mois, cet animal féroce se serait présenté à un chasseur nommé Jean Chastel du lieu et paroisse de la Besseyre Saint Mary, lequel tira un coup de fusil à cet animal duquel il tomba mort au bord de la forêt appelée La Ténazeyre, en la paroisse de Nozeyrolles ».

Il s’agit du compte rendu original et originel. Ce n’est que plus tard, en 1889 que l’Abbé Pourcher évoquera, pour la première fois la fameuse « Sogne d’Auvers ». Il tenait ce détail d’une de ses tantes, Agnès Pourcher, soeur du Tiers-Ordre.

Mais que dit plus précisément le compte rendu de la chasse du Marquis d’Apchier (ou Apcher !) : « Cette bête ayant encore parue dans la paroisse de Nozeyrolles et la paroisse de Desges, le 18 du présent mois et dévoré un enfant ce même jour, Monsieur le Marquis d’Apchier en aurait été averti et serait parti ce même jour 18 du présent mois sur les 11 heures du soir avec quelques chasseurs de sa maison et quelques autres de ses terres qu’il assembla précipitamment, en tout au nombre de 12, s’étant transporté dans sa forêt sur la montagne de Margeride ». La dernière victime, une certaine Jeanne Bastide fut précisément attaquée et tuée entre Desges et Lesbinière sur les bords de la Gourgayre entre La Gazelle et La Grange. Le Marquis d’Apchier et ses hommes vinrent évidemment sur place constater le fait, acculant la Bête vers le fond de la vallée. Elle put se dissimuler dans le « bois noir » et échapper, dans un premier temps aux recherches, puis elle décida de remonter vers le Mont Mouchet. Ce faisant elle emprunta le chemin forestier de Lesbinière, seule voie d’accès à la vallée située entre deux falaises abruptes, longea le « bois noir » et déboucha de celui-ci sur le lieu dit « La Sogne » où Jean Chastel l’attendait, posté.

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Au loin et en face le Mont Mouchet et le Sogne où fut probablement abbatue la Bête de Jean Chastel vue de la vallée de la Desge à proximité de Desge. Il connaissait parfaitement la région et savait qu’en remontant de Desges vers Le Mouchet il la trouverait à cet endroit précis. Le Marquis d’Apchier et ses chasseurs ne pouvaient pas emprunter ce chemin particulièrement abrupt, les contraignant à faire un long détour par le Bois de la Barthe.

Ce qui laissa probablement à Jean Chastel le temps d’aller terminer une fois pour toute cette affaire et, comme d’aucune le suggèrent désormais, en réglant définitivement le compte de son frère, Pierre Chastel, né le 4 mai 1714 et accusé du meurtre de son neveu, Joseph Pascal, charpentier à Pompeyrin, en fuite, et ayant fait l’objet d’une condamnation à mort par contumace le 26 mai 1745.

Etrange famille Chastel qui compte encore quelques descendants lointains. Il est possible que ce dernier lascar, ce Pierre Chastel, soit, en fait, celui qui régissait la Bête, ou plutôt « les bêtes » , au profit d’un haut personnage. Il est fort probable, également qu’il agissait avec l’aide de Jean Chastel et de ses deux fils et que Jean Chastel ait eu l’ordre d’arrêter le massacre et que Pierre ne put s’y résoudre ne fut-ce que pour nourrir ses bêtes qui avaient pris le goût de la chair humaine.

Il est fort possible, également, que ces bêtes féroces aient été particulièrement attachées à ce maître qui vivait en reclus dans les caches nombreuses du Mont Mouchet et de la Desges et que attachement ait été réciproque. Ce n’est qu’en dernier recours que Jean Chastel décida donc d’abbatre l’une de ces dernières bêtes puis, probablement, son frère et ceci avec l’aide de ses fils.

Ceux-ci n’eurent d’autre solution que de se tenir tranquille et de se faire oublier. Mais nul ne pourra jamais en apporter la preuve. Ce que le rapport Marin affirme, par contre c’est que l’animal tué par Jean Chastel n’était pas un loup : « Plusieurs chasseurs et beaucoup de personnes connaisseuses nous ont effectivement fait remarquer que cet animal n’a des ressemblances avec un loup que par la queue et le derrière : ses yeux ont une membrane singulière qui part de la partie inférieure de l’orbite venant au gré de l’animal recouvrir le globe de l’oeil. Son col est recouvert d’un poil très épais d’un gris roussâtre traversé de quelques bandes noires.

Il a sur le poitrail une grande marque blanche en forme de coeur… Cela nous parut une observation remarquable parce que, de l’avis de ces mêmes (chasseurs ) (rayé dans le texte) personnes connaisseuses et de tous les chasseurs, on n’a jamais vu aux loups de pareilles couleurs… ».

Si on excepte le fait que cela ressemble bougrement à une hyène rayée on voit que le loup, fort bien connu des interlocuteurs du Maître Marin, est largement disculpé par ce fameux rapport, l’une des rares pièces d’origine que l’on peut consulter ! Un autre document d’époque, concernant cette fameuse Bête de Jean Chastel, cité par François Fabre, est non moins explicite : « Il fit son examen*, il observa que la tête était monstrueuse, d’une forme carrée beaucoup plus large et plus longue que celle du loup ordinaire, le museau un peu obtus, les oreilles droites et larges à la base, les yeux noirs et garnis d’une membrane saillante très singulière.

C’était un prolongement des muscles inférieurs de l’oeil. Ces membranes servaient à recouvrir à volonté les deux orbites en se relevant et en se glissant par dessous les paupières. L’ouverture de la gueule était très grande, les dents incisives semblables à celle d’un chien, les grosses dents serrées et inégales, le col très large et très court garni d’un poil rude extrêmement long avec une bande transversale noire descendant jusqu’aux épaules. Le train de derrière ressemblant assez à celui d’un loup, excepté l’énorme grosseur, les jambes de devant plus courtes que celles de derrière, plus levrettées que celle d’un loup ordinaire et couvertes, ainsi que le devant de la tête d’un poil fauve, ras et lisse, précisément de la couleur de celles d’un chevreuil. Le poil du corps fort épais et long, d’une couleur grisâtre tachetée de noir.

L’animal avait sur la poitrine une grande tache blanche ayant la forme parfaite d’un coeur ». * Monsieur le comte de la M*** -Archives départementales du Puy de Dôme – Lettre écrite d’Auvergne à Monsieur le comte de M*** au sujet de la destruction de la vraie bête féroce. Langeac 6 juillet 1767.

Soulignons qu’il ne s’agit pas d’un « portrait robot » exécuté par un quelconque ordinateur à partir de données confuses et diffuses mais du rapport personnel d’un témoin capital ayant assisté à l’autopsie de l’animal.

Inutile de déranger Sherlock Holmes pour constater, malgrè toutes les dénégations offusquées, qu’il s’agit ici beaucoup plus d’une hyène, ou d’un hybride, que d’un loup. Concernant la hyène, on nous la présente généralement comme un moyen charognard assez couard en l’opposant à la noblesse du grand fauve qu’est le lion. Or, il existe plusieurs espèces de hyènes, à rayures, à bandes ou barrées, tachetées, brunes, des sables.

Parmi les hyènes à bandes et tachetées les spécimen adultes peuvent atteindre les 90 Kg et ont une mâchoire dix fois plus puissante que celle du plus gros loup. Elles peuvent facilement enlever une proie de la taille d’un adolescent et le porter sur plusieurs centaines de mètres. Elles sont très agressives et, de ce fait, beaucoup plus craintes que le lion par ceux et celle qui la côtoient, en Afrique. Il s’agit donc d’un réel prédateur puissant, rapide, dangereux dont le cri, ressemblant au hennissement d’un cheval accompagné d’un rire sardonique, glace le sans dans les veines. Or, c’est justement le cri terrible que de nombreux témoins prêtèrent à la Bête.

De nombreux textes attestent qu’elle supporte très bien le froid et, ce qui est encore plus étonnant, la captivité. Des hyènes capturées très jeunes peuvent donc tout à fait s’apprivoiser et se comporter comme un chien domestique . Cela se fait encore en Afrique où des femmes adoptent une jeune hyène dans le but de se faire protéger. Mais il est admis que, dans la plupart des cas, ces hyènes deviennent irascibles, dangereuses, jalouses et agressives.

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Hiène tachetée africaine : le portrait de la bête tout craché !

A l’époque, en Afrique, la hiène s’apprivoisait très bien !

Voici, par exemple ce qu’affirme A.E. Brehm dans un ouvrage presque contemporain de l’époque de la Bête « Merveilles de la nature- l’homme et les animaux – IV volumes Paris Librairie J.B. Baillère et Fils (1828) – collection de l’auteur Captivité : » Prises toutes jeunes les hyènes peuvent s’apprivoiser et vivre en captivité ; mais presque toutes en vieillissant deviennent cataractées et irracibles, donc fort dangereuses. Cependant d’après John Franklin, l’hyène se rencontre en Afrique dans la maison de quelques colons où elle est préférée au chien lui-même à cause de son attachement, de sa sagacité et de ses précieuses qualités pour la chasse.

L’évêque Hebert, dit-il, a connu dans l’Inde un gentleman anglais, M. Troill qui était suivi, depuis plusieurs années par une hyène tachetée, comme par le plus fidèle et le plus diligent des amis. Cette rencontre arracha même au bon évêque l’exclamation que voici « Et l’on dira que cet animal est incapable de s’apprivoiser ! » Je me souvient moi-même d’avoir vu, il y a quelques années, à Exeter, une hyène si parfaitement privée, qu’on lui permettait de se promener librement. J’ai moi-même acheté deux hyènes à Khartoum. Trois mois après, je jouais avec elles comme avec un chien sans avoir à en redouter la moindre attaque. Elles m’aimaient plus de jour en jour et montraient la plus grande joie quand je m’approchais d’elles. Lorsque je rentrais dans leur écurie, elles se levaient en poussant des cris de joie, gambadaient autour de moi, me posant les pattes de devant sur les épaules elles me flairaient le visage et levaient leur queue en l’air. C’était leur manière de me saluer et je pu, maintes fois, remarquer qu’elles manifestaient ainsi leur contentement. En un mot j’ai pu voir par elles que les hyènes sont capables d’affection et d’attachement. »

Notons ici la notion de cataractées. Il s’agit d’une membrane qui recouvre peu à peu l’oeil de la hyène, particularité que l’on retrouve dans le rapport Marin et qui, à priori, ne concerne pas le loup.

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Hyène tachetée africaine : Quand même une belle bête !

Ce qui est confirmé par Monsieur Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, conservateur du Muséum d’Histoire Naturelle et du Jardin des Plantes dans une lettre à M. E. Deschanel à propos des Jardins zoologiques d’acclimatation. « Ce que vous dites des hyènes, tant calomniées, m’a rappelé un fait qui m’a beaucoup amusé. Mon ancien camarade Romieu raconta triomphalement comme quoi il était parvenu à adoucir nos hyènes du Jardin des Plantes, à force de gâteaux et de câlineries de voix; à ce point d’être arrivé à les toucher le troisième jour. Or deux d’entre-elles existent toujours et je ne vais jamais à la ménagerie sans les caresser car elle me reconnaissent fort bien ».

Monsieur Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire (1772 1844) n’est pas le premier venu dans le monde assez fermé de la zoologie et des amis des animaux. Professeur de zoologie et naturaliste au Muséum, il fonda la ménagerie du Jardin des Plantes, Membre de l’Institut il créa l’embryologie. Il serait donc difficile de mettre sa parole en doute !

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La hyène rayée du Cap Une rencontre peu rassurante surtout au coin d’un bois noir !

Bestiau pesant près de 80 kg et fort bien apprivoisable si l’on en croit Monsieur Geoffroy-Saint-Hilaire fondateur de la ménagerie du Jardin des Plantes ! Observez bien attentivement les diverses estampes et gravures d’époque reproduites dans la page sur les battues et constatez que la plupart d’entre-elles, constamment reproduites par ceux qui accusent le loup portent le nom de hiène. Or à cette époque ces gravures et ces estampes constituaient, à part les rumeurs des veillées, les seules sources d’information de l’immense majorité de la population puisque les gazettes et journaux, donc les textes, n’étaient lus que par une minorité sachant effectivement lire.

Le Velay, le Gévaudan, la Margeride ne devaient pas compter parmi les régions françaises où l’alphabétisation était la mieux développée et de plus les populations rurales ne parlaient pas le français mais un dialecte dérivé de la Langue d’Oil avec des apports des patois du Massif Central.

Concernant ces estampes, gravures, figures elles étaient colportées et c’est le colporteur qui en donnait la légende écrite. Sinon il convenait de demander à monsieur le Curé, au Notaire ou à un savant de décrypter cette fameuse légende et dans ce cas, au vu de ces estampes, la hiène était nécessairement évoquée jusqu’au coeur du Gévaudan. Encore une fois ces gens connaissaient bien les loups et il n’a jamais été question du « Loup du Gévaudan » (Lupo del Gébaudan) mais du « Bestio » ou, éventuellement, de la « Bestia ».

On aurait donc dit simplement, en Langue d’Oil « le bestiau du Gévaudan » ! Pourquoi pas la hiène du Gévaudan. Simplement parce que c’est imprononçable et difficile à lire et ne possédait pas de correspondance compréhensible par tout un chacun en Langue d’Oc. Et rappelons encore que nous n’accusons pas UNIQUEMENT la hiène (ou hyène !) mais une association complexe de divers animaux, dressés ou non, et la participation humaine.

La hiène ne constitue alors qu’un des éléments du puzzle qui sera, convenons en sérieusement, assez difficile à reconstituer. Mais il serait probablement temps de sortir du dialogue de sourds entre monomaniaques à hypothèse unique et calibrée destinée uniquement à satisfaire tel ou tel lobby. En ce qui me concerne je je suis ni lupophile ni lupophobe, ni antiloup ni proloup, je suis luponeutre mais je constate qu’on lui en a quand même beaucoup collé sur le dos ! Ceci dit si un loup vient me bouffer mes poules et que j’ai une fourche sous la main…